Trois
DEMOCRATIE DE PROXIMITE
APPROXIMATIVE
La démocratie,
C’est l’art de faire ses valises !
Ancien Président du Brésil
H
assan II fit observer que « l’élite ne se forme pas toute seule. Elle ne descend pas de la machine comme dans le théâtre. Elle se forme dans les cellules ». Sauf que, pour mieux se rabattre sur les technocrates et les ministres de souveraineté, le makhzen s’est contenté des partis incapables de faire valoir des têtes bien faites, plus prompts à parrainer des candidats aux fortunes mal faites.
La loi électorale marocaine est tellement prévoyante qu’elle peut poursuivre au pénal un candidat pris en flagrant délit de « campagne prématurée ». Or, tous nos partis, à l’instar des démocraties avancées, auraient mené leur campagne à tout moment ! S’ils avaient suffisamment de vrais militants, d’organisations de jeunes, de femmes et de cadres, suffisamment de permanences des députés dans les différentes circonscriptions du pays, si leurs ministres communiquaient mieux sur leurs succès et usaient moins de la langue de bois devant leurs ratés, si leurs députés opposants étaient plus présents au parlement et plus porteurs de propositions dans les commissions.
Si le départ aux urnes se faisait dans la transparence, face à des programmes longuement discutés par des candidats non parachutés, devant des électeurs plus intéressants qu’intéressés, le « prématuré » prendrait tout son temps ! Lorsque les règles du jeu sont les mêmes pour tout le monde, rien ne peut altérer la conviction d’un électeur en connaissance de cause, laissé seul maitre de son bulletin d’arrivée aux urnes, quel que soit le temps de départ d’une campagne électorale.
En fait, chez nous, ce n’est jamais l’heure …Ni le lieu non plus ! A Casablanca, la commune de sidi Moumen abrite, sous quelques taules de mauvaise fortune, un semblant de local du parti de l’Istiqlal, sis au tristement célèbre Kariane Thomas. Un garage au quartier Douma, régulièrement fermé, est supposé rapprocher le Mouvement Populaire des populations. Alors que, dans la commune de Hay Hassani, un local mitoyen à l’imprimerie de l’UC permettait d’offrir tous les cinq ou six ans un QG de campagne. Le reste du temps, il demeurait hermétiquement fermé aux « générations de l’après-indépendance » auxquelles Maâti Bouabid avait promis une politique autrement faite. Elle ne fut qu’autrement dite !
Dès lors, le temps d’une campagne électorale, des locaux de fortune sont ouverts à des journaliers pour dire tout le bien du futur élu, de préférence fortuné. Aussitôt les urnes et les isoloirs rangés, ces garages sont rendus à leurs propriétaires pour de nouveau y garer leurs voitures. Quand ils ne servent pas de présentoir aux moutons de l’Aïd !
Pour meubler les queues de listes sans prétention, des coordinateurs locaux sont réduits au rôle de rabatteurs. Des accréditations sont alors distribuées à des chômeurs avec une telle légèreté qu’elles ne peuvent éviter la comparaison entre la facilité de briguer la représentation des citoyens et les difficultés que doivent surmonter les candidats à l’obtention d’un visa. Il est beaucoup plus difficile d’obtenir le droit de fouler le sol européen que de gérer le quotidien des marocains !
En guise de programme aux riches idées, ces pauvres candidats axent leur campagne sur la misère du « ould edderb » qu’il faut sauver ! Une telle pratique, profitant de l’ignorance ambiante des véritables missions locales, donnera aux communes quelques conseillers chômeurs. Une planque temporaire qui peut servir de tremplin vers une embauche définitive grâce au stratagème appliqué dans plusieurs communes qui consiste, pour le président de la commune « A » à procéder au recrutement d’un membre sans emploi appartenant au conseil de la commune « B ». Il suffit qu’il se fasse renvoyer l’ascenseur et le tour est joué grâce aux « fonctionnaires fantômes ». On savait notre administration hantée. La voici détournée !
Au lendemain du scrutin, la préparation d’une majorité au service du présidentiable commence par le regroupement des membres dans un lieu suffisamment éloigné du territoire communal, richement fourni en services tout compris. Pour beaucoup d’élus locaux, le privilège du statut de moustachar commence par la première grande ivresse du nouveau pouvoir, au sens propre comme au figuré !
