Treize
L'ARGENT
DES AUTRES
Il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs des peuples :
ceux qui s'intéressent aux gigots et ceux qui s'intéressent à la laine.
Aucun ne s'intéresse aux moutons !
Rochefort
L
’iqtaïsation des biens publics a laissé traire jusqu'au tarissement des établissements qu'on osait présenter comme des banques de développement, des entreprises publiques ou des caisses de sécurité sociale. Au fil des contacts pernicieux entre les rentiers politiques et les faiseurs de makhzen économique, chacune des grandes « affaires » est l'émanation de la folle permissivité du système de prébende. Dans cette ferme verdoyante, il y en a qui, parmi les vaches à traire, ont battu des records de lactation.
’sieur, s’il vous plait, commença-t-il en s’approchant de l’homme derrière le bureau, je suis pressé et …
- Ah oui ? Et alors ? Tout le monde dit la même chose. Revenez dans quinze jours !
Après quoi, le préposé au bureau-sésame s’enfonça la tête dans sa paperasse, laissant l’administré libre de comprendre. Celui-ci remit de nouveau ses papiers en prenant soin de les assaisonner d’un billet bienvenu. Après examen du contenu magique, le courant passe, la quinzaine de jours devint…Quelques heures !
La corruption et l’enrichissement illicite ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, en 181, une pétition des colons romains à l’empereur Commode implore : « Viens à notre secours, car nous sommes de pauvres paysans incapables de rivaliser auprès de ces procurateurs avec le régisseur, qui s’assure leur bonne grâce par de somptueux cadeaux ».Une corruption de tout temps, en tout lieu, à tous les niveaux, hante les pays des plus développés aux moins avancés.
Là où les structures mentales finissent par céder à une certaine accoutumance au bakchich, un dopage indétectable peut brouiller les pistes. Quand la frontière entre le cadeau occulte et le pot-de-vin est suffisamment floue, on finit, à force de multiplier les hlawa, les kahwa et autres gamila, par sympathiser avec les petits mangeurs. Au risque de banaliser, voire justifier les grosses prises des grands prédateurs.
Jusqu’à prétendre, en sourdine, que la corruption peut constituer une sorte de flux économique régulateur, à même de corriger la répartition des revenus. En permettant aux moins bien payés d’utiliser des raccourcis dont ils contrôlent l’accès pour arrondir leurs fins de mois. Ce qui est faux ! Parce que toutes les fonctions ne sont pas potentiellement corruptibles. Et parce qu’il n’y a pas que cette petite corruption, presque mignonne, qui fait le pain quotidien de nos comédiens autocensurés. Il y a aussi la grande, celle dont raffole une certaine bourgeoisie insolente, ayant pignon sur rue, dont toute la participation à l’effort de développement national se réduit aux rôles de prête-nom et de prévaricateurs.
On a trop tendance à oublier que, dans ce sport national qu’est devenue la corruption, pour avoir des incorruptibles, il faut avoir des incorrupteurs. La réciproque est tellement vraie que, souvent, c’est le corrupteur alléché par l’appât d’un passe-droit qui propose de corrompre un préposé au péage. Le phénomène est donc plus complexe qu’on le laisse croire ! Compliqué par un système d’interventions sollicitées et de services rendus ne fonctionne que parce que les lois et les règlements sont conçus avec une telle rigidité bureaucratique que leur application exige des dérogations dont profitent les vendeurs du droit de passage.
En attendant d’aider à moraliser la vie publique et mettre fin aux parasites qui n’en finissent pas de tuer dans notre jeunesse toute ambition à une quelconque amélioration par le travail. Tout devient monnayable. Au point qu’aucune ascension matérielle ne risque d’être disqualifiée. Pourvu qu’elle soit suffisamment quantifiée!
ors des journées de communication organisées en 2007 au Parlement, le ministère de la Justice estimera à 142 milliards de centimes le montant des détournements d’argent dans les seules affaires alors en cours. Reconnaissant au passage que seuls 4 milliards de centimes ont pu être récupérés. Alors que le secrétaire général du Comité national pour la protection des deniers publics estime les sommes détournées en 50 ans à une fois et demie le volume de la dette du pays.
