Interview de Ramuntcho Matta (2000)

par ALAIN DISTER 

France culture (2000)

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Ramuntcho MATTA - ramuntcho matta 

 

Traduction

Je suis tombée sur cette interview un jour en allumant France culture et l'ai enregistrée, puis retranscrite; c'est pour cette raison qu'elle ne commence pas au début, que j'ai manqué.

Isabelle Baudron (2000)

 

Ramuntcho MATTA: .... Et donc je me suis retrouvé, tous les matins je prenais mon cartable et mon vélo, et j'allais chez Gysin, où on commençait la matinée par s'inspirer. Il me racontait des histoires, il me racontait sa vie. Et puis il y avaient des gens qui passaient chez lui, des gens comme David Bowie, Iggy Pop, Lou Reed, mais aussi bien Ginsberg, Corso, évidemment Burroughs passait très très souvent. Et ça ce n'était pas rue Git-le-Coeur, c'était dans son appartement près de Beaubourg. C'était bien après, c'était en 1975. Malheureusement je ne suis pas assez vieux, j'aimerais déjà être grand-père, mais je ne suis pas assez vieux pour avoir connu la rue Git-le-Coeur, ou peut être heureusement, parce que ce qu'on voit aujourd'hui de la rue Git-le-Coeur est plus glorieux que ce que c'était dans la pratique. Donc je me suis retrouvé avec ces gens, alors que moi je pensais que c'étaient tous des gens extrêmement destroy, qui traînaient, etc., ces gens avaient un côté "on traîne" et "on se débarrasse des inhibitions", mais en même temps avaient une rigueur de travail terrifiante. C'est à dire que réellement Gysin, comme Ginsberg, comme Burroughs, tous les matins écrivaient pendant quatre heures. Après il dessinait, et c'était vraiment comment sauver sa vie, comment sauver sa misère terrestre dans les consolations que sont les... la création. Et pour moi c'est ca que j'ai retiré. Après, évidemment, comme il n'y a que le travail qui nous console, on a fait de la musique ensemble, après on a essayé de faire des disques, on a fait des disques, et je me suis retrouvé à travailler avec lui, à me retrouver sur scène avec d'autres. Il y avait ce festival organisé par Jean-Jacques Lebel qui s'appelait Polyphonix, qui était une espèce de réunion de tous ces personnages. Mais surtout ce qui était intéressant c'était de voir ces gens au jour le jour, prendre le petit déjeuner, vivre et travailler.

Alain DISTER: Quel genre de dialogue pouvait avoir quelqu'un de ta génération avec des gens comme Corso, parce qu'il t'est arrivé de croiser les mêmes personnages, notamment justement Gregory Corso, qui n'est pas quelqu'un avec qui on peut dialoguer facilement, qui est très nerveux, très tendu, très aussi, obsédé par le fait de trouver tout de suite ces produits qui l'aident à tenir, la méthadone entre autres ?

RM: Corso je n'ai pas eu beaucoup de relations avec lui, enfin je l'ai rencontré comme ça, mais c'était évidemment Gysin, Burroughs, et Ginsberg, et j'ai l'impression que du fait qu'ils étaient homosexuels, qu'ils n'avaient pas eu d'enfant, en tout cas officiellement ils n'avaient pas eu d'enfant, ou que leur enfant était mort,

AD: Corso en a eu pas mal.

RM: Corso en a eu pas mal, mais pour ces autres, je suis arrivé à un âge, donc quinze - seize ans, eux ils en avaient déjà soixante, donc c'était peut être l'âge auquel ils auraient aimé transmettre quelque chose à un fils. Et j'ai eu beaucoup de chance de ce côté là, parce que je n'ai jamais eu d'avance sexuelle, et j'ai jamais eu de choses de compétition etc., j'avais juste l'impression qu'ils avaient envie de transmettre un savoir. Et puis après il y a un autre personnage, qui pour moi était très important, c'était Don Cherry, qui est un musicien de jazz, qui pour moi est la vision Beat de la musique, dans le sens où il a été très curieux toute sa vie, il a travaillé dans plein d'horizons différents, et par exemple avec lui, il m'a appris le fait que quand on fait de la musique, ce n'est pas nous mêmes qui faisons de la musique, mais qu'il fallait se mettre dans un état pour permettre à la musique de passer à travers soi. Et ca c'est des notions qui pour moi sont des notions Beat.