Les patrons des partis laisseront faire. Autant se réserver les meilleurs recruteurs potentiels des prochains prétendus « grands électeurs » ! Car, peu importe la manière, l’important est d’avoir le plus de présidents influents pour s’assurer le plus de parlementaires à la chambre des conseillers.
Des majorités en lambeaux vont alors bricoler des coalitions sans rapport avec un rapprochement des sensibilités, encore moins des programmes. L’intéressement sonnant et trébuchant viendra s’ajouter à la promesse de faire participer les plus gourmands aux bénéfices de la délégation de signature dans un service juteux. Celui, dans les communes à forte urbanisation, pourvoyeur des permis de lotir, de construire et d’habiter, sera le plus convoité pour la bonne distribution des fruits de l’élection.
L’élu délégué du président est convaincu de la rente que lui confère sa situation d’autorisateur en chef. Parmi ses avantages, l’affectation d’un véhicule communal peut monnayer une plaque d’immatriculation en J rouge. Il suffit de la garer devant un promoteur immobilier fraudeur potentiel pour cueillir les fruits de la compromission.
Les délégations de pouvoir céderont à une sorte « d’iqtaïsation » des attributions en fonction du seul critère de fidélisation, voire d’inféodation au « raïs ». Ce qui, à l’occasion de chaque vote annuel du compte administratif, peut arranger une « gestion » difficile à critiquer avec … des bouches pleines. La démocratisation locale commence par la conjugaison du verbe manger au maximum de personnes !
Dès lors, pour financer des majorités faites à leur mesure, certains présidents n’hésitent pas à sacrifier notre santé et notre sécurité. Quand il faut fermer les yeux sur les défaillances d’une hygiène municipale, circuler dans des lotissements-labyrinthes transformés, à coup d’autorisations chèrement monnayées, en quartiers-dortoirs.
Au lendemain du scrutin du 12 septembre 2003, l'élection des présidents communaux s'est déroulée dans la confusion et la négation des notions de majorité et d’opposition, voire du minimum d’affinités. Dans plusieurs communes, le PJD, n'eut aucune gêne à pactiser avec l'USFP. Même le très conservateur Mohamed Chabate, maire de Fès, n’eut aucun mal à associer à sa gestion un conseiller de la Gauche Socialiste Unifiée. A Tanger, un ancien maire PPS est élu sans étiquette, avant de rallier …le MNP !
Lors des communales du 12 Juin 2009, interrogé sur les scénarios de vote pour la présidence des conseils communaux, Hassan Tarik (de la chabiba Ittihadia) trouve sans gène que «si les conditions sont réunies chez n’importe quel candidat quel que soit sa formation politique, même s’il adhère au PAM, nous pourrons s’associer, surtout si cela peut conduire à la présidence USFP ».Pour mieux brouiller les cartes, Abdelilah Benkirane déclara que « pour le Nord, nous avions une coalition avec l’USFP. Pour le Centre avec le parti de l’Istiqlal et le RNI. Dans d’autres régions, c’était avec le MP et même avec le PAM ».
Pire, des groupes d’élus de la même étiquette se sont divisés au moment des formations des bureaux. D’autres parties des mêmes partis se sont retrouvées réparties entre soutien ou opposants aux mêmes maires. Sans oublier tant d’autres formations majoritaires strictement basées sur le critère tribal. Au risque de rendre ingérables plusieurs entités communales. La mandature Sajid à la tête du conseil communal de Casablanca en est l’exemple le plus désolant.
Pourtant, la loi s’est mise au service des présidents dans leur application de la très généreuse clause du quorum requis pour les votes du conseil. Un quorum qui ne prévoit la présence de la majorité des membres que pour la première convocation.
Au cours de la session du mois d’avril 2008, le conseil de la commune de Casablanca n’eut besoin que de 27 membres présents pour s’engager au nom des millions de Casablancais sur un nouvel accord avec la Lydec. Tard dans la nuit, certaines grandes décisions engageant les finances de la ville ou son devenir économique et urbanistique, n’eurent besoin que d’une trentaine de conseillers somnolents pressés d’en finir avec l’ordre du jour-et-nuit.
