Quinze
JEU DE ROLES
"On fait un détour par Bled siba pour trouver une place au soleil du Makhzen." Omar Serghouchni
A
u cours des dernières années, l'évolution du système politico-économique a remis en question toutes les organisations dans lesquelles il s'agit de réfléchir et d'agir en société. Pour des personnes dont les intérêts se complètent mais ne coïncident pas et qui veulent néanmoins avoir, là où elles se sont réunies, une égale liberté et une égale influence.
Se trouve ainsi posé l'un des principaux problèmes de la société actuelle, à partir de deux paradoxes : d'une part, les individus qui aspirent à plus d'autonomie personnelle tandis que les actions qu'ils ont à mettre en œuvre sont de plus en plus collectives, indivises. D'autre part, les pouvoirs de plus en plus à portée de la vue, grâce à l'expansion des médias, sont de moins en moins à portée de la main.
Rien n'est possible sans un minimum d'adhésion des individus à des objectifs communs. Le corps social n'étant plus la somme des citoyens plus l'Etat, mais bien l'assemblage complexe de corps intermédiaires dans lesquels se trouvent engagés les citoyens.
Dans sa longue et lente quête de citoyenneté participative, le Maroc n’échappera pas au boom associatif, beaucoup moins qualitatif que quantitatif, dépassant les 70 000 associations reconnues. Elles relèvent soit des «associations-pourquoi» qui tentent d'infléchir la réflexion des pouvoirs dans le sens d'un meilleur lendemain sociétal. Soit des «associations - parce que» qui tentent d'améliorer le vécu en développant les mécanismes de solidarité.
Dans cette multitude, quelques unes arrivent à émerger de l'anonymat. Beaucoup d’autres, créées par des inamovibles présidents-fondateurs, arrivent rarement à leur survivre. Cette nébuleuse à but très lucratif opère de préférence dans les milieux proches des élus et des autorités centrales ou locales. Toute subvention déguisée, tout avantage en nature, tout rapprochement de la caste des « autorités » sont les bienvenus.
Dans la foulée, beaucoup d’élus locaux et de professionnels de la politique ont créé, dans le giron de l’INDH, une foule d’associations servant de base électorale pour les législatives et les communales. Indirectement encouragés par des gouverneurs qui, en manque de projets à boucler dans la précipitation, n’ont pas été très regardants sur leur réelle faisabilité.
■Au commencement, c’est dans le sport que le mélange des genres sera le plus envahissant. Moncef El Yazghi a soutenu un mémoire du diplôme d'études supérieures sur «la makhzénisation du sport au Maroc ». Il y montre à quel point le foot ball n’a jamais échappé à l'ingérence des autorités centrales et locales. Naïm Kamal fera la liste des dirigeants «placés par le makhzen » et cita des sécuritaires dans la direction de ces clubs, principalement, les commissaires de police : Boubker Jdahim (WAC), Hassan Séfrioui (président de la commission des arbitres de la FRMF), Driss Basri (président de la RSS). Abdellatif Mesfioui (RBM), Mahmoud Archane (IZK), Mustapha Tarik (Hassania d'Agadir), Naciri et Amri (cyclisme), Jawhari (Chabab de Mohammedia), Ben Ali et Ramzi (Youssoufia), Mediouri (El Kawkab de Marrakech)… A la tête du Comité olympique marocain, on compta neuf ans pour le colonel Hassan Sefrioui et une inamovible présidence du général Housni Benslimane.
Dans la nouvelle génération de managers, Majidi, secrétaire particulier du roi, garde un pied dans la promotion du sport, en coiffant l’Académie Mohamed V de foot ball et en s’occupant de la gestion du FUS. Fayçal Laraïchi, patron du pole audiovisuel public, sera nommé à la tête de la Fédération Royale Marocaine de Tennis. Ali Fassi Fihri, patron de l’ONE et de l’Odep, a été mis à la tête de la fédération de foot ball.