AD: Est-ce qu'il n'y avait pas une notion que Gysin avait recueillie auprès des musiciens de Jajouka, au Maroc ?

RM: Ah ! les musiciens de Jajouka ! Ca c'est une longue histoire ! J'ai publié, enfin, à la mort de Gysin, ou plus exactement trois semaines avant de mourir, il m'a appelé en me disant "Je ne veux plus qu'on se voit, parce que je suis trop délabré, par contre je veux que tu passes à la maison, je vais te donner 23 bandes, et je ne veux pas que les vautours s'en emparent". Je ne dirais pas qui étaient les vautours. Donc j'ai pris ces vingt-trois bandes, et dix ans après sa mort j'ai écouté ces bandes. Sur l'une il y a un expériment de Burroughs, sur le texte et sur le verbe, qui s'appelle "La Révolution Electronique", qui est basée sur des expériences de, comment dire, de décomposition du langage, qui sont utilisées aussi par l'église de scientologie. Alors c'est une bande totalement tabou qui doit rester secrète, etc., parce que ca démontre le principal outil du contrôle.

La musique de Jajouka, il y a beaucoup de choses enregistrées par Gysin entre 1957 et 61, je pense, dans son restaurant qu'il avait à Tanger, et là c'est aussi une musique qui espère, à travers la décomposition du code musical, nous faire atteindre un état qui serait celui aussi qu'on pourrait atteindre par les drogues. Donc il y a ce plaisir de l'instant, surtout à l'époque où le maître était en vie. Et le maître, moi je l'ai rencontré à Beaubourg, enfin en face de Beaubourg, chez Gysin. Et c'était un vieux monsieur qui était très très triste, parce qu'à partir du moment où l'électricité était arrivée à Jajouka, la musique était tarie. Et c'est vrai que, on est en train de faire de la radio, mais à partir du moment où l'électricité arrive quelque part, la radio arrive, et la culture locale est totalement laminée.

AD: Est ce que Gysin t'a parlé ou a évoqué, la figure de Brion Jones, justement lors de la rencontre de ces musiciens de Jajouka ?

RM: Oui, bien sûr. Jones c'était heu... C'est bizarre, parce que j'ai l'impression qu'il y un conflit de génération entre ces gens. Gysin, c'était évidemment, il se défonçait, etc., d'ailleurs, ce qu'on ne dit pas en général dans les campagnes anti drogues, on dit toujours "Vous défoncez pas, c'est nul, etc.", mais le problème de la drogue, c'est que c'est très bon, c'est pas du tout que c'est mauvais. Donc si on voulait faire une bonne campagne de drogues, anti-drogues, on dirait "La drogue, c'est quelque chose d'initiatique, il faut en prendre à un moment donné dans sa vie", peut être qu'à quinze ans il faudrait que tous les enfants à l'école aient un stage de drogues où ils essaient toutes les drogues, et puis ils voient que c'est pas extrêmement magique, par contre c'est intéressant de l'expérimenter au moins une fois dans sa vie.

AD: Maurice Dantec tient à peu près le même discours, il parle d'enseignement de la drogue.

RM: Oui, non mais c'est vrai, mais d'un autre côté, si on enseigne la drogue , il y a ce fameux petit livre qui était très bien "La jeunesse se drogue, l'état se renforce", qui est un livre très amusant; mais il faut voir pourquoi les gens se droguent, c'est vraiment un autre débat.

