Tisserands et manufactures

La vallée de l'Authion est depuis des siècles une terre privilégiée pour la culture du chanvre. L'artisanat de tissage se développe parallèlement, dans les villes et villages. A la fin du XVIIe siècle, il y a dit-on plus de six cents métiers en action à Beaufort.

Quand Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy et baron de Fontaine-Guérin, devient secrétaire d'Etat à la Marine le 30 avril 1749, il veut rétablir la marine royale, à peu près anéantie.

Rouillé, se tourne vers l'Anjou, où Pierre Deshayes, un industriel de Saumur, propose de créer une manufacture de toiles à voiles. Il ne réussit pas son implantation à Angers, où il est supplanté par Joseph Bonnaire, mais obtient du roi un privilège d'exclusivité  de fabrication pour une manufacture à Beaufort.

Avec ses cent-cinquante métiers, la manufacture de Beaufort va bientôt  bénéficier d'une forte notoriété, notamment en raison de la grande qualité de sa production. 

La culture du chanvre en Anjou

Le chanvre est l'une des premières plantes cultivées par l'homme. L'origine en est probablement en Chine.

C'est une plante annuelle dont la hauteur des tiges peut varier de soixante quinze centimètres à quatre mètres, voire plus. La végétation est rapide, inférieure à quatre mois. Semé en mai, le chanvre se récolte en septembre [BROS].

Les règles de son commerce figurent dans le livre des métiers rédigé en 1268, par Étienne Boileau [BOI] « Nul ne peut acheter fil mouillé ou chanvre mouillé, devant qu'il soit sec et bien essuyé ».

En Anjou, la culture et le travail du chanvre sont attestés depuis le XIe  siècle. Au XVIIIe siècle, c'est une des principales provinces pour cette culture.

Celle-ci est concentrée principalement dans les vallées. Les terres y sont riches du fait de l'épaisseur des couches de terre végétale et des fumures produites par un bétail nombreux nourri dans les pâturages, maintenus à cette intention.

Ainsi, la culture du chanvre n'épuise guère le sol et l'on ne craint pas de revenir plusieurs fois de suite sur les mêmes terrains [DIO].

Les cultivateurs exploitent des parcelles de modeste surface. En 1893, à Beaufort, quatre cent trente et un cultivateurs se partagent la production, sur 245 hectares, avec des parcelles dont la surface moyenne est de 27 ares.

Le chanvre de la vallée de la Loire fut réputé pour sa blancheur, sa finesse et sa force. La vallée de l'Authion, dans le comté de Beaufort, était alors une zone privilégiée. Les cultivateurs pouvaient  rouir (1) leurs récoltes, soit directement dans le lit de la rivière, des ruisseaux et grands fossés, soit dans des trous creusés à proximité.

L'exploitation nécessite ensuite une forte main-d’œuvre jusqu'à la commercialisation. Sorties de l'eau, les tiges sont séchées puis broyées ou tillées (2) pour séparer la fibre de la chènevotte (3). Les fibres peuvent être commercialisées en l'état aux corderies, mais celles qui sont destinées au tissage sont maillochées (4), râpées ou peignées (5).


Les femmes travaillent la filasse l'hiver pour vendre le fil aux tisserands, sur le marché. Elles filent (6). Dans les maisons troglodytes des bords de Loire, toutes les femmes étaient fileuses : « sans trêve, bobinant le fil, le fuseau pirouettait dans leurs mains agiles, en gardant les moutons, les oies, en surveillant les enfants , en bavardant avec les commères, en marchant même, et le soir, en hiver dans le veilloir commun » [FRA].

Certains agriculteurs vont même jusqu'au tissage de toiles de ménage, sur leur propre métier.


A partir de 1750, la production s'accroît  considérablement, notamment en raison des besoins de  la marine marchande, d'une part, et de la Royale d'autre part. En 1811, le chanvre couvre autour de 15 à 25 % des terres labourables dans la basse vallée de l'Authion.

En 1847, on sait que sur huit millions de kg produits en Anjou, deux sont destinés à la marine marchande pour les cordages et les toiles à voiles, deux millions et demi vont à la marine royale et, enfin trois millions et demi  sont convertis en toiles diverses [BROU].


Nous assistons ensuite  à un tassement de la production, en France. Alors que la mécanisation des ateliers permet de satisfaire, sans difficulté aux besoins d'approvisionnement de chanvre, la France ne peut lutter en matière de prix avec des pays comme l'Angleterre, l'Irlande et la Russie. Cela est d'autant plus vrai, après la mise en application du décret du 17 octobre 1855 et l'admission en franchise des objets destinés aux constructions navales, à l'armement et au gréement des navires. Ces mesures prises pour une durée de trois ans, et destinées à favoriser le développement des transports maritimes, ont alors été estimées préjudiciables à l'agriculture, à la filature et au tissage du lin et du chanvre [FER].


Une crise grave apparaît au début des années 1880, particulièrement en Maine-et-Loire, en raison de la diminution de la demande pour les transports maritimes et la concurrence d'autres fibres pour le tissage.

L'effondrement est particulièrement significatif en vallée de l'Authion qui se tourne vers des productions grainières.

L'attribution de primes à la culture du chanvre, à partir de 1892, ne produit pas d'effet durable.

Dans le canton de Beaufort, en 1912, il ne reste plus que 108 hectares en culture de chanvre [BRO ].

La production de fibre de chanvre disparaît dans la Vallée. Le chanvre y reste néanmoins présent en production de semences, dans le cadre d'une société coopérative qui, aujourd'hui regroupe soixante-cinq adhérents, dans un rayon de 45 km autour de Beaufort-en-Vallée, sur une superficie d'exploitation de 430 hectares.

Cette coopérative fournit 98 % des besoins de semence en Europe.

Les ateliers de tisserands

L'assemblage des fils, par entrelacement orthogonal, produit des tissus. Les tissus les plus simples et aussi les plus solides sont appelés toiles. Pour les réaliser, le fil de trame passe une fois sur deux sous le fil de chaîne, et inversement pour le passage suivant.

La toile de chanvre, anciennement appelée « chanevas » est restée longtemps cantonnée à l'usage rural. Les vêtements d'étoffe de chanvre ne sont alors guère mieux considérés que ceux de peaux de bête. Nobles et bourgeois lui préfèrent la toile de lin. Catherine de Médicis est dit-on, la première à porter des chemises en toile de chanvre [BOD].

Sous l'Ancien Régime, l'industrie de la toile est la première de toutes les industries. Elle fait travailler le plus grand nombre de personnes, dans le plus grand nombre de paroisses. Cette industrie fournit des toiles assez grossières, destinée à un usage domestique ou à un marché local [MAI].
Les matériels de tissage n'ont évolué que très lentement. Les métiers à tisser sont restés manuels, jusqu'au XIXe siècle. A Beaufort, le dernier métier à tisser utilisé jusque vers 1926, par Auguste Suinglé, tisserand rue de Bellevue, était manuel, du type à marches.

Nous allons décrire un tel matériel. Voir image ci-dessous.


Sur un bâti de poutres de bois, nous trouvons principalement et successivement :
- l'ensouple où les fils de chaîne sont enroulés en nappe ;
- deux verges destinées à maintenir les fils à leur place ;
- une première lame équipée de lisses dotées de maillons qui servent de guide aux fils de rang, disons impair ;
- une deuxième lame équipée de même, pour les fils de rang pair ;
- deux pédales pour lever ou baisser alternativement les deux lames ;
- un peigne, dans lequel passent tous les fils de chaîne, porté par un battant ;
- une navette tirant le fil de trame entre les deux nappes de fil de chaîne ;
- un rouleau d'appel du tissu ;
- une barre-siège pour l'opérateur.

Le battant, dont la manœuvre sert à serrer le tissu après chaque passage de navette, caractérise les métiers à tisser battants dont on parle dans tous les inventaires.
Les métiers des manufactures ressemblent à ceux des artisans, mais plus forts. Le métier fait environ 9 à 10 pieds de long, par 4 de large, mesurés en dedans. Les pièces de bois du bâti font 4 pouces d'épaisseur par 8 pouces de large. Les soles sont constituées de pièces de 7 à 8 pouces, au carré [VIA]

Les artisans tisserands, appelés autrefois tissiers ou tixiers, installent leur métier dans des caves ou entre-sols, disposant de peu de lumière et conservant une certaine humidité d'ambiance, pour diminuer les risques de casse des fils.
A Beaufort, les ateliers sont surtout rassemblés dans certains faubourgs comme La Rabaterie ou les Palis. Il y en a  d'autres, dispersés en secteur rural chez certains agriculteurs.
Au moment de la création de la manufacture royale, en 1751, les anciens assuraient avoir vu jadis six cents métiers battants à Beaufort.
Jacques Savary des Bruslons, Inspecteur général des manufactures, indique dans son "Dictionnaire du Commerce" paru en 1723, que les meilleures fabriques de toiles, pour l'Anjou et la Touraine, et où il s'en fait le plus, sont Château-Gontier, Beaufort et Cholet.

L'ingénieur de la marine Vial-Duclairbois écrit en 1793 : »Les toiles de Beaufort et d'Angers sont supérieures à celles de Brest ; et celles de Beaufort à celles d'Angers ; cette différence ne pouvant provenir des matières qui sont les mêmes, est attribuée à l'habileté des ouvriers » [VIA].

Les toiles de Beaufort, dont le blanchiment (7) se fait ordinairement à Doué, sont destinées en partie pour les îles françaises d'Amérique et en partie, si elles sont grosses, pour les menues voiles des navires.

La fabrique de Beaufort tisse d'autre part des étoffes de laine, vendues dans le pays. Neuf maîtres y travaillent sur quatorze métiers.

Statuette de Saint Sévère

S'il n'y a pas de témoignage de la constitution d'une corporation des tisserands à Beaufort (voir encadré), nous connaissons précisément l'acte de fondation d'une confrérie érigée le 26 avril 1723, en l'église Notre-Dame, sous la protection de Saint-Sévère (8) . Son but est de rassembler et organiser la communauté des maîtres tissiers, des compagnons et apprentis pour augmenter le service divin dédié à Saint-Sévère, choisi comme patron.

Nous pouvons voir, encore aujourd'hui, au début de la rue de la Chaussée, une statuette de Saint-Sévère, parée en évêque, dans une niche vitrée encastrée dans la façade d'un immeuble reconstruit en 1896. Voir image ci-contre.
A cet endroit, habitait François Masline, premier bâtonnier de la confrérie [DEN].


A l'origine la confrérie regroupe environ quatre-vingt membres. Tous paient un droit d'inscription : « Tous les maîtres tissiers de cette ville et leurs successeurs ne pourront recevoir en leur maison aucun compagnon tissier tant de la dite ville qu'étranger qu'ils ne l'envoient au procureur d'entre eux qui sera nommé, lequel aura soin d'inscrire sur le registre de la dite confrérie, qu'il aura à cette fin, le dit compagnon arrivant et apprenti, auquel le dit procureur fera payer par chacun deux sols six deniers pour leur installation».

 Il n'est pas nécessaire d'être tisserand pour appartenir à la confrérie, mais il faut alors être reconnu de bonne vie et mœurs.

L'apprentissage du métier fait l'objet d'un contrat passé devant notaire, entre le maître et le parent de l'apprenti. Un tel contrat pour seize mois, entre Urbain Guichou tisserand et Jacques Denais pour son fils Jacques (9), a été enregistré chez le notaire Jean Béritault, le 30 juin 1746.

L'apprenti est en général logé, nourri, blanchi dans des conditions prévues au contrat. S'il ne reçoit aucun salaire pendant les premières années, il peut être intéressé financièrement à son travail par la suite, en devenant compagnon.


De tous temps, la recherche de la qualité et d'une normalisation de la production des toiles a fait l'objet de règlements dont le contrôle d'application appartenait à des bureaux de visite, de marquage et d'aunage (10).

Au XVIIe siècle, sous l'influence de Colbert, l'industrie textile s'organise en fabriques et manufactures, regroupant plusieurs tisserands.

Les règlements généraux se succèdent. Des lettres patentes du roi en déterminent l'application dans chaque généralité. Des inspecteurs des manufactures visitent les fabriques et surveillent les fabrications. Les sanctions sont exemplaires.

En 1676, un règlement général dispose en son article 6 : « La visite des toiles ayant été faite par les personnes préposées pour le faire, elles seraient marquées aux deux bouts de chaque pièce avec de l'huile et du noir, de la marque des lieux où elles auraient été fabriquées  ; et celles qui seraient reconnues défectueuses, saisies, confisquées et coupées publiquement par morceaux de deux aunes, avec défense d'exposer en vente, ni acheter  aucune toile, quelles n'aient été marquées ».