Les offices et les grandes entreprises étatiques seront largement sollicités : La CDG sera associée au FUS, la RAM à la Renaissance de Settat (ville natale de Driss Basri), la Banque Populaire au WAC, l’ODEP au Raja et l’OCP à l’OCK. L’argent versé ne faisait l’objet d’aucun contrôle.
Abdelaziz Messioui raconte : « Lorsque le projet de création de l’Odep a été présenté par le gouvernement, Maâti Bouabid, président de l’UC, s’y est fortement opposé parce qu’il militait pour une privatisation du secteur. C’est à ce moment que des négociations ont permis au Raja de décrocher un gros parrainage du futur ODEP. Bouabid, également dirigeant du Raja, s’est alors abstenu de voter et le projet est passé !»
Du temps de la splendeur du général Dlimi, à chaque déplacement de l’équipe de Sidi Kacem, les différents gouverneurs se chargeaient de loger et de nourrir les protégés de l’homme fort du royaume. De ces beaux temps de la rente associative, le club a hérité d’un débit de boissons alcoolisées et du bar de l’IZK ouvert au public ! Une aubaine dont profite moult club, notamment de tennis ou de pétanque, grâce à leur exonération fiscale conférée par un statut associatif.
A voir l’état des stades, on comprend à quel point certains dignitaires sont plus attirés par la proximité du pouvoir que par le sort de leurs équipes. Parfois, le sponsor et le dirigeant ne font plus qu’un. Nasreddine Doublani, propriétaire du beurre Anchor, a fait profiter sa présidence du Wydad et … de la commune d’Anfa de l’argent du beurre !
L’aide financière fournie par les fédérations et les communes est dépensée en toute opacité comptable. Plusieurs équipes présentent des rapports financiers dont le gouffre déficitaire est sans rapport avec les salaires quasi- smigards de leurs joueurs.
En 2008, le message du souverain aux Assises nationales du sport fustige ces « intrus » qui infligent « une exploitation honteuse pour des raisons bassement mercantiles et égoïstes ». Loin des « impératifs de transparence, d’efficacité et de démocratie », ces supposés dirigeants sans « professionnalisme », plongent les sports marocains dans « l’improvisation et le pourrissement ». Souvent dans l’ignorance de tout « contrôle, d’audit et de reddition des comptes ».
Un diagnostic royal qui devrait s’élargir à d’autres espaces non moins atteints par la carence de démocratie interne. L’opacité de fonctionnement des fédérations et des clubs et le manque de renouvellement de leur encadrement rappellent, au-delà du sportif, un mal qui ronge tout le corps associatif.
Aux Organisations non gouvernementales (ONG), d'aucuns opposent les Organisations Progouvernementales (OPG) appartenant à des dirigeants proches du pouvoir. C’est le cas de l'association culturelle et sociale de la Chaouia (Mohamed Ferhat), de l'association pour la sauvegarde, la promotion et le développement d'Essaouira (André Azoulay), de l'association Iligh (Abderrahman Bouftas), de l'association Taounate (Mohamed Tricha). de l'association Grande ismaïlia (Omar Benchemsi), de l'association Ribat Al Fath (Abdelfattah Fraj), de l'association Le Grand Atlas (Mohamed Knidri), de l'association Angad (Ahmed Osman), de l'association Abou Regrag (Mohamed Aouad), de l'association Fès Sais (Mohamed Kabbaj), de l'association Ahmed Hansali de Béni mellal - Azilal (Salah Hamzaoui), de l'association socioculturelle du Bassin Méditerranéen (Mansouri Benali), de l'association Al Mouhite d'Asilah (Mohamed Benaîssa), de l'association Haoud Safi (Aziz Hasbi remplacé par Driss Benhima), de l'association Grand Casablanca (fondée par Belyout Bouchentouf)... Plus récemment, la Fondation du Grand Ouarzazate pour le développement durable a été confiée à Rochdi Chraïbi.
Ces associations étaient décriées par l'ancienne opposition parce que «venues au monde avec à leur bouche des cuillères en or». Elles furent qualifiées par l'USFP et l’Istiqlal d'associations des plaines, des montagnes, des rivières. Longtemps soupçonnées d'accointances avec le pouvoir, elles ne tardèrent pas à gagner la sympathie des participants à une «alternance» très consensuelle.