Pour en revenir à Brion Jones, qui lui malheureusement, les échos que j'ai eu, c'est qu'il était trop défonce man, mais par contre il a eu la même chose qu'a eu Gysin quand il est arrivé à Jajouka, c'est à dire qu'ils ont eu le sentiment de toucher ce qu'était réellement la musique. Et en fait les musiciens de Jajouka, c'est les descendants du poète Attar en Iran, et donc les descendants directs de Hassan I Sabbah, le maître des Hachischins, des Assassins, qui avait créé la première secte de..., ça c'est une longue histoire. Donc pour quelqu'un qui était anglais, un peu..., disons pas très cultivé, et fanatique de musique et merveilleux musicien, qui rencontrait tout d'un coup des gens qui faisaient de la musique depuis 500 ans avec une grâce incroyable, c'est vrai que c'était la révélation, et après il n'a plus eu envie de bouger de là.

AD: Et toi, en tant que musicien, quel est l'apport de ces musiques ? Quelle est l'influence ? Qu'est-ce que tu peux en tirer pour ta propre inspiration ?

RM: Moi, d'abord c'est que quand on touche des musiques comme cela, on se rend compte que l'Occident, à travers la chrétienté, etc, ont vraiment démoli l'essence de la musique. Ils ont essayé d'en faire quelque chose de cartésien, de rassurant, comme quoi l'homme devait avant tout être efficace et mathématique, etc., donc c'est le premier sentiment que j'ai eu. Ensuite deuxième sentiment, c'est que par rapport à ces instrumentistes, je n'arriverai jamais à exprimer des choses aussi merveilleuses, parce que je suis allé en Inde, étudier avec des musiciens, des chanteurs, les frères Daga. Et ils m'ont dit "Bon, d'abord faut apprendre les percussions" et moi j'avais 21 ans à l'époque, et j'arrive dans une salle avec des enfants de trois-quatre ans, et il y avait un professeur de tablas qui faisait :" ratacataca et ticati et patacum et moi j'étais là, faire poc poc, et tous les enfants, donc il y a quelque chose qui passait à travers le corps et puis moi je pense que c'est très bien de..., comment dire... peut être que la meilleure manière d'être fidèle à ces musiques, j'ai un ami belge, qui a inventé la techno, qui passe six mois par an chez les pygmées. Et peut être que le meilleur moyen d'être fidèle, et de respecter ces gens , c'est de faire quelque chose qu'on sent réellement nous-mêmes, et pas faire de la world music, un peu cheap. Et finalement on a inventé la techno, et le chant pygmé, finalement c'est aussi pur l'un que l'autre.

AD: Quel a été le rôle de Gysin entre ces musiciens et toi ? Est-ce qu'il y a un rôle justement, de catalyseur ?

RM: Ben, Gysin, j'ai l'impression qu'il y avait quelque chose de très important chez lui comme chez tous ces gens de la Beat, c'est à dire, par rapport à la société, plutôt que d'essayer de se protéger, son univers, sa petite ambition, son petit business, ses petits profits, ses petites spéculations, il fallait essayer d'aider les gens. Et ça, ça voulait dire transmettre en permanence tout ce qu'on enseignait. Et c'est à dire, vu que moi j'étais intéressé par la musique, il m'a fait rencontrer les plus grands de la musique. Et c'était comme ça, et j'ai l'impression que c'est un devoir de vie, même par rapport à nous mêmes, au respect de ce qu'on pense être les Indiens, etc., enfin tous ces mondes qui nous intéressent, c'est un mode de vie de transmettre en permanence et d'aider. C'est à dire de mettre les gens ensemble et c'est vrai qu'il était catalyseur, mais à tous les niveaux. C'est à dire que quand il parlait, et ça c'est aussi un exercice mental, quand il parlait avec son monsieur qui faisait le ménage chez lui, il était, ils étaient sur la même longueur d'ondes, c'était génial! Après quand il était avec Burroughs, et qu'il parlait des hiéroglyphes, pareil, il arrivait à se mettre au même niveau de tout le monde. Et en musique, ce qu'il adorait, c'est que justement lui qui pensait que le mot était fait pour cacher la pensée et qu'il fallait exprimer des choses plus sincères, il pensait que la musique était ce qu'il y avait de plus proche de ce qu'on pouvait exprimer, sans être déformé par les mots.

