Place Jeanne-de-Laval

LA PLACE, CENTRE HISTORIQUE

Déroulant ses pavés au pied de l’église Notre-Dame, suivant un plan quasi-rectangulaire, couvrant environ un demi hectare, la place est un quasi point de rencontre de deux axes de communication importants.

Le premier, ouest-est, relie Angers à Bourgueil, puis Tours. Il est historique et date de l’époque gallo-romaine.
Relégué à un second rôle, après l’achèvement de la route sur la levée en 1732, il reprendra de l’intérêt, à partir du XIXe, car la levée encombrée est réputée dangereuse.

La route départementale n° 4, dont le projet a été approuvé en 1820, modernisera le tracé entre Les Ponts-de-Cé et Longué. Une plaque de fonte, scellée sur la façade d’une maison du quartier du moulin, nous rappelle, aujourd’hui, cet itinéraire.

Le second axe, nord-sud,  relie La Flèche et Baugé à la Loire. La route est établie sur une turcie (1) pavée, entre la Loire (à Saint-Maur) et Beaufort.
Au nord, elle ne deviendra véritablement utilisable, qu’après établissement vers 1830, d’un nouveau tracé, par Bois-Maudet et Cuon.
Ce sera la route départementale n° 7. La route directe précédente était devenu impraticable (2).

Une plaque de fonte conservée au bas de la rue d’Alsace décrit cet itinéraire d’accès à la Loire. A partir de 1849, c’est aussi l’accès à la ligne de chemin de fer qui emmène vers Paris.

La place communique avec ces deux axes par des rues étroites. Elle reste ainsi à l’écart de la circulation traversant la ville. C’est une position particulièrement favorable .

C’est le lieu idéal pour un grand marché qui a lieu le mercredi, dès avant 1322 . En 1545, François Ier le cite comme «  ung des plus beaux fameux de ce royaulme ».

Des halles en bois, couvertes en ardoises, sont construites, sur la partie sud. Elles disparaîtront en 1838, pour de nouvelles constructions, élevées tout près, à l’emplacement de l’ancien grenier à sel. 

TYPOLOGIE DES CONSTRUCTIONS

Grâce à la géométrie de la place, tous les immeubles peuvent être embrassés d’un seul regard ( ou plutôt de deux ).
Une bonne partie des styles constructifs présents à Beaufort sont exposés là.

Sur le bas de la place, de part et d’autre de la rue Bertin, sur des parcelles étroites caractéristiques de l’époque médiévale, les immeubles les plus modestes accueillaient les  échoppes des petits commerçants.
S’il subsiste apparemment quelques éléments d’ossature bois, les façades sont aujourd’hui en maçonnerie de tuffeaux appareillés. L’une d’elle s’est offert le plaisir de présenter pignon sur rue, peut-être pour s’harmoniser avec la forme de la croupe de sa voisine de l’angle. Les autres toitures sont à gouttière  sur rue, avec brisure de comble ou non.

En remontant vers l’église, côté nord, les parcelles plus larges permettent des façades plus importantes. L’ordonnancement des ouvertures est soigné. La majorité des toitures est à croupes ou à la Mansart. Le trottoir est au soleil, toute l’année. Les vitrines y sont favorisées.

En face, en commençant par un ancien hôtel, les immeubles sont, à l’origine, majoritairement résidentiels. En 1825, il n’y a que cinq propriétaires différents. Il faut se souvenir que, jusqu’en 1838, des halles masquaient les trois-quarts de ce côté.
Les immeubles habités anciennement par la bourgeoisie locale ont, dans leur majorité, été peu remaniés. Les façades alternent tuffeaux appareillés et moellons enduits, fort heureusement conservés assez près de la tradition.

Est-il besoin, pour continuer ce tour de place, de rappeler que les halles actuelles ont été construites, en s’inspirant du style des palais florentins mais en utilisant le matériau local, le tuffeau.
Comme se plaisait à dire, en résumant, Henri Henguehard : «  l’harmonie n’est pas dans les styles, mais dans les matériaux » [ENG].

