4.2.2 - La destruction du pont de Blois en 1716 vu par Monsieur Labbé, prieur de Saint Martin

Plan géométral du pont de Blois, par Poictevin ingénieur et architecte ordinaire du Roy, 12 février 1716. Copie de l'original, 1871. Provenance : service des Ponts-et-Chaussées. Archives.Culture41.fr


Plan de la passerelle permettant aux habitants de traverser en toute sécurité en attendant la construction d'un nouveau pont. Copie de l'original, 1871. Provenance : service des Ponts-et-Chaussées. Archives.Culture41.fr


Ces lignes sont extraites de l'article de Pierre DUFAY dans Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais - Tome 34 - de 1915 - Gallica

Extrait de l'ouvrage Blois et ses Environs de 1867 (Gallica)

TRANSLATION DE LA DÉVOTION A SAINT FIACRE DANS L'ÉGLISE DE SAINT-MARTIN DE BLOIS LE 21 FÉVRIER 1716 - de M. Labbé, prieur de Saint-Martin.

L'occasion de cette translation fut la chute déplorable de la plus grande partie du pont de Blois sur lequel étoit la chapelle de Saint-Fiacre arrivée les 5 et 7 de février de l'année 1716 par la desserre la plus terrible qui eût été de mémoire d'homme.

Il y avoit six semaines que la Loire étoit hérissée de glaçons entassés les uns sur les autres, très haute et prise partout, excepté sous la grande arche appellée la grande voye.

Chacun trembloit pour le pont et ses édifices, ceux qui y demeuroient délogeoient et mettoient ailleurs leurs effets, cependant on ne prenoit point de mesure comme on faisoit dans toutes les autres villes voisines et comme on avoit fait trente ou quarante ans auparavant en celle cy pour conserver le pont en cassant les glaces le serrant et le chargeant et surtout ayant recours à Dieu.

Le seul faubourg de Vienne faisoit des prières publiques pour sa conservation, elles parurent exaucées d'une manière très sensible et qui doit apprendre à ceux qui viendront après nous à recourir au Seigneur et à la Sainte Vierge quand ils seront menacés de pareils malheurs.

La desserre commença le 5 de février ; sur les six heures du soir, les glaces demeurèrent immobiles le long de Vienne, depuis la Croixzille jusqu'à la tour du milieu du pont, formant comme un bastion triangulaire, qui couvrit le faubourg et rejetta tout le fort de la tempête vers la ville.

Un petit dégel survenu depuis huit jours et qui avoit dégagé deux autres arches que la grande, fit espérer que la desserre auroit un débouchement suffisant, mais l'on prit toutes autres pensées quand on vit la fureur et la rapidité étonnante avec laquelle elle venoit.

Tout Blois présent à un spectacle si terrible craignoit non seulement pour le pont, mais pour les quartiers bas ; plusieurs de nos paroissiens y abandonnèrent leurs maisons et en retirèrent leurs meubles.

L'habitation du duit - Gravure (Culture 41)
La tour du pont - Gravure (Culture 41)

Tout le malheur, néanmoins, tomba sur le pont. Les quatorze premières arches furent partie ébranlées, partie renversées, sur elles étoient la tour de l'entrée de la ville, plusieurs maisons et la chapelle de Saint-Fiacre.

La tour coté ville - Gravure (Culture 41)

Quelques-uns de ces édifices ne tombèrent qu'en partie ce jour-là, mais Saint-Fiacre fut emporté entièrement, et en un clin d'oeil sans qu'il y resta pierre sur pierre, il tomba sur le côté, vers la ville, et boucha en tombant une arche.

L'église Saint Fiacre et les moulins banneaux - Gravure (Culture 41)

La chute soudaine de celte chapelle et la ruine de son pilier qui étoit le plus solide, le plus large et le plus étendu du pont vers le bourg Saint-Jean, étonnèrent tout le monde et tirèrent des larmes des coeurs les plus insensibles.

Cette chapelle étoit bâtie de fort belles pierres d'Apremont, lambrissée de bois peint et doré, et couverte d'ardoise, elle avoitson clocher sur le portail en cul de lampe, ou étoit sa cloche, sa nef, ornée d'anciennes peintures qui représentoient la vie et les miracles du saint, son sanctuaire embelli de même, et des images de saint Clément et de saint Sébastien, son autel tout doré, où étoient les figures de saint Fiacre, de Notre-Dame de Consolation et de Bon désir, et du Père Éternel ; son calice d'argent qui fut sauvé, parce que heureusement il étoit chez le sacristain de la chapelle, ses autres vaisseaux, son linge, ses livres et ses ornements de toute couleur et grand nombre de voeux en cire qui étoient suspendus.

On croïoit son commencement aussi ancien que le pont à qui on donnoit plus de huit cents ans, mais on le croïoit rebâti du tems de Louis XII, comte de Blois et roy de France, dont les armes et L couronnée étoient en plusieurs endroits de l'autel et de la nef et celles de Jean de Saveuse, gouverneur de Blois et favori de ce prince, au portail ; aussi ce seigneur en fut le restaurateur et le bienfaiteur, comme il paroît par nos titres et par la messe basse de chaque lundi de l'année qu'il y a fondée à perpétuité et qui s'y est dite jusqu'à sa ruine par les Pères Jacobins de cette ville.

Dès le lendemain de cet accident, quelques personnes de piété nous vinrent visiter sous le prétexte de nous consoler du malheur qui venoit d'arriver à notre paroisse, mais, véritablement, dans le dessein de nous porter à demander à Monseigneur notre Évêque la translation de la dévotion à saint Fiacre dans notre église paroissiale.