AD: C'était un petit peu aussi le rôle de Ginsberg finalement, c'est à dire cette manière de mettre les gens en contact les uns avec les autres et de chercher toujours quel était la personne qui serait la meilleure, la plus appropriée justement pour rendre service à quelqu'un d'autre et lui faire sortir le meilleur de lui-même.

RM: Oui, absolument, mais il y a eu aussi toute une bande de gens dont on parle moins, qui étaient les Français de cette époque, comme Bernard Heidsieck, comme François Dufresne, comme Henri Chopin, sans qui tous ces gens là n'auraient pas existé. Ou encore Joyce Mansour. Joyce Mansour a beaucoup beaucoup aidé au Beat Hotel, je ne sais pas si vous connaissez la poète Joyce Mansour, mais c'est absolument fabuleux. Et elle a aidé financièrement les gens à exister, il y avait un autre type dont je ne peux pas citer le nom parce qu'il est encore en vie, mais il était très très riche, je ne peux pas citer non plus sinon on risque de le reconnaître, mais il faisait des fausses parties d'échec. C'est à dire qu'il disait aux gens, il disait par exemple à Ginsberg ou à Burroughs "Faisons une partie d'échec." Ni l'un ni l'autre ne savaient jouer bien sur, et il perdait. Et la personne en question , comme il perdait, ils avaient parié, je ne sais pas, disons mille dollars, donc il leur filait mille dollars. Et tous ces gens là, ca serait intéressant de voir aussi quand il y a un mouvement qui émerge, qu'est ce qui a permis à ce mouvement d'exister, quelles sont les sources de ce mouvement. Par exemple pour les situationnistes, c'est Asger Jorn, qui était le peintre..., je crois qu'il était Danois.

AD: Oui, le Mouvement Cobra.

RM: Oui, vraiment les situationnistes, c'est ça. Et j'en ai parlé avec mon père l'autre jour, et il a dit qu'ils étaient en Italie en 1950 et quelques, et ils avaient fait un manifeste etc., il y avait un espèce de petit intello qui passait son temps à écrire, un mec qui s'appelait Guy Baudet, Guy Debord, ou je ne sais pas quoi, et qu'en fin de compte, il ne faisait que pomper ce que disaient les artistes qui étaient dans la flamme et dans l'émotion de créer un mouvement positif. Et ce qui est dommage par rapport aux Beat, pour en revenir à ça, c'est que peut être, s'ils avaient eu un Guy Debord, ça aurait pu être quelque chose de plus... qu'il n'y ait pas l'aspect défonce qui ressort, mais plutôt l'aspect créateur. On a tous en nous une force incroyable, et on peut transformer le monde, et c'est ca qui est important.

AD: A travers ce que tu dis, on a le sentiment effectivement qu'il n'y a guère que les Beat donc américains, puisqu'il ne s'agit que d'Américains, même s'ils sont intégrés en France depuis longtemps comme Gysin au point de parler couramment français, il n'y a qu'eux qui font preuve de générosité et de vrai, d'authentique générosité , de désir de partage, et que les autres ont tendance à tirer la couverture à eux, disons dans un but de papisme, de se dire les créateurs du moment, en tout cas les théoriciens.

RM: Moi j'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de spéculation sur les choses, il y a beaucoup de confusion dans les choses. Par exemple on dit "A cause du chômage, on est dans la merde." Mais en fait le chômage n'est pas du tout, n'est pas une cause, c'est le résultat de spéculations, etc. Mais pour revenir à ces mouvements, moi je pense qu'un début, avant qu'on donne un nom a un mouvement, il y a une espèce de pureté. A un moment donné du surréalisme, il y avait des relations incroyables entre les gens. Le dadaisme aussi. Après il y a cet espoir de succès et d'ego qui commence à fusiller les gens. Et ça c'est absolument., je crois que c'est ca qui tue la pureté et l'initiative et la curiosité de ces mouvements, et surtout les perspectives que ces mouvements pourraient donner.

AD: Il y a de nombreux exemples. Même les gens de la Beat generation ont été de grands égomaniaques aussi.

RM: Oui, mais c'est la première chose, et ce c'est qu'ils ont tiré du zen, etc., c'est se débarrasser de l'égo.