Ainsi détournés de leurs vrais soucis, ils laisseront toute latitude aux dysfonctionnements de la gestion déléguée à la Lydec (Casablanca), Redal (Rabat) et Amendis (Tanger) pour l’assainissement liquide et la distribution d’eau et d’électricité. Un rapport de la Cour des comptes révèle que les trois concessionnaires ont procédé systématiquement à la distribution anticipée des dividendes et à la libération tardive du capital, sapant ainsi les capacités de financement des investissements promis. En plus du recours abusif à l’assistance technique de leurs maisons mères, se traduisant par « un transfert déguisé de dividendes».
asablanca représente aujourd’hui une véritable radioscopie du Maroc de l’Indépendance, au carrefour d’une tradition aux racines profondes et d’une volonté de modernité. Hors des triangles d’or et des quartiers résidentiels au mètre carré hors de prix, des quartiers dits populaires surgissent du sol comme des champignons à un rythme accéléré. Les mêmes noms se suivent et se ressemblent. Jamila I, II, III. Yasmina I, II, III… Cubes alignés le long de rues anonymes, leur architecture est uniforme et invariable.
Certes, de temps en temps, les élus locaux s’en souviennent en leur imposant le ravalement en blanc, en souvenir de Dar El Baïda !Un Casablan…cassé pourtant édifié autour de ses sources d’eau qui ont donné leur nom à ses lieux cardinaux (Aïn Chok, Aïn Borja, Aïn Sebaâ, Aïn Diab, Laouina Al Hamra), continue d’avoir soif… de verdure et d’espaces socioculturels et de loisirs.
De l'avis de son ancien Wali, Driss Benhima, elle est « par excellence la capitale de l’échec de la mise en application de la charte des collectivités locales ». Cette ville, se débattant encore dans ses finances en pleine déliquescence, en est encore à pourchasser ses vendeurs ambulants et à changer les robinets des fontaines publiques pour son quart d’habitants bidonvillois.
Or, pour augmenter les ressources, il faut faire venir des entreprises, assurer le bon climat et l’environnement favorables à leurs affaires. Pour que la ville soit attrayante, il faut passer du cercle vicieux au cercle vertueux. Ce qu’aucun texte ne peut garantir sans une profonde transformation des mentalités. Même s’ils les guident, les lois ne garantissent pas les vertus humaines. Les tentatives de leur contournement peuvent même susciter quelques vocations dans l’art des passe-droits !
Quand on revendique une charte communale plus libérale, Il faut reconnaître qu'à ce jour tout ce qui a été entrepris est resté en - deçà des concessions offertes par les textes en vigueur. Tant que le niveau d'instruction est franchement bas pour 65% des élus locaux et pour le tiers des conseillers régionaux. Alors que beaucoup de communes comptent encore des illettrés, il est difficile à des conseillers communaux d’inspirer une véritable gestion à quelque 150 000 agents et cadres à travers le pays.
Il aura fallu attendre plus de 40 ans avant de proposer un amendement de la charte communale, empêchant des élus analphabètes de briguer la présidence d’un conseil communal. Qu’à cela ne tienne ! Pour « s’acheter » des présidences, des candidats n’ont pas hésité à payer des certificats d’études primaires falsifiés ! Mohamed Chabate, président du conseil de la ville de Fès, capitale « ilmia » (théologique) du royaume, répond à ses détracteurs que « comme moi, le prophète était « oummi» (analphabète).
Curieuse destinée pour un pays où des diplômés chômeurs multiplient les sit-in pour demander du travail à des présidents de communes, voire à des parlementaires incapables de lire leurs C.V. Et dire que, dès I908, le premier projet de Constitution stipulait qu’ « un analphabète ne doit pas occuper une fonction du Makhzen. Un fonctionnaire doit bien lire et écrire la langue arabe ». Tandis que, « pour être élu délégué au Conseil de la Nation, il faut, « bien lire et écrire la langue arabe… ».
Le Maroc a connu l'organisation de sept colloques des collectivités locales : De «la coexistence» à «la symbiose»; puis de «l'association » à «la responsabilité». Avant de passer de «l'adéquation» à «l’information et la formation des élus locaux» puis à « la décentralisation et la déconcentration »… Des rencontres-spectacle mises en scène par le team Basri, destinées à l’exportation d’une image de démocratisation, à coup d’invitations d’un maximum d’étrangers aux frais du contribuable.