Levons la tête un peu plus et nous découvrons le ballet des lucarnes.
Au début du siècle dernier, tous les immeubles en possédaient chacun, une ou deux.

Les lucarnes, comme leur nom l’indique, sont fonctionnellement destinées à apporter de la lumière dans les combles sous toiture, qu’ils soient habités ou non.
Elles sont adaptées aux combles à forte pente, ce qui est le cas des toits en ardoises de nos régions, en tous cas, les anciens.

Les différents types de lucarne sont  visibles sur les immeubles de la place. Hormis deux exemplaires en bois, à capucine, en bas de la place, elles sont montées en tuffeaux taillés, dans le prolongement de la façade. Le sommet présente un fronton triangulaire ou un linteau arqué.

Du point de vue esthétique, la lucarne devient un élément de la composition de la façade et leurs  nombre et disposition sont en accord avec les autres ouvertures.
La lucarne est souvent considérée comme «  la cerise sur le gâteau ». Le propriétaire-constructeur y affiche son statut et le maçon son savoir faire.

Il paraît qu’il était d’usage de ne pas prévoir les lucarnes dans les devis.
Si le propriétaire payait comptant, sans discuter le prix demandé, le maçon offrait la ou les lucarnes. Ainsi un propriétaire aisé se reconnaissait à la présence de lucarnes et à leur décor.
Il faut dire qu’une lucarne en pierre et sa toiture en ardoises, coûtent cher ; bien plus qu’un simple châssis à tabatière qui, dans certains cas, rend un service identique, en matière d’éclairement.

Réciproquement, lors d’une réfection entière de toiture, il n’est pas rare de voir des lucarnes disparaître. Clairement, le propriétaire a trouvé le moyen de faire une économie.

Cela est flagrant sur la place. Plusieurs lucarnes ont disparu. Certaines ruptures de corniches l’attestent de manière trop visible.

Vue des façades et toitures Est

Vue des façades et toitures Nord-Est

Vue de façades et toitures Nord

L'ÉGLISE NOTRE-DAME

A l’emplacement d’une ancienne chapelle desservant le château, la tradition rapporte que Jeanne de Laval a fait construire, à la fin du XVe siècle,  la première véritable église paroissiale de Beaufort [DEN]. Coté place, à gauche du cœur, est l’oratoire de la reine Jeanne.

Cette première construction s’avére vite de dimensions insuffisantes et dans les cinquante ans qui suivent, les habitants font construire, à l’initiative de Honorat de Savoie, comte de Beaufort, une nouvelle nef et un nouveau clocher attribué à l’architecte Jean de Lépine.

En 1635, il est question d’agrandir l’église, en bâtissant, à côté, une chapelle dédiée à louis XIII. Celui-ci a attribué, pour cela, une partie des démolitions du vieux château ruiné. Il n’y a aucun début d’exécution.

De guerres de religion en Révolution, l’église reste dans son périmètre. Elle est tour à tour saccagée, réparée, améliorée, transformée, vidée, abandonnée et restaurée.

En 1853, à l’initiative de l’abbé Ferrand, curé de Beaufort, trois projets successifs sont présentés et n’ont pas de suite. Notons qu’au bout de ces projets, il est prévu d’ouvrir la porte principale de l’église côté place Jeanne de Laval, en inversant le sens de la croix latine.
En 1867, l’abbé Le Boucher (3), nouveau curé, vint annoncer au conseil de fabrique (4) que grâce à la munificence de la famille Jousbert du Landreau (5), il pouvait verser une somme de 30 000 francs pour l’agrandissement de Notre-Dame. La situation ne se débloqua pas immédiatement.

La commune réclamait une garantie de 80 000 francs. Celle-ci fut couverte par un emprunt contracté par la fabrique, après autorisation de l’évêché.