Pour les seules fuites débusquées à fin 2006, on estimera les montants dérobés à 8 milliards de DH au CIH, 160 Millions de DH à la Banque Populaire, 84 milliards de DH au Crédit Agricole, 19 milliards de DH à la BNDE, 110 milliards de DH à la CNSS, plus de 76 millions de dh à la MAP, 85 millions de DH dans des cantines scolaires, le milliard de centimes dont s’est servi un ancien directeur de la RAM…
Jusqu’à présent, les rares affaires traitées par la justice n’ont pas permis à l’Etat de reprendre son dû. Pourtant, le gouvernement a pour lui le droit international, avec la Convention des Nations unies contre la corruption de 2003 qui fait de la restitution des avoirs détournés un principe.
■A l’orée de l’an 2000, les créances du CIH s'élevaient à plusieurs milliards de dirhams détenus par une poignée de gros clients. Sans support juridique ni contrôle interne, cet organisme octroyait des crédits sans rapport avec son domaine de financement, gardait au chaud des prêts qui devaient être annulés, ou en consentait d’autres pour se faire rembourser.
Au fil des ans, la privilégiature ouverte aux politiques s’est élargie aux militaires. Parce que, « après les deux coups d’Etat orchestrés par de hauts gradés, Hassan II aurait demandé à ses hommes de main de se servir des rentes ambiantes au lieu de tenter la politique !
Même si, pour certains, ce fut un cadeau empoisonné. Car ces officiers supérieurs ont dû investir pour profiter de ces licences et plusieurs d’entre eux se sont financés auprès des banques. Leur ignorance des affaires de la mer a fait qu’ils ont connu beaucoup de déboires.
Pendant que ceux qui montraient patte blanche se faisaient financer autour de méchouis bien arrosés, les petits demandeurs devaient présenter moult pièces et garanties. Le petit client est sévèrement sommé dès le premier petit retard !
Dans une interview donnée de son exil doré, Moulay Zine Zahidi citera notamment deux cas particulièrement pathologiques :
•La SCI Maria « impliquant Ahmed Osman à travers son prête-nom de l’époque Saïd Lakhdar » qui édifia notamment « un immeuble entièrement vendu » alors que « rien n’a été remboursé au CIH ».
•L’affaire KSA : « C’est le chambellan du roi, Brahim Frej, qui a intercédé auprès de moi (à propos) du projet de Martil sur un terrain de 27 ha pieds dans l’eau que le CIH avait déjà financé en partie pour 80 millions de dh. Compte tenu de leurs engagements avec la banque, j’ai exigé la consortialisation de cet emprunt supplémentaire avec d’autres banques (qui) se retirèrent parce que le CIH détenait une hypothèque de premier rang sur le terrain. Brahim Frej m’a dit alors textuellement : « qui peut bien s’opposer à cela ? ». Effectivement, les membres du comité de crédit (CDG, Bank Al Maghrib et de ministères du Tourisme et de l’Habitat) ont tous déclaré d’une seule voix leur désir de voir se réaliser ce projet.
Un autre patron du CIH «amnistiait» des créanciers très proches du makhzen économique. Il inondait ses arcanes administratifs de notes de services ordonnant de multiples «grâces présidentielles»!
Pourtant, après plusieurs années de tergiversations, le procès du CIH se termina en queue de poisson. Des cadres de seconde main ont été jugés. Mais aucun bénéficiaire des crédits douteux auxquels a finalement profité le crime. Tel le projet de logements économiques Youssoufia, appartenant à Abdelhak Tazi, ancien ministre puis parlementaire, redevable à la banque de quelque 450 millions de dirhams. Et les frères Karakchou dont les dettes s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de dirhams. Ainsi que Saïd Lakhdar, installé aux Etats-Unis, connu pour être un proche de l’ancien Premier ministre Ahmed Osman.
Fin 2010, le bilan du CIH compte encore 5 milliards de dirhams de créances à récupérer. Les principaux créanciers sont pour l’essentiel des anciens promoteurs immobiliers et des anciens opérateurs hôteliers.