Pendant ce temps, peu d'efforts sont fournis pour améliorer le savoir-faire communal. Les autorités de tutelle s’avèrent plus promptes aux sanctions a posteriori qu'aux orientations a priori. Faute de structures de formation des partis, à l'instar des démocraties locales des pays avancés, rien n'assure l'organisation d'une formation continue des élus. Alors que la connaissance des technologies de l’information et de la communication est désormais centrale dans la prise de décision stratégique, la nouvelle économie demande aux décideurs de devenir les e-lettrés d’une e-administration territoriale. On en est encore loin. Pour le e-Gov, le Maroc se classe au 56e rang mondial !
Les précédentes mandatures communales n'ont eu droit qu'à un seul et unique séminaire préfectoral organisé à la parution du dahir du 17 juin 1992 sur l'urbanisme. Ce jour-là, la très faible assistance dans les grandes salles préfectorales n'avait rien à voir avec la bousculade des élus devant les buffets des grandes occasions. Depuis, peu d’élus assistent aux jeudis de la gouvernance, organisés par la commune de Casablanca, à l’initiative du PNUD.
Début 2012, la présidence d’université prépara tout le contenu pédagogique et logistique d’une journée d’études en partenariat avec la wilaya et le conseil régional. Pourtant d’un grand intérêt à la veille d’une régionalisation que l’on veut « avancée », elle sera reportée sine die. Quelques mois plus tôt, des correspondances du décanat de la faculté des sciences juridiques, économises et sociales de l’université Hassan fera une proposition de partenariat au nouveau master « développement territorial et management local ». Ni la wilaya, ni la présidence du conseil de Casablanca ne daigneront répondre ! Entre-temps, les effets d’annonce et les discours de tribune continueront de demander un partenariat entre l’université, l’appareil administratif et le monde politique !
En attendant, une réforme du dahir portant organisation communale tentera la séparation entre les fonctions délibératives du Conseil communal et les fonctions exécutives du corps administratif. Mais, des textes à leur application, rien ne s'oppose au comportement "PGDiste" des présidents mal élus et néanmoins légalement « chefs hiérarchiques du personnel communal ». D’où leur tendance à tout niveler par le bas en plaçant à la tête de certains services des chefs aux compétences douteuses. Pour moins montrer de quoi il est incapable, chaque petit raïss a besoin d’un plus petit que soi !
Une démocratie locale mal comprise par des présidents envahissants, mal assimilée par des adjoints frustrés, mal vécue par des conseils divisés, mal gérée par un encadrement administratif dépassé, peut conduire à une dictature locale encore plus dangereuse quand elle se pratique au nom de la démocratie.
Ya-t-il un rapport entre le code électoral et le blocage d’un processus de développement territorial ? Certainement ! Si un scrutin de grosses têtes de liste ne laisse passer que les plus intéressés des candidats « investisseurs ». Le contre-pouvoir populaire sera tellement absent que les mal élus se feront servir au lieu de servir. L’abstention aidant, toute la sélection populaire promise entre les isoloirs et les urnes n’est plus qu’un ramasse-miettes du peu de voix « conquises ».
De cause à méfait, sans aucune culture de militance, l'appartenance partisane n'est jamais à l'abri des risques d'errance. Au lendemain du vote, l'élection des présidents communaux s'est déroulée dans la confusion et la négation des notions de majorité et d’opposition, voire du minimum d’affinités. D’où ces élus, multipliant les côtés à géométrie variable du paysage partisan, face à des électeurs de moins en moins accrochables.
Comme quoi, le processus électoral est moins la manifestation d'un multipartisme d'éthique que l’utilisation d'un stock d'étiquettes. La « logique démocratique », arguée avant chaque choix de Premier ministre, perd alors toute logique représentative. Quand les différents acteurs partisans acceptent un système électoral proportionnel qui, par définition, ne peut laisser émerger aucun leadership gouvernemental. Ainsi, au lendemain du scrutin de 2002, en obtenant 12% des voix, l'USFP est devenue le parti - locomotive du gouvernement de «l'alternance consensuelle».
En 1785, le mathématicien français Condorcet s’est posé la question de la mathématique démocratique à partir de la constatation suivante : Si l’on considère trois partis, rouges, bleus et verts, alors le fait qu’il y ait davantage d’électeurs qui préfèrent les rouges aux bleus, que d’électeurs qui préfèrent les bleus aux verts, n’implique pas forcément que les rouges l’emporteront sur les verts. Dans ce cas, des modes de scrutin différents donneront différents vainqueurs pour les mêmes électeurs, et pourront faire gagner une coalition minoritaire ! Le paradoxe de Condorcet a nourri ainsi les critiques selon lesquelles plus la vie politique s’écarte du schéma bipolaire, moins elle suscite la confiance des électeurs, qui est pourtant la véritable mesure de la démocratie.