Les bureaux de visite et marquage, dont le fonctionnement est confié à la profession, existeront jusqu'à la Révolution et disparaîtront avec les corporations. Une demande pour les rétablir à Beaufort, en 1817, à la charge des instances communales, sera refoulée par le ministre, au nom de la libre entreprise.


Le 28 avril 1748, à la veille de la création de la Manufacture royale de Beaufort, des lettres patentes du roi portent règlement pour les toiles qui se fabriquent à Mamers, La Ferté-Bernard, Torigné, au Mans, à Château-Duloir, Beaufort, Angers, Fresnay et autres lieux des environs de la généralité de Tours. D'après les notes de l'inspecteur Aubry, il n'y avait à cette époque, à Beaufort, qu'une trentaine de métiers employés à la fabrication des toiles de tout brin (11).

Ce règlement de 1748 impose en particulier la tenue d'un registre tenu au greffe de la Police, où sont apposées les empreintes des coins ou marques des tisserands. Dans un registre commencé le 28 mars 1760 , nous trouvons, entre 1760 et 1777, une centaine de marques déposées, avec mention des date, nom et adresse du tisserand. Voir image 3.

Pour recadrer le commerce de toiles et normaliser la production, des lettres patentes du 30 septembre 1780 dressent pour la généralité de Tours, des tableaux des différentes espèces de toiles et toileries qui s'y fabriquent ; les matières et le nombre de fils dont elles doivent être composées, ainsi que la largeur qu'elles doivent avoir.

Pour les toiles unies de Beaufort-en-Vallée et environs, les prescriptions figurent dans le tableau ci-dessous.

L'article III précise que les fabricants de toiles à voiles ne pourront user de la faculté accordée par l'article II des lettres patentes du 28 juin 1780, d'augmenter le nombre de fils dont, suivant le tableau, les chaînes des dites toiles doivent être composées. Elles ne pourront, en aucun cas, être fabriquées dans des combinaisons arbitraires, ni porter la marque de liberté indiquée par les articles IV et V des lettres patentes du 5 mai 1779.

Entre temps, à Beaufort comme à Angers, des industriels ont commencé à réunir des ouvriers et des métiers dans de grands ateliers pour constituer des unités de production de toiles à voiles, capables de répondre aux commandes de la  marine, tant marchande que royale. 

Les débuts de la manufacture royale

Aux environs de 1748, un ensemble de circonstances va permettre l'organisation rapide et quasi simultanée de deux manufactures de toiles à voiles, à Angers et à Beaufort.
Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy et baron de Fontaine-Guérin, devient secrétaire d'Etat à la Marine le 30 avril 1749. Après la guerre de la succession d'Autriche, il veut rétablir la marine royale, à peu près anéantie.
Celle-ci, tout comme la Compagnie des Indes se fournissait surtout auprès des tisserands de Bretagne, en particulier à Locronan. Malheureusement la qualité ne donnait plus satisfaction et la fabrique dispersée en milieu rural et familial ne pouvait s'adapter.
Rouillé, se tourna vers l'Anjou, où les corderies royales d'Angers avaient du succès et où un certain Pierre Deshayes avait créé à Saumur, une manufacture royale de siamoise à fleurs et des fileries de chanvre et coton, avec privilège exclusif.

Deshayes se montre très entreprenant. Lorsque Rouillé et l'intendant du commerce Michaud de Montaran qui avait la surveillance des manufactures de toiles, cherchent un fabricant capable de s'engager vers des commandes importantes de toiles à voiles, de « la qualité de celles qui se fabriquent en Russie et qui s'apportent dans le royaume par les Hollandais », ils contactent Deshayes.
Celui-ci réussit ses essais. Il s'adresse au nouvel Intendant du Commerce, M. De Trudaine, pour solliciter un privilège exclusif de fabrication de toiles à voiles, pour vingt années dans les élections d'Angers et de Baugé.
Il propose de commencer la fabrication à Fontaine-Guérin et dans les environs pour pouvoir procurer du travail à tous les villages voisins.
Il propose en même temps de créer une manufacture de mouchoirs de fil à Angers où le Maire, François Charles Pays-Duvau, lui a proposé un terrain et des bâtiments.
Pour les toiles à voiles, il obtient le privilège demandé, par lettres patentes du roi, le 31 mars 1750.
Pour son installation à Angers, ses démarches pour la constitution de la société ont traîné et le maire de la Ville, qui n'apprécie guère son tempérament, s'est reporté plutôt vers ses concitoyens François Bonnaire, Chaillou et Loizillon, marchands de toiles, lesquels ont fait de leur côté des essais concluants de fabrication de toiles à voiles.
Ils ont d'ailleurs ouvert leur manufacture le 22 janvier 1749, après en avoir obtenu l'autorisation le 31 mars 1748.

Deshayes, qui a commencé son installation à Beaufort, n'apprécie pas cette concurrence illégale et, le 23 août 1750, il intervient auprès de l'Intendant de Tours, par l'intermédiaire d'un personnage influent, M. de Courteilles, Intendant des Finances.
Les habitants d'Angers ont aussi grand besoin de travail et, sous la pression des officiers de la Ville, l'Intendant de Tours déboute Deshayes de sa réclamation. Ce dernier s'adresse alors à la justice et fait même saisir les vingt métiers battants qui étaient alors dans la manufacture d'Angers. Le Conseil de Ville réagit aussitôt et adresse un mémoire au Conseil du Roi. La plainte de Deshayes est finalement rejetée et dès lors Bonnaire et Deshayes vont poursuivre parallèlement leur industrie.

A Beaufort, Pierre Deshayes a acheté, le 9 août 1750, à Charles-André Rochereau et  Catherine Gaugain, près du prieuré, deux immeubles séparés par une cour et accessibles par un grand portail d'entrée, depuis le carrefour de la Croix Chardavoine. Il lui en a coûté 3000 livres.
Le 4 septembre, il poursuit et achète à Urbain Marchand et autres héritiers dans la ligne maternelle de Mlle Jeanne Baucher de la Garde, une maison et appartenances, composée de plusieurs chambres basses et hautes, boulangerie, cuisine, cabinets, greniers, cours, granges et jardin, à la suite des immeubles Rochereau.
L'achat porte dans le même contrat sur la moitié d'une petite maison, jouxtant la précédente. Au total, le prix est fixé à 2000 livres.

L'autre moitié de la petite maison sera achetée par Jean-Pierre Deshayes, fils de Pierre, le 19 août 1757, aux héritiers en ligne paternelle de la dite demoiselle Baucher, représentés par Jean-Baptiste de la Fontaine de Fontenay, pour la somme de 200 livres.

Pierre Deshayes installe, dès 1750, ses premiers métiers dans les locaux existants. Un dessin, réalisé en 1753 par un géomètre de Saumur et exposé aujourd'hui au musée Joseph Denais, montre les façades des bâtiments utilisés.
Bureaux, magasins et appartement du directeur sont installés dans les bâtiments bordant la Grande rue. Voir image en fin de chapitre.
Il y avait, au moins, seize métiers installés dans le bâtiment du fond de la cour.

Pour exploiter la manufacture, Pierre Deshayes a besoin de partenaires financiers. Il les trouve à Paris, pour la plupart autour de Saint-Eustache. Le 30 juillet 1751, une société est constituée entre Louis Joseph Pigeot de Carcy, avocat au Parlement, son frère Anne Alexis, Jean-Louis Maulgué, Louis-André Lépine, Jean-Etienne Cancel, Charles-François Cancel de Montfirmin et  Pierre Deshayes.
La société est constituée en conséquence du privilège exclusif qui a été accordé par le roi à Pierre Deshayes et compagnie, pour la fabrication de toiles à voiles à Beaufort. Ce dernier est tenu de résider sur les lieux de fabrication pour veiller au travail des ouvriers.
Il entre pour un septième dans le capital social et, outre l'intérêt qui en résulte, il perçoit personnellement un dixième du produit net du bénéfice de l'entreprise, en rémunération de son activité à la manufacture.
Les associés s'attribuent collégialement le contrôle a priori de toutes les opérations de dépenses engagées pour le fonctionnement de la manufacture. Des dispositions sont prévues pour permettre la continuation de l'entreprise, dans le cas où le sieur Deshayes viendrait à s'en détacher.Enfin, pour s'attacher la bénédiction du Seigneur, les associés recevront, chaque fin d'année, une somme à distribuer aux œuvres pieuses.

La production de toiles à Beaufort se décompose maintenant en deux parties, théoriquement distinctes :
- la fabrique ancienne des tisserands indépendants, contrôlée au bureau de visite qui appose son timbre. Voir image ci-dessous.
- la fabrique de la nouvelle manufacture regroupée sous la direction de Deshayes.

Cela ne se passe pas sans heurts. Les tisserands de Beaufort ont des craintes et des revendications.La nouvelle entreprise ne va-t-elle pas faire tort à leur commerce ? D'autre part, les ouvriers de la manufacture jouissent de privilèges dont ils sont eux-mêmes privés.
Nous reviendrons plus tard sur ce point.
La production des manufactures fait l'objet d'un suivi par l'inspecteur Aubry, pour la Généralité de Tours.
Le 16 juin 1751, il dresse un état  des fabrications de toiles à Beaufort.

La fabrique du bureau regroupe environ deux cent trente métiers dispersés, dont il n'y a que le quart qui travaille.

Il s'y réalise, d'une part et principalement, des toiles de chanvre brin sur brin, de une aune ou une aune moins 1/16 de large et 28, 42 ou 63 aunes de long, et d'autre part des toiles de brin et reparon (12), de mêmes dimensions mais, avec des brins un peu moins serrés et des prix de fourniture environ 20 % moindre.

L'inspecteur estime que l'objet du commerce qui se fait en toiles de Beaufort, peut aller jusqu'à 127 646 livres .

Quant à la fabrique de la manufacture, elle tisse des voiles pour les vaisseaux. Les toiles de chanvre, brin sur brin lessivés plusieurs fois, ont 26 pouces de large et 29 à 31 aunes de long. Les brins sont beaucoup plus serrés que pour les toiles ordinaires. L'entrepreneur a dit ne pas avoir encore fixé le prix.

A la manufacture, il y a quinze métiers battants et dix-huit sont prêts à battre.

La production annuelle attendue est de 1100 à 1400 aulnes, par métier.


L'inspecteur fait des commentaires, d'abord pour les toiles du bureau.

La manufacture de Beaufort est bonne présentement et au moyen de ce qu'on y fait exécuter le règlement du 28 avril 1748, on  ne souffre plus qu'il s'y fasse des toiles barrées, inégalement frappées (13) et plus serrées à un bord qu'à l'autre. Les toiles de la première qualité, c'est à dire celles de brin sur brin, sont le plus fort objet du commerce de cette fabrique.

Ces toiles passent pour la majeure partie à l'étranger. Les marchands de Beaufort, de Tours et autres qui en font commerce les envoient à la Rochelle, à des négociants qui les font passer dans les îles.

Les autres toiles communes se consomment dans la province et dans le pays.

Pour la manufacture de toiles à voiles, destinées aux vaisseaux du roi ou à ceux de la compagnie des Indes, l'inspecteur dit que les toiles qui s'y fabriquent lui paraissent de bonne qualité. Toutefois, il n'a pas les éléments pour décider si elles imitent parfaitement celles de Hollande et de Russie.


Côté chiffre d'affaires de cette manufacture, même si elle reçoit le titre de « manufacture royale », les commandes de la marine tardent à se concrétiser. Une intervention auprès de Rouillé ne donne rien.

Les premières années de fonctionnement sont ainsi largement déficitaires.

La production croit régulièrement, mais en 1754, elle ne dépasse guère 45 000 aunes sur l'année.

Entre-temps, Pierre Deshayes a été révoqué en janvier 1753 par ses commanditaires qui lui reprochent ses dépenses inutiles et sa brutalité. Il tente de s'opposer à l'inventaire réclamé par ses associés.

Finalement, le conseil du commerce, sur proposition de l'Intendant, met fin à son activité à la manufacture de Beaufort, le 18 mars 1856.

Il est remplacé comme directeur par un de ses fils, sans doute Jean-Pierre, puisque c'est lui que nous avons vu signer, en 1757, l'achat du dernier immeuble.