Depuis les années 2000, les associations sportives tombent en disgrâce. Au profit de la nouvelle scène musicale et du folklore local dont les festivals les mieux dotés sont confiés à des proches du pouvoir. De quoi mettre en scène, en attendant des jours meilleurs sur les podiums sportifs, le drapeau national sur les violons et les épaules des chanteurs.
La rencontre annuelle à Fès de la musique sacrée est chapeautée par Mohamed Kabbaj, ancien ministre et Wali de Casablanca. Le show Gnaoui d’Essaouira est à l’initiative d’André Azoulay, conseiller du roi. Mawazine de Rabat est confié à Majidi, directeur du secrétariat particulier du roi. Des festivals généreusement sponsorisés par des institutionnels ( OCP, BCP…).
10% des ONG que compte le Maroc bénéficient de plus de 80% des subventions publiques dédiées à la société civile, pour un montant évalué à 90 millions de dirhams. Pourtant, 97% des associations ne fournissent aucun document attestant leurs activités et les dépenses y afférentes.
Dans sa majorité, le milieu associatif souffrira du même manque de démocratie interne qui sévit dans les partis et les syndicats. Des assemblées générales vont concocter des élections précuites dans le confort des grands salons. Les traficotages y ressembleront aux mêmes pratiques de parachutage partisan et de cooptation des autorités.
Le mal finira par atteindre des corps organisés au-dessus de tout soupçon. Ainsi, les querelles internes ont pris le dessus sur les vraies missions des nombreux Ordres professionnels, contredisant le législateur qui leur a délégué le pouvoir de veiller à leur bon fonctionnement et au respect des règles déontologiques. L’Ordre des architectes fut au bord de l’implosion à l’occasion d’un marché portant sur la construction d’un millier d’écoles dans le cadre du plan d’urgence de l’Education nationale.
A l’Ordre des médecins, normalement élu pour un mandat de 4 ans, le Conseil de 2011 était en place depuis 15 ans. Un Ordre qui compte à peine 10% de toubibs qui s’acquittent de leurs cotisations !
Alors que des Ordres des avocats, pour «élire» leurs bâtonniers et leurs Conseils, n’ont rien à envier aux pratiques électorales communales et législatives. Tant par la surenchère des promesses données que par la générosité des rencontres gastronomiques. Des maîtres-électeurs d'autant plus influençables que ce noble métier, après avoir fait rêver les petits élèves, s'est mis à compter ses SBF ! Avocats Sans Bureau Fixe, porteurs de robes noires et de ... portables qui constituent leur unique contact avec les justiciables.
Le milieu culturel n’est pas moins atteint. Jusqu'à son départ de l’Union des Ecrivains du Maroc, Hasan Najmi fut le seul candidat à sa succession. Des journalistes présents à cette manifestation ont déploré l'absence du vote secret et fustigé le recours à la candidature unique. Un poète n'y a trouvé «aucune différence entre les écrivains qui ont voté pour une liste préétablie et des bidonvillois qui votent pour un billet de cent dirhams ». Une entité supposée progressiste dont le 17ème congrès ne permit à aucune de ses quatre candidates de se frayer une place au bureau central !
Etre une femme n’est pas un métier facile. Puisqu’on y a toujours affaire aux hommes ! Pour s’en rendre compte, posez cette question à un paysan marié, père de huit enfants : « Quel travail accomplit votre femme ? ». La réponse est stupéfiante : « Elle ne travaille pas, elle s’occupe du ménage !». Entre usine et urnes, entre chez soi et emploi, entre moudawana et députation, entre électrices analphabètes larguées et élues parachutées des listes nationales, à l’encontre de sa deuxième moitié, le cœur marocain balance entre tout et rien.
La réduction des inégalités entre les sexes est fortement liée à la compétitivité économique. Six des 10 premiers pays les mieux classés dans l’indice mondial de compétitivité figurent dans le haut du classement 2012 du Global gender gap report sur les écarts entre les hommes et les femmes.