Entre-temps, mai 2009, Khalid Alioua est débarqué de la présidence du CIH. Une éviction sans doute due à son acquisition de deux appartements appartenant à la banque. Bradés à deux millions de dirhams alors que leur valeur marchande a été évaluée à près de 7 millions de dirhams.
Au moment des investigations de la Cour des comptes, Khalid Alioua occupait toujours un chalet dans la région de M’diq qui avait été récupéré par le CIH en 2003, puis cédé par l’ex- PDG à un particulier en 2006 au prix bradé de 4900DH/ m3.Même scénario pour un duplex situé dans la Palmeraie de Marrakech acquis par le CIH en I996 pour 2 millions de dirhams, cédé en 2005 au même acheteur que le chalet de M’diq à 1,7 millions de dirhams seulement.
Pour toute explication, Khalid Alioua, de surcroit longtemps membre du bureau politique du parti des Forces Populaires, fera observer à un journaliste que « toute entreprise qui dispose de biens peut les céder à l’un de ses membres. En plus, si le Conseil d’Administration avait décidé de le céder gratuitement, c’aurait été son droit ». Avec un tel discours, le système rentier qu’on croyait archaïque se donne une nouvelle respectabilité grâce à un gestionnaire d’une économie financière qu’on croyait porteuse de modernité!
■ Dans la liste des généreux Offices, on notera :
• La « fuite » de l’ONT de huit millions de dirhams au niveau du décompte des vignettes et des factures fournies par les administrations.
- Avant sa transformation en société anonyme, l’ONTS assurait à certains responsables une rente viagère des plus sucrées.
• L’ODECO, censé développer l’économie sociale, fera l’objet d’une mise en examen qui n’ira pas loin.
• A l’Office de Formation Professionnelle, les montants détournés entre 1998 et 2001, dénichés par les inspecteurs de l’IGF, s’élèvent à 64 millions de DH. Deux millions de DH en 2002 ; puis 600 000 DH en 2003 !
• S’agissant de l’Office national des aéroports (ONDA), outre des pratiques douteuses dans l’affectation des bons de commandes et les marchés passés en bonne entente directe, la Cour des comptes soulève le cas des investissements relatifs au terminal II dont « la taille du marché et l’important montant alloué au groupement d’études ne justifient guère la passation du marché sur la base du prix global et forfait ». La deuxième piste d’atterrissage ayant coûté 150 millions de DH n’a finalement servi que de piste de secours. 120 milliards de centimes pour la réhabilitation de l’aéroport de Benslimane qui n’a jamais fonctionné depuis son inauguration officielle en 2006.
A noter qu’Abdelhamid Benallou, président de cet office stratégique démis de ses fonctions, est un ancien militant- dirigeant du PSD dissous dans l’USFP, parti pourtant venu tout droit des organisations de la gauche virulente des premières années de l’indépendance !
• En 2012, une enquête parlementaire relève que l’OCE pratiquait des déductions, des prélèvements injustifiés et une discrimination entre les producteurs d’agrumes et légumes. Des clients politiques n’ont pas payé leurs dettes. Certains sont membres de la famille d’un ministre istiqlalien. Sauf que ladite commission ne crut pas utile de s’occuper des conditions de « privatisation » des précieuses filiales de l’OCE, durant les années 80 et 90 !
• Tout le monde savait que l’OCP passait des contrats de vente à l’étranger à des prix défavorables, étalait une gestion financière peu transparente et une organisation bordélique. Or, après plusieurs mois d’audit et d’investigations menés par une nouvelle équipe dirigeante, aucun rapport n’a filtré. A combien s’élève le bénéfice net de l’OCP ? Quelle est sa masse salariale ? Ses charges d’intérêts et le montant d’IS qu’il verse chaque année à l’Etat ? Ces questions restaient sans réponse ! Jusqu’au 9 septembre 2011, date lancement d’un emprunt obligataire de 2 milliards de DH pour financer une partie des investissements qu’il a programmés sur les six prochaines années.