AD: Croyaient ils ?

RM: Ca y est, on a fini. ... On peut continuer.... Là je vais dire quelque chose d' extrêmement intéressant. Vous voulez savoir quel est le plus grand secret de l'univers? La seule chose la plus importante, la plus magique, et ça m'a été dit par quelqu'un d'exceptionnel : "La chose la plus magique de l'univers, c'est l'amitié." Avec ca on peut faire des choses incroyables...... Merde..... Ca va pas couper.... (rires) C'est bête....

....

Les Américains, pour intervenir, pour sauver l'Europe du nazisme, ont posé certaines conditions. Alors d'abord c'étaient les droits sur l'aspirine, sur plein de choses comme ça de pur business, ensuite c'était qu'il y ait une dominance culturelle américaine , que le cinéma et la musique et les arts américains soient dominants. Et donc qui veut dire Amérique , enfin, je préfère dire Etats-Unis, qui dit Etats Unis dit spéculation , parce que c'est quand même eux qui ont inventé cette spéculation à ce point là. Et donc ils créent des mouvement pour après en faire des modes, etc. . Donc ils étaient très contents avec le rockabilly etc., parce que ça représentait une Amérique pure, après il y a eu le jazz qui était extrêmement sale, pareil que pour la Beat , ils l'ont exilé en Europe, ils ne voulaient pas en entendre parler , surtout que c'était joué par des gens de couleur, ce qui était quand même pour eux une sous-race,

AD: Qui permettait quand même de diffuser la pensée américaine et le mode de vie américain et l'attitude américaine à travers l'Afrique .

RM: Absolument ! Non, non, c'est un colonialisme absolument terrifiant ! Donc c'est vrai que la Beat aujourd'hui c'est complètement récupéré, par un habillement etc. Ce qui est bien aussi, parce que finalement, c'était un habillement qui proposait des modèles différents aussi. Une certaine liberté, une certaine... . Bon, se mettre des fleurs dans les cheveux, pourquoi pas ? Déjà le fait d'être singulier, ca montre qu'on est chacun différent, et donc chacun complémentaire. Ca c'était très important aussi, la notion de complémentarité. On est tous essentiels, dans le monde. Et qu'à partir du moment qu'on comprend qu'on est tous essentiels, on est moins barbare avec son voisin. Je suis venu en scooter ce matin, j'ai vu des automobilistes, mais je ne comprends pas dans quelle misère intellectuelle, sexuelle, etc., ces gens ont été capables de se mettre, pour être dans des états pareils avec leurs bagnoles, c'est quand même absolument ridicule.. Et donc cette notion de complémentarité par l'habillement, c'est aussi intéressant. Mais j'ai l'impression que ce qui manque de la lecture du mouvement de la Beat, c'est la rigueur dont je parlais tout à l'heure.

AD: Et cette rigueur ?

RM: Eh bien cette rigueur, c'est de se dire qu'à la fin de la journée, il faut qu'on soit hyper contents de notre journée, qu'on ait avancé à plein de niveaux : au niveau sexuel , au niveau si on est écrivain, écrivain, si on est boulanger, d'avoir fait un pain absolument sublime. Et cette rigueur, c'est pas de la discipline, c'est à dire de la rigueur bafouée, la rigueur, c'est se pencher vers soi-même et se dire comment la vie est merveilleuse. A travers les drogues j'ai réussi à voir que la fleur était quelque chose en mouvement en métamorphose continue, qui avait un réel métabolisme créatif dans la vie, dans l'existence, et comment transmettre ce métabolisme et comment remercier la vie de notre existence.

AD: Et comment concilier cette rigueur avec le sentiment de l'hédonisme, le sentiment de laisser faire justement qui est quand même, prédominant chez beaucoup de gens de la Beat generation ?

RM: Hédonisme , ca veut dire quoi exactement ?

AD: L'hédonisme c'est la culture du plaisir, c'est le plaisir pour lui-même.