Alors que le Portugal accorda en 1931 le droit de vote pour les femmes diplômées de l’enseignement supérieur, puis à toutes les femmes en 1976. Et alors qu’en France un siècle va séparer la reconnaissance de leur suffrage (1944) de celui des hommes (1848), on s’empressa dès 1959 de distribuer des cartes d'électrices à toutes les marocaines ! Non sans arrière-pensée politicienne. Parce qu’avec moins de 1% des femmes adhérant à des partis politiques, en majorité analphabètes et pauvres, on pouvait compter sur un vote féminin massif et plus sensible aux intéressements matériels.
Une cible d'autant plus accrochable qu'une large majorité de ces femmes prétendument émancipées par le processus électoral attend de l'être vraiment par la promotion sociale, au soubassement nécessairement économique et politique. Un éditorialiste s'est interrogé : « Mais sur quelle planète et dans quel théâtre vivent donc les leaders de la politique marocaine ? Pourquoi persistent-ils à ne pas faire le travail pour lequel ils sont payés ? Attendent-ils que quelqu'un ait la cruauté de leur dire qu'ils s'en moquent parce que plus il y a de chômage, moins chères sont leurs femmes de ménages?». Moins chères aussi seront leurs électrices !
Cela n’empêche pas le Maroc de se classer au 120 éme rang sur 190 pays pour la représentation de femmes au Parlement. Sur l’égalité des sexes, le Forum Economique mondial met le Maroc au 122ème rang sur 128 !
Lors des communales 2002, seules 127 femmes ont eu accès aux conseils locaux. Pour les suivantes, on fera de nouveau appel au quota féminin pour assurer 12% des 23.367 sièges pourvus par les communales 2009.Une exception que ne tardera pas à confirmer la règle d’une flagrante sous-représentativité féminine. A la formation des conseils préfectoraux et provinciaux, seules 25 femmes ont été élues.
Pour que les femmes arrivent à occuper le dixième des sièges des « Représentants de la Nation », il aura fallu leur réserver une liste nationale. Elle sera élargie aux jeunes cadres de moins de 40 ans. Par la force d’un quota très selectif et significatif d’une nouvelle rente partisane de vraie fausse représentation, d’aucuns ont pu être très indirectement « élus » sans passer par le militantisme d’encadrement des jeunesses. Pendant que certaines bonnes femmes, sans avoir jamais été vues dans les organisations féminines, ont été parachutées au gré d'intérêts non avoués. Pour Khadija Rebbah, membre de l’Association démocratique des femmes du Maroc, « l’appartenance sahraouie est devenue un critère de sélection. Bientôt, on choisira les femmes parce qu’elles sont fassies ou oujdies ! ». L'effort d'émancipation culturelle, économique et sociale s'est alors réduit à une rente de pole position électorale!
■Sur un autre front d’émancipation par un meilleur statut personnel, une nouvelle moudawana sera hâtivement qualifiée de révolutionnaire. Car, après promulgation, son application frôlera la schizophrénie : les défenseurs de la hadatha (modernité) ont obtenu l’engagement gouvernemental de « promouvoir la condition féminine sur la base du principe de l'égalité et en conformité avec les conventions internationales». Alors qu’aux «madaouine» (passéistes), on promet de «mener, une réforme progressive du code du statut personnel dans le respect des valeurs de l'islam».
Ce consensus mou engendra deux «marches» différentes à Casablanca et à Rabat. Au lendemain d’un certain 12 mars 2000, on jubila à propos des «nouveaux acquis » dans deux camps : celui «de la marche populaire dirigée par la femme marocaine soutenue par toutes les forces démocratiques». E celle «des forces réactionnaires, hostiles aux acquis réalisés dans le cadre des droits de l'homme et de la démocratie ».
Hassan II s'était adressé à la femme dans le discours du 20 août 1992 : «Sache, chère fille, femme marocaine, que la moudawana est d'abord une affaire qui relève de mon ressort». Dès les premiers mois du règne de Mohamed VI, l'arbitrage du commandeur des croyants s'imposa de nouveau. En l’absence de toute initiative partisane, le premier ministre USFP de « l’alternance » invoqua les prérogatives religieuses du roi pour se dédouaner d’un dossier qui venait de coûter son portefeuille ministériel à un dirigeant du PPS.