■Pendant plusieurs années, la Caisse Nationale du Crédit Agricole (CNCA), la Banque Populaire et la Banque Nationale pour le Développement économique (BNDE) ont éprouvé beaucoup de difficultés pour récupérer leurs dus. Des crédits gracieusement consentis à ceux qui, pour toute garantie, n'ont fourni que leur autorité et leur notoriété, civile ou militaire, ou leur identité bien née.
•L'affaire Banque Populaire-Paris a un nom ou plutôt un numéro. Celui du compte dont l'usage «domestique» couvrira en 1997 un transfert, sur le compte personnel du PDG Abdellatif Laraki, sans l’autorisation de l’Office des changes. Ainsi que la constitution à Paris de la société Euroma dont la faillite a beaucoup coûté à la banque. A la même époque, le même Laraki, tellement au dessus de tout soupçon, sera nommé par Hassan II à la tête du Conseil National de la Jeunesse et de l’Avenir (CNJA).
•Plus récemment, Khalid Oudghiri, alors président d’Attijariwafabank, écopera en appel de 20 ans de prison ferme. Par contumace, car il préféra l’exil après avoir été mis en examen suite à la plainte d’un gros client qui reconnut lui avoir versé un non moins gros pot-de-vin ! Il sera gracié !
L
M
■ Traînant tant de casseroles, le système financièro-administratif favorisera quelques juteuses acrobaties, notamment liées à la multinationale de la rente:
• La mosquée Hassan II coûta aux Marocains 7 milliards de DH. 15 ans après son inauguration officielle, la digue de protection, pourtant prévue dans le cahier des charges, n’a jamais été bâtie par l’entreprise française Bouygues.
• Le projet hôtelier Inspirid ne verra jamais le jour sur les deux hectares de grande valeur bradés par la commune de Marrakech.
• L’escroquerie avérée après l’octroi du dossier de Taghazout (zone balnéaire d’Agadir) au prince saoudien Cheikh Salah Kamel, retiré après une tentative d’arnaque de l’Etat par le groupe Dallal Al Baraka.
• Vers la fin des années 1980, Firâoun, un des partons de la chaîne hôtelière Hayatt Regency, proposa à Hassan II un puerta Banus à côté de Tétouan pour amener des investisseurs et des touristes étrangers. Après avoir coûté à l’Etat des ouvrages lourds et des facilités foncières, le projet se transforma en banale et très juteuse opération immobilière strictement locale.
• Dans la ville ocre, la société Bahraînie, Bayt Al Mal Al Khaliji, devait financer un projet touristique d’une valeur de 7,5 milliards de DH. Il ne dépassera jamais le stade de la maquette et des soubassements. Cela n’a pas empêché les banques d’accorder 400 MDH, après que l’Etat ait bradé 310 hectares de son assiette foncière à 40 DH le m2.
• Après de longs mois de tergiversations pendant lesquels le projet Bouregreg de Rabat, où il participait à hauteur de 50%, était à l’arrêt en 2009, l’investisseur émirati a fini par jeter l’éponge en janvier 2010. Sama Dubai s’est également retiré de la Marina de Casablanca, où elle détenait 30% des parts au profit de la CGI, filiale de la CDG.
Certains investisseurs touristiques et immobiliers des pays arabes plient bagage et annulent entièrement leurs projets en cédant leurs parts à des partenaires marocains. Ces groupes venus du Moyen-Orient des mille et une rentes énergétiques sont habitués aux portes administratives grande’ouvertes, puisque leurs patrons cumulent dans leurs pays les fonctions gouvernementales et managériales.
■La CNSS est sortie blessée et quasiment vidée des années de plomb économique. Au moment des investigations menées par la commission parlementaire, certains prêts accordés aux cadres depuis près de dix ans n'avaient pas connu le moindre début de remboursement. Ajoutés aux salaires et pensions fictifs, indemnisations exorbitantes pour des départs généreusement négociés, falsifications entachant l'octroi des pensions de vieillesse, d'invalidité et de survivants. De faux sinistres ont été provoqués pour que de faux incendies et inondations permettent la destruction de documents compromettants.