Les travaux commencés en 1869 sous la direction de l’architecte Auguste Beignet (6), ont, en particulier, modifié complètement le chevet attenant à la place, par la création de chapelles rayonnantes reliées au cœur, à l’extérieur, par un bouquet d’arcs-boutants et de pinacles.
Avec la reconstruction du transept de gauche, opposé au clocher, il ne restait plus de place pour la chapelle de la reine. Elle s’effaça.

Vue de la place, pour les Beaufortais, l’église Notre-Dame a pris, depuis la fin des travaux en 1886, des allures de petite cathédrale gothique .

L'HÔTEL DE LA SÉNÉCHAUSSÉE


A l’angle de la place, côté rue Dodin, un immeuble est réputé avoir été la résidence de sénéchaux [DEN]. L’image ci-dessous donne une représentation possible de cet hôtel, à la fin du XVIIIe siècle.

La sénéchaussée de Beaufort  est créée en 1480, par Jeanne de Laval. Elle est supprimée en 1788.

La sénéchaussée, dans l’ancien régime, est une circonscription judiciaire et administrative.
Le sénéchal représente  le roi, au niveau local. Il reçoit et diffuse ses actes et ses ordres. Il a la charge de réunir le ban et l’arrière ban (l’ensemble des possesseurs de fiefs), pour lever le contingent militaire. Il préside le tribunal de la sénéchaussée.

Ce tribunal constitue le premier degré de la justice royale. Il juge en première instance des affaires civiles et criminelles. Il peut recevoir des appels émanant des seigneuries ou des prévôtés.
Les décisions du tribunal de la sénéchaussée peuvent être portées en appel, directement au parlement de Paris.

A partir de 1542, avec la mise en place des intendants généraux, le pouvoir du sénéchal s’amenuise. Son rôle devient bientôt honorifique et les attributions judiciaires sont conférées à un lieutenant général qui est propriétaire de son office.
Les enregistrements et les audiences ont lieu, à quelques pas de là, au palais royal, au premier étage des halles.
Le palais royal est utilisé également pour les réunions des habitants de la ville.

Dans l’attente de jugement, les délinquants sont enfermés dans la prison du château, gardée par un concierge. Cette prison n’est qu’un lieu de passage [VER].  Après jugement, on est libéré ou envoyé au bagne ou supplicié.

Au XVIIIe siècle, la sénéchaussée de Beaufort couvre les communes actuelles de la Daguenière, la Bohalle, Mazé, Saint-Mathurin, la Ménitré, Beaufort, le Thoureil, Saint Philbert du peuple, Longué, les Rosiers, Saint Clément des levées et partie de Corné. Elle compte 16400 âmes en 1720. C’était la plus petite de l’Anjou.

Le personnel du tribunal regroupe les lieutenants généraux et particuliers, des avocats et procureurs du roi, des conseillers, greffiers, commissaires, sergents ou huissiers.
Ils constituent la classe la  plus instruite et la plus aisée de la ville. Ces notables cantonaux ont assez souvent traversé discrètement la Révolution et l’Empire, en continuant d’exercer les mêmes fonctions aux dénominations nouvelles [GOU].

Restitution de l'hôtel dit de la sénéchaussée

LA COLONNE-FONTAINE


Au début du XIXe siècle, les puits artésiens sont à la mode. Leur intérêt est, en principe, d’offrir de l’eau sous pression, à la surface, sans avoir besoin de la puiser. Encore fallait-il trouver cette eau.

Un ingénieur optimiste dirige des travaux dans ce sens.

Le centre de la place d’arme est, bien évidemment choisi.

Commencés le 1er mai 1836, les travaux sont arrêtés deux ans plus tard, à la profondeur de 143 m. Le rocher schisteux, abord du socle  armoricain, est atteint, mais point d’eau sous pression.

On se contente alors d’une simple fontaine, et il vient alors à la pensée de tous qu’elle serait ornée de la statue de Jeanne, la bienfaitrice de la vallée. Le conseil municipal décide, le 2 juillet 1840, qu’il en sera ainsi.