Difficile alors de contredire l’avis de la directrice du Fonds des Nations-Unies pour la population (FNUAP), estimant qu’au Maroc « en raison des mentalités très traditionnelles dans de nombreuses sphères de la société, les autorités ont mis l’accent sur la croissance économique, davantage sur les droits des personnes. Et quand vous négligez les droits des personnes, vous négligez les droits des femmes. La mortalité maternelle est aussi l’indication d’un problème social. Car ce ne sont pas les femmes riches qui en meurent ! ».
ans une autre forme d’action civile, des manifestants du premier mai 2001 ont scandé dans les rues de Rabat leur «non à l'arabité du Maroc». Pour Ahmed Adghirni, «il n'existe pas d'Arabe pur au Maroc ». Avant de s'interroger: « pourquoi enseigne-t-on l'arabe classique, que l'on ne trouve pas dans la vie de tous les jours... ? Je considère que c'est un gaspillage d'énergie et de ressources. Une réelle stupidité économique».Non moins radical, Lahcen Oulhaj trouve son salut en Orient car « nous partageons les mêmes valeurs que l'Occident et l'Amérique, non pas celles des Arabes et des musulmans».
Adoptant une approche plus conciliante, Mohamed Chafik proposera de commencer par unifier les trois dialectes (le tamazight du Centre -Est, le Tachelhit du Sud et le Tarifite du Rif) pour en faciliter l'enseignement et unifier la recherche académique.
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Contrairement à la Kabylie algérienne qui compte deux partis, le mouvement amazigh marocain n'a pas été partisanisé. Parce que, précisera Mohand El Ansar «nous avons voulu sortir cette question du cadre politique. Pour ne pas lui donner une connotation d'exploitation politique partisane ». Le même avis est partagé par Mahjoubi Ahardane. Estimant que la création d'un parti amazigh pourrait faire penser à «la création d'un parti arabe, un parti juif... ». D’ailleurs, le nouveau texte sur les partis politiques leur interdit toute existence subjective sur une référence religieuse, régionale ou ethnique.
La révision de la constitution consacre l’amazighité comme l’un des fondements de l’identité marocaine et la reconnait en tant que langue officielle, au même titre que l’arabe. A condition qu’une loi organique en trace les contours d’effectivité du terrain. Ce qui exige des pré requis d’habilitation opérationnelle et des moyens financiers, humains et organisationnels loin d’être acquis. Notamment au niveau des cursus de formation et d’adaptation de circuits d’administration.
Selon le Haut Commissariat au Plan, plus d’un marocain sur quatre utilise une langue amazighe dans la vie quotidienne. Parmi eux, la moitié utilise le Tachelhit, suivis des Tamazight qui représentent un peu moins du tiers et du Tarifit avec un peu plus du sixième. 0,1% de la population parle la Hassania.
C’est dire la difficulté d’unification de l’actuelle expérience d’un enseignement qui demande aux élèves d’assimiler trois langues aux trois alphabets différents : l’abajidia arabe, l’alphabet français et le tifinagh berbère. En plus, pour ne rien faciliter, devant la diversité régionale, on enseigne le tachelhit au Souss, le tamazight au Moyen Atlas et le tarifit au Rif. Puis, à partir du 4 et 5 ème niveau, les élèves suivent les cours dans une langue commune. En attendant l’adoption d’unifier les trois dialectes pour en faciliter l'enseignement et unifier la recherche académique.
Pour tout compliquer, des intellectuels en quête d’originalité, à l’instar de Fouad Laroui, préconisent d’introduire la darija dans l’école primaire. Il suffit, pour ce faire, que « ceux qui enseignent la syntaxe, la grammaire et le lexique de l’arabe classique de dire la grenouille pendant le cours de français, difdaa’ pendant le cours d’arabe classique et jrana pendant le cours de darija ».