Le cas d’un contrat prévoyant l’achat d’ascenseurs pour la polyclinique de Hay Hassani est particulièrement éloquent. Les ascenseurs auraient coûté 22 millions de DH, et leur réparation aurait été de l’ordre de 100 millions de DH. Des contrats abrogés en faveur de l’une des entreprises prestataires l’ont été à la faveur d’une société appartenant à …Mohamed Gourja, l’un des ex-directeurs généraux de la Caisse !
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire cite des responsables qui, entre les années 70 et 90, ont dilapidé l’équivalent de l’année budgétaire 2001, y compris ses recettes de privatisations. Le préjudice depuis I972 équivaut à 80% de la dette extérieure et au tiers du PIB du Maroc !
Cette quatrième commission mena son enquête après celles concernant les fraudes au baccalauréat, les événements sanglants de Fès, les réseaux de drogue. A chaque fois, le diagnostic arrivait plus lard que la maladie. Dans les cas de dilapidation des deniers publics, les investigations s’arrêtaient au seuil de plus hautes sphères de relations incestueuses entre affairistes, dignitaires, sécuritaires et syndicalistes. La lenteur des procédures rend également improbable l’hypothèse de la restitution des biens détournés. Exemples :
•La Justice a repris en main l’affaire de la CNSS en mai 2010, soit 8 ans après son éclatement. Une quarantaine de hauts responsables ont comparu en liberté devant le juge d’instruction de la Cour d’Appel de Casablanca. Alors que l’affaire a éclaté depuis 2002, une dizaine de personnes poursuivies sont décédées avant le début du procès.
Les mis en cause dans l’affaire CNSS indiquent que les décisions stratégiques relevaient du Conseil d’administration qui compte 24 membres répartis à part égale entre gouvernement (ministres de l’emploi, de la Santé, des Finances…) patronat et syndicats dont l’UMT alors représentée par le très puissant Mohamed Abderrazak. Ces représentants sont les grands absents de ce procès.
Désormais, l’acquisition d’un logement, son équipement en meubles et appareils électroménagers, l’acquisition d’un moyen de transport, d’un mouton de l’Aïd, des frais de scolarité ou des dépenses de vacances seront satisfaits par un système d’endettement généralisé.
Paradoxalement, au pire moment de la crise financière internationale, le secteur bancaire national étalait son meilleur bilan décennal. En dix ans, les fonds propres ont plus que doublé, les ressources bancaires connurent une progression de 160%, pas moins de 190% pour les crédits à l’économie. Les PME, constituant 85% du tissu économique, ne disposent que de 27% des crédits aux entreprises.
Pourtant, le niveau de bancarisation incapable de capter une épargne privée largement désintermédiée. 30% de la richesse nationale n’est pas couverte par les banques et 9 millions de marocains restent à bancariser.
L’axe Casa-Rabat concentre près de la moitié des dépôts bancaires et 72% des crédits. Alors qu’elle contribue à hauteur de 14,4% au PIB, l’agriculture ne capte que 6,1% des financements bancaires. A peine 6,2% pour le commerce qui génère le dixième de la valeur ajoutée nationale.
Lorsque la nouvelle loi sur la protection du consommateur, s’en tenant aux nantissements, cautions et hypothèques habituels, supprime le billet à ordre, celui-ci continua d’être signé à blanc par le client, pour rendre la dette immédiatement exigible au profit de la banque.
HSBC (Banque d'affaires britannique) a relevé, dans le bilan des banques marocaines, la prédominance des revenus d'intérêt d'actifs à faible risque et la surfacturation des services d'intermédiation. Alors que le système bancaire fait peu d'efforts dans la prospection de projets bancables, le caractère quasiment oligopolistique de son réseau permet des gains plus confortables dans le crédit et les dépôts.
D’où un système financier qui tarde à s’attaquer aux questions touchant à la compétitivité des banques, à l’accès aux services financiers pour les divers groupes de revenus, au rôle restreint du marché de capitaux dans la mobilisation de l’épargne et le financement de l’économie.