Paradoxalement, l’abstention des électeurs potentiels peut faire l’affaire des chasseurs du plus petit nombre de voix à vendre susceptible d’assurer leur élection. Ainsi, dans les petites communes, le système uninominal à un tour fut à l'origine de situations renversantes. Quand, dans une circonscription de dix mille votants inscrits, une quinzaine de candidats peut se présenter. Si une majorité d’électeurs s'abstient ou glisse des bulletins nuls, le «gagnant » peut, avec à peine quelques petites centaines de voix, représenter toute la circonscription au conseil communal. Les milliers d’autres seraient ... une minorité !
A Casablanca, des « Représentants de la nation » bidaouie ont ainsi obtenu 10% des… 20 % de voix exprimées, soit la version arithmétique du plus petit électeur commun ! Imaginez un système d'examen où l'on ne cherche pas à avoir les plus brillants éléments, obtenant les meilleures notes, ni même une juste moyenne générale ; mais où l'on se contente d'accepter les candidats aux moins mauvaises notes !
Résultat, des ministres ont été nommés à la tête de départements stratégiques comme la Santé, l'Education Nationale ou l'Agriculture, alors que leurs partis respectifs ont obtenu chacun moins de 5% des suffrages exprimés.
Pour les législatives et dans les grandes communes, le scrutin proportionnel à un tour répartit les sièges en fonction du nombre de voix obtenues pour chaque liste. Ce qui n’assure aux petites et moyennes formations que quelques présences minoritaires dans les mairies et des strapontins au parlement. Sous prétexte d’assurer la représentation d’un maximum de sensibilités, ce mode électoral court le risque d’entraîner la balkanisation du paysage partisan, conduisant à la dispersion des majorités et des oppositions.
D’aucuns prétendent que, dans l’absolu, le scrutin de liste permet de réduire le nombre de partis politiques, met en valeur leurs programmes et limite la corruption électorale. Alors que l’uninominal à un tour profite aux notables puisque c’est le candidat qui est au centre de l’opération électorale.
En fait, au passage du texte au vrai contexte électoral, aucune technique d’élection n’est politiquement neutre. Elle se pratique dans un ensemble sociétal complexe, de structures politiques, économiques, mentales et sociales, devenues détournables, à défaut d’être réformables. Car, après moult tâtonnements, aucun scrutin marocain n’arrive à dégager un meilleur casting. Ne faisant des partis que des postes restantes qui nous envoient de plus en plus de tourneurs de vestes. A coup de nomadisme effaceur des étiquettes de candidature et d’absentéisme en cours de mandature.
Un sondage effectué à la demande de la Fondation Abderrahim Bouabid révèle que 90% des personnes consultées n'accordent pas une grande importance à la vie politique. Une antipathie qui, le 14 novembre 1997, poussera deux millions d'électeurs potentiels à bouder l'inscription sur les listes électorales. Auxquels il faut ajouter les milliers de bulletins nuls. Une désertion qui devient catastrophique à l'occasion de certaines élections législatives partielles dont le taux de participation frôla à peine 15% des inscrits. Pour les législatives, pourtant consécutives à une profonde réforme de la constitution, le taux d’abstention sera à peine moins dramatique. Ce qui favorisa le plus petit dénominateur représentatif commun pour un minimum de représentativité !
Auquel cas, le qualificatif de « représentant de la Nation » doit faire preuve de beaucoup d’humilité ! A moins que tout ce désaveu n’affecte que ce personnage de la pièce de Brecht, auquel on conseilla de partir après un cuisant échec, mais qui trouve que la bonne solution serait de … dissoudre le peuple !
C
Si le genre animal ne boit que s'il a soif, c'est qu'il ne boit que de l'eau. Contrairement à certains politiciens qui s'abreuvent, à longueur des échéances électorales, jusqu'à l'ivresse de l'autorité et de la notoriété. A peine dessoûlés, ils reprennent de plus belle. Si la mémoire de leurs électeurs était moins courte, «la transition démocratique » aurait été moins longue.