Non sans tenir compte de l’intrusion de plus en plus réelle de la conmmunication 2.0 virtuelle. Si Facebook était un pays, il serait le 3ème Etat le plus peuplé au monde. Si Wikipédia était un livre, il faudrait 123 ans pour le lire. Sauf que, revers de la médaille, sur un millier de comptes Facebook analysés, le vocabulaire utilisé ne dépasse pas 600 mots, c'est-à-dire l’équivalent de celui que possède un enfant de cinq ans en relative difficulté de langage.
En attendant de dépasser autant d’obstacles idéologiques et méthodologiques, alors qu’un Grand Maghreb Arabe eut droit de cité à l’orée de la Constitution révisée par référendum du 13 septembre 1996, on ne lit plus que Grand Maghreb dans le préambule de la constitution du premier juillet 2011! Un Maghreb d’autant moins exclusivement Arabe qu’historiquement beaucoup de Berbères ont participé activement aux conquêtes menées sous la bannière de l’islam. L’un d’entre eux, Tariq Ibn Ziad, sera même chargé par Moussa Ibn Noussaïr de lancer les troupes à la conquête de l’Espagne.
Pour passer des dialectes épars à une langue unifiée, le tamazight aurait nécessité des siècles de vivacité pour rester une langue vivante. Ce ne fut pas le cas. Ecoutez les info’ amazighophones de notre petit écran ! Il est rare que, dans une phrase, le speaker ou speakerine n’ait pas recours à un terme arabophone à l’équivalent introuvable dans aucun dialecte berbère !
En revanche, relisez ce passage de François Rabelais (I483- I553) dans Gargantua (I534) : « Jamais ne furent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses plus doctes à la main, à lagueille, à tout acte muliebre honneste et libere, que là estoient… ». Convenez qu’il n’a rien à voir avec le bon parler et écrit du français contemporain !
En fait, l’identité marocaine est faite d’arabité, d’amazighité, d’africanité, mais aussi d’une composante judéo-andalouse, d’un héritage colonial et d’une nouvelle réalité de mondialisation anglo-saxonne.
Au-delà de toute quête de rente politicienne, un plus d’amazighité devra se forger un passage obligatoire entre langue officielle, darija usuelle, français rituel et anglais professionnel. Avec ou sans confirmation par la Constitution, le rapport de force entre les différents moyens d’expression parlera toujours le langage du mieux-disant !
Faute de bons communicants politiques, soucieux de leurs vraies missions, quelques associations tenteront d’occuper le créneau réformateur. Ainsi, l’association Alternatives, fondée par Abdelali Benamour, ancien député USFP, appellera à favoriser l’Ijtihad, à ne pas diaboliser la référence musulmane des partis mais regarder de près leur programme. Avant sa dernière révision, un collège associatif proposera des axes de réflexion pour une autre constitution. L’association 2007 Daba voulait augmenter le taux de participation des jeunes aux élections et de 20% et celui des adhérents aux partis politiques.
L'interaction entre l’associatif et le partisan est si présente que Smaïl Alaoui tient à rappeler que la création de l'association Alternatives a d'abord germé au sein du Centre Aziz Belal d'études et de recherche (CERAB). Latifa Jbabdi, fondatrice de l'Union de l'Action féminine, ancienne «23 mars», est cadre actif au sein du PSD dissous dans l’USFP.
L’Association marocaine des droits humains (AMDH), forte de ses 8000 militants et de ses 72 antennes locales, compte la plupart de ses dirigeants dans les rangs des partis de la gauche radicale. Sa présidente, Khadija Riadi, n’a pas quitté Annahj Addimocrati.
Jusqu’aux années 80, les partis politiques d’opposition usaient des organisations professionnelles et des associations de la société civile comme courroies de transmission de leurs idées. L’USFP était derrière l’association Choû’la. Mâarifa relevait du PPS, Toufoula madrassia était proche de l’Istiqlal.
