25 novembre – 18 décembre – Transat– 2606 miles en ligne droite

Date de publication : Jan 10, 2014 2:12:32 AM

Hierro est maintenant dans le sillage. Nous sommes passés à coté au cas où la réparation du pilote ne tenait pas. Le vent est plein est mais assez faible.

On met la ligne de traine et ça ne tarde pas : le cliquetis du moulinet se fait entendre. Au menu du midi : dorade Coryphène (60cm environ) cuite au four avec du riz : un délice, la chair est ferme et succulente.!

Cette première journée annonce une transat agréable, bien qu'un peu lente... Ça ne va pas durer !

On pourrait diviser cette transat en 3 parties d'environ 8 jours chacune : Avant tempête, après tempête et la dernière moitie !

Avant tempête

C'est la mise en route. Personne n'est vraiment amariné, tout le monde est un peu fatigué. Les quarts des uns succèdent aux quarts des autres. Les siestes des uns succèdent aux siestes des autres.

Le gros point noir reste la météo. Tout d'abord, j’éprouve quelques difficultés à la télécharger via la BLU ( Un poste radioamateur Yaesu FT857D pour les OMs qui liraient ce blog)... Il faut dire que je ne maîtrise pas encore totalement l'engin et que je ne suis pas encore rodé aux horaires, c'est à dire qu'il faut savoir qu'à certaines heures sur certaines fréquences, ça passe mais pas à d'autres. Et qu'en plus mon installation ne semble bien fonctionner que sur une bande de fréquence (le 20m pour les Oms). Bref ça c'est un soucis, mais j'arrive quand même à télécharger les fichiers météo GRIB presque tous les jours.

Le second point noir, ce sont les prévisions météo elles-même ! En effet, lorsque l'on est parti, la météo prévoyait que le vent allait progressivement tourner au nord, puis au nord est sous 3 ou 4 jours. Sauf que chaque jour, cette bascule du vent était repoussée un ou plusieurs jours en arrière.

On avance donc au près, certes pas trop serré, mais au près quand même.

Les 2 derniers jours de cette partie ont été très éprouvants... Du vent de sud, dans les 30 nœuds, au travers afin de rester dans la mesure du possible confortable et de ne pas monter trop au nord, alors qu'on essayait plutôt de descendre au sud.

En plus du vent, un ciel gris et bas, chargé de pluie et des températures loin d'être tropicales.

Bref presque des conditions hivernales bretonnes. On est trempé, rien ne sèche... Pour ma part, je n'ai plus rien à me mettre.

Le matin du second jour de ce temps, lors d'une averse, l'anémomètre rend l'âme d'un seul coup ! Bon c'est dommage, non seulement c'est assez utile (mais pas indispensable) mais en plus ça occupe et ça permet de raconter aux copains au bistrot les conditions extrêmes que l'on a rencontrées ! Pas envie de monter en haut du mat, ça attendra la Martinique.

Le midi du second jour de ce temps, une vague plus grosse que les autres claque sur le flan du bateau ! Le pilote casse de nouveau au même endroit qu'en partant de Tenerife : Même cause = même casse. J'aurais dû renforcer les 7 poulies au lieu de ne réparer que les 2 qui avaient cassées ! Les conditions ne permettent pas trop de réparer avec cette mer assez forte du travers. Nous décidons donc de barrer jusqu'à ce que ça s'arrange.

A la fin, toujours de ce second jour, je suis de quart et j’aperçois au sud une éclaircie. Grand soulagement, on va peut être enfin avoir un peu de soleil, et la bascule du vent tant attendue.

L’éclaircie se rapproche de plus en plus, au fur et à mesure que le soleil descend sur l'horizon.... Et c'est à l'horizon aussi, droit devant, qu'il me semble apercevoir un gros nuage et des éclairs ! Aie, on fonce dessus ! Impossible de l'éviter, ce qui semblait être de loin un orage localisé occupe maintenant tout le ciel devant nous.

Etant donné le risque de foudroiement, et de l'absence du pilote, je décide de mettre le bateau à la cape (technique qui consiste arrêter et à laisser dériver le bateau pour attendre), génois à contre, barre dans le coin et GV choquée en grand. Nous nous enfermons dans le bateau, qui nous protège de la foudre, bien qu'un éclair pris sur le mat puisse le couler !

