Compte-rendu du cercle de lecture sur MURAKAMI

La première séance du cercle de lecture portait sur la nouvelle de MURAKAMI Haruki intitulée Crapaudin sauve Tokyo (カエル君東京を救う) qui est tirée du recueil Après le tremblement de terre, paru dans la collection 10/18 en 2002.

Cette nouvelle a donné lieu à des échanges animés en raison de son ambiguïté. Plusieurs lectrices ont en effet souligné à quel point ce récit était difficile à saisir. Fallait-il y voir un récit « surréaliste », fruit de l’imagination d’un employé surmené, d’un malade mental ou bien encore d’un homme en proie à des « illuminations chamaniques » ?

Mais on pouvait également voir dans ce récit qui fait la part belle au fantastique une façon de parler avec légèreté d’un hypothétique tremblement de terre à Tokyo, sujet extrêmement angoissant, qui, s'il était traité « pour de vrai » ne pourrait susciter que des réactions d’horreur et de désolation. Une façon de dire l’indicible, en quelque sorte.

La question reste ouverte. Toujours est-il que plusieurs participantes ont exprimé des réticences à l’égard de cette nouvelle dont elles ont noté le côté artificiel, voire « fabriqué ».

Il n’en reste pas moins vrai que le thème de la nouvelle écrite, rappelons-le, en 1995, a immédiatement ranimé dans l'esprit du lecteur, le souvenir du grand séisme de l’Est du Japon de mars 2011.

Il s’en est suivi une discussion sur l’éventuelle responsabilité de l’homme dans cette affaire. Si ce terme est déplacé dans la mesure où les tremblements de terre sont des phénomènes naturels dont les hommes sont les victimes, il est clair que « l’état concentrationnaire des grandes villes », selon l’expression de MURAKAMI, aggrave les destructions dues au séisme. L’auteur serait-il le chantre discret d’un développement équilibré de la planète mais en même temps, ne peut-on expliquer la concentration des mégapoles japonaises par la forte densité de sa population, corrélat incontournable d’une situation géographique particulière ?

Notons également que la catastrophe du 11 mars 2011 a changé la donne comme le remarquait MURAKAMI lors de la remise du Prix international de Catalogne en juin 2011 : « Le mythe de la puissance technologique sur lequel s’est appuyé le Japon pendant des années s’est effondré […]. Nous sommes à la fois auteurs et victimes de cette catastrophe [de Fukushima Dai-ichi] ».

Un rapprochement a également été établi avec le tremblement de terre qui a frappé Tokyo le 1er septembre 1923. Or il se trouve que l'écrivain Paul Claudel était alors ambassadeur de France à Tokyo. Sorti indemne de la catastrophe, il livra ses impressions dans un recueil poétique L'Oiseau noir dans le Soleil levant dont vous pourrez lire un extrait dans un des documents joints.

Claudel fut particulièrement frappé par l’absence de plaintes des rescapés et par le sentiment de précarité, constamment présent à l'esprit des Japonais. Or ces deux points ont été également remarqués par l’auteur d’un article paru dans le Monde du 17 avril 2011(voir le document joint). François Lachaud, universitaire français spécialiste du Japon, a souligné le calme des victimes et l’attachement des Japonais à la notion d’évanescence et de fragilité de la condition humaine qui s’exprime dans le terme de hakanai.

Cette notion est-elle véritablement véritablement constitutive de la nature japonaise ou tend-elle à s’estomper parmi les jeunes qui n’ont pas été soumis aux mêmes épreuves que leurs aînés ?

Vaste débat qui, bien sûr, n’a pas pu être tranché.

Nous avons également été sensibles au portrait que MURAKAMI fait du principal protagoniste de la nouvelle, Kaoru. D’autres écrivains ont certes donné vie à des animaux mais comment ne pas être surpris et amusé par le personnage de Crapaudin, crapaud, ou plutôt grenouille, de 2 m de haut ? Dressé sur ses pattes arrière, celui-ci fait preuve d’un grand bon sens, quand il s’adresse à Katagari, modeste employé d’une société de recouvrement de dettes. Cet anti-héros ne paye certes pas de mine, mais par son courage et sa détermination, il contribue à sauver Tokyo.

Peut-être faut-il voir dans ce souci du bien commun un écho à la common decency de G. ORWELL, auteur cher à MURAKAMI, qui émaille son récit de références à des auteurs occidentaux comme CONRAD, NIETSCHE et DOSTOÏESVSKI.

D’autres thèmes ont été abordés, au fil des discussions, qu’il est difficile de résumer en quelques mots.

Saluons enfin la qualité de la traduction, due à Corinne ATLAN qui a su donner au récit toute la légèreté requise en s'éloignant parfois de la littéralité du texte.

Ainsi le saumon, acheté par Katagiri au supermarché du coin devient une banale boîte de sardines sous la plume de la traductrice : nourriture raffiné en France, le saumon est effet un aliment de consommation courante au Japon.

Pour la prochaine séance qui aura lieu en septembre, nous avons décidé de lire une nouvelle d’OGAWA Yoko qui est tirée du recueil Manuscrit zéro publié chez Actes Sud. Cette nouvelle, qui pourrait s’intituler Mousses, occupe les pages 7 à 23.