Leçon n°2 - LOGIQUE et LANGAGE

 QUI TIENT LA LANGUE TIENT LA CLEF 

Frédéric Mistral



La logique mathématique est parfois en phase avec le langage (celui de la vie courante) parfois en interférence. Lorsque l'on enseigne les mathématiques, il est indispensable de repérer les interférences ; à défaut, ces dernières seront une entrave aux apprentissages.


1- Commençons par une chose simple : l'EGALITE

2 + 2 = 4 est une égalité 

Elle désigne la même chose d'un côté et de l'autre du signe "=". 

Les linguistes diraient que l'on est en présence de deux signifiants pour un même signifié.

Ainsi est-on en droit d'écrire : 

Louis XIV = Le Roi Soleil 

en effet, les deux vocables désignent la même personne. 

De même pourrait-on écrire : 

The Voice = Frank Sinatra

Ou encore : 

Le 4ème pouvoir = La Presse et les Médias 

(deux noms pour une même entité)

On pourrait, bien sûr, multiplier les exemples dans un esprit conforme au sens univoque qu'il convient de donner au signe d'égalité.

Les choses se gâtent lorsque l'on utilise ce signe par abus de langage par exemple dans des annonces publicitaires comme :

Dans ces deux exemples de la vie courante, il est clair que le sens du signe "=" est détourné. 

Cette utilisation "abusive" du signe d'égalité peut évidemment engendrer une incompréhension chez l'élève lorsqu'en classe, on exige de lui la rigueur mathématique.


2- Poursuivons par un fait de langue : LA NEGATION

En français, pour exprimer une idée on passe souvent par une négation. Ainsi aurais-je pu exprimer la même chose en écrivant : en français, pour exprimer une idée il n'est pas rare de passer par une négation.

La langue française adore les litotes :

"Ce n'est pas mal !" pour dire "c'est bien !"

"Ce n'est pas pour demain" pour signifier "c'est pour dans très longtemps".

"C'est pas faux" pour dire "c'est vrai".

Arrêtons-nous sur un exemple intéressant : 

Pour une meilleure compréhension logique nous allons noter u l'unité d'information  "Vous savez".

La négation se note non u : Vous ignorez.

Ainsi la litote "Vous n'ignorer pas" exprime non non u : double négation c'est à dire "Vous savez".

Une litote tout à fait équivalente serait "Vous n’êtes pas sans savoir" : double négation portée par "ne... pas" suivi de "sans" ; la phrase signifie "Vous savez".

Mais attention, l'abus de négation peut jouer des tours... 

"Vous n’êtes pas sans ignorer" est parfois utilisé mal à propos : la phrase signifie exactement le contraire de ce que voulait dire le locuteur : non non non u, c'est à dire "Vous ignorer" !


3- Continuons par un fait de PONCTUATION

Voici une phrase tout à fait banale :

« Les enfants, qui sont malins, trouvent rapidement la réponse à cette devinette ».

Cette phrase ainsi écrite signifie: "Tous les enfants trouvent la réponse". En effet, l'entre virgule est une explicative.

Mais si l’on écrit :

« Les enfants qui sont malins trouvent rapidement la réponse à cette devinette ».

La phrase n'a alors plus du tout le même sens, puisqu'elle exprime le fait que  "Seuls les enfants malins trouvent la réponse". En effet, la subordonnée est attachée logiquement au sujet, c'est une déterminative.

En conclusion, deux virgules peuvent changer, à elles seules, le sens logique d'une phrase !


4- Entrons maintenant dans la notion de RAISONNEMENT

Il existe deux grands modes de cheminement de la pensée logique : 

Nous allons détailler, avec quelques exemples, ces deux types de raisonnement qui forgent la pensée scientifique...



LA DEDUCTION

L’élément de base du raisonnement déductif est l’inférence qui se résume en une formulation:

« si A alors B » 

ou de façon plus explicite : « si A est vrai alors je suis sûr que B est vrai ».

L’assertion « Si A alors B » peut se traduire de différentes manières :

En français, toute la difficulté est de reconnaitre une véritable inférence :

« Si tu as faim, (alors) il y a tout ce qu’il faut dans le frigo » n’est pas une inférence.

En revanche, « Un coup de barre, M... (barre chocolatée) et ça repart »

est une inférence.

« Pour faire Paris-Lille, il suffit de quelques euros » n’est pas une inférence.

Mais « pour lui faire plaisir, il suffit de l’emmener danser » est une inférence.

Cela n’est pas une spécificité de la langue française... L'adage suivant (qui concerne le cinéma  - la relation entre un film et son scénario) :

 « Not on the screen ? Not on the page ! »  

est, malgré les apparences, une inférence.

