C’est élémentaire, mon cher Watson!

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– Urunk királyunk, a kertben alszik egy hős, aki hetet üt egy csapásra!

La phrase ci-dessus provient d’un conte des frères Grimm. Mais comme le titre de cette page n’a jamais été prononcé par Sherlock Holmes, cette citation non plus ne se trouve pas dans le texte français du conte. Mais ce n’est pas très grave puisque la phrase est relativement facile à traduire.

Ce sont plutôt les particularités qu’elle présente qui nous intéressent ici :

    • Quel est l’infinitif du verbe alszik (il/ elle dort)?
    • Quels sont les rapports du mot csapás (coup) avec les deux verbes des exemples suivants :
    1. A haragos hullám már a sarkukat csapdosta (L’ondine de l’étang);
    2. A szerencsétlen fiókák szárnyukszegetten […] csapkodtak (Le serpent blanc).

Un langage dans la langue

Les dictionnaires classiques ne nous aident pas à répondre à ces questions puisqu’ils disent tous que csapdos = csapkod, ce qui est apparemment faux. Même « Les éléments agglutinants de la langue hongroise » qui est un dictionnaire de suffixes ne nous donne que l’indication que le suffixe -dos est objectif, tandis que -kod est subjectif.

On sait des adjonctifs verbaux qu’ils ne sont que des adverbes adjoints au verbe (qui peuvent devenir des préfixes dans certaines conditions). De la même manière, il est connu que les désinences de complément se comportent parfois comme des radicaux.

C’est que les morphèmes dérivatifs, c’est-à-dire les suffixes qui forment des mots nouveaux en les dérivant d’autres, sont en effet aussi des « mots », bien que ce soient des idèmes qui décrivent des classes sémantiques plutôt que des catégories grammaticales ordinaires.

Hélas, les grammaires descriptives classiques du hongrois (.hun) se tirent trop facilement de l’affaire en classant tous ces suffixes dans des groupes grossiers selon leur aspect momentané, répétitif, etc.

La conséquence en est que les différences dans les nuances exprimées par de tels suffixes, qui sont intuitives pour ceux dont la langue maternelle est hongroise, ne peuvent être suffisamment communiquées aux autres. Par exemple, à l’encontre de l’opinion traditionnelle, les deux suffixes -dos et -kod ne sont guère synonymes que dans la même mesure que rouge et rougeâtre.

Toutefois, sous des aspects génératifs qu’on connaît par exemple de la théorie des langages de programmation*, ces morphèmes dérivatifs constituent un système judicieux dont les fonctions communicatives vont au-delà des notions grammaticales ordinaires.

Pour comprendre comment ce principe est réalisé dans un langage naturel, il faut voir « Lingua Hungarorum – La langue des Hongrois »; ce qui est important pour nous ici, ce sont ses implications pour la compréhension du hongrois.

La liste des notions élémentaires

Tout d’abord, il faut se rappeler qu’à cause de l’harmonie vocalique les voyelles ne peuvent jouer un rôle qu’à la fin d’un idème. En plus, il y a encore la dualité du subjectif et de l’objectif qui fait que les mots résultants tombent souvent dans l’une de ces catégories (subj resp. objt).

En ce qui concerne le tableau suivant, il faut prendre en considération que les idées particulières représentent toute une classe de notions qu’on ne peut traduire aisément avec un seul mot français. Il reste donc toujours une certaine liberté d’interprétation pour ces classes.

Comment distinguer les notions semblables

A hang csapongva szárnyalt a rengetegben [Il] se mit à jouer un air qui réveilla mille échos dans le feuillage (Le violon merveilleux).

Le prédicat csapongva szárnyalt de la phrase hongroise signifie « [L’air] s’élança en voltigeant » dans laquelle la notion de voltiger est très figurative : csap frapper d’un coup (= battre des ailes), subitement (-n-) et d’une manière répétée (-g-).

Il est clair que battre c’est de répéter l’action de frapper. Autant csapdos que csapkod sont à cause de -d- des actions répétées, mais le -s- dans le suffixe du premier n’indique que des mouvements semblables, tandis que le -k- du second en fait une auto-référence qui n’a pas nécessairement besoin d’un objet. Le premier verbe est donc objectif et le second subjectif.

En conclusion, dans nos exemples du début, ce sont les talons qui sont battus par la vague (par l’intermédiaire de csapdos), et ce sont les petits des corbeaux qui battent eux-mêmes désespérément des ailes (parce qu’exprimé par csapkod).

Voici encore un dernier mot de la famille csap* : csappantyú. C’est un appareil technique (-ty-) qui claque quelque chose (csap) avec un mouvement rapide (redoublement du -p- suivi d’un -n-); cela revient à dire que c’est un clapet!

Comment analyser des notions complexes

Ha elmúlik a veszély, nincs többé veszedelem.

Si l’on se tient aux dictionnaires hongrois-français, la traduction de cette phrase serait: « Si le danger est passé, il n’existe plus. » C’est presqu’une vérité évidente qui ne fait pas du tout l’objet de l’énoncé. Les deux substantifs veszély et veszedelem appartiennent à la famille de mots ve* dont la notion commune s’explique à l’aide du tableau précédent (c’est le cas d’ailleurs de biens de mots hongrois anciens) : la plupart des mots avec un radical ve- ont une relation plus ou moins étroite avec la fin. Examinons donc les idées exprimées par les composantes de veszedelem : la fin (ve-), ce qui perdure (-sz-), son apparence inattendue (-d-), sa réalisation (-l-), dans un sens abstrait (-m). Par conséquent, veszedelem est la notion abstraite de quelque chose de durable qui peut mener à la mort.Veszély ne contient par contre que les idées suivantes : la fin (ve-), ce qui perdure (-sz-) et sa puissance (-ly), ce qui le transforme en quelque chose d’imminent. Une traduction plus correcte de la phrase ci-dessus serait donc : Quand le danger est passé, il ne faut plus en avoir peur.Un pluriel singulier

Ne szólj szám, nem fáj fejem Moins on en dit, mieux on se porte (proverbe). Comme on le sait, le hongrois préfère presque toujours le singulier au pluriel dans le nombre des substantifs et leurs qualificatifs (cf. Les accords à respecter). La raison pour cela est tout simplement le fait que le pluriel n’a ni la même importance ni la même fonction que dans les langues indo-européennes.