Certaines agences des provinces du Nord acceptent des sachets de liasse aux montants enviés par certaines agences des quartiers de grandes villes. Des manipulations de fonds bancaires, dévoilées à Nador, s'inscrivent dans le réseau de «la banque parallèle».Cela consiste à ce qu'un agent bancaire se substitue à sa banque pour servir d'intermédiaire entre les prêteurs de fonds occultes et des emprunteurs dans le besoin urgent de liquidités qu'ils ne peuvent ou ne veulent avoir par la voie normale. Bon an mal an, les dépôts constatés par Bank Al Maghrib dans les agences bancaires de Nador (Plus de 14 milliards de dirhams) viennent juste après Casablanca et Rabat.
24 janvier 2011, le Maroc se dote d’une nouvelle loi de lutte contre le blanchiment de capitaux. La liste des infractions liées aux trafics de stupéfiants, d’immigrants, d’êtres humains, est élargie à l’exploitation sexuelle, le vol et l’extorsion, l’atteinte aux systèmes informatiques, la contrebande, la fraude sur la marchandise et denrées alimentaires, les infractions contre l’environnement ou la propriété industrielle…
Cette loi comporte aussi l’obligation de vigilance, de contrôle et de dénonciation demandée au système bancaire, bureaux de change, sociétés holding offshore, entreprises d’assurances et de réassurance, exploitants ou gérants de casinos, négociants de pierres précieuses, conseillers fiscaux, comptables externes, notaires, avocats et adouls. Sauf qu’en 2009, année de création de l’Unité de traitement financier, à peine onze déclarations ont tenté de briser une omerta plus forte que toutes les lois !
Le système bancaire marocain ne peut éviter les blanchisseurs détourneurs d’argent sans odeur ! Tant que, face au tarissement des dépôts d’une économie minée par l’informel et la faible bancarisation, toutes les sources d’approvisionnement plus ou moins occultes seront les bienvenues.
Les «clients» se recrutent parfois parmi les trafiquants de drogue. Ils peuvent, à l’aide de faux documents d’avocats et de notaires, justifier de gros dépôts provenant du paiement cash des ventes de stupéfiants. Allant parfois jusqu’à joindre l'utile blanchiment de leur argent sale à l'agréable occasion d’investir l’arène électorale. Le parlement marocain comptant quelques narcotrafiquants, le recyclage de l’argent sale peut aussi prendre en otage les institutions démocratiques du pays.
Autorité et notoriété riment avec impunité. A la faveur des accointances avec le politique, le sécuritaire et le judiciaire, des années durant, « martichka » (labhar sghir comme l’appellent les habitants de Nador), large seulement de 80 mètres, pouvait compter des dizaines de zodiacs à grande vitesse faisant la navette du transport de stupéfiants vers les côtes espagnoles.
Selon la Direction de la migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’intérieur, 1200 personnes ont été arrêtées pour trafic international de drogue en 2009. Une dizaine de bandes organisées ont été démantelées dont les connexions avec certains barons remontent parfois jusqu’à la mafia calabraise. Sans pour autant déraciner un mal profondément enfoui dans le temps.
■Au commencement, la culture de cannabis dans la région de Kétama était établie au XVème siècle, remontant à l’arrivée des conquérants arabes au VII ème siècle qui ont semé sur leur chemin de petites graines venues d’Asie et d’Orient. Servant à plusieurs confréries du Maroc lors de rituels mystiques, l’herbe passera des mains des religieux à celle des populations. La demande ainsi élargie entraînera la multiplication des différents réseaux de l’offre.
La culture du kif se propagera au Moyen-âge jusqu’aux montagnes du Rif. Elle sera officiellement autorisée au milieu du 19–ème siècle par le sultan Moulay Hassan dans cinq douars rifains pour aider à leur pacification. Les colons espagnols et français utiliseront le kif comme moyen de calmer les ardeurs des tribus et des régions réputées difficiles.
La première rente « stupéfiante » fut officiellement organisée par le makhzen dès l’année 1919. Un dahir délimitait les zones de culture du cannabis et autorisait leur exploitation, à condition que les propriétaires vendent leurs récoltes exclusivement à l’administration des tabacs (idarate sakate attibgh’). Le kif finira par disparaître en I958 du circuit de vente officiel et la Régie des kifs et des tabacs devient la Régie des tabacs.