RM: Oui, mais le plaisir ... moi je ne vois pas... pour moi le travail est un plaisir total. Et moi j'ai l'impression que c'est ce qu'ils m'ont transmis. Mais peut être que je me trompe tout à fait. Peut être que j'ai interprété un mouvement totalement différent. Parce que c'est vrai qu'à cette époque là il y avait les mouvements punks , qui étaient très intéressant parce que c'était une révolte par rapport à la société, "No future", c'est vrai que tel que ça se présente aujourd'hui, baser une société sur la spéculation, sur la malhonnêteté , sur la tricherie, c'est pas très sain, comme exemple. Alors que montrer qu'en lisant un livre on va découvrir une nouvelle perspective par rapport à ce qu'on vit, je veux dire par exemple j'ai fait un album il y a quelques années qui s'appelait "De l'amour" et c'était sur la séparation, sur le fait que mon univers, ce que je croyais être mon univers à l'époque, s'était cassé la gueule et le fait qu'on pouvait voir la même situation de plusieurs manières. Et il y a un ami qui m'a appelé le jour où ma situation avait changé, il m'a dit "Ecoute, c'est ce qui peut t'arriver de mieux dans la vie." Et c'est vrai que parfois il y a des choses horribles qui nous arrivent , et c'est ce qui peut nous arriver de mieux, parce que ça va déclencher quelque chose. Mais cette force de déclenchement, ça ne tient qu'à nous. Je veux dire si un type tout d'un coup demain se retrouve au chômage, il va flipper parce qu'il n'a plus de job. Il ne va pas penser "Tiens, je vais avoir trois mois pour réfléchir à ce que j'ai vraiment envie de faire de ma vie." Donc cette perspective, cette façon de regarder les choses d'une autre manière, c'est pour moi ce qu'on devrait enseigner à l'école.

AD: C'est ce qu'on trouve aussi dans la poésie d'Allen Ginsberg, puisque cette poésie qui est lumineuse, qui est forte et d'une certaine manière exaltée, parle parfois de choses terribles. Mais il en parle comme si elles devaient arriver, et qu'elles font partie justement du Dharma, du chemin.

RM: Eh bien tout à fait. Moi je pense que tout ce qui nous arrive d'horrible, enfin j'espère que je ne vais pas me faire flinguer en sortant, quoi que ca serait une chance pour mes enfants d'avoir une idée du père qu'ils n'auront pas eu constant, bon je ne sais pas. Mais je pense qu'on peut réellement voir chaque chose qui nous arrive d'une manière fantastique. Il y avait par exemple un artiste américain qui s'appelait Gordon Onslow Ford qui lui aussi était pour moi le premier Beat dans le sens où c'est lui qui a financé ... qui a permis à Allan Watts d'écrire ses livres, Allan Watts qui était quand même un des piliers de la pensée hippie ou Beat même Parce que c'est lui qui a vraiment réussi à faire la synthèse entre la création et le bouddhisme et faire qu'il y ait un zen à l'américaine. Bon, on peut se dire, ca a perdu de sa pureté, etc., mais je crois que si on prend les bonnes choses de tout, heu, peut être que c'est ça en fait, être Beat, c'est prendre les bonnes choses de chaque chose, c'est peut être ça, le nouveau hédonisme.

AD: Dans ce mouvement hippy, on trouve dès 1966 des figures importantes de la Beat generation comme Allen Ginsberg ou Gary Snider. Et pour toi, Ramuntcho Matta, quels sont les personnages emblématiques de la Beat generation les plus influents dont on perçoit, encore aujourd'hui en l'an 2000, l'influence ?

RM: Pour moi avant tout Burroughs. Parce que je crois que ... parce que d'un point de vue... tout ce qu'il avait prédit, c'est à dire en gros que même le plus grand paranoïaque est loin de la réalité, tout ce qu'il avait prédit sur le monde dominé par l'argent, par la spéculation, par la tricherie, etc., ça s'avère réel. Et tous ces outils qu'il avait inventés pour détourner ces systèmes de contrôle sont toujours valables. . Donc je crois qu'il y a une pertinence dans Burroughs qui est extrêmement importante.

Fin

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