En effet, le -k n’est q’une marque du pluriel qui ne participe pas du tout dans la déclinaison. Cette marque ne fait que de souligner, en suivant le tableau ci-dessus, la multiplicité des choses, des personnes ou des actions. Pour illustrer cela, il suffit de détacher une partie de la seconde proposition de notre exemple : Fáj a fejem J’ai mal à la tête.

Étendons cette expérience douloureuse aux membres jumelés du corps :

    • Fáj a lábam (singulier) J’ai mal aux jambes (à la droite, la gauche ou les deux).
    • Fájnak a lábaim (pluriel) J’ai mal aux deux jambes.

La première version est le dire habituel, pendant que la seconde accentue la simultanéité de la douleur. Dans cette dernière phrase, on voit aussi que le rôle du -k comme marque du pluriel n’est pas exclusif : alors même qu’il remplit son rôle sur le verbe, le substantif est marqué par -i- qui signalise le pluriel possessif.

Des verbes abandonnés sans infinitifs?

– Nagyon tetszik; olyan szép, hogy még sosem láttam ilyen szépet « Elle me plaît beaucoup, je n'ai jamais vu de fille plus belle », dit le petit âne.

Dans cette phrase, le verbe tetszik a l’air de ressembler au mot alszik de la première section. Cependant, si l’infinitif du premier est tetszeni, pour une raison quelconque il n’existe pas d’infinitif *alszani,, mais seulement aludni (dormir).

Tetszeni appartient à un groupe de verbes dits duratifs qui sont marqués comme tels par un -sz-, tout en restant dans l’esprit de notre tableau, et donc de la langue hongroise. Cet aspect continuel est un élément intégral de la notion exprimée par le verbe, et pour cela, il est présent dans toutes les conjugaisons, tous les modes et tous les temps.

De l’autre côté, nous avons aludni qui à l’origine n’est pas duratif (puisque le -d- du radical signifie « momentané mais répété »), mais qui le devient exclusivement au présent de l’indicatif. Ce changement d’aspect est reflété dans la modification de la consonne terminale du radical en -sz-, ce qui suit de près les coutumes (indo-européennes pour cette fois) du soi-disant aoriste.

Mais en réalité, il y a plusieurs degrés de transition entre ces deux extrêmes :

    1. les verbes en z/sz qui accusent la continuité, comme p.ex. emlékezik / emlékszik (emlékezni) se souvenir;
    2. les verbes en l/sz qui font ressortir l’aspect subjectif, comme p.ex. rohangál / rohangászik (rohangálni) galoper (au sens figuratif);
    3. les verbes en d/sz qui peuvent mettre en relief l’aspect momentané, comme p.ex. gyanakodik / gyanakszik (gyanakodni) soupçonner; c’est-à-dire à peu près avec la différence de concevoir des soupçons, et de les avoir. Ces verbes marquent même l’arrivée d’un état final par un -v- au participe présent : gyanakvó soupçonneux.

Le troisième groupe est largement le plus important : il comprend tous les verbes dont le radical se termine en -AkOd[ik] (dans ce suffixe, le A représente ou bien a, ou bien e, et O signifie o, e, ou encore ö). Ces verbes sont en principe réfléchis, du moins quand ils sont objectifs, et leurs deux formes du présent ont aujourd’hui une signification synonyme.

Toutefois, aucun de ces verbes transitoires n’a un infinitif en -sz-.

Le changement d’état complet

Finalement, le groupe des verbes en d-sz-v qui comprend entre autres aludni, accomplit au présent une modification régulière du radical à partir du momentané jusqu’à l’état final. La forme générale est celle avec -d- qui est valable pour tous les modes à part l’indicatif, et tous les temps sauf le présent. L’exception de l’indicatif présent est marquée par un -sz-, tandis que -v- forme le participe présent (voir peut-être Les verbes irréguliers secondaires [.hun]).

Il n’y a que 6 de ces verbes à -ik « super-réguliers », ce qui nous permet d’énumérer les exemples par les personnes de la conjugaison subjective :

Le valeureux petit tailleur

Une petite mise en garde

Il ne faut pas se laisser entraîner dans la création de ses propres mots dérivés des notions du tableau. La formation de mots se fait en effet au niveau des idèmes déjà composés, c’est-à-dire des morphèmes dérivatifs connus de la langue.

Le tableau ne doit servir qu’à mieux comprendre les nuances des mots hongrois complexes.

Sources

Une telle approche sémantique suit la méthode théorique de Chomsky. Curieusement, elle aboutit aux mêmes conclusions que le dictionnaire de Czuczor-Fogarasi (.hun) qui se voulait une classification complète (et à ce jour encore unique) des radicaux des mots hongrois.

Le tableau original peut être examinée sous « Les notions fondamentales utilisées dans la formations de mots » (.hun).

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* Note :

Un exemple pratique de ce principe est donné par la convention de nommage qu’on appelle « notation hongroise » en informatique.

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