Pour améliorer leur situation financière, les entrepreneurs d'Angers et de Beaufort ont sollicité du trésor royal un prêt de 40 000 livres, sans intérêts. La réponse du 26 mai 1755 de M. de Séchelles  (14), sur les propositions de l'Intendant, est nuancée. Prenant acte des efforts des uns et des autres pour mettre leurs manufactures  sur un bon pied, il se déclare prêt à venir à leur secours. Il choisit le principe d'une prime à la production.

Pour Beaufort, il autorise le versement de trente sols pour chaque pièce de toile à voile fabriquée, jusqu'à concurrence de 4000 livres par an et pendant six ans.

Il y a alors plus de cent dix métiers en activité à la manufacture royale de Beaufort. Les ateliers ont été considérablement agrandis, en particulier par la construction des boutiques entre les bâtiments existant et la douve, en fond de jardins. Chaque métier, utilisé à plein, peut tisser jusqu'à mille quatre cents aunes de toile par an.


L'Intendant est chargé de mettre en place des commis pour enregistrer et marquer les toiles fabriquées.

Ainsi des états de fabrication ont pu être dressés pendant ces six années. En 1757, la production a dépassé 100 000 aunes et, l'année suivante, plus de 130 000 aunes.

Au total, sur les six années, 21 639 livres de prime ont été versées. Pour les trois dernières années d'application, elle a, à chaque fois atteint le plafond.

Fait favorable ; dans le même temps la guerre de Sept ans (15) a sensiblement accru les besoins de la marine [MAI].

Les entrepreneurs n'en demandèrent pas moins la continuation de la prime, faisant valoir qu'ils étaient obligé de faire des avances considérables pour la marine du Roi. Ils n'eurent pas satisfaction.


Les frères Deshayes choisissent de partir à Angers, en 1767, pour collaborer à la manufacture du Cordon Bleu.

Jean-Baptiste Poullot est alors appelé au poste de directeur à Beaufort.  Il est né le 3 septembre 1725 à Beurville, diocèse de Troyes. Son père, Pierre, est admoniateur (16) de la ferme de Blinfey, appartenant à l'abbaye de Clairvaux. Sa mère est Anne Diney de Bouzancourt, fille d'un procureur fisca,l en la baronnie de Cirey-le-châtel.

Jean-Baptiste Poullot connaît bien la manufacture de Beaufort, puisqu'il en est le caissier depuis 1757.

Le 27 novembre 1759, il s'est marié avec Catherine Chesnon. Sept enfants sont nés à Beaufort, entre 1963 et 1776.

Poullot est surtout connu, en Anjou, pour y avoir introduit le peuplier d'Italie. Il a installé des pépinières dans plusieurs  terrains de la vallée de l'Authion.


Au fil des années, les actionnaires changent et  Louis-Joseph de Pigeot de Carcy, Jean-Louis Maulgué, I,sidore Lottin, Augustin Eugène Hay, Louis Lebon de Biermont et Jean-Etienne Cancel vendent la manufacture, le 7 avril 1774, à Gilles Pierre Michel, premier subrécargue (17) des vaisseaux de la compagnie des Indes, et ses associés, Toussaint-Jaques-Paul Morellet, Pierre Robert, Pierre Michel Creuzé et Pierre Claude Poulletier de Périgny.

La vente se fait au prix de 16 000 livres pour les maisons, bâtiments, cours, jardins et emplacements, et au prix de 82 787 livres 18 sols pour les métiers, outils, lits, draps et ustensiles propres à la fabrication des toiles, les stocks de matières premières et de toiles fabriquées.

Cette dernière somme a été calculée à partir d'un inventaire très détaillé dont nous pouvons consulter les lignes principales.

Le 12 avril 1775, Gilles Pierre Michel devenu premier commis de la Marine, à Versailles, cède tous ses droits sur les bâtiments, équipements, matières et revenus de la manufacture, à Simon-Pierre Mérard de St-Just, maître d'hôtel de Monsieur, duc d'Anjou. La cession de sa part est faite au prix de 1000 livres pour l'immeuble et 9000 livres pour les effets mobiliers.


Pendant ce temps, comment se comporte l'activité manufacturière à Beaufort ?

Nous disposons de rapports semestriels établis par l'inspecteur Aubry. Nous y notons le rapport d'importance entre les deux fabriques. A titre d'exemples :

En 1770, le bureau de Beaufort a sorti 10410 pièces de toiles des deux espèces, pour une valeur de 296 508 livres.

Pour la manufacture de toiles à voiles, c'est 1021 pièces pour une valeur de 72 278 livres.

Pour l'année 1771, nous donnons quelques détails. 

Le chiffre d'affaires de la manufacture ne représente donc que le quart de la production beaufortaise.
L'inspecteur fait observer une récession générale au deuxième semestre et, en particulier pour les toiles à voiles dont la production est considérablement tombée. On craint qu'elle ne tombe encore si on ne partage pas la  fourniture du port de Brest, entre les manufactures de l'Anjou et celles de Bretagne.
Il est cependant à désirer que cela n'arrive pas, car cela ferait un très grand tort à cette province, dans laquelle on cultive une très grande quantité de chanvre dont l'apprêt et la filature y font vivre beaucoup de monde, indépendamment des ouvriers employés à la fabrication des dites toiles.

L'année suivante, les toiles de Beaufort ont sorti 9830 pièces de toile des deux espèces, pour une valeur totale de 288 642 livres.
Pour la manufacture de toiles à voiles c'est, la même année, 1738 pièces pour une valeur totale de 120 153 livres.
L'inspecteur observe que les toiles de brin se soutiennent toujours assez bien ainsi que les toiles à voiles de la manufacture. Néanmoins, pour ces dernières, la vente ne se fait pas aisément. Les entrepreneurs de Beaufort et d'Angers se plaignent toujours du tort que leur fait l'introduction dans les ports des toiles de Russie, qu'ils disent être fort inférieures aux leurs, en qualité, et qui pour cette raison sont vendues à meilleurs marchés.

Le même propos est utilisé, une dizaine d'années plus tard, dans un mémoire pour solliciter l'établissement à Agen, d'une seconde manufacture des toiles à voiles.

Nous y notons « les envois considérables de toiles à voiles que la Russie et d'autres états font constamment en France, démontrent clairement que le royaume n'en fabrique pas assez pour ses besoins […] la Bretagne et l'Anjou très fertiles en chanvre fabriquent une quantité considérable de toiles à voiles, mais la facture royale de Beaufort exceptée, ces deux provinces n'en fournissent point aux vaisseaux du roi, pour la raison que tout particulier a rarement à sa disposition une quantité de fil assez considérable pour choisir le plus propre aux fortes noyalles (18), que d'ailleurs en pût-il fabriquer, son intérêt seul l'en détournerait constamment par l'incertitude où il serait du débit, au lieu qu'il est assuré de vendre au premier marché de toiles ordinaires... ».

Ce plaidoyer est intéressant pour apprécier comparativement la situation des deux fabriques de Beaufort. 

Façade ancienne sur la grande-Rue

Ccorporations et confréries

Dès le Moyen-Age, pour se dégager des servitudes féodales et se faire entendre du pouvoir royal, les artisans aspirèrent à se regrouper en communautés. Les marchands et les artistes constituent les communautés d'Arts et Métiers.
Les membres des corporations sont maîtres, s'ils se rémunèrent sur la vente de leurs produits, ou compagnons, s'ils sont rémunérés pour leur travail. Les maîtres peuvent prendre un ou plusieurs apprentis. Gardes ou jurés, tantôt élus par les maîtres, tantôt désignés par la jurande, administrent la communauté.
Les corporations, strictement réglementées et contrôlées, disposent de ressources propres.
Elles bénéficient de la personnalité juridique. Elles s'organisent principalement dans les villes d'un certaine importance. Elles ne sont autorisées que pour certains métiers.
Quant, au XVIIe siècle, Colbert veut développer le commerce et l'industrie textile et garantir la perfection des produits, il s'appuie sur les corporations pour garantir cette qualité. Les jurés sont responsables de l'application des règlements. En contre-partie, la communauté bénéficie d'une exclusivité pour la fabrication et la vente des objets correspondants.
Beaufort, la communauté des marchands était influente. En 1761, ses contestations finissent par conduire à la révocation de ses statuts.
Les confréries sont des communautés regroupant des laïcs avec objet de favoriser l'entraide fraternelle et une pratique religieuse de groupe.
La confrérie, au contraire de la corporation, peut accueillir des membres hors métier.
La confrérie des tisserands de Beaufort a été constituée le 26 avril 1723.
Au XVIIIe  siècle, le progrès des idées libérales amène une campagne contre le système corporatif.
La probité des communautés est mise en cause. L'application des règlements, trop stricte et souvent entachée de favoritisme, est jugée comme étant un frein au progrès.
Lorsque les  économistes triomphent avec Turgot, le contrôleur général des Finances, l’édit de février 1776 libère totalement l’exercice des métiers, y compris pour les étrangers. Voici une partie des attendus :
«  Dans presque toutes les villes de notre royaume, l'exercice des différents Arts et Métiers est concentré dans les mains d'un petit nombre de Maîtres réunis en Communauté, qui peuvent seuls, à l'exclusion de tous les autres citoyens, fabriquer ou vendre les objets de commerce particuliers dont ils ont le privilège exclusif, en sorte que ceux de nos sujets qui, par goût ou nécessité se destinent à l'exercice des Arts et Métiers, ne peuvent y parvenir qu'en acquérant la maîtrise, à laquelle ils ne sont reçus qu'après des épreuves aussi longues et aussi nuisibles que superflues, et après avoir satisfait à des droits ou à des exactions multipliées, par lesquelles une partie des fonds dont ils auraient eu besoin pour monter leur commerce ou leur atelier, ou même pour subsister, se trouve consommée en pure perte... ».

Les communautés réagissent aussitôt. Turgot est considéré comme un novateur dangereux.
Il démissionne  le 12 mai 1776 et les corporations sont rétablies par l’édit d’août 1776, avec néanmoins un resserrement des autorisations.
Il n'y a plus que quarante-quatre professions qui peuvent s'organiser en corporations. Les métiers de cordier et tisserand n'entrent pas dans ce nouveau cadre et l'exercice de ces professions est totalement libre.
La Révolution va définitivement supprimer la constitution des communautés, avec l'ensemble des privilèges, dans la nuit du 4 août 1789.
L'application fera l'objet de la loi Le Chapelier des 14-17  juin 1791, au nom du principe de la liberté d'entreprise. 

Angers et Beaufort associées

Les secteurs qui concourent à la construction des navires attirent les financiers. La guerre de Sept ans a anéanti la marine royale. La perspective d'un nouveau conflit avec l'Angleterre engage à poursuivre activement un programme de reconstruction.

Claude Baudard de Vaudésir, seigneur de Sainte-James (19), et ses amis s'engagent dans la spéculation et le commerce du bois, du fer, de la toile.

Baudard bénéficie d'une position favorable quand il est nommé trésorier général de la Marine et  des Colonies. Il devient très riche.

Son père, Georges-Nicolas Baudard, receveur des tailles à Angers, avait participé à la création de la manufacture d'Angers, en 1750, avec Bonnaire, Chaillou et Loisillon. Une nouvelle société est créée le 28 novembre 1768, entre Baudard, Bonnaire et Romain.


Quand Georges-Nicolas Baudard meurt en 1771, la succession entraîne la vente forcée de la manufacture d'Angers. Pour la reprendre, Claude Baudard s'associe à plusieurs reprises et le 1er mai 1778, un contrat le lie pour neuf ans à Blanchard de Pégon, le frère de ce dernier et Pierre-Mathurin Morin (20) le jeune, négociant à Angers[OZA].

Sur sa lancée, Claude Baudard, au nom de la société propriétaire de la manufacture d'Angers, vient tout juste de faire l'acquisition de la manufacture de Beaufort. Il a signé le 28 avril 1778, d'une part pour le mobilier et les équipements et, d'autre part, pour les bâtiments.

Les métiers, outils, ustensiles de fabrication divers, les lits des ouvriers avec les draps, l'horloge, les ustensiles de cuisine et de table, l'argenterie et les meubles de l'appartement du directeur et toutes les matières premières de fabrication des toiles, y compris les cendres, sont payées 230 300 livres.

Les maisons, bâtiments, cours, jardins et emplacements sont achetés 27 700 livres.


Ainsi commence le rapprochement entre les entreprises d'Angers et de Beaufort.

C'est probablement peu après que Jean-Baptiste Poullot est remplacé par Paul Desmarquais.