Cette diversité des formes linguistiques pose bien sûr des problèmes de compréhension logique, avec des conséquences notables lorsque l’on entre dans le monde des objets mathématiques. Ainsi la phrase :

« si ABCD est un rectangle alors ABCD est un parallélogramme » 

est vraie au plan logique. On peut la reformuler en disant :

« un rectangle est un parallélogramme ». 

Elle traduit une inférence ou encore une inclusion : l’ensemble des rectangles est inclus dans l’ensemble des parallélogrammes.

Mais cette assertion, bien que parfaitement exacte au plan logique, pose souvent un problème de compréhension, c’est pourquoi l’on se sent parfois obligé de compléter : 

« un rectangle est un parallélogramme particulier ».

Cet ajustement linguistique est, pour tout dire, révélateur d’une double difficulté :

Un "principe d’exhaustivité" qui sous-tend la plupart des énoncés en langue française.

Imaginons la situation où je sais d'ores et déjà que je prendrai mes congés au mois d'août.

Si je dis à mon collègue " je prendrai mes vacances en juillet ou en août", mon assertion est parfaitement vraie au plan logico-mathématique (pour que "A ou B" soit vrai il suffit que B soit vrai) mais, dans cette situation précise, l'on sent bien que que la phrase résonne comme un mensonge... La plupart des énoncés en français respectent un principe d'exhaustivité : si je donne une information à mon collègue, je suis censé lui donner une information complète !

Notons que ce même principe est loin d'être généralisable à toutes les langues - à toutes les cultures, devrions-nous dire, car langue et culture ne sont-elles pas consubstantielles ? - en particulier s'agissant de langues asiatiques ; mais cette question mériterait à elle seule un ouvrage entier...

La polysémie du verbe "être".

L'utilisation fréquente du verbe "être" - en français comme en mathématiques - recouvre trois champs de signification distincts :

C'est le troisième sens du verbe "être" (appartenance : l'orange appartient à l'ensemble des fruits ou encore inclusion : l'ensemble des oranges est inclus dans l'ensemble des fruits) qui construit la logique de la phrase "un rectangle est un parallélogramme". 

⚠️ On touche ici à un vrai sujet pédagogique qui devrait trouver un développement particulier auprès des élèves en difficulté, par une confrontation à de multiples exemples les conduisant à reconnaître les différents statuts de "être" (localisation, identité ou appartenance).


A ces difficultés s'ajoute un écueil d'une autre nature : une "perception dynamique" se substitue parfois malencontreusement à une perception logique.

On rencontre plus communément un rectangle qu'un parallélogramme (notamment dans les programmes scolaires) : le parallélogramme peut alors être perçu comme un rectangle qui aurait subi une transformation… 

dont le schéma implicite serait : [parallélogramme > rectangle], 

dont la traduction implicite serait "parallélogramme implique rectangle", ce qui est, bien sûr, parfaitement inexact au plan logique.

Ce type d’inversion n'a rien d'exceptionnel. Pour reprendre un exemple de la vie courante, la phrase  « s’il pleut alors il y a des nuages »  est parfaitement vraie au plan logique. On pourrait la traduire par : « les nuages sont une condition nécessaire à la pluie »  ou encore « pour que je sois sûr qu’il y ait des nuages, il suffit que je constate la pluie ». Ainsi l’assertion « pluie implique nuages » est-elle vraie selon la logique de l’inférence. Son inversion : « nuage implique pluie » - qui relève d’une "perception dynamique" - est bien sûr fausse au plan logique.


L'INDUCTION

L'induction est un mode de raisonnement qui consiste à remonter du singulier au général, de cas particuliers à une loi qui les régit.

C'est une capacité somme toute naturelle de l'être humain qui lui permet, en particulier, de construire nombre de ses apprentissages - à commencer par la langue : le très jeune enfant construira sa langue maternelle, à partir des nombreux faits de langue auxquels il est confronté dès sa naissance, sans qu'aucune règle ne lui soit expliquée (du moins dans un premier temps).


L’induction est partout…

Bien sûr dans certaines activités mathématiques

Mais aussi dans des activités relevant d’autres disciplines…

Il convient de noter que l’exercice devient très (trop) simple - à en perdre l'essentiel de son intérêt  - si l’on connaît le titre de la leçon : « l’adjectif qualificatif »


Induire n'est pas toujours chose aisée…

Voici une série de symboles. Pouvez-vous la compléter ?

>>>>> LA SOLUTION...



Une anecdote en conclusion (histoire vraie)

L’induction et ses pièges... 

Dialogue en classe de CM2 :