Un orage, ça passe vite... Pas tous!!Je peux le jurer : 12 HEURES !

12 heures à compter le temps entre l'éclair et le coup de tonnerre... Et quand ce décompte fait 0 secondes, ça fait du bruit

12 heures à sentir les planchers du bateau trembler dans les rafales... Difficile d'en estimer la force. Mais Alan et moi avons déjà navigué avec au moins 45 nœuds de vent établi et nous sommes d'accord pour dire que là, c'est d'un tout autre niveau, plus rien à voir.

12 heures à voir des vagues claquer sur la coque, nous coucher et passer par dessus le bateau (pas seulement les embruns, les vagues passent par dessus le roof!)

12 heures avec la balise de détresse autours du cou, le sac de secours dans la descente et les bouteilles d'eau de 5 litres regroupées... L'évacuation est envisagée, mais seulement si Okamaugo coule.

Plusieurs fois il a quand même fallu sortir : barre détachée, drosse de génois qui lâche, faire un peu de veille... D’ailleurs un cargo nous frôle à quelques centaines de mètres. Les 2 GPS du bateau ne fonctionnent plus (certainement dû à l'orage car ils on t re-fonctionné ensuite!). Nous l'avons donc appeler pour nous signaler... Au premier contact il nous demande : « Are you a sailing boat !?!?!?!? » avec une intonation qui trahit un étonnement total. Nous lui demandons juste la météo. Il nous confirme ce que nous craignions : encore 12 heures de tempête. A ce moment là, ça fait 5 heures que nous y sommes.

Vers 9 heures le lendemain, les coups de tonnerre cessent, le vent se calme et nous sortons donc voir les « dégâts ». Le grand ébahissement est pour la mer : des vagues monumentales, agressives, grises et pleines d’écumes nous arrivent dessus. Okamaugo les escalade une par une sans trop de difficultés.

Mais rien de cassé, juste perdu un seau et le sac de la trinquette déchiré. Okamaugo (Sun Odyssey 36/Sun Dance),est vraiment un bateau solide !

Nous reprenons la route, toujours au près ! Cette nuit de cape nous a fait dérivé vers le nord : nous avons reculé !

Après la tempête

Bon outre notre vision de la mer, qui se calme petit à petit dans la journée, ce qui nous permet de réparer le pilote en fin de journée... Et exploit, nous l'avons fait sans nous arrêter, en enlevant la barre de façon express !

Ce qui change vraiment, ce sont les prévisions météo. La bascule de vent que nous attendions pour dans 2 jours, est repoussée à 7 jours ! Et pour les 7 jours qui viennent ce ne sera que du vent de Sud Ouest à Nord Ouest, exactement celui que l'on aurait aimer éviter !!!

Étant donné que nous ne sommes pas en course (et que si on y avait été, vu notre première partie, on aurait été dernier de toute façon!), on ne serre pas trop le vent pour garder un certain confort (tout est relatif!).

D'ailleurs en parlant de météo, je maîtrise beaucoup plus la radio... Et nous téléchargeons donc une à 2 fois par jour les GRIB météo. Nous entrons en contact avec le réseau du capitaine et le réseau du marin, ainsi que d'autres radioamateurs francophones. Mais impossible d'établir un contact avec le radio-club de Rennes... Dommage !

Et je pense que vous l'avez suivi, c'est aussi grâce à la radio que l'on envoyait une à 2 fois par jour notre position avec un petit commentaire et la météo. (APRS )

Bref, la radio, c'est un outil compliqué, mais hyper complet.

Nous pêchons aussi, encore 2 Coryphènes ( on commande du thon pourtant!), dont une de 90cm mesurée. Belle bête ! Quelques autres touches ont raison de nos leurres, mais de toute façon vu le sifflement du moulinet qui se déroule à toute vitesse, nous n'aurions certainement pas pu remonter les bestioles !

Nous commençons à prendre des aises : petite bière fraîche dans l'après midi, partie de Yams endiablées (Alan en sortira grand vainqueur), et 2 DVD à la nuit tombée. Après avoir épuisé les quelques DIVX choppés à droite et à gauche, nous commençons les James Bond, en partant du premier : Dr NO !

Le 10 décembre à 8h00 UTC nous franchissons mi-parcours, soit 1300 miles en moins à faire en 14 jours et 16 heures. Environ 3,7 de moyenne en VMG (vitesse de rapprochement). J'en tends du milieu de l'Atlantique ceux qui rigolent en France en lisant nos rapports de position !