La construction d’une colonne-fontaine, comme Napoléon en fit construire à Paris, trente ans plus tôt, est confiée à l’architecte angevin Launay-Piau. Sur un soubassement revêtu de marbre blanc, il élève une colonne haute de douze mètres, d’ordre corinthien. L’exécution de la statue est confiée à Alexandre Evariste Fragonard (7).

Elle a une hauteur de deux mètres et elle est coulée en bronze. Sont également en bronze,  les bouches de la fontaine, en forme de serpent et les deux médaillons fixés sur le soubassement de la colonne. L’un deux représente les portraits du roi René et de Jeanne de Laval, face à face.


Pourquoi une colonne de douze mètres obligeant à lever les yeux au ciel pour voir la statue ?   Une telle colonne est mieux placée dans la perspective d’une longue avenue. 


La colonne est inaugurée le 22 mai 1842. Godard-Faultrier [GOD ] rapporte :  A cette occasion, le ciel, la vallée et sa population avaient un air de fête qui mettait tout en joie. La place avait peine à contenir la foule qui émaillait de ses  plus beaux costumes les étages et les toits. Le canon tonne, les cloches lui répondent et dominent les bruits de la multitude, qui fait silence lorsqu’au pied de la colonne paraissent les croix de processions, le clergé du pays magnifiquement  chappé, les autorités, la garde nationale et les représentants des différentes industries.  Ensuite, les orateurs se succèdent : le curé Joubert ; le maire Béritault et  le Préfet Bellon.

Des inscriptions sur le marbre du soubassement commémorent cet événement. Les noms de tous les membres du conseil municipal y figurent.

Après les cérémonies, un banquet de 500 couverts est offert, sous le mail, à la population Beaufortaise. Le banquet est agrémenté par les chants du coeur des élèves de l'école mutuelle, accompagné par la musique de la garde nationale.


C’est ainsi que la place Jeanne de Laval a trouvé son nom officiel, dans les années 1870, quand il fut décidé de poser sur les façades des plaques de rue en fonte, sur l’ensemble de la ville (voir encadré).


La colonne-fontaine a été, depuis, quelque peu déshabillée.

A commencer par la statue de bronze, qui en  1942, est déposée et emmenée par l’armée d’occupation. En 1950, elle est remplacée par   une simple réplique en pierre. 

POURQUOI DES NOMS DE RUES ?

Donner un nom à une rue est une pratique qui remonte à l’origine des cités. Le nom répond d’abord à une logique fonctionnelle. C’est d’abord un repérage dans l’espace, utile à la vie sociale.
Jusqu’au XVIIe siècle, la rue ou la place porte le nom du lieu qu’elle dessert, de l’activité ou de l’édifice qui l’occupe, voire d’une personnalité qui y réside.

Bien souvent, ce sont les habitants, eux-mêmes, qui donnent un nom. Il peut varier. Devant une évidente incertitude, les notaires et arpenteurs prennent soin, dans les actes, de noter les tenants et aboutissants, au couchant, au levant ou au midi.
Par la suite, jusqu’au XIXe siècle, les noms prennent progressivement une marque symbolique. Les grands personnages et évènements civils et religieux s’affichent. Certains s’en vont  à la Révolution, quand ils rappellent la monarchie ou la religion. Ils, ou d’autres, reviennent sous l’empire. Le lien entre nom du lieu et usage du lieu se distend.

A partir du début du XXe siècle, c’est l’éclectisme. Au marquage précédent, s’ajoute des références aux régions, à la nature, à l’univers et autres sujets sans aucun lien avec le lieu.
Ce sont les conseils municipaux qui nomment officiellement les rues et places.

L’installation de plaques et le numérotage des  rues commence à Paris en 1768.
A Beaufort, la décision d’implanter des plaques de nom de rue intervient le 10 novembre 1872. Elles seront en fonte. Pour accompagner cette décision, le conseil fixe de nouveaux noms de rue, le 15 février 1873.
Dès lors, on peut dire comme Georges Duby : les rues sont des chemins qui parlent [DUB].
Encore faut-il comprendre la langue . Certaines plaques ne sont pas bavardes. Il faut aussi noter que, localement, les vieilles habitudes du nom fonctionnel perdurent. Cette langue là n’a point besoin de dictionnaire.

