Leçon n°3 - Le NOMBRE et le COMPTAGE

LA PEDAGOGIE DE L'ABSTRACTION INTERROGEE PAR UNE ANECDOTE :

Alors qu’il emmenait sa fille à l’école, Tahar Ben Jelloun montra un arbre à sa fille en lui disant : « regarde, c’est le printemps ! ». Pendant plusieurs années, sa fille a ainsi cru que le printemps était un arbre !...


Quel est le sens du mot "nombre" ?

Si vous posez la question à un mathématicien, paradoxalement il aura un peu de mal à vous répondre... Pour lui, la question est : existe t-il un objet (mathématique) qui aurait la propriété d'être parfois entier, parfois décimal, parfois rationnel, ...? La réponse est non ! C'est du moins, la réponse qu'impose la rigueur mathématique.


1- Le nombre dans la tête du maître

Le bon sens impose que l'enseignant maîtrise au niveau N+1 ce qu'il doit enseigner au niveau N.

Si le nombre n'existe pas en tant qu'objet mathématique rigoureusement défini, le mot "nombre" peut néanmoins (et heureusement) être utilisé en forme d'abus de langage pour désigner, selon la situation, un élément appartenant à l'un des ensembles suivants :

  • L'ensemble des NATURELS : { 0, 1, 2, 3, 4, 5, ... , 1537, ... }. Un naturel est aussi appelé, plus communément, nombre entier (en toute rigueur, on devrait ajouter positif).

  • Le sur-ensemble des RATIONNELS (positifs): { 0, ... , 1/2, 1/3, ... , 23/13, ... 578/12, ... }. Un rationnel est aussi appelé, plus communément, fraction.

  • Un sous-ensemble des rationnels : les DÉCIMAUX (positifs) encore appelés nombres à écriture décimale finie.

Il existe bien sûr d'autres nombres (négatifs par exemple), il existe bien sûr d'autres ensembles (les RÉELS par exemple), mais nous nous en tiendrons aux trois catégories énoncées ci-dessus.

Au fait, connaissez-vous bien ces nombres ?

Voici un petit questionnaire d'autoévaluation :

· [OUI] [NON] 1,01010101010 est un décimal

· [OUI] [NON] 2/5 est un décimal

· [OUI] [NON] 1/3 = 0,3333… est un décimal

· [OUI] [NON] L’écriture décimale de 14578 / 125 est finie

· [OUI] [NON] L’écriture décimale de 23 / 13 est infinie

· [OUI] [NON] 3,14116 est une écriture décimale de π

>>>>>>RÉPONSES...


2- Le nombre dans la tête du jeune élève

Cette section fait en grande partie référence aux travaux du didacticien Rémi BRISSIAUD

Dans tout ce qui suit :

  • le mot "nombre" est utilisé pour désigner un naturel c'est-à-dire un élément de l'ensemble {0, 1, 2, 3, 4, 5, ... }.

  • le mot "comptine" se rapporte à la suite (ordonnée) des mots qui désignent ces nombres : "un", "deux", "trois", "quatre", "cinq", etc.

  • le mot "dénombrer" renvoie à la capacité à exprimer le nombre d'éléments constituant une collection d'objets.

  • le mot "comptage" renvoie à l'utilisation de la comptine pour dénombrer.


POINT n°1 - Il est illusoire de vouloir faire acquérir le concept de nombre à un enfant de moins de 5 ans ! C'est une conclusion des travaux de Jean PIAGET:

Pendant plusieurs années, le jeune enfant assimilera le "nombre d'éléments" à la "quantité d'espace occupée" !

Pour autant, il serait absurde de se priver des ressorts de la pédagogie, l'école maternelle offrant, comme on va le voir, l'opportunité de développer, chez l'élève de 3 à 5 ans, les compétences nécessaires à la construction progressive du concept de nombre.


POINT n°2 - Il est indispensable pour l'enfant de connaître très tôt la comptine "un", "deux", trois", etc. Son apprentissage relève avant tout d'une compétence linguistique (et de mémorisation).


POINT n°3 - Le comptage ne peut être réduit à l'utilisation répétée de la comptine accompagnée d'un geste de la main qui montre ou qui touche des objets. Cette "procédure" n'est pas un apprentissage ; au mieux, elle est un "conditionnement" de l'élève...

Lorsque l'élève de trois/quatre ans apprend à répéter le dernier mot prononcé de la comptine :

- l'élève : un, deux, trois, quatre

- le maître : combien y en a-t-il ?

- l'élève : quatre

... au-delà des apparences, il n'est pas dans une situation de dénombrement. Il a simplement appris à répéter le dernier mot de la comptine prononcé en réponse à la question "combien ?". Le même résultat serait obtenu avec :

- l'élève : am, stram, gram, pic

- le maître : combien y en a-t-il ?

- l'élève : pic !

L'automatisme qui consister à répéter le dernier mot d'une comptine n'est pas un apprentissage.


POINT n°4 - L'introduction brutale de la comptine pour dénombrer introduit une "rupture de contrat" entre l'élève et le maître.

En effet, le "contrat" que le maître et l'élève de maternelle ont signé (virtuellement) est construit sur le principe suivant :

___________________________

POINT n°5 - Le comptage doit être perçu comme un processus clairement identifiable, l'utilisation de la comptine accompagnant ce processus.

L'utilisation de la comptine accompagne, pas à pas, un processus identifiable visuellement par l'élève.

Et si les objets de la collection ne sont pas déplaçables ?

Qu'à cela ne tienne ! Un cache fera l'affaire ...


POINT n°6 - Pour approcher le nombre avec de très jeunes enfants (petite et moyenne sections de maternelle), il y a plus pertinent que le comptage... en s'appuyant sur la capacité de l'élève à reconnaître la "numérosité" de petites collections.

Le lecteur curieux pourra se plonger dans les nombreux articles de recherche traitant de la perception de la numérosité - en particulier ceux de Stanilas DEHAENE (psychologie cognitive expérimentale - Collège de France).


Notre cerveau - et celui de l'enfant - est ainsi fait qu'il lui est aisé de déterminer d'un simple regard et sans comptage le nombre d'éléments de chacune des collections suivantes :

Cette capacité peut être judicieusement sollicitée lorsque le maître invite la classe à repérer les absents - lors du rituel d'accueil des élèves par exemple - en fixant sur le tableau l'étiquette (nom) de chaque absent identifié.

Nul n'est besoin de compter pour répondre à la question "Combien y-a-t-il d'absents ?".

Avec peu d'entrainement, toute configuration de trois objets (les trois étiquettes en particulier) sera spontanément associée au nombre "3".


POINT n°7 - Entre cette reconnaissance spontanée de la "numérosité" de petites collections et le comptage, il y a place pour une judicieuse synthèse...

La collection de doigts qui grandit est un indice qui permet à l’élève de comprendre qu'on est engagé dans un processus de dénombrement.




3- Apostille

Le petit tableau de synthèse ci-dessous aidera à y voir plus clair sur les différentes représentations symboliques du nombre.

A propos, sauriez-vous dire quelle est la différence entre un dessin et un schéma ?...

>>>>>>Réponse...