Ils nous trouvèrent dans le même dessein qu'eux et ils furent d'avis, lorsque nous leur fîmes connoître que la discipline de l'Église ne permettoit pas que la dévotion à saint Fiacre fùt transférée avec ses fondations, ses indulgences, sa confrérie, ses pèlerinages et ses autres prérogatives, ailleurs que dans Saint-Martin de Blois qui étoit l'église paroissiale sur laquelle étoit, et d'où dépendoit la chapelle de Saint-Fiacre.

Le jour d'après, sept du mois, environ une heure après minuit, la desserre recommença avec la même violence que la première fois, elle acheva d'enlever ce qu'elle n'avoit fait auparavant qu'ébranler et qu'entamer, les cinq moulins qui étoient attachez à auteur d'arche et qu'on tient avoir été en partie la cause de la ruine du pont, parce qu'ils empêchèrent le débouchement de la rivière, furent emportez ; le port neuf fut endommagé dans ses murailles et son quay, et, tout à coup, la Loire baissa de six pieds par la rupture de la levée qui se fit au Chantier (Le Haut-Chantier, paroisse de Limeray, placé, sur la carte de Gassini, entre la marre et la poste.) à huit lieues d'ici.

Une partie des moulins avec une vue de dessus - Extrait de la copie exacte d'un ancien plan original appartenant à M. Saussaye nommé "Plan géométral et élévation perspective de l'ancien pont de Blois" de 1860. - Gallica

Plus nos malheurs augmentèrent, plus nous étions sollicitez de maintenir dans notre paroisse la dévotion au Bienheureux confesseur saint Fiacre et ce qui n'avoit été, d'abord, que la pensée de quelques particulliers devint le commun sentiment de tout le monde, le désir et la voix de tout le peuple.

Les uns prétendoient que Dieu avoit permis la destruction de fond en comble de cette chapelle parce qu'on avoit manqué de zèle pour sa conservation en négligeant depuis plusieurs années la réparation de ses piliers.

Les autres disoient que le Seigneur s'étoit lassé de quelques peintures indécentes que la simplicité de nos pères y avoit souffertes.

Plusieurs attribuoient sa ruine et celle du pont aux crimes qui y avoient été commis depuis quelque temps.

Le lundi de la semaine suivante, 10 de février, se répandit un bruit par toute la ville et les fauxbourgs que les figures de saint Fiacre avoient été pêchées, les uns disoient à Chouzy, les autres en d'autres lieux. Nous envoyâmes au village de Chouzy notre 1er bedeau qui n'i trouva rien.

Deux jours après, un pêcheur du village de Rochecorbon, à une lieue de Tours nous vint assurer qu'il avoit lui-même pêché au même lieu la figure de saint Fiacre et qu'il la connoissoit parfaitement pour être venu plusieurs fois en pèlerinage à Saint-Fiacre, de Blois, que celle de la Vierge avoit aussi été peschée à une demi-lieue en deçà de Rochecorbon, et qu'on regardoit comme un miracle que la couronne de l'enfant Jésus fut restée sur sa tête sans y être attachée et que l'une et l'autre figure fut entière.

Ravis d'une nouvelle si agréable, nous priâmes le sieur Pierre Roger, notre premier marguilier, de se transporter sur les lieux et de s'y informer de la vérité : il le fit sans perdre de tems, il trouva les deux figures telles qu'on nous les avoit représentées et il eut la dévotion de nous rapporter lui-même sur son cheval celle de saint Fiacre.

Elle arriva dans notre presbitère le 19 de février au matin, où elle fut visitée par plusieurs personnes de piété avec la vénération due aux images des Saints. Les religieuses hospitalières désirèrent de la voir, nous la fîmes porter par notre second bedeau accompagné d'un de nos prêtres.

Ex-voto de la destruction du pont - Eglise Saint-Saturnin de Blois - https://fr.wikipedia.org/ - Copie du 19e siècle d'un tableau daté de 1716 et conservé à l'église de Mareuil-sur-Cher


Elle(s) se mirent à genoux en sa présence et adorèrent le Dieu du Ciel et de la Terre qui avoit fait triompher un bois fragile du choc des glaçons et de la tempête des eaux, tandis qu'ils renversoient et réduisoient en poudre les ouvrages les plus durs et les plus solides.

Celle de la Sainte Vierge n'arriva que le 21 sur les dix heures du soir. Nous la reçummes avec admiration, mais ce qui nous frappa davantage fut de voir sur la tête de l'enfant Jésus la même couronne de plomb sizelée et très légère qu'il avoit porté depuis quelques années sans y être clouée ni enfoncée. Ceux qui lui en avoient fait présent la reconnurent et versèrent des larmes à la vue d'un objet si étonnant.

Statue de la Vierge à l'Enfant provenant de l'abbaye Notre-Dame de La Guiche (Chouzy-sur-Cisse).https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Saturnin_de_Blois

On nous rapporta avec la même figure une chasuble verte sur laquelle étoit représenté saint Fiacre, laquelle avoit été peschée au Chantier ; ce qui nous fit juger que les armoiresauroient été brisées, et que le Seigneur qui conserve jusqu'aux dépouilles de ses Saints et qui ne permet pas que rien de ce qui leur appartient soit traité indignement, avoit conservé cette seule chasuble, sur laquelle étoit la figure de notre saint.

Les religieuses hospitalières ayant souhaité de la voir et la figure de la Sainte Vierge, on leur porta l'une et l'autre, comme on avoit fait pour l'image de saint Fiacre. Elles firent paroître leur dévotion à la mère de Dieu par les prières pleines de ferveur et d'onction qu'elles firent en présence de sa figure recouvrée.

M. Labbé, prieur de Saint-Martin.

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