De l’USFP, Younès Moujahid, Hassan Najmi et Ahmed Zaïdî, ont dirigé ou dirigent encore, respectivement, le Syndicat National de la Presse marocaine, l'Union des Ecrivains du Maroc et le Club de la presse. L'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH) regroupait des cadres de la Koutla (USFP, PPS, OADP) et du RNI (Mohamed Aujjar, Mustapha Iznasni) et des personnalités de la société civile (Omar Azimane, Mehdi Manjra...). Amina Boutayeb, portée à la tête de l’OMDH, est très proche de l’USFP.
La Ligue Marocaine des Droits de l'Homme (LMDH) est fondée par des militants de l'Istiqlal.
Le «Forum de la dignité pour les droits de l’Homme » (FDDH) inaugure l’entrée des islamistes dans le pré carré droitdelhommiste. Son premier vice-président, Mustapha Ramid, et son porte-parole, Amine Ragala, sont respectivement des dirigeants du PJD et d’Al badil al hadari.
Mai 2012, un cadre du PADS, Hassan Wahbi, a été élu président de l’Association des barreaux du Maroc. L’avocat d’Agadir succède ainsi à un autre dirigeant du PADS, Abdeslam Bekkioui.
Mohamed Hamdaoui, président du Mouvement unicité et réforme estime que « si nous avons un dénominateur commun avec le PJD qui est un projet de société commun, nous avons pour notre part une approche qui est essentiellement éducative car nous sommes une composante vitale de la société civile. Alors que l’action du parti est centrée sur la chose publique ». Faut-il le croire quand Harakate Attawhid Wal Islah (Mouvement Unicité et Réforme) comptait dans son bureau exécutif Saâdeddine El Othmani même quant il était secrétaire général du PJD ? Mustapha El KHalfi et Abdellah Baha ont un pied au gouvernement et la tête dans le MUR !
Un mélange des genres que confirmera plus tard Hassan Benaddi : « La MTD est une association, le PAM, un parti. Ce mouvement a fait une offre politique qui a été à l’origine de la création du PAM. Durant Cette phase de construction, des dirigeants du MTD se sont retrouvés à la fois à la tête de l’association et du PAM, dont moi-même. Toutefois, dans la direction du MTD figurent les membres d’autres partis qui ne se mêlent pas des affaires du parti. Nous discutons des affaires du PAM au sein du PAM, et le MTD a le droit d’aborder toutes les questions politiques et concernant les partis, y compris le PAM. ». Pour mieux semer la confusion dans la tête des électeurs, on peut difficilement mieux faire !
Si de nombreuses ONG au profil douteux et des individus spécialisés dans la misère humaine profitent de la manne des subventions internationales, d’autres ont préféré rejoindre des institutions publiques créées sur mesure. De quoi faire douter certains observateurs, allant jusqu’à parler de business des droits de l’homme. Une sorte de rente de l’humanitaire qui fait tant de bien aux autoproclamés défenseurs de tous les sans-biens de la terre.
Fouad Abdelmoumni claquera la porte associative, estimant qu’ « une ONG des droits humains se doit d’être objective et neutre, et non pas servir à la promotion d’un projet quelconque ou instrumentalisée à des fins politiques ».
Certaines organisations - même non officiellement autorisées - ont plus d'échos au sein de la société civile que des partis politiques. C'est le cas d'Al adl wal îhsane à propos de laquelle la fille d’Abdessalam Yacine n'hésite pas à déclarer : « Nous sommes la vraie opposition !» Une prétention d'autant plus facile que certains politiciens, après la distribution des billets et des repas de campagne électorale, désertent le champ social.
A un journaliste du Monde Diplomatique qui lui demanda d'expliquer pourquoi, dans les quartiers les plus pauvres, les gens se tournent vers les islamistes, Abderrahmane Youssoufi reconnut : « Nous nous sommes embourgeoisés. Nous nous sommes coupés du peuple. Il nous faut reconquérir les quartiers populaires. Les islamistes ont séduit notre électorat naturel. Ils lui promettent le paradis sur terre».
