A voix basse
Il faudrait parler une langue tissée des silences du vent
secrète comme celle des arbres
lorsqu’ils s’ébrouent au seuil du soir.
Une langue d’ambre et de pénombre
pareille au ressassement des vagues
au long craquement du temps
au babil des fantômes.
Sur la grève argentée du jour, il faudrait recueillir
une langue minérale
pour répondre au chant des falaises
comme elles sont seules
au bord des gouffres.
Fin d’été - Décrue
Soudain au mitan du mois d’août
on entend de très loin
le chant cyanosé des corbeaux
dépecer longuement le ciel.
Dans l'étang qui noircit, l'été s'engloutit sans fracas
comme la maison de l'enfance
qui peu à peu devient mutique.
L'un après l'autre
les vents inlassables s'engouffrent
par le toit éventré
et les fantômes, transis,
grelottent
quand vient la douceur de l'orage.
Le temps perché sur les falaises lance un long cri persécuteur.
Fanaux
Souffle ténu dans les feuillages
(certains l’appellent Dieu)
odeur aride du soir qui monte des collines
soleil cuivreux
barque drainant le crépuscule.
Pour nous qui sommes toujours en sursis
suspendus entre deux vertiges
il n’est pas d’autre phare
que ces voix humaines qui ricochent contre les étoiles
ces rires
qui s’échappent des fenêtres
brasiers allumés dans l’obscur
comme autant de fumées sacrificielles.
Quelle est leur supplique ?
Que le lierre, peut-être, continue de pousser dans la nuit.
Oiseaux d'hiver
Les oiseaux d'hiver se sont posés sans bruit
Les fils du ciel lentement se défont
Les couleurs s'abolissent
La vie se rétracte.
Comme les arbres nous perdons notre chair
Jour après jour
De nous ne restent que des os noirs
Duramen
Demeure quelque chose d'essentiel
Enfoui
Dans un temps infini la Que Sabe viendra
Et chantera sur nos squelettes
Encore et encore
Ils fleuriront dans la lumière neuve.
Soir de pluie
Pluie qui s'épanche dans le soir
douce absolution
odeur de terre humide
feuillages ruisselants, volubiles.
La ville frissonne, s'ouvre, se fait habitable.
Pour combien de temps ?
Viendront des chants de pluie que seuls d'autres pourront aimer pour nous.
Si les cieux sont vides
vers lesquels nous levons nos yeux de questions
et que nous sommes enfants de l'absurde
demeurent
l'adhésion au mystère
le privilège d'être témoins
seuls ? dans l'immensité des particules.
Car la vie partout où elle point est opiniâtre.
Et l'arbre diluvien
secoue dans le vent ses ramures
avec tant de présence.
Le silence de ces espaces
Dans l'immensité sans lieu
invraisemblance d'une planète féconde
défiant la nuit sans mots de la matière.
Enfant,
toi qui ne sais pas la violence du vertige
et crois en la solidité du monde
cours encore entre les murs blancs de l'été
pieds nus contre la terre.
A l'ombre d'une grange, au plein du jour
recueille la danse des insectes
qui fouillent la brûlure des heures.
Couche-toi avec les blés quand vient l'oblique de la lumière.
Dieu est mort, dit-on
Peut-être a-t-il seulement très froid
tandis que toujours plus s'éloignent les étoiles.
Mais le rire de l'homme peut réchauffer l'énergie noire.