L'ANIMATION DES FACADES


Les façades des immeubles sont des éléments commodes pour afficher des messages commerciaux. C’est le rôle des enseignes. Sur une place, il s’agit, le plus souvent de panneaux placés au sommet des vitrines.

Au début du siècle dernier, les façades des étages étaient, de plus, largement utilisées, par des enseignes peintes directement sur le mur.
Faciles à réaliser sur les murs de tuffeaux, les enseignes et publicités peintes étaient nombreuses.

Il en reste seulement deux et,  au point de vue commercial, elles sont aujourd’hui devenues obsolètes. L’activité mentionnée n’est plus exercée.
Leur présence permet néanmoins de goûter au plaisir de voyager dans le temps.

En bas de la place, l’enseigne PATISSERIE CONFISERIE est peinte sur un immeuble qui possède une spécificité sur la place. Il est le seul à posséder deux vrais étages droits sur rez-de-chaussée.
Les immeubles de cette hauteur à l’égout sont très rares à Beaufort. De quel privilège a bénéficié son constructeur ? Quelle était la réglementation ou l’usage, en la matière ?

Le propriétaire, en 1827, est un certain Jean-Baptiste Vacharezza (ou Vaccarezza)  dit Bassy, pâtissier traiteur.
Cette famille est très présente, à Beaufort, pendant tout le XIXe siècle.
Plusieurs immeubles leur appartiennent mais, Jules, fils de Jean-Baptiste, agent principal des assurances l’Union, semble avoir fait de mauvaises affaires, en compagnie du notaire Rogeron.
Un autre fils, Charles, est curé de Varennes sous Montsoreau (8).
En 1876, c’est Alexis Jules, un troisième fils, qui apparaît comme pâtissier, place de la Colonne.

Les pâtissiers vont se succéder, dans cet immeuble, jusqu’à ces dernières années.

En revenant sur les caractéristiques constructives, cet immeuble a perdu ses lucarnes de toiture et, ceci fait, il montre une façade allégée, plus en accord avec son voisinage.

La deuxième enseigne CERCLE du VELOCE-CLUB rappelle une activité de ce que fût le CAFÉ JEANNEAU . Les sports mécaniques à Beaufort ont peut-être commencé ici. Ce sujet est développé au chapitre suivant.

Il y a d’autres types d’affichage sur les façades, plus discrets quand ils n’ont pas de but commercial.
A l’angle de la rue d’Alsace, sur un immeuble restauré depuis peu, il y a un cartouche sculpté avec, en son centre, les initiales J et P. Jean-Baptiste Pierre, le constructeur, a installé ici l’enseigne MAISON PIERRE, articles de travail, confection, tissus.
Dans les années 1950, Jean-Baptiste Pierre était un des premiers employeurs de la vallée.

De l’autre côté de la rue d’Alsace, les garde-corps du premier étage méritent une attention. La ferronnerie affiche des outils, en particulier ceux du charpentier : l’équerre et le compas.
Symboles du compagnonnage ou de la franc-maçonnerie, leur présence ancienne sur cet immeuble reste inexpliquée.

Avant de quitter cet endroit, point n’est besoin de signaler qu’en haut de cette façade, un cadran solaire sculpté s’est installé dans un fronton que l’on consacre habituellement à un œil de bœuf.

Le café Jeanneau au centre des façades Sud

LE CAFÉ JEANNEAU ET LES SPORTS


De l’autre coté de la place et face à la colonne, un immeuble se distingue, par sa façade non alignée à ses voisines. Voici un parfait exemple d’une conséquence, non souhaîtée, d'un plan d’alignement.

Lors de la transformation de cet immeuble, en 1889, si l’on en croit l’inscription portée au fronton d’une lucarne, sa façade a été avancée, pour respecter le nouveau plan.
Comme aucun des autres immeubles n’a suivi, il reste seul en avant et le restera.