Ce dernier n'est pas originaire de l'Anjou. Il est né à Saint-Prix, département actuel du Val d'Oise, le 23 février 1725. La famille rejoint Vatan, diocèse de Bourges, où les parents assurent le gardiennage du château du marquis de Vatan, Félix Aubery, prévôt des marchands de Paris.

Paul Desmarquais est employé au château comme garde-chasse. Il épouse Marie-Catherine Jourdain, originaire de Buxeuil, près de Vatan, le 17 janvier 1750. Plus tard, en 1758, il est bourrelier.

Quand il arrive à Beaufort, accompagné de son épouse et leurs plus jeunes enfants, il est arpenteur juré.

C'est sans doute à ce titre que nous le retrouvons receveur du comte d’Essuiles,  qui a reçu du roi la concession  des terres de la forêt de Beaufort– voir fiche Authion.

Paul Desmarquais y contrôle, en particulier, les opérations de bornage et d'arpentage lancées en 1785, par Monsieur, frère du roi et comte de Beaufort.

Est-ce en raison de sa présence au côté du comte d'Essuiles qu'il a été choisi par Claude Baudard pour prendre la direction de la manufacture de Beaufort ? Rien ne le dit, mais les deux hommes se connaissaient certainement, intéressés l'un et l'autre à la commercialisation des bois de la forêt.


Paul Desmarquais dirige une manufacture en pleine expansion. Depuis le début de la guerre d'Amérique en 1775, avec les commandes de la Marine, les manufactures d'Angers et de Beaufort connaissent quelques années de prospérité.

Le receveur général des Finances Hardouin reconnaît, en 1783, la vigilance et l'activité de M. de Saint-James : les manufactures « constituent un superbe établissement qu'il faut distinguer » ; il insiste avec enthousiasme sur les bâtiments considérables, l'activité des multiples ateliers, le nombre important des ouvriers employés ; il précise «  l'humanité laborieuse peut trouver dans ces manufactures, depuis l'âge de dix ans jusqu'à la vieillesse, des ressources certaines contre l'oisiveté et la misère qui en est la suite. Plus de huit cents ouvriers de tout âge sont journellement employés » tant à Angers qu'à Beaufort.


Un inventaire dressé, un peu plus tard, le 21 juillet 1790, nous permet de décrire les installations d'alors.

Les bâtiments, cours, jardins occupent une superficie d'environ soixante six ares.

L'entrée principale depuis la grande rue et le carrefour de la Croix Chardavoine se fait par une grande porte et une petite porte.

Dans la cour d'entrée, il y a plusieurs bâtiments sur la droite.

Dans le premier, en retour d'équerre sur la rue, il y a, en bas, une salle à cheminée éclairée par deux croisées sur la cour et, une autre grande salle à cheminée, dans laquelle, il y a un fléau et des poids de fonte pour peser les fils. A l'étage, il y a deux chambres de maître à cheminée et meublées. Au dessus, règne un grand grenier. Sous le bâtiment, est une cave non voûtée. Ce bâtiment fût à l'origine désigné comme le logement du directeur. Voir image ci-dessous.

Joignant ce premier bâtiment, on trouve un ensemble de constructions anciennes bordant la rue, comprenant :

 - sur une cave non voûtée, un grand bureau avec cheminée, balance et poids pour peser les fils, les toiles et les filasses que l'on reçoit ; au-dessus, il y a deux chambres, dont l'une à cheminée et un cabinet ; greniers encore au-dessus ;

 - attenant au bureau, il y a un grand magasin où l'on dépose les toiles et les coutils que l'on reçoit des tisserands avec au-dessus deux chambres à cheminée, dont l'une loge le premier commis et l'autre sert de magasin pour les fils écrus ; encore au-dessus, un grand grenier ;

 - à côté du magasin, une grange sert aux emballages ;

 - en revenant dans la cour d'entrée, il y a  un petit office, une chambre sans cheminée, un magasin à cendres, une boutique avec deux métiers propres à faire des toiles et enfin une petite chambre sans cheminée pour les buandiers.

Revenons au portail d'entrée. Sur la gauche, sont regroupés : la cuisine du directeur, avec cheminée et fourneau de pierre ; un office ; un salon ; le cabinet du directeur ; celui du teneur de livres ; à l'étage une chambre de domestique et des greniers au-dessus ; une cave sous le salon.

Ces bâtiments disparaîtront en 1840, lors de la construction de l'école mutuelle à cet endroit.

Au fond de la cour, un autre bâtiment à étage regroupe des ateliers et des lieux de vie.

En son milieu, un porche le traverse pour permettre aux voitures d'accéder à une grande cour bordée par les bâtiments des nouvelles boutiques.

Sur la droite du porche, il y a la cuisine des tisserands avec cheminée, fourneau et marmite de fonte. Près de cette cuisine, il y a un réservoir qui reçoit, au moyen d'une forte pompe de cuivre, l'eau provenant d'un grand puits. Joignant le pignon de la cuisine, une boutique abrite dix métiers. Au-dessus, deux chambres sont garnies de lits pour les ouvriers.

Près de la boutique, une grande buanderie est équipée de quatre mortiers (21), d'une cheminée, d'un fourneau, d'une chaudière de cuivre rouge et d'une forte pompe. Au-dessus, se trouve le magasin à cendres et le magasin à chaux et, encore au-dessus, des greniers.

Sur la gauche du porche,il y a une autre buanderie, avec une cheminée et un fourneau dans lequel est incrustée une grande chaudière de fonte, pour l'usage des lessives. Au-dessus, trois chambres sont garnies de lits pour les ouvriers et, encore au-dessus les greniers, avec l'horloge, au-dessus du porche.

Arrêtons- nous sur cette dernière. De la manufacture royale de Beaufort, il n'a pu être conservé, au musée Joseph Denais que deux objets : un cadran d'horloge de 48 cm de diamètre et une aiguille de fer découpé de 123 cm de long, décorée d'une croix de Malte à cinq branches.

Passé le porche, nous trouvons une grande cour de onze ares de surface, nommée le séchoir, garnie de ses bois d'éparoir (22) et entourée d'allées pavées de trois mètres de large.

Cette cour est bordée à gauche, d'un grand bâtiment de 53 mètres de longueur, composé d'une écurie, une sellerie, une basse cour, quatre boutiques de seize métiers chacune. Au-dessus, sont le magasin aux fils blancs, la déviderie (23) et l'ourderie (24).

Derrière, s'étend un très grand jardin de 22 ares avec deux puits, l'un garni d'une pompe ; deux réservoirs en fonte à côté.

La dite cour est bordée à droite d'un corps de bâtiment de 70 mètres de longueur, composé de quatre boutiques de seize métiers chacune. Au-dessus, il y a deux chambres sans cheminée, un séchoir, le magasin aux chanvres et un petit magasin pour la brique et l'ardoise.

Ce bâtiment est précédé au midi de la grande filasserie, garnies de trente-deux sérans (25), avec greniers au-dessus. En prolongeant encore vers le midi, un petit bâtiment abrite la pilerie (26) garnie de douze piles et pilons.  Derrière, un jardin se prolonge sur un pré pour le blanchissage, avec deux puits, dont un avec bascule,le tout sur une surface de 18 ares 70 ca.

Au fond de la cour séchoir, il y a un bâtiment composé de deux lieux d'aisances et d'une amidonnerie avec fourneau et chaudière. A l'arrière, un jardin de 3 ares 25 centiares, est limité au nord par la douve d'enceinte.


Avec ce bel outil de travail, tout irait bien si Claude Baudard, dont le train de vie est énormément dispendieux, ne se retrouvait en faillite au début de  l'année de crise 1787, avec une dette évaluée à vingt-cinq millions de livres.

A ses dires, l’État l'a précipité dans la chute, en ne lui rendant jamais l'avance de neuf millions faite pour une affaire de la Compagnie commerciale du Nord. Claude Baudard suspend ses paiements le 2 février. Le roi étant son créancier, il se retrouve enfermé à la Bastille.

Claude Baudard décède le 5 juillet de la même année. Ses créanciers se forment en communauté le 26 juillet.

La discussion sur les biens de la succession est envoyée à la cour des Aides. Le passif est alors estimé à 19 812 402 livres.

Les enfants de Baudard étant tous mineurs, tous les biens meubles et immeubles seront mis en vente après inventaire. Il y a, entre autres, les trois maisons de Paris, dont une place Vendôme, et surtout sa propriété de Neuilly-sur-Seine que l'on appelle « la folie Saint-James ». 

La cour des Aides autorise, par arrêt du 27 janvier 1790, à faire publier la vente et adjudication des manufactures d'Angers et de Beaufort : « … bâtiments, cours, maisons et emplacements composant les manufactures établies à  Angers et à Beaufort, ainsi que les métiers, outils et ustensiles meubles et effets mobiliers, tant morts que vifs, toiles fabriquées, matières propres à la fabrication des dites toiles et généralement tout ce qui compose les dites manufactures et s'y trouvera le jour de la prise de possession ... ».

Les sommes dues aux créanciers sont encore à cette époque de 190 000 livres.

Le 21 juillet 1790, l'adjudication définitive est prononcée, sur la dernière enchère présentée par M° Jean-Pierre Delaval, pour le compte de la société Joubert-Bonnaire (27), Bouin et Giraud, négociants à Angers.

Il a bien été précisé que : « les meubles meublants qui garnissent la maison qu'occupe le sieur Morin à la manufacture d'Angers et qui lui appartiennent personnellement, ainsi que ceux qui appartiennent au sieur Desmarquais, directeur de la manufacture de Beaufort, ne seront point compris dans l'inventaire estimatif et que l'adjudicataire ne pourra rien prétendre. L'adjudicataire sera tenu de laisser au directeur de la manufacture de Beaufort et au sieur Morin […] pendant trois mois à compter du jour de l'adjudication, et sans loyer, la jouissance des logements qu'ils occupent avec facilité […] et prendre dans les jardins, des légumes et fruits pour la consommation de leurs ménages ».

Les bâtiments des deux manufacture sont payés 65 000 livres et l'ensemble des matériels et marchandises, 259 270 livres.


La manufacture change donc de propriétaire. Toutefois, Paul Desmarquais en reste le directeur. Il va avoir la lourde tâche de gérer la fabrique pendant toute la période révolutionnaire.

Il est vrai qu'il sera parfaitement soutenu par le nouveau propriétaire, Joseph Joubert-Bonnaire. Celui-ci est président du directoire du district d'Angers en 1790, membre du conseil des Cinq-Cents en avril 1797 et maire d'Angers en 1801.

La manufacture, devenue nationale, regroupe cent trente-six métiers en pleine activité, dans dix boutiques. Nous y ajoutons 30 métiers placés en extérieur chez des fabricants de toiles ordinaires, mais employés aux toiles à voiles sous contrôle de la manufacture. Chaque métier peut fabriquer deux pièces de 42 aunes par mois.

La période révolutionnaire, dans un contexte de guerre civile et d'invasion extérieure, va être difficile pour la direction de la manufacture devenue nationale. 

La manufacture dans la Révolution


Dès le début de 1790, les opérations de paiement du chanvre aux cultivateurs et des salaires aux ouvriers sont entravées par la rareté du numéraire. Joseph-Bonnaire en réclame au directoire du département, contre des assignats. Angers en reçoit mais pas Beaufort qui se voit refuser cet échange par le receveur du district de Baugé.

La municipalité de Beaufort voit alors sa manufacture en grand péril. Elle fait dresser un constat de la situation du personnel et des finances.

La manufacture occupe 120 tisserands, 30 filassiers, 15 dévideuses, 20 trémeurs (28) et 39 ouvriers divers, auxquels il faut ajouter 1200 fileuses, dans les paroisses proches. A ces chiffres, il faut ajouter les artisans appelés à l'entretien des installations.

La transmission du rapport le 11 janvier 1790 ne donne malheureusement lieu à aucune suite pratique.


Après la chute de la royauté en 1792, la patrie est jugée en grand danger et le 24 février 1793, la Convention décrète la levée d'une armée de 300 000 hommes « volontaires ». Le lendemain, Gaspard Monge, le mathématicien, un temps ministre de la marine, prévoyant l'isolement commercial du pays, lance un appel lyrique au peuple. Pour préserver les ressources en chanvre « qui donne des ailes aux vaisseaux », il invite à propager, dès le mois d'avril, la culture du chanvre. Encore faudra-t-il trouver des semences ?