En effet, constate Mohamed Tozy, «les élites de la gauche et de l'extrême gauche ont pendant longtemps focalisé leur contrat sur la monarchie. Et, maintenant qu'elles ont pacifié leurs rapports avec le palais, elles découvrent que la rue n'est pas avec elles». Les politiques laissent ainsi un terrain défriché, sillonné d'actions caritatives qui contribuent à «banaliser la figure de l'islamisme». Al Adl wal Ihsane finance des aides régulières aux plus démunis, en actions ponctuelles, en fonds de soutien aux sinistrés des catastrophes naturelles, en bourses d’études… Dans la situation de désarroi économique, social et culturel du petit peuple des villes, la justice, la morale religieuse et la charité sont les valeurs porteuses d’espoir et faiseuses de potentiels électeurs !
L’institution royale tentera de colmater des vides susceptibles de donner des appels d’air à des « caritatifs » potentiellement nocifs. D’où la création de la Fondation Mohamed V pour la solidarité, la Fondation Mohamed VI pour l’Education, la Fondation Mohamed VI pour l’Environnement, la Fondation alaouite de développement durable, la Fondation Hassan II pour les MRE, la Fondation Mohamed VI pour les détenus.
Une enquête menée auprès des acteurs associatifs nous apprend que trois sondés sur quatre placent une grande confiance dans les associations caritatives, de développement local et de femmes. En revanche, 41% seulement de la population interrogée ont confiance dans les syndicats, 37% dans le Parlement et à peine 31% dans les partis politiques.
Une deuxième enquête menée auprès de 211 organisations de la société civile montre que celles-ci manquent de ressources régulières. La moitié d’entre elles ne reçoit aucune subvention publique. Le cinquième du panel associatif ne bénéfice même pas des cotisations de leurs propres membres. 62% des ONG ne peuvent pas payer leurs salariés et, sans le bénévolat, seraient contraintes à l’asphyxie de leur fonctionnement.
L’instrumentalisation du tissu associatif peut concourir au financement indirect de l’activité partisane. Quand le parti crée des associations pour lesquelles des subventions sont accordées par la commune qu’il gère et / où il est influent. Pour ne rien vous cacher, ces associations sont parfois domiciliées au local du parti !
D’autres associations prennent quelques risques de dépendance de l’aide étrangère. En moyenne annuelle, 350 associations reçoivent de l’étranger l’équivalent de plus de 140 millions de DH.
Sans les subventions européennes, comment Afak pourra-t-elle continuer ses messages radiophoniques d’appel au civisme des Marocains? Et que deviendraient les rencontres organisées dans les palaces par des associations largement médiatisées sans le concours des fondations étrangères comme Friedrich Ebert Stiftung, Hanns-Seidel, Adenauer ? Aidées de l'absence d'une loi pouvant garantir l'égalité de traitement devant la manne publique, devant les réseaux d'intermédiation nécessaires à l’obtention des fonds étrangers.
Si certaines ONG perçoivent des aides substantielles en provenance de l’étranger, l’aide publique marocaine manque de transparence puisque 97% des associations ne présentent aucune comptabilité.
La nouvelle constitution a donné un droit de cité au rôle que doit jouer la société civile, présentant des pétitions ou des motions aux instances élues, permettant aux ONG de participer à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques. Puisque « Les associations intéressées à la chose publique, et les organisations non gouvernementales, contribuent, dans le cadre de la démocratie participative, à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics ». Jusqu’à permettre aux citoyens de présenter des propositions en matière législative.
Mieux encore, « les pouvoirs publics Œuvrent à la création d’instances de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques ». D’où la création, au titre « de la bonne gouvernance » du Conseil de la Jeunesse et de l’action associative en tant qu’ « instance consultative dans le domaine de la protection de la jeunesse et de la promotion de la vie associative ». Et d’où l’afectation du porte-feuille ministériel de la société civile au département chargé des relations avec le parlement.
A condition de ne pas éloigner la société civile de ses missions de constituer un contre-pouvoir, alors que celui des partis politiques consiste à viser la participation au pouvoir. Autrement, la confusion des rôles empêchera l’électeur, de plus en plus déserteur, de savoir qui est qui, qui fait quoi et qui profite de qui et de quoi!