Remontons un peu dans le passé. Pendant la Révolution, l’immeuble est habité par Julie Vergnes. Son frère, l’abbé Dominique-Marie Vergnes, né à Beaufort en 1756, devient curé constitutionnel de la paroisse en 1790. Puis, il rétracte son serment, s’éloigne de la vie publique et se cache.
Arrêté au domicile de sa sœur Julie, il est embarqué, le 1er août 1798, sur la corvette «  la Bayonnaise » à destination de Cayenne . Envoyé dans le désert de Konanama, il y meurt de la peste le 15 novembre 1798.

Après transformation, en 1889, l’immeuble accueille un café, au rez-de-chaussée. Pendant quarante ans, François Jeanneau, le cafetier, va animer ce côté de la place .
Sur le trottoir, il installe une terrasse et fait courir des plantes autour de sa devanture - image 5 -.

Le café devient le siège d’un cercle sportif consacré aux courses de vélocipèdes, le cercle du Véloce club.
Son président  est le docteur Chevalier.Il deviendra maire de Beaufort, peu après.
C’est une figure républicaine de Beaufort et ses joutes avec le docteur Geslin, qui le remplacera à la mairie, sont dans les mémoires.
Le docteur Chevalier fréquentait le café Jeanneau. Claude Chauvière (voir fiche), de manière à peine voilée, y fait allusion dans ses écrits.

Revenons au sport. Le vélo est à la mode. Le 24 avril 1893, le conseil municipal vote une subvention au Véloce Club de Beaufort, pour l'organisation des courses du 30 avril prochain, course de fond et course de vitesse. Il y a une condition ; la somme de 150 fr sera spécialement attribuée aux coureurs du Véloce Club.
Un autre société apparaît, la même année ; le  Cycle Beaufortais. Le conseil lui accorde une subvention identique.

Les vélos de course de cette époque sont très simples, tel celui utilisé en 1891, dans la classique Paris-Brest-Paris. A l’arrière, ce sont les premiers pneumatiques démontables. Il n’y a qu’un seul développement. Nous sommes treize ans avant le premier tour de France.

Puis, le sport mécanique évolue. La Motocyclette (9) fait son apparition et quelques fanatiques veulent organiser des courses à Beaufort.
Paul Besnard, un mécanicien de la rue de la Maladrerie, déclare en préfecture, le 9 mai 1927, une société qu’il nomme Moto Véloce Club Beaufortais (MVCB ). Il en assure la présidence.
Le siége est installé au café des Sports, tenu par sa femme, sur la place, face au café Janneau.
Dès 1928, le MVCB organise le premier kilomètre lancé pour motos, sur la route de Longué, sous le patronage de l’Union motocycliste de l’Anjou.

L’arrivée est placée face à la forge de Louis Richaudeau, lequel sponsorise la course.
Telle la Mandoline 500 cm3, bi-cylindre, quatre temps, de la même époque, les motos frôlent la vitesse de 150 km/h.

Le MVCB existe toujours mais, son activité moto n’a été qu’éphémère.
La société du  Véloce club, de son côté, poursuit une activité jusque vers les années 1950.

Entre-temps, vers 1920, la famille Trouillard, devenue propriétaire de l’immeuble, fait construire une salle derrière le café. Cette salle est utilisée par le restaurant pour accueillir noces et banquets. On en vient à organiser, tous les dimanches après-midi, un bal avec un orchestre de la région.

Il en sera ainsi jusqu’à la fin des années 1950, pendant que différents gérants se succèdent. Le décor est rénové et les musiciens s’installent sous une pergola mais,  les charges trop importantes, au regard de la fréquentation, causa l’arrêt de  cette activité.


Le café de la Pergola reste,  pour quelques temps, le lieu de rendez-vous de quelques « sixties » qui dégustent leur  lait fraise, en lançant le « juke-box », après avoir fait quelques furieuses parties de « baby-foot ».