Six mois plus tard, la Convention constatant l'échec du recrutement des volontaires, mêmes désignés par les communes,  décrète la réquisition de tous les célibataires et veufs sans enfants de 18 à 25 ans.C'est la première réquisition. Comme bien d'autres, des cultivateurs de chanvre et des ouvriers tisserands doivent rejoindre les forces armées.

La Convention comprend le danger pour les productions d'utilité nationale. Le 14 mai 1793, elle décrète que « les entrepreneurs, associés, commis, contre-maîtres et ouvriers des manufactures de toiles à voiles, des fonderies et manufactures d'armes destinées au service de la marine, sont dispensés de concourir à tous recrutements et tenus de continuer leurs travaux dans leurs ateliers respectifs ».


En cette période de dirigisme jacobin, la Société populaire de Beaufort (29), constituée en novembre 1793, va veiller à l' application locale rigoureuse de ces mesures, en privilégiant, semble-t-il, les besoins des armées. Elle demande à ses membres de dénoncer tous les réfractaires à la première réquisition, constatant que ceux-ci sont souvent employés à la manufacture.

Précisons, dès maintenant, que Paul Desmarquais, le directeur, contrairement à la majeure partie des notables de la commune, n'est pas membre de la dite Société. Il y est même considéré comme « suspect ».

La manufacture a déjà été critiquée au sujet de la salubrité : « on devrait également prendre considération l'abus que se permettaient les tisserands et agents de la manufacture qui chaque jour font couler leur lessive dans les douves de la ville et ruisseaux des rues ».


L'année 1794 va être très difficile dans tout le pays et dans la manufacture, les relations vont être tendues.

En janvier, les entrepreneurs de la manufacture doivent répondre à une commande de 212 091 aunes de toiles, à livrer avant le 12 septembre de l'année. Pour y répondre, il faudrait mettre en action près de deux cents métiers supplémentaires. Les mouvements sociaux et les difficultés d'approvisionnement de matières ne permettent pas de satisfaire aux objectifs.

Le directeur doit faire face aux continuelles désertions des ouvriers. Quand à cause de la disette, ceux-ci ne peuvent plus trouver de pain en ville, ils rentrent alors dans leur famille. Le 23 mars, le directoire du district de Baugé est requis, par Paris, de pourvoir à la subsistance des ouvriers.

Il faut aussi regarder la situation des jeunes qui n'ont ni père, ni mère, et ne peuvent donc compter sur un soutien familial. Paul Desmarquais dresse une liste de soixante dix-huit noms à l'adresse de la municipalité. On leur réservera une distribution.


Le 18 avril, pour répondre aux grands besoins de la marine, le comité de salut public décide la mise en réquisition des manufactures de toiles à voiles. Plus de deux cents ouvriers, tisserands et filassiers sont avisés personnellement, et dirigés sur la manufacture de Beaufort.

Le Comité de salut public ordonne d'autre part que ces ouvriers recevront la même ration de pain que les défenseurs de la patrie.

La commission du commerce et des approvisionnements écrit le 11 juin, à la municipalité de Beaufort pour qu'elle veille à retenir à leur poste ceux des employés requis qui seraient tentés de l'abandonner et rendre compte régulièrement des effectifs présents.

Justement, l'année suivante, la disette est pire encore. Les jeunes gens de la première réquisition, détachés à la manufacture, rentrent dans leurs foyers. Le directeur alerte de nouveau la municipalité en mars et avril. En juin, ils s'adressent aux représentants du peuple en mission près les armées des côtes de l'ouest et de Cherbourg.

Le directoire du département réagit énergiquement. Il fait adresser à tous les districts et départements voisins la liste des jeunes gens en réquisition à la manufacture, avec mission de recenser les contrevenants et leur demander de rejoindre leur poste, en utilisant au besoin la force armée. Les choses rentrent dans l'ordre mais, au mois de septembre, nouvelle désertion en masse. Les ouvriers n'ont plus reçu de pain depuis dix jours.

Le préposé à la distribution des vivres à Angers est mis en cause. Les distributions reprennent puis cessent à nouveau le 19 septembre. Nouvelle dispersion. Cette fois ci, le Directoire décide de se substituer à l'autorité militaire. Le district de Baugé est autorisé à faire verser sans délai, dans les magasins qu'indiquera la municipalité de Beaufort, la quantité de blé suffisante pour alimenter provisoirement l'atelier pendant l'espace d'un mois.

Le 27 septembre, Desmarquais compte cent quatre-vingt individus occupés à la manufacture et estime que lorsqu'il y aura du pain, il y en aura au moins deux cents.


Revenons en mars 1794 et aux relations entre Société populaire et entrepreneur de la manufacture.

Le 16, le débat s'installe sur le service aux armées et la qualification des ouvriers de la fabrique.

Des membres de la Société exposent que si la fabrication des toiles doit être encouragée, elle doit aussi être surveillée. Il n'est pas raisonnable que des gens non exercés puissent faire les toiles exigées par le gouvernement pour le service public. Deux citoyens sont désignés pour se transporter, dès le lendemain, à la manufacture, pour vérifier les contrats d'apprentissage des ouvriers présents sur les métiers.

Deux jours après, sur la foi du rapport présenté, la Société considère que le droit de réquisition accordé par les lois aux manufactures ne peut s'exercer que sur des gens de l'art, que d'un autre côté, les jeunes gens de la première réquisition, comme tout autre militaire, ne peuvent abandonner leur drapeau qu'après avoir obtenu congé du chef militaire et déposé aux magasins de la République leurs armes et équipement.

La Société prend aussitôt un arrêté en quatre points. Les dispositions principales sont les suivantes :

- Joubert-Bonnaire sera informé que plusieurs de ses ouvriers sont de la première réquisition et n'avaient jamais travaillé à la fabrication des toiles avant leur arrivée à la manufacture ;

- plusieurs de ces jeunes gens sont réclamés par leur chef et  n'ont point rendu leur équipement ;

- Joubert-Bonnaire est invité à ne faire délivrer un brevet du ministre qu'à ceux qui ont été jugés aptes à l'obtenir par une commission de quatre membres pris dans le sein de la Société ;

- la Société s'assurera du bon respect des vues du gouvernement.


L'entrepreneur ne tarde pas à réagir. Il le fait toutefois avec diplomatie.

En même temps qu'il se plaint aux administrateurs du district de Baugé des menaces que l'on fait aux ouvriers de la manufacture, il décide d'assister à la séance du 25 mars. Il reconnaît dans les sages mesures prises par la Société, l'envie de concourir au bien public. Si le citoyen Desmarquais est tombé en quelques erreurs, c'est à son insu, et il se fera un plaisir de se concerter avec la Société pour réprimer les abus qui pourraient se glisser par la suite dans son atelier.

Après cette introduction, Joubert- Bonnaire s'empresse de préciser que l'arrêté pris par la Société est impraticable au regard des ordres du ministère. Cela ralentirait les opérations.

Il lui est observé aussitôt qu'il n'a pas le droit de requérir des cultivateurs et autres qui n'ont jamais exercé le métier de tisserand. La manœuvre paraît suspecte ; c'est «  donner un asile aux lâches qui fuient devant les ennemis de la République ».

On lui fait aussi observer que si des jeunes gens, qui ne savent pas tisser la toile, se présentent chez lui, il va lui-même les offrir pour apprentis aux tisserands de cette commune.

En fin de séance, après d'amples discussions, la Société demande à Joubert-Bonnaire de déposer les titres justificatifs de ses pouvoirs au bureau du Directoire.


Joubert-Bonnaire profite de l'occasion pour suggérer fortement à la Société de demander aux tisserands de la ville de travailler pour la République. Il y a alors trois cents métiers dans la commune appartenant à des particuliers. Il demande de lui communiquer la liste de ceux qui promettent de le faire.

En séance du 8 avril 1794, il lui est répondu que tous les tisserands promettent de travailler pour la République et remplir facilement les vues de l'entrepreneur, pourvu qu'il fournisse du bois et des matières premières. Le problème est bien là.

En même temps qu'il doit faire face aux revendications des personnels, Paul Desmarquais rencontre beaucoup de difficultés pour ses approvisionnements. Nous y reviendrons.


Sur le plan social, à l'intérieur de la manufacture, les buandières sont décidées à se mettre en grève, entraînant d'autres ouvriers, l'augmentation du coût de la vie n'est plus supportable.

Le 29 novembre 1794, le comité de salut public, prenant acte de l'effet de la dévaluation continue des assignats, fixe les salaires à allouer aux ouvriers des manufactures d'Angers et de Beaufort.

Tisserands, buandiers, lavandières et dégardeuses (30) sont payés à la journée ou au mois ; pour les lavandières, c'est 30 sous par jour et les buandiers 50 livres par mois.

Les tisserands, filassiers, fileuses, dévideuses et ourdisseurs sont payés à la tâche ; un tisserand est payé 25 livres par pièce de toile en six fils.

Desmarquais augmente alors les salaires de moitié pour respecter la loi. Les buandières jugent cette augmentation insuffisante et, en juin, elles menacent d'arrêter le travail si on n'augmente pas le prix de journée. Le 12 juillet, elles insistent et, pénétrant dans la chambre du directeur, elles annoncent que s'il ne veut pas les payer quarante sous ou, au moins trente-cinq par jour, elles rentrent toutes chez elles.

Desmarquais s'en remet à la municipalité pour réprimer ces abus qui nuisent considérablement à la satisfaction des besoins urgents de la marine nationale.

Les menaces de grève continuent, relayées par des ouvriers. Le directeur envoie des listes de « grévistes » à la municipalité.

En août 1795, le Comité de salut public, comprenant que les augmentations accordées sont insuffisantes pour permettre aux ouvriers de vivre et nourrir leurs familles, accorde une augmentation d'un quart en sus du prix fixé par arrêté du représentant du peuple à Angers, le 27 mai 1795. Le texte prévoit de revenir chaque mois pour un ajustement éventuel, en fonction de l'évolution du prix des denrées.


Nous l'avons vu, Desmarquais a eu aussi à régler des grands problèmes avec les approvisionnements de matières.

Déjà, compte tenu de la situation militaire, il ne peut plus être importé de chanvre, en particulier de Russie. Il faut s'en tenir aux seules productions régionales, de Bourgueil à Angers.

Il y a surtout un grand problème avec l'approvisionnement en cendres pour faire lessiver les fils.

Le 10 mars 1794, répondant à la Commission des subsistances et approvisionnements de la République, les officiers municipaux exposent la situation, en matière de cendres.

Quand la manufacture pouvait fournir 150 000 aulnes de toiles, avec ses cent cinquante métiers, elle consommait environ 150 000 livres (31) de chanvre.

Les chanvres préparés et filés dans les paroisses des environs étaient lessivés dans une buanderie qui consommait environ 2400 boisseaux (32) de cendre par mois, pour une blancheur correcte des toiles à voiles.

La manufacture n'est pas la seule à consommer des cendres. La fabrique de toile à linge réunit deux ou trois cents tisserands, gros consommateurs. Les besoins de la salpêtrerie (33),  installée dans la cour de l'ancien couvent des hospitalières, s'y ajoutent encore.

Les boulangers qui fournissaient beaucoup de cendres ont réduit leur commerce, en raison de l'absence de grain. Leur production de cendres est maintenant réduite des trois-quarts. Le prix en a désormais doublé, voire triplé. Il faudrait alors se tourner vers les gens des campagnes. Mais, maintenant, ils économisent le bois et donc font moins de cendres.


Au mois d'août 1794, Joubert-Bonnaire tient le même discours, en matière d'approvisionnements, auprès du Comité de salut public qui juge sa fabrique de toiles à voiles d'Angers dans un état languissant.

Les ateliers de salpêtre et la disette de savon ont occasionné une grande consommation de cendres. Il est maintenant impossible d'en faire fournir la quantité suffisante, d'autant plus que le bois est devenu rare.

D'autre part, les besoins de la marine ont fait disparaître les chanvres avec rapidité.

Le Comité de salut public a pris des mesures pour tenter de régler ce problème d'approvisionnement de cendres.

L'administration du district de Baugé est tenue de faire livrer, chaque décade, 200 boisseaux de cendres aux entrepreneurs de la manufacture de toiles à voiles, à Angers comme à Beaufort, suivant une contribution répartie entre les communes.

Aux problèmes de cendre s'ajoutent ceux de l'orge pour l'amidon et du suif pour parer les fils, sans oublier le beurre pour tremper la soupe deux fois par jour, pour les ouvriers et ouvrières employés à l'entretien des métiers.


A la fin de l'année 1795, la situation se stabilise à la manufacture. Le recrutement du personnel est assuré, le ravitaillement convenable, les salaires ajustés et les approvisionnements régularisés [BOD].