La dernière moitié

Ca y est !!! Le vent commence à tourner... Et avec lui arrive le beau temps, les grains et la chaleur ! On ne se plaint plus !

SAUF que le pilote montre des signes de fatigue. Au près le bateau se barre presque tout seul, du coup on ne s'en était pas aperçu Mais là on voit bien qu'il force (alors que la barre n'est pas dure), le moteur chauffe et en plus il décroche souvent. La nuit tombe, on devra réparer demain, ce qui signifie barrer toute la nuit.

Le lendemain, re-démontage de pilote, encore une fois sans arrêter le bateau. Il faut quand même faire attention à ne pas perdre ni la clavette ni l'écrou : on n'en a pas de rechange !!!

Après démontage du moteur pour vérifier que les petits engrenages en plastiques ne sont pas en bouillie, on s'aperçoit qu'un axe est totalement grippé. Pour ma défense, j'avais tout graissé, sauf cet axe car il fallait vraiment tout démonté pour y accéder et le pilote ne présentait aucun signe de grippage au début du périple !

Ouf, ce n'est pas grave, on remet le pilote et ça repart.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des monde, on avance « tout seul » à plus de 6 nœuds de moyenne. Mais ça ne dure pas, le lendemain matin, la courroie du pilote casse, la seconde, celle de réserve !!! Il nous reste 1000 miles.

Je pense que nous avons essayé presque toutes les solutions envisageables sur 2 jours : courroie agrafée, recousue, collée à l'epoxy + tresse dynema, réfection d'une vieille courroie avec des dents d'une plus récente … Rien n'y fait, il faut se résigner, nous n'avons plus de pilote et il nous reste encore 750 miles. Il va falloir barrer à 2, nuit et jour !

Afin de ne pas arriver trop fatigués on décide d'aller le plus vite possible pour arriver le plus tôt possible.

Avec 25/30 nœuds en plein vent arrière, nous tangonnons le génois partiellement roulé et mettons en jumelé l'inter avec 1 ris (23m2). Avec une mer bien croisée et assez forte de l'arrière, nous partons en surf en permanence... Si je devais estimé combien de kilomètres on a surfé en tout, je dirais environ 500km !

Les moyennes s'envolent : 164, 171, 169, 168...

Nous apercevons alors un voilier, tout d'abord signalé sur l'AIS (il apparaît sur l'ordinateur). Ce voilier fait une route très parallèle à la notre. Il reste à notre hauteur toute la journée. Le soir nous nous contactons par VHF et je lui demande ce qu'il a comme bateau : un cata de 15m !!! Je suis fier d'Okamaugo !

Nous apercevons la Martinique et Ste Lucie le 18 décembre à 17h15.

A notre arrivée au Marin à 22h00, nous sommes étonnés de voir autant de bateau : il y en a des centaines ! Alors que nous nous avançons dans la marina, qui est fermée, nous entendons une petite voix qui crie « PAPAAAAA ». Ce sont Camille et Augustin, avec Aurélie et Alain qui sont dans une annexe et qui viennent vers nous !

Papa débarque tout de suite et nous allons mouillé avec Alan devant la marina. Nous mettons l'annexe à l'eau, le moteur sur l'annexe... Ouf, il démarre du premier coup !

On charge l'annexe des poubelles et là impossible de redémarrer le moteur ! Il doit y avoir un mauvais esprit qui souhaite nous empêcher de remettre le pied à Terre ! Mais le Ti-Punch nous appelle, nous l'entendons de là où on est ! Nous nous mettons donc à ramer !

Cette seconde moitié (1300 miles) a été traversée en 8 jours et 14 heures, soit 6,31 nœuds de moyenne... Qui j'entendais ricaner déjà ?!?!?

Conclusion

Si c'était refaire, oui je le referais !

C'est long, mais étrangement c'est surtout long au début. Ensuite, on s'installe dans le train train et tout passe assez vite.

Par contre je pense que ça doit être très difficile avec des enfants.

Le plus difficile reste certainement la promiscuité avec ses équipiers.

Bilan

Le bilan coté technique, c'est :

Merci à Alan et à Papa pour m'avoir accompagné et supporté pendant plus de 3 semaines !