Néanmoins, on estime que plus de 200 000 familles marocaines continuent d’en vivre directement. Soit un million de personnes qui ne profitent que de 13% du fruit de la vente. Transformé en canabis, il fera la fortune des mafias de distributions. Leurs seuls hommes de main, « Moul GPS » (conducteur du zodiac à grande vitesse) ou le go fast (chauffeur de grosses cylindrées, circulant entre l’Espagne et la Hollande), peuvent gagner jusqu’à 50 millions de centimes par mois. Pendant que des douars, oubliés de tout développent, après avoir bénéficié d’un plan de reconversion aux cultures alternatives, ont connu plus de pauvreté et suscité plus d’exode.
Alors que les saisies de cargaisons de cannabis se succèdent et tandis que les autorités soutiennent que la surface de kif cultivée au Maroc est en recul, le rapport de l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) atteste que Maroc est le premier fournisseur de cannabis de l’Europe qui est la plus grande consommatrice du monde !
Avec un prix moyen de vente au détail de 50 dh le gramme en Europe, le trafic de haschisch d’origine marocaine enregistre un chiffre d’affaires total estimé à 114 milliards de DH, soit près du double des recettes touristiques!
L’argent sale se gagne au moyen d’activités illégales qui vont de la drogue, la prostitution, le racket, le banditisme à l’escroquerie, la contrebande et la fraude fiscale, en passant par la corruption et les délits d’initiés. Une fois placés dans les rouages économiques et financiers normaux, ces revenus occultes usent d’empilage pour brouiller le pistage des fonds en empêchant leur traçabilité. Jusqu’à la phase d’intégration dans les rouages au-dessous de tout soupçon !
La revue électronique du Département d'Etat des Etats-Unis publia une enquête sur le phénomène du blanchiment des capitaux et de la délinquance financière dans 175 pays. Le Maroc figure dans la catégorie des «pays qui devront être surveillés ».
Eric Vernier, dans son ouvrage sur les techniques de blanchissent, estime l’argent sale à 6.000 milliards de dollars annuels, soit 20 % du PIB mondial. Chez nous, un dirham sur cinq serait souterrain ! Pourtant, la loi anti-blanchiment des capitaux n’est pas totalement applicable. Votée par le Parlement en avril 2007, elle manque d’effectivité. Le concept de droit mou ou soft law, traduisant une application hésitante de la loi, ne nous est pas étranger.
La loi anti-terroriste stipule que le procureur peut demander d'avoir accès, en cas d'instruction judiciaire, aux données relatives à la circulation des fonds suspects. Cette loi autorise Bank Al Maghrib à surveiller les fonds suspectés de noircissement extrémiste. La même vigilance attend de se manifester à l’encontre du blanchiment de l’argent sale.
71- Au nom des pauvres
Les actes d'autorisation d'occupation du domaine public et du domaine forestier, relevant d’une décision des conseils communaux, sont soumis à la confirmation de l’autorité de tutelle. En plus du domaine communal, il y a le domaine public de l’Etat dont la commercialisation, dépendant du ministère de Finances, peut parfois conduire à quelques très beaux cadeaux fonciers. Panorama :
•Des zones entières échappent au contrôle des pouvoirs publics qui n’ont pu délimiter que 6% du domaine forestier dans le Rif depuis l’indépendance. Le Maroc a perdu 7,5 milliards de DH en désertification. Suite à la dégradation d’environ 30 000 hectares de couvert forestier. Ce qui ne dissuade pas, de Sidi Yahia à Tiflet, en passant par Kénitra, les bûcherons clandestins de dépecer la forêt de la mamora, la plus vaste forêt de chêne liège au monde.
L'écrémage sauvage du sable marin continue à l'intérieur des forêts (zone d’Oued Cherrat et celle de boughafer). Le dahir du 5 mai 1914, réglementant l'exploitation des carrières, a été modifié après … 87 ans ! Pendant plus de quatre décennies d'indépendance, le texte initial a continué à s'appliquer avec le même état d'esprit que lui voulait le Protectorat, c'est-à-dire comme un cadre qui légalise les «cadeaux» distribués par les autorités de l'occupant pour s'acheter quelques collaborations.