Les états des matières existant dans les magasins, tenus par la direction, font apparaître au 21 septembre 1795 : 798 livres de chanvre, 27 074 livres de filasse de chanvre, 278 pièces de toiles à voiles, 5 pièces de toiles à draps d'ouvriers, 25 cordes de bois, 2500 fagots, 756 boisseaux de cendres, 200 livres de savon liquide, 2000 livres de sel, etc … 

Expansion et déclin de la manufacture


Les manufactures d'Angers et de Beaufort prospèrent et les entrepreneurs décident de faire des agrandissements. A Beaufort, le 19 avril 1796, ils acquièrent une grange et une partie de la cour et du jardin du prieuré qui voisine les terrains de la manufacture. Peu après, ils se déclarent acquéreurs du reste des bâtiments et jardins de ce prieuré, devenu bien national, en vue d'en faire la résidence du directeur. La manufacture représente maintenant un bel ensemble industriel. Voir image ci-dessous.

L'appropriation du prieuré va malheureusement ternir encore les relations entre la société Joubert-Bonnaire et la municipalité de Beaufort. En juillet 1797, celle-ci tente de faire annuler la promesse de vente et s'oppose à l'entrée en jouissance des locaux occupés par l'instituteur. La société réussira néanmoins à faire valoir son droit de propriété.

A la manufacture, des commandes de l'État se succèdent maintenant régulièrement.

Après l'interruption des fabriques d'Agen et de Strasbourg, la manufacture d'Angers et de Beaufort (34) a été mise dans le cas de fournir en 1799, au port de Toulon, une forte quantité de toiles pour la marine, sans doute 200 000 mètres.

Par traité avec la société, le gouvernement s'engage chaque année, à prendre une quantité de cet ordre.

Malheureusement, l'État commande mais paye mal, avec plusieurs trimestres de retard.

Pour les livraisons de 1799, il reste dû à la société plus de 250 000 francs.

L'année suivante, la commande est plus que doublée. La manufacture accroît son activité mais ainsi détient en stock près de 500 000 aunes de toiles. La situation se répète d'année en année.


A Angers, deux autres manufactures analogues s'établissent mais ne peuvent faire concurrence auprès de la marine.

En 1805, Bourdon de Vatry, préfet de Maine-et-Loire écrit : « les ateliers de toiles à voiles d'Angers et de Beaufort travaillent toujours avec succès. Mais ce commerce est en quelque sorte concentré dans une seule maison traitant directement avec le gouvernement, laquelle rend tributaire de son privilège les autres fabriques inférieures du même genre ».


L'année suivante, le 9 janvier, Paul Desmarquais, directeur emblématique de la manufacture de Beaufort, décède.

Son fils Bazile-Augustin (35) le remplace. Il est depuis une bonne dizaine d'année, un collaborateur de son père comme teneur de livres, voire substitut du directeur. Il n'a pas l'entière confiance de Joubert-Bonnaire et quitte la société en 1815, pour faire commerce de chanvre. Il sera malheureusement entraîné à la faillite en 1826.

Nous ne savons pas s'il a été remplacé à Beaufort. Il est probable que la direction de la manufacture fut alors directement assumée depuis Angers. Notons que Paul Desmarquais avait fait venir près de lui comme commis, le neveu de sa femme, Eloi Jourdain (36). En 1793, à l'âge de dix-huit ans, ce dernier est deuxième commis payeur et habite à la manufacture, comme Desmarquais et une trentaine d'autres employés.

Il y est peut-être resté quelques années, mais nous savons qu'en 1805, il est installé tisserand fabricant, dans une maison de l'actuelle rue de la Maladrerie.


Sous le premier empire, l'établissement de la société Joubert-Bonnaire jouit d'une grande réputation.

En 1810, la marine a acheté 350 000 mètres de toiles. Beaufort en a produit 180 000 mètres sur 300 métiers, avec 170 tisserands, cent quarante-cinq ouvriers divers et mille fileuses à l'extérieur.

La manufacture de Beaufort est au sommet de sa prospérité.

Mais c'est bientôt la fin de la période impériale. En raison des circonstances, le gouvernement fait entendre, au début 1814, au libéral Joubert-Bonnaire qu'il ne sera plus possible de lui passer des commandes. Il serait donc convenable de renvoyer les ouvriers. Ce qui fut fait.


Suite à une supplique adressée par les entrepreneurs, le comte de Tocqueville (37) fait le point, le 24 janvier 1815, au ministre de la Marine et des Colonies.

Il témoigne qu'aussitôt après la Restauration, la compagnie Joubert-Bonnaire s'est occupée de relever la manufacture. Compte tenu des demandes déjà reçues et qu'elle se flatte de recevoir encore, « elle espère ramener la manufacture au degré de prospérité qu'elle avait dans les temps plus heureux ».

Dans son rapport, le préfet ne parle qu'incidemment de la manufacture de Beaufort, devenue simple succursale et dont l'importance diminue sans cesse.

Le maire de Beaufort qui avait reçu directement un questionnaire à remplir, expose dans sa réponse du 11 janvier 1815 :

 - la manufacture de Beaufort occupe en totalité cent vingt-trois ouvriers sur soixante-quatre métiers, non compris trente chez des particuliers ; il y a quatre-vingt-dix-neuf métiers inoccupés près à battre et cent vingt à cent cinquante attendent en ville du travail ;

 - toutes les installations sont en parfait état d'entretien et prêtes à rendre l'activité qui conviendra lorsque les entrepreneurs verront la possibilité d'écouler les produits ;

 - il y a en magasin deux mille pièces de toiles formant 106 000 mètres et 60 à 70 000 livres de fil blanc lessivé et du chanvre en quantité suffisante pour en produire tout autant.


Joubert-Bonnaire a souhaité retrouver la qualification de manufacture royale. Il l'obtient.

Pourtant, il semble qu'il ne cherche pas à restaurer, pour la fabrication des toiles à voiles, l'importance que la manufacture avait au siècle précédent.

Une des bonnes raisons est que l'État a désormais introduit la pratique des adjudications pour attribuer ses commandes. La concurrence s'installe partout en France.

Devenu libre d'orienter ses affaires suivant ses intérêts, Joubert-Bonnaire privilégie le commerce de chanvre et de filasse et met au second rang la fabrication des toiles à voiles.

Il se plaint de plus des conséquences d'un traité passé entre le gouvernement et la centrale de détention de Fontevraud  pour la fabrication de toiles.


Ouverte le 3 août 1814, la centrale a confié à un entrepreneur général la gestion d'ateliers pour « ramener les détenus à l'amour du travail » [PET]. La centrale installe cent sept métiers à tisser le chanvre en 1817-1818 et  projette de porter ce nombre à deux cents.

Joubert-Bonnaire réagit et alerte le ministère, les administrations départementales, les députés, les municipalités. Il les inonde de notes. Il plaide que Fontevraud et son monopole enlève le marché des toiles pour l'Espagne sur la place même de Beaufort. Il prévient d'une possibilité de soulèvement de la classe ouvrière.

Guizot, alors directeur de l'administration communale et départementale, fait valoir au ministre que les réclamations des manufacturiers sont exagérées : deux cents métiers à Fontevraud ne peuvent réduire à la misère 200 000 ouvriers libres du textile dans le département.

Joubert-Bonnaire sollicite l'arbitrage du Conseil des manufactures, par lettre adressée le 14 octobre 1819. Il fait une relance le 17 novembre. Sa réclamation est définitivement rejetée le 6 avril 1820, avec l'assurance qu'il ne pourra y avoir plus de deux cents métiers à Fontevraud.


Notons que Fontevraud ne fabrique pas de toiles à voiles pour la marine à voiles. Beaufort souffre surtout, en l'espèce, de la concurrence de la manufacture d'Angers.

A Beaufort, Joubert-Bonnaire cherche à faire des économies. Le projet d'utiliser l'ancien prieuré pour loger un directeur n'est plus d'actualité. Comme la commune cherche un bâtiment pour installer le presbytère, Joubert-Bonnaire fait une proposition de rétrocession que le conseil municipal accepte le 1er juin 1822.

Le presbytère est acheté au prix de 18 000 francs, pour le principal, auquel la commune rajoute 4000 francs pour payer le nouveau mur de séparation que la société va construire, à la périphérie des terrains cédés.


Joseph Joubert-Bonnaire meurt le 6 juin 1822 et son fils Alexandre Joubert-Bonnaire lui succède à la tête de la manufacture d'Angers et Beaufort.

Après la révolution de juillet 1830, le gouvernement s'intéresse aux causes des souffrances nouvelles du commerce et lance en 1831, une enquête de diagnostic auprès des maires, via les sous-préfets.

Pour ce qui concerne le tissage, le nombre de métiers disponibles à Beaufort est tombé à cent vingt-cinq.

La production de chanvre a baissé de 20 à 25 %. Beaucoup d'ouvriers ont du s'expatrier, par suite du chômage.

L'année suivante, le sous-préfet réédite son enquête.

Dans cette époque de crise pour le textile, Il n'y a plus guère de place pour deux sites à la manufacture Joubert-Bonnaire.

Alexandre est devenu maire d'Angers en 1830. Il ne cache pas sa volonté de concentrer les efforts industriels sur sa ville, pour des raisons autant sociales qu'économiques, sinon politiques.

Il fait étudier un projet de vente de la manufacture  de Beaufort.


Le 25 avril 1833, il s'adresse au maire de Beaufort, François Régis Béritault, en lui demandant de bien vouloir soumettre aux prochaines délibérations du conseil municipal, l'acquisition, moyennant 60 000 francs, de la manufacture de Beaufort, vide de ses installations,Les métiers des manufactures ressemblent à ceux des artisans, mais plus forts. Le métier fait environ 9 à 10 pieds de long, par 4 de large, mesurés en dedans. Les pièces de bois du bâti font 4 pouces d'épaisseur par 8 pouces de large. Les soles sont constituées de pièces de 7 à 8 pouces, au carré [VIA]. « chaudières, pompes, bassins en plomb, bois d'éparoirs, pierres dures non employées, métiers, caves diverses, généralement tous nos ustensiles de lessivage et de fabrication ; également tous les meubles d'appartements et de bureaux, les marchandises de toute espèce ».

Le maire appose au bas de la lettre reçue, la mention « ajourné vu le défaut de ressources de la Ville ».

Le dossier n'est pas enterré, pour autant. Il revient sur la table du conseil municipal le 6 novembre 1835.

Le maire est alors autorisé à traiter l'acquisition des immeubles, pour les affecter à des établissements publics, sans dépasser le prix plafond de 50 000 francs.


Le 28 février 1836, Alexandre Joubert-Bonnaire, son épouse Rose Deville, dame Modeste Raimbault, veuve de Joseph Joubert-Bonnaire, se font représenter chez le notaire de Beaufort, François Régis Béritault, par Paul Prosper Desmarquais (38),  commis principal de la maison Joubert-Bonnaire et fils de Bazile-Augustin, cité ci-dessus.

Lequel Paul Prosper Desmarquais s'oblige à vendre à la commune de Beaufort, représentée par Louis François Rottier-Delamotte, premier adjoint au maire, qui l'accepte, la manufacture de Beaufort, consistant en logements et bâtiments, compris les chaudières, pompes, bassins en plomb, bois d'éparoir, matériaux de construction, seize métiers de tisserand garnissant une boutique avec tous les ustensiles nécessaires, enfin tout ce qui garnit la dite manufacture, à l'exception des marchandises, des meubles d'appartement et de bureau et du surplus des métiers et ustensiles de tisserand.

L' entrée en jouissance se fera dès la réalisation de la vente devant notaire, mais les vendeurs auront alors un délai de six mois pour enlever les meubles et autres objets réservés.

Le prix de vente est fixé à 50 000 francs, payable en huit années, les sommes restant dues portant intérêt au taux de cinq pour cent.

Le 8 mars, le juge de paix du canton procède à une enquête de « commodo et incommodo ».

Le 10 mai 1836, l'entrepreneur Jacques Riobé réalise, à la demande du maire, une estimation des immeubles.

Sans entrer dans les détails, les six corps de bâtiments et les jardins sont estimés au total à 61 000 francs.

Le dossier est transmis au conseil d'État qui le rejette, le 6 août 1836, comme « n'étant pas suffisamment explicite sur l'affectation des bâtiments concernés et l'intérêt pour la population ».