Faute de pépinières, les mauvaises herbes grandissent. Il est arrivé à des partis d'être éclaboussés par les dégâts immoraux de certains «élus». Pourtant, certains sortants, après s'être bien beurrés au mépris du pain rassis des difficultés sociales et économiques ambiantes, ont été purement et simplement reconduits. Parce que, les idées reculant dans le vide des programmes, c’est le pétrole des notables qui fera désormais fructifier l’investissement électoral. L’Etat a nationalisé le financement des partis. L’argent sale l’a notabilité et « privatisé » !
Dans son carnet de campagne, Ali Belhaj, fondateur du parti Alliance des Libertés, note le passage de l’argent d'un «usage artisanal» à un «usage industriel», contribuant à la prolifération de ce qu'il nomme les «intermédiaires négatifs» des élections, par opposition aux «réseaux de soutien dans le monde économique ou parmi la société civile qu'un bon candidat devait pouvoir solliciter». Un mal que confirme Mohamed El Gahs, « lorsque l’argent se propose de devenir l’unique argument et le régulateur suprême de la vie politique…».
Sur tatamis, un judoka peut perdre pour passivité. Pas des partis qui, malgré leur éloignement des citoyens, arrivent à recruter suffisamment d’opportunistes pour s’acheter suffisamment de mauvais électeurs. Pour assurer l'arrivée de cadres militants autour de leaders réellement méritants, il fallait commencer par faire baisser le taux d'opportunisme qui fait monter les tensions entre ceux qui «savent» se servir et ceux qui... le savent. A la faveur d’un découpage électoral qui se rabat en milieu rural sur le tribalisme et le notabilisme.
Dans des localités préalablement «labourées», à l’enfermement tribal électoraliste, s’ajoute le cloisonnement régionaliste. Assistez à une séance du conseil régional d’Abda-Doukala! Vous serez surpris par le nombre des membres que vous croisez plus souvent à Casablanca qu'à Safi ou El Jadida ...! Parce qu'ils habitent tous dans la capitale économique et y exercent leur principale activité professionnelle.
Sans oublier l'instinct filial, conjugal ou "beau familial". Lors des propositions des ministrables pour la formation du gouvernement, la presse a fait échos de la candidature par les directoires partisans d'un grand nombre de fils et de beau-fils. Le patron d'un parti politique fit part du désir de "ministrabiliser" son fils, après avoir assuré l'épouse de son frère d'une pole position sur la liste nationale qui lui valut d'entrer au Parlement. Afilal a pu emmener sa femme au Parlement. Abdellah Kadiri y a rencontré sa nièce. Thami El Khyari ouvrira la chambre des représentants à sa sœur. M'hamed Boucetta y avait un fils ! Miloud Chaâbi, Ali Kayouh, Abdelhak Tazi et Mahmoud Archane y ont côtoyé leurs fils. Ce dernier héritera du parti après le départ du père fondateur.
Le même favoritisme d’appareil, parfois sonnant et trébuchant, offrira la députation aux 90 jeunes et femmes bénéficiaires du quota de pole position des heureuses et heureux élus très indirects d’un scrutin au suffrage apparemment direct !
Les manifestants du 20 février 2011 ont brandi des messages écrits, du genre : « Abbas El Fassi : après ma famille, le déluge », « Il n’y a pas que le fils des Fassis, les Marocains sont aussi instruits », « Ceci est le Maroc des libertés et non le Maroc des familles », « Jusqu’à quand les Fassis vont nous gouverner ? », « Abbas Go out »…
C’est par ses filles et leurs alliances qu’Allal El Fassi a tissé des ramifications tentaculaires qui englobent les Khalifa, Louafa… A la nomination du gouvernement Abbas El Fassi, la famille du Premier ministre occupe quatre maroquins. Outre le patriarche et patron de l’Istiqlal, le clan compte un ministre de souveraineté, en la personne de Taïeb Fassi Fihri (un cousin de Abbas El Fassi), une ministre, Yasmina Baddou, responsable de la Santé et belle-sœur de Taïeb, un ministre délégué, Nizar Baraka, en charge des Affaires économique et gendre de Abbas. Un peu plus loin le frère de Taïeb Fassi Fihri, Ali, qui est aussi le mari de Yasmina Baddou, est à la tête de l’ONE, de l’ONEP et de la Fédération de football, autre cousin Othmane Fassi Fihri, dirige Autoroutes du Maroc. Sans oublier les portes grand’ ouvertes aux générations montantes.