Vélocipède en 1891

Moto Mandoline vers 1930

LES PAVÉS DE LA PLACE

Les pavés de la place ont fait sa réputation. Ils accompagnent Notre-Dame depuis très longtemps et ils constituent une mémoire, pour les Beaufortais.
Toutes les rues et places principales étaient pavées depuis, au moins, le XVIIe siècle.

Dans les archives municipales sont conservés des avis d’adjudication lancés, entre 1625 et 1634, pour des voies périphériques : Puits Bauchard , Remparts , Chaussée , Fautras , Palis, etc …
Les chaussées pavées ont deux toises (10) de large.

Deux cents ans plus tard, la commune entame un programme de réfection de l’ensemble des rues pavées. La décision est prise par le conseil le 20 septembre 1810 et la grande rue est exécutée aussitôt.

En 1833, le conseil lance une adjudication pour la fourniture et la livraison, sur cinq ans, de 30 000 pavés échantillons à prendre à la carrière de Chènehutte.
Suite ou pas, une autre adjudication a lieu le 18 novembre 1835, pour la fourniture, le transport et la pose de pavés.

Le devis a été établi par l’architecte Joseph Richou (11). Le pavage de la place Jeanne de Laval, dénommée alors place des halles, fait partie du programme.

Le cahier des charges précise : les pavés d’échantillons, provenant de Chènehutte, auront une grosseur de 20 à 22 cm de côté et 22 à 25 cm de queue. Ils seront posés, sur sable, par rang parallèles avec un joint de moins de un centimètre. Ils seront enfoncés à la demoiselle (12).


Mais, on creuse le puits au mileu de la place et la municipalité se décide bientôt à démolir les anciennes halles et reconstruire à proximité. Le pavage de la place est différé.

Le 28 juillet 1854, l'architecte Launay-Piau (13), nouvel architecte de la Ville, dresse un projet pour l'ensemble. Pour 3400 m2, la dépense est estimée à un peu plus de 17 000 F.

Le conseil l'accepte pour satisfaire ainsi aux désirs des habitants de Beaufort et aux besoins des commerces, tout en ajoutant par là, à cette place, un embellissement incontestable.


Les pavés de la place sont, depuis, l’objet d’une particulière attention. Leur maintien provoque quelques polémiques, alors que presque partout ailleurs, ils ont été revêtus d’un matériau bitumineux.

Pour les piétons et l’apparition des chaussures à talon aiguille, à la fin des années 1950, les pavés bombés et disjoints, s’avèrent incompatibles avec la santé des chevilles des dames.

Pour les engins mécaniques, ils constituent un appareil à secousses qui n’est pas encore apprécié comme ralentisseur.


Les pavés de la place ont résisté. Les chaussures se sont aplaties. La vitesse est dépassée.

Gris, rosés ou miroitants, ils ne sont jamais aussi beaux que le dimanche et le lundi … quand les voitures laissent un peu de place. 


Notes


(1) digue en terre.

(2) lettre du 30 juillet 1768,des habitants de Beaufort à M. de Trudaine, sur-Intendant des Ponts et chaussées.

(3) curé de Beaufort (1862-1886) - voir éléments de biographies.

(4) avant la séparation des biens de l’Eglise et de l’Etat, désigne à la fois les biens et revenus d’une paroisse et l’organisme chargé de les gérer.

(5) la famille Jousbert du Landreau est installée, jusqu’en 1927, dans le presbytère actuel, face au mail.

(6) il a construit plusieurs édifices, à Beaufort - voir éléments de biographies.

(7) peintre-sculpteur néo-classique (1780-1850). Il a suivi l’enseignement de son père, le célèbre Jean-Honoré, peintre du mouvement Rococo. Il a également été l’élève de Louis David.

(8) il fut propriétaire du logis "Crouin" - voir éléments de biographies.

(9) c’est une marque déposée en 1897 par les frères Werner.

(10) une toise = six pieds = 1,949 m.

(11) architecte-expert de la Ville, il réalise aussi l'aménagement du lavoir, au moulin.

(12) demoiselle ou dame ou hie, outil du paveur.

(13) il a réalisé la construction des nouvelles