Joubert-Bonnaire écrit au Préfet pour défendre l'affaire. Le conseil municipal reprend son dossier le 8 octobre et justifie l'acquisition des bâtiments par l'établissement de deux écoles, d'une salle d'asile  et le percement d'une rue.

Cette fois, par ordonnance royale du 22 mai 1837, la commune de Beaufort est autorisée à acquérir les bâtiments et enclos composant la manufacture de toiles à voiles pour être affectés à des établissements publics.

L'acte d'acquisition définitive est signé le 6 décembre 1838.

Dès lors que la commune rachète avec les bâtiments, les équipements principaux et seize métiers, elle montre son intention de conserver une activité de manufacture de tissage à Beaufort, sans oublier complètement son projet de construction d'écoles.

Il reste à trouver des entrepreneurs. C'est apparemment déjà fait.

La commune achète et ... revend


Dès l'année 1834, une société avait été formée par Victor Bonnet-Grant, négociant à Clermont-Ferrand, avec siège social dans une partie des bâtiments de la manufacture pour y fabriquer des linges de table, ordinaires et damassés, pratiquer la vente et la commission de toiles, dites « quatre quarts » (39), et divers denrées du pays.

La société avait pris en location les locaux de Joubert-Bonnaire, encore propriétaire. La commune de Beaufort avait promis de reprendre le bail à son compte.

Quatre ans plus tard, au moment de la prise de possession par la commune, cette société n'est plus mentionnée, mais Bonnet-Grand apparaît comme le directeur pressenti d'une structure « d'associés solidaires » composée de Auguste Chérot, Thomas Dobrée, Fredérick de Koninck et Edouard Van Troyen de Rabanon.

C'est Auguste Chérot, un industriel filateur, polytechnicien et ingénieur des mines, qui a fait des propositions , examinées en conseil municipal, à Beaufort, en mai 1838.

Cet industriel a installé en 1837, à Nantes, 11 rue Menou, une filature de lin et chanvre et une manufacture de toiles à voiles. Il a le soutien financier de Thomas Dobrée et Frédérick de Koninck, deux amis, associés jusque là pour armer des navires qui pèchent la baleine.

Edouard Van Troyen de Rabanon est ingénieur, en particulier inventeur en 1823 d'un nouveau système de filature du chanvre.

Le but des associés est de reporter les fabrications de toiles à voiles qui se font à Nantes, vers la manufacture disponible à Beaufort


Ce projet ne peut que plaire à la municipalité. Un bail est signé par le maire le 22 décembre 1838, devant maître Leguay, notaire à Beaufort. Les affaires ont l'air d'être bien engagées.

Entre temps, Chérot a écrit à Van Troyen, qui a élu domicile à Beaufort, en ces termes : « Il faut terminer avec le maire notre location et le prier de mettre en mesure de nous livrer immédiatement les lieux. Il conviendrait d'y mettre immédiatement au travail les métiers, ce qui pourrait se faire en les attribuant de suite à des ouvriers, avec lesquels on conviendrait d'une rétribution un peu forte pour les mettre en état de bonne marche et auxquels on ferait immédiatement remettre des chaînes par M. Bonnet-Grand, en lui en dirigeant le lendemain d'Angers, prises à notre magasin.

Voir M. Bonnet pour se mettre de suite à l’œuvre, lui choisir un bon tisserand pour contre-maître.

Si nous avons les métiers de M. Joubert (40), donner rendez-vous au 10 ou 12 juin à tous les tisserands qui voudraient s'attacher à la manufacture ; on pourrait pour les attirer, soit attribuer une prime aux trente premiers, soit estimer largement les dépenses d'installation, soit augmenter le prix de façon, ce que nous saurions du reste rattraper en faisant les pièces de 52 aunes, au lieu de 50.

Voir ce qu'il y a à faire avec les petits maîtres. Acheter à Beaufort des métiers, s'il est possible, soit pour nous si ceux de M. Joubert nous manquent, soit pour Hillaire, au cas contraire.

Voir définitivement ce qu'André veut faire ; je pense qu'il vaudrait mieux mettre la filature dans les mains de M. Bonnet, cela serait moins onéreux et plus productif... ».


Mais, dès 1838, Dobrée, à la tête d'une immense fortune, décide de réorienter sa vie et de consacrer son argent à la recherche et au culte du passé. Dobrée et de Koninck liquident leur société commune et, en conséquence, mettent fin à leur association avec Chérot et Van Troyen.

Auguste Chérot engage un procès et tente de constituer une société par actions pour sauver la manufacture.

Il signe une convention avec Edouard Van Troyen le 30 janvier 1839. Il ne réussit malheureusement pas à créer cette société et ne verse pas un centime pour l'entretien de la manufacture. C'est Van Troyen qui y pourvoit, sur ces propres deniers.

Celui-ci finit par prévenir Chérot de son intention de liquider toutes les valeurs qui lui appartiennent à Beaufort. Il engage une procédure. Il y a alors cent cinquante ouvriers occupés à la manufacture.

Chérot est condamné, le 6 mai 1840, à fournir à Van Troyen tous les éléments et sommes nécessaires pour assurer l'entretien en activité de la manufacture royale de Beaufort, sur une échelle de soixante métiers battants pour toiles à voiles.


De son côté, la Ville de Beaufort, qui ne reçoit aucun loyer tente de faire saisir les marchandises. Chérot fait opposition. Une longue procédure s'engage.

Dès lors, Van Troyen semble diriger seul la manufacture de toiles de Beaufort, concurremment avec celle de Nantes.

Il s'adresse au maire  le 10 décembre 1840 pour l'informer que faute de réussite aux dernières adjudications, il ne pourra pas continuer à conserver les ouvriers. Il en appelle aux ministres qui pourraient passer des commandes directes de hamacs, sacs, toiles de tente, toiles de chemises, etc. pour un montant ne dépassant pas le plafond fixé par les textes.

Une commande de toiles à voiles arrive enfin pour livraison en février 1842. Chérot, s'attendant sans doute à ne pas en percevoir les bénéfices, lance une opération de saisie sur tous les effets mobiliers et marchandises garnissant la demeure, les magasins et ateliers de Van Troyen, en vue de les vendre le 9 février. Des erreurs sont commises dans la procédure par l'huissier Me Forest de Beaufort.

Pendant ce temps, les trois cent soixante employés de la manufacture, tant à la filature qu'au tissage, attendent avec une pénible impatience.

En mai 1842, Auguste Chérot est débouté de son opposition à saisie par la commune. Le maire poursuit alors la résiliation du bail qui lui a été accordé. Cette résiliation prend effet à la Saint-Jean 1843.

Aussitôt, Van Troyen est contacté pour savoir s'il veut reprendre l'affaire à son compte. La réponse est ambiguë.


La Ville, sans doute agacée, contacte alors Joubert-Bonnaire pour une reprise de location éventuelle. Ce dernier serait plutôt intéressé à remonter une activité d'une certaine importance à Beaufort, à condition de n'avoir aucune relation avec Van Troyen, qu'il soupçonne d'ailleurs d'avoir cédé la commande de 25 000 mètres de toiles à voiles à des manufactures du Finistère, commande obtenue grâce à l'intervention du maire en faveur des ouvriers de Beaufort.

C'est alors que la municipalité se croit autorisée à assortir le nouveau bail d'une clause obligeant le preneur à « entretenir en tous temps cinquante ouvriers tisseurs à peine de 10 000 francs de dommages ».

Joubert-Bonnaire ne peut évidemment accepter cette exigence et le fait savoir par une lettre particulièrement argumentée.


Le 29 janvier 1843, une ordonnance royale demande à la Ville d'établir sa position, comme propriétaire des bâtiments et étendages composant la manufacture royale de toiles à voiles, ainsi que celle de M. Edouard-Louis Van Troyen de Rabanon, manufacturier entrepreneur de la dite manufacture, y demeurant.

Une commission municipale adresse en conséquence le 4 août, au ministre de la Guerre, un rapport de notoriété complet, aux fins de faire classer la manufacture au nombre des établissements admis à fabriquer les fournitures de toiles nécessaires au service des hôpitaux, à celui de l'habillement du campement et du harnachement ; à celui des subsistances ; et enfin au service auxiliaire des lits militaires.

Le dossier contient un historique des propriétaires et locataires, tant pour les bâtiments que pour les équipements.

Il expose ensuite le potentiel offert par la manufacture : quarante métiers réunis en un seul établissement, avec possibilité d'en déplacer dix à l'extérieur, au domicile d'ouvriers, pour la plupart anciens  de la manufacture ; une population industrielle de la ville composée presque totalement de tisserands, dont environ cinquante pourraient être placés dans la manufacture si les besoins du service l'exigeait ; un territoire qui produit des meilleurs chanvres de France ; des produits de qualité supérieure habitués au service de la marine ; des fils employés fournis par les meilleurs filatures mécaniques et par trois cent quarante-six fileuses attachées à l'établissement qui leur fournit la filasse contre caution.

Le dossier comporte en annexe un état descriptif des bâtiments et équipements, dressé par Van Troyen.

Notons que Van Troyen précise que la fabrication des toiles à voiles  pour le service de la marine est la spécialité de la manufacture. Elle occupe cent vingt-huit métiers de 90 centimètres de large, pour un tissage d'environ 100 000 mètres par an. Trente deux autres métiers tissent des toiles de 120 à 150 centimètres de large. Il assure que la fabrication des toiles  propres au service de la guerre n'exige qu'une main d’œuvre en quantité moitié moindre que pour les toiles  voiles de la marine.

Nous ne savons pas quelle suite a été réservée à ce rapport.


La municipalité a proposé, dans le même temps, d'installer dans les locaux vacants, une annexe de la maison centrale de Fontevraud, pour de jeunes détenus. Le ministre de l'Intérieur refuse cette proposition.

La municipalité de Beaufort baisse alors les bras. Le 13 juillet 1845, le conseil municipal décide de vendre la manufacture, propriété devenue onéreuse pour la ville. D'autant plus que son état va nécessiter d'immense réparations.

On est surpris de constater que deux ans après le rapport de notoriété, le diagnostic sur l'état des lieux a autant changé.

Mal inspiré, après une nouvelle délibération, le conseil veut inscrire dans l'acte de vente l'obligation pour l'acquéreur de maintenir toujours la manufacture en maison de fabrique, à peine de dommages et intérêts.

Le sous-préfet approuve mais le préfet demande de modifier la dite clause. Le conseil persiste, arguant que la suppression de la manufacture apporterait désolation et misère dans la population du pays.

Le Conseil d'État renvoie le dossier et demande à la municipalité d'accepter les conditions ordinaires d'aliénation.


Au bout du compte, aucun acquéreur ne se présente et Van Troyen reste dans les lieux. La Ville lui avait consenti un bail jusqu'au 24 juin 1847, prorogé ensuite d'un an.

En 1846, l’État achetait encore 50 000 mètres de toiles.

D'après les statistiques publiées par le ministère du Commerce et de l'Industrie, on note pour l'année 1847 :

- valeur de la matière première : 75 000 francs ;

- valeur des produits fabriqués : 250 000 francs ;

- nombre d'ouvriers : soixante-dix hommes, cent cinquante femmes.

Au terme de son bail, Van Troyen est autorisé à rester dans les lieux, sauf les bâtiments le long de la rue. On envisage d'accueillir ici la nouvelle caserne des gendarmes à cheval. Le projet n'aboutira pas.

Van Troyen continue d'y croire. La municipalité un peu moins. Elle doute même des retombées pour les ouvriers de Beaufort, des quelques commandes gagnées par Van Troyen, celui-ci faisant travailler concurremment des ouvriers d'autres pays.


Le 2 août 1852, le maire, Alphonse du Bost de Gargilesse, expose au conseil municipal : « Depuis l'époque où la Ville a fait l'acquisition de cet immeuble, le 6 décembre 1838, il n'a pas été possible, malgré les efforts de l'administration, d'y fixer d'une manière stable aucun manufacturier, aucun commerçant ou négociant. Quelques années ont produit de modiques loyers comparés au prix d'achat, beaucoup d'autres n'ont rien produit. Or aujourd'hui l'immeuble n'est qu'une charge pour la ville, il n'est pas loué, parce qu'il n'a pas pu l'être ; cependant, les bâtiments qui ne sont point occupés tombent bientôt en ruines, c'est une propriété comme abandonnée, qui désormais doit faire l'objet de toute l'attention de l'administration… » .

Sur proposition du maire, le conseil municipal lui demande de faire toutes démarches nécessaires pour vendre la manufacture.