La politologue Amina El Messaoudi, auteure d’une étude sur les ministres dans le système politique marocain de 1955 à 1992, calcule que, sur un peu moins de 300 ministres depuis l’indépendance, 67 sont nés à Fès ou de parents fassis.
L’ancien porte-parole du gouvernement, Nabil Benadallah, patron du PPS, est le frère de l’architecte Fikri Benabdallah, mari de la sœur de l’ancien ministre Omar El Fassi. Leur oncle n’est autre que l’ancien premier ministre Karim Lamrani. Samira Krich, tête de liste de l’Istiqlal aux législatives 2007, est l’épouse de Hani El Fassi du Conseil Constitutionnel, propre fils de Allal Al Fassi. Docteur Al Khatib, fondateur du PJD, est l’oncle maternel du général Housni Benslimane et de Smaïl Alaoui.
Jusqu'au règne du sultan Hassan 1er, des postes de pachas et de caïds étaient livrés aux plus offrants, dans la même famille, d'une génération à la suivante! François Clairy, ancien médecin de la famille royale, raconte que les notables des tribus et des riches familles offraient aux sultans accédant au trône leurs plus belles filles. Celles-ci, tout en augmentant le nombre des «chirates», permettaient à leurs parents d’accéder à quelques privilèges.
Aujourd’hui encore, Ali Sedjari, président du Groupement de Recherches-Espace et Territoires (GRET) estime «qu'il y a un énorme travail à effectuer sur les structures et les mentalités » pour arrêter de «faire de la politique en chambre, dans un espace raréfié, avec des relations consanguines... ».
Certes, on ne peut rien reprocher à la succession héréditaire si la compétition est préservée et si, par-delà les noms de famille, les compétences arrivent à se faire des prénoms. La politique de père en fils n'est pas le propre des Marocains. A condition que, sur une même ligne de départ, à compétence et à militance égales, les sans parents politiques puissent avoir les mêmes chances.
« Les privilégiés répugnent à penser qu’ils sont seulement des privilégiés », écrivait le sociologue américain Charles Wright Mills. Ils en viennent vite à se définir comme intrinsèquement dignes de ce qu’ils possèdent. Ils en viennent à se considérer comme une élite « naturelle », et même, en fait, à voir leurs biens et leurs privilèges comme des extensions naturelles de leur moi supérieur ». Ce n’est pas la nature, mais leur naissance, leurs réseaux et leur patrimoine qui ont placé ces personnes aux postes les plus éminents des institutions qui structurent nos sociétés.
N’acceptant que les applaudisseurs de service, les partis politiques perdent leur capacité d'identification, de mobilisation et de sélection du personnel dirigeant. A ceux qui partent, parce qu'ils refusent le droit de garder le silence et celui que leurs idées soient retenues contre eux, on continuera d'offrir «la vaste terre d'Allah!».
Ceux qui restent ne sont pas très tolérants vis-à-vis de leurs « frères ». Quand Abdallah Kadiri, héritier du PND, présente l’un des anciens ministres issus de son parti comme faisant partie des « gens insignifiants », chargé au siège du parti de « préparer le thé à Arsalane El Jadidi ». Ou lorsqu’Abderrazak Afilal, ancien patron de l’UGTM, faisait observer à un journaliste que son grand frère ennemi, Mohamed Chabate, n’était que « sikliss ». Ce même Chabate, devenu patron de l’UGTM et député-maire de Fès, poussera la chaise roulante dans le hall du tribunal qui ne jugera jamais Abderrazak Afilal. Tous ceux qui ont côtoyé Mahjoub Benseddik se rendaient compte du mépris qu’ils vouaient aux enseignants.
Les temps n’ayant pas vraiment changé, il est souvent moins difficile dans nos partis notabilisés et parmi nos syndicalistes embourgeoisés d'avoir du talent que de le faire pardonner. Pendant ce temps, comme certaines mauvaises idées, les têtes toutes faites sont comme les mauvaises herbes. On a beau les arracher, elles repoussent toujours. Avec le recul des élites, comme pour la loi monétariste de Gresham, la mauvaise monnaie chasse la bonne !