Dans notre quête pour lutter contre le changement climatique, nous découvrons de plus en plus l'importance des acteurs méconnus de nos écosystèmes. Parmi eux, les champignons jouent un rôle fondamental dans le cycle du carbone terrestre. Loin d'être de simples organismes décomposeurs, ils constituent de véritables ingénieurs écologiques capables de séquestrer d'importantes quantités de carbone dans les sols.
Les champignons que nous voyons en forêt ne sont que la partie émergée d'un immense réseau souterrain appelé mycélium. Ce réseau, composé de filaments microscopiques (hyphes), peut s'étendre sur des kilomètres et former l'un des plus grands organismes vivants sur Terre. À titre d'exemple, dans l'Oregon (États-Unis), un seul individu du champignon Armillaria ostoyae couvre près de 10 km² et est âgé de plusieurs milliers d'années.
Ces réseaux mycéliens agissent comme un véritable système nerveux du sol, connectant les plantes entre elles et facilitant les échanges de nutriments et d'informations.
Les champignons mycorhiziens forment des associations symbiotiques avec plus de 90% des plantes terrestres. Dans cette relation mutuellement bénéfique, les champignons fournissent aux plantes des nutriments essentiels comme le phosphore et l'azote, tandis que les plantes leur donnent en retour des composés carbonés issus de la photosynthèse.
Cette symbiose augmente significativement la capacité des écosystèmes à capter le CO₂ atmosphérique et à le transférer vers le sol sous forme stable.
L'une des contributions les plus importantes des champignons au stockage du carbone est la production de glomaline, une glycoprotéine hydrophobe découverte seulement en 1996. Produite principalement par les champignons mycorhiziens à arbuscules, la glomaline présente plusieurs caractéristiques exceptionnelles :
Elle est extrêmement résistante à la décomposition et peut persister dans les sols pendant des décennies, voire des siècles ;
Elle représente jusqu'à 30% du carbone organique dans certains sols ;
Elle améliore la structure du sol en liant les particules entre elles, créant des agrégats stables qui protègent physiquement le carbone contre la décomposition
Les scientifiques estiment que la glomaline pourrait séquestrer jusqu'à 5 milliards de tonnes de carbone par an à l'échelle mondiale.
Les champignons saprophytes, qui décomposent la matière organique morte, contribuent paradoxalement au stockage du carbone. En dégradant certains composés facilement décomposables, ils transforment la matière organique en substances plus récalcitrantes à la décomposition, favorisant ainsi un stockage à long terme.
De plus, leurs enzymes particulières leur permettent de décomposer la lignine et autres composés complexes que peu d'autres organismes peuvent dégrader.
Les pratiques agricoles intensives (labour profond, utilisation excessive de fongicides et d'engrais chimiques) perturbent gravement les communautés fongiques des sols. On estime que l'agriculture conventionnelle peut réduire jusqu'à 70% la diversité des champignons mycorhiziens.
À l'inverse, les pratiques régénératives comme l'agriculture de conservation, l'agroforesterie et les cultures de couverture favorisent les réseaux mycéliens et augmentent le stockage de carbone dans les sols agricoles.
En foresterie, la préservation des forêts anciennes est cruciale car elles abritent des réseaux mycéliens établis depuis des siècles, stockant d'énormes quantités de carbone.
De nombreuses initiatives explorent aujourd'hui le potentiel des champignons pour la séquestration du carbone :
Inoculation de sols dégradés avec des champignons mycorhiziens pour restaurer leur fertilité ;
Développement de matériaux de construction à base de mycélium, qui stockent le carbone pendant toute leur durée de vie ;
Intégration des champignons dans les techniques de phytoremédiation pour dépolluer les sols tout en augmentant leur teneur en carbone.
Les champignons représentent un allié précieux et encore sous-estimé dans notre lutte contre le changement climatique. Par leur capacité à stocker durablement le carbone dans les sols, ils offrent des solutions naturelles et évolutives pour réduire la concentration de CO₂ atmosphérique.
La préservation et la restauration des communautés fongiques devraient être intégrées dans nos stratégies d'atténuation du changement climatique, aux côtés de la réduction des émissions. Comme le résume le mycologue Paul Stamets : "Les champignons sont les alchimistes de la nature, les recycleurs et les reconstructeurs écologiques."
En comprenant mieux et en protégeant ces organismes fascinants, nous pouvons exploiter leur potentiel extraordinaire pour créer un avenir plus durable.