Van Troyen croit encore à son avenir à Beaufort. Sommé une nouvelle fois de déguerpir, il écrit au maire, le 11 décembre 1852. Il s'engage à faire tous ses efforts pour conserver à la Ville sa position de ville manufacturière de toiles, et au surplus d'informer l'administration de Beaufort et immédiatement, du lot qui lui serait adjugé ou échu.

Le marché des toiles à voiles existe encore. A la fin de 1853, la France consomme 3 854 000 mètres de toiles pour la marine marchande et 1 600 000 mètres pour la marine impériale [FER]. Mais, nous l'avons vu, la concurrence étrangère décourage les ateliers français qui abandonnent, petit à petit, les fabrications qui se rattachent à la construction ou l'entretien des navires.

Van Troyen reste présent dans les lieux jusqu'en 1854.

La commune qui ne voit arriver aucune proposition d'acquisition loue, à l'année, les locaux  à plusieurs entrepreneurs, à titre d'entrepôts. Le 30 mars 1854, elle signe même un bail « trois, six, neuf » avec une société de Rennes qui exerce le commerce de chanvres. Le bail est résilié à la première échéance de trois ans.


La décision est prise de mettre définitivement la manufacture en vente. Joseph Chudeau, notaire à Beaufort, est chargé de constater la superficie, d'en dresser le plan et d'en établir l'estimation. Il rend son procès-verbal le 26 mars 1859.

Le périmètre initial de la manufacture a été modifié en 1841. Le bâtiment à gauche de l'entrée a été démoli et à cet emplacement l'école communale de garçons a été construite. La surface actuelle est de 76 ares 70 centiares.

Pour agrandir la dite école, l'administration souhaite réserver, sur cette surface, une portion de bâtiment, cour et jardin, si bien que la propriété à vendre à une surface de 63 ares 64 centiares.

Compte tenu de l'état de délabrement de la plupart des bâtiments, l'ensemble est estimé à 20 000 francs.

Le maire approuve ce procès-verbal le 31 mars 1859.

Le préfet autorise l'aliénation le 6 août 1859 et le cahier des charges de l'adjudication est rédigé le 18 octobre 1859. Après approbation préfectorale, la publicité est lancée. Aucun enchérisseur ne se présente.

Le conseil municipal du 26 mars décide de reprendre la mise aux enchères, en ramenant la mise à prix à 16 000 francs. Le préfet approuve le 13 avril 1861. Même résultat.

Le 5 juin, le conseil municipal constate l'urgence de se défaire des vieux bâtiments qui se détériorent de plus en plus. Le prix ne peut toutefois être encore baissé. Le conseil donne alors pleins pouvoirs pour traiter à l'amiable ou autrement, pourvu qu'il obtienne le prix fixé précédemment, plus cent francs.

Cette délibération est approuvée par le préfet le 5 novembre. Le maire avait-il déjà eu un contact ?


Toujours est-il que le 21 mai 1862, se présentent à la mairie, devant le notaire Chudeau, Pierre Gallais, propriétaire à Moulhierne, accompagné de sa femme Félicité Devillers, d'une part ; Louis Ferrand, curé de la paroisse, d'autre part.

Ces derniers déclarent vouloir acquérir chacun la moitié de l'ancienne manufacture, dans les conditions du cahier des charges de l'adjudication, complétées du règlement particulier de partage. Le prix de vente est arrêté à 16 100 francs, bien conforme à l'autorisation donnée par le conseil

La prise de possession est fixée au 1er juillet suivant, le préfet approuvant la dite vente le 3 juin.

La manufacture de toiles à voiles, royale, puis nationale, puis impériale ferme définitivement ses portes. Une friche industrielle a finalement trouvé preneur.


Depuis vingt ans, la marine de guerre se tourne progressivement vers la vapeur, pour l'instant avec des roues, et bientôt avec l'hélice. Les ateliers de tissage français abandonnent les fabrications qui se rattachent à la constructions des navires.

De son côté,le commerce des autres toiles de chanvre a aussi perdu de sa notoriété. Les marchands reviennent souvent des nouvelles halles avec leurs toiles invendues.

C'est la fin d'une industrie et la classe ouvrière du textile est devenue en ce milieu du XIXe siècle, la partie la plus  misérable de la population de Beaufort [COL].

Malgré tout, l'ancienne manufacture a vécu un tournant heureux. Plus de la moitié des terrains seront désormais occupés par des constructions consacrées aux actions éducatives, d'initiative publique ou privée.

Nous ne développerons pas ce sujet ici ; peut-être dans une autre fiche à venir. Depuis, les écoles ont aussi déménagé.


Des restes des fabriques aux cent cinquante métiers et quelques discrets pans de murs peuvent encore témoigner de cette grande industrie du XVIIIe siècle, à Beaufort. Voir image ci-dessous.

Faudrait-il, aujourd'hui,  permettre aux lieux d'afficher un peu de leur passé ? 

Notes


(1) le rouissage est la macération en eau, courante ou non, des plantes pour éliminer la pectose qui soude les fibres entre elles,

(2) le tillage ou teillage est un battage manuel ou mécanique pour séparer les parties ligneuses de la fibre proprement dite

(3) la chènevotte est la partie ligneuse du chanvre, utilisée pour la production de cellulose

(4) maillochées, c'est-à-dire frappées à la mailloche, gros maillet de bois

(5) peigner les fibres pour séparer les éléments longs des plus courts qui enchevêtrés, constitue la bourre ou étoupe

(6) filer c'est transformer en fil continu les fibres textiles

(7) le blanchiment est l'ensemble d'opérations dont le but est de décolorer les fibres textiles qui à l'état brut ont une teinte crème ou grisâtre

(8) Saint-Sévère de Ravenne est mort vers 389. D'origine modeste tisserand, il est souvent représenté une navette à la main

(9) Jacques Denais fils est l'arrière grand-père de Joseph Denais, créateur du musée de Beaufort-en-vallée

(10) mesurage; l'aune est l'ancienne mesure utilisée pour les tissus : une aune = quatre pieds = 1,143 mètres

(11) le brin est le fil le plus épuré

(12) le reparon est une qualité grossière de fil

(13) frappée ou serrée par l'action du battant qui porte le peigne

(14) M. de Séchelles (1690-1760) est contrôleur général des Finances entre 1754 et 1756

(15) la guerre de Sept ans (1756-1763) opposa entre-eux la plupart des pays d'Europe

(16) l'admoniateur ou amodiateur est un officier chargé d'affermer les terres d'un domaine

(17) le subrécargue est le responsable de la cargaison sur un vaisseau de commerce

(18) les noyales sont des toiles de chanvre écrues très résistantes, fabriquées autrefois à Noyal-sur-Vilaine

(19 ) Claude Baudard de Sainte-James ou Sainte-Gemmes, près d'Angers

(20) Morin va diriger la manufacture d'Angers

(21) l'éparoir est un étendoir pour le séchage des fils ou tissus blanchis

(22) les mortiers étaient des cuves en pierre ou ciment, encastrées dans le sol de la buanderie , pour tremper les fils ou tissus à blanchir

(23) la déviderie est l'atelier où le fil est mis en écheveau ou pelote

(24) l'ourderie est l'atelier où les pelotes de fils de chaîne sont dévidées parallèlement sur l'ensouple et sous une même tension

(25) les sérants sont les peignes utilisés pour carder la filasse

(26) la pilerie est l'atelier où les fibres de chanvre sont une seconde fois battues pour séparer celles qui se sont réunies en séchant

(27) Joseph Joubert-Bonnaire né Joubert en 1756 est le gendre de François Bonnaire ; après son mariage avec Françoise Bonnaire, en 1777, il prend le nom de Joubert-Bonnaire

(28) les trémeurs sont probablement des tisserands ; nom employé en Bretagne

(29) la Société populaire de Beaufort est une filiale, créée le 23 novembre 1793, du club des Jacobins ; les clubs révolutionnaires sont supprimés par la Convention le 23 août 1795

(30) les dégardeuses classent les fils avant blanchiment

(31) la livre comme unité de poids vaut près d'un demi kilogramme (0,4895)

(32) un boisseau vaut 11,25 kg

(33) la salpêtrerie prépare le salpêtre utilisé dans la fabrication de la poudre à canon ; il y avait plusieurs ateliers à Beaufort, dont un à l'hôtel-Dieu, après la dispersion des religieuses, de 1794 à 1796

(34) les manufactures d'Angers et de Beaufort forment une seule unité de fabrication pour Joubert-Bonnaire ; ce nom continuera d'être utilisé même après la vente de Beaufort

(35) Basile-Augustin Desmarquais (1772-1827) épouse Jeanne-Marie Hautreux le 11 avril 1795, à Beaufort

(36) Eloi Jourdain (1775-1842) épouse Anne Hautreux le 23 février 1797 ; son fils Eloy, alias Charles Sainte-Foi est écrivain philosophe

(37) le comte de Tocqueville (1774-1856) est préfet de Maine-et-Loire en 1814-1815

(38) Paul-Prosper Desmarquais (1818-1878) épouse Pauline Mesnard le 17 décembre 1817, à Beaufort

(39) quatre quarts équivaut à une aune de large

(40) Joubert-Bonnaire avait conservé quelques métiers en action, dans la manufacture de Beaufort, après la vente à la commune

Références

Bibliographie


[BOD]  BODET, Joseph, « La manufacture de toiles à voiles de Beaufort », 1953

[BOI] L'ESPINASSE, René de, BONNARDO, François, Le livre des métiers d'Étienne Boileau, réédition 1879, Gallica

[BROS] BROSSARD, Isabelle, « Technologie des textiles », Dunod, 2ème édition, 1999

[BROU] BROUARD, Emmanuel, pour l'association 4A, « Essor et déclin de la culture du chanvre en Anjou (XVIIIe – début du XXe siècle) » Archives d'Anjou n° 14, 2010

[COL] Collectif, « Beaufort-en-vallée en 1850 », les élèves du collège, 1990

[DAU] DAUPHIN, Victor, « Recherche pour servir à l'industrie textile en Anjou : les manufactures de toiles à voiles d'Angers et de Beaufort (1748-1900), Grassin,1913

[DEN] DENAIS, Joseph, "Monographie de Notre-Dame de Beaufort-en-Vallée", 1874

[DID] DIDEROT et DALEMBERT, « Encyclopédie méthodique- Manufactures et Arts », tome second, librairie Panckoucke, 1784

[DIO] DION, Roger, « Le Val de Loire, Étude de géographie régionale », Arrault et Cie, 1933

[FER] FERAY, DESPORTES, JOUBERT-BONNAIRE, « Notes pour le Conseil d'État-Culture du chanvre et du lin, filature, toiles à voiles, cordages, construction navale », 1885

[FRA] FRAYSSE, J. et C., « Les troglodytes en Anjou à travers les âges »,Imprimerie Farre, 1962

[LEN] LENEL, F. et POTIRON, S., « Historique des manufactures et usines de la Société anonyme des filatures, corderies et tissages d'Angers 1750-1920 », Éditions de l'Ouest;1920

[MAI] MAILLARD, Jacques, « L'Ancien Régime et la Révolution en Anjou », Picard, 2011

[PET] PETIT, Jacques-Guy, « Les débuts de la manufacture carcérale de Fontevraud (1753-1845), Annales de Bretagne et des pays de l'ouest, 1990

[OZA] OZANAM, Denise, « Claude Bodard de Sainte-James, trésorier général de la Marine et brasseur d'affaires » (1738-1787), publié avec le concours du CNRS, 1970

[VIA] VIAL-DUCLAIBOIS, Honoré-Sébastien, « Dictionnaire encyclopédique de marine », tome II, Panckoucke, 1793


Sites Internet,


Les articles publiés sur Internet sont de plus en plus nombreux. Certaines des références bibliographiques indiquées ci-dessus peuvent ainsi être consultées.


Entretiens


Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec :

- Sylvain Bertoldi, archives municipales d'Angers

- Marc du Pouget, archives départementales de l'Indre

- Sibel Soyer, Mairie de Saint-Prix

- Dominique Sauvegrain, documentaliste des musées d'Angers

- Michèle Taillandier, association pour le dictionnaire des familles de l'Anjou

- Sandra Varron, archives départementales de Maine-et-Loire

- Sophie Weygand, conservation départementale des musées de Maine-et-Loire


et encore,

- Claude Bernard, Georges Cadieu, Albert Carré

sans oublier,

- les guides du musée du textile à Cholet


Nous les remercions, spécialement pour les documents communiqués .

 

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Date de mise à jour:  14 mars 2013             Jean-Marie Schio