•Les 3.446 Km de côtes marocaines n’ont toujours pas de bouclier juridique, dans l’attente d’un projet de loi sur « la protection et mise en valeur du littoral ». Outre la mafia du secteur, des exploitants dûment autorisés surexploitent en profondeur, dépassent les zones tampons et ne réhabilitent pas les sites après la fin de l’exploitation.
Exception faite de deux dérogations accordées par le ministère de l’Equipement sur les plages de Houara et sidi Diniane, l’exploitation des plages est interdite depuis I986. Ce qui n’a pas empêché des zones comme Houara et Ghandori à Tanger ou Tamaris-Sidi Rahal dans la région de Casablanca, Chlihet à Kénitra de poursuivre leur écrémage.
Les montagnes de sable cachent les autres filons non moins rentiers des 1200 carrières de granulats correspondent à plus de 3 milliards de DH de manque à gagner en impôts et taxes pour l’Etat et les collectivités locales.
• L’autre filon, non moins juteux, profite des bien Habous. Publié en février 2010, le code du Wakf vise « une gestion rationnelle », coiffée par un Conseil supérieur du contrôle des finances des Habous. Ce patrimoine est constitué de terres agricoles dont la superficie avoisine les 80 000 ha ainsi que de 48.000 maisons et magasins dans les différentes villes du pays.
• Des milliers d'hectares parmi les plus fertiles ont été repris aux anciens colons pour être offerts aux nouveaux occupants du Maroc utile. Ce qui, fin automne 2007, amena le bureau exécutif de l’Instance nationale de protection de l’argent public à soutenir plusieurs requêtes. Comme celle émanant des Aït Bouhou et Aït Omar Oulmès demandant la restitution des terres spoliées par Mahjoubi Aherdane du temps du protectorat.
Dès 1915, les propriétés domaniales de Marrakech et Fès ont été louées aux colons. Plus tard, les locataires se sont vu attribuer des terrains et se sont mis à leur propre compte. En 1935, sur l’ensemble du territoire, ils étaient 4300 agriculteurs européens propriétaires sur un total de 6000, détenant un million d’hectares agricoles. Ils resteront jusqu’aux années 70 et la marocanisation des terres. Celles-ci seront en grande partie récupérées par les notables de la rente politico-sécuritaire et quelques officiers supérieurs de l’armée.
Le reste du patrimoine agricole a été affecté aux sociétés étatiques SOGETA et SODEA. Celles-ci, supposées constituer des fermes expérimentales, se sont vite transformées en canards boiteux ingurgitant plus de deux milliards de DH. Leur privatisation comptera, parmi les bénéficiaires de la deuxième tranche (été 2008), des parlementaires comme Ali Kayouh (figure de l’Istiqlal dans la région d’Agadir), Boudlal Mohamed (patron du RNI dans le Souss), Tarik Kabbaj (maire USFP d’Agadir), Driss Radi (chef du groupe UC à la chambre des conseillers) ainsi que Ali Belhaj, président du parti ADL. Des acquéreurs heureux de recevoir un bonus garanti par la prorogation du répit fiscal agricole.
Dans son Enquête sur l’organisation du pouvoir au Maroc (Editions L’Harmattan 1997), Ali Benhaddou distingue trois ensembles caractérisant la confection du tissu social : les chorfas, les oulémas et les commerçants.
Pendant longtemps, alors que des lalla, sidi ou moulay jouissaient de nombreux avantages (exonération d’impôts, concessions foncières…), les chorfas dits étrangers (Skalli Iraki, Tlemcani…) n’étaient pas moins choyés. Pendant que les grands marchands et les oulémas coupaient leur tranche dans le gâteau de possession terrienne. Le chercheur estime ce pactole à 40 000 hectares détenus dès le début du XXème siècle. En 1973, 50 000 hectares de terres de colonisation privée ou officielle sont passés dans le patrimoine des nouveaux rentiers d’un Maroc qui n’aura pas été « utile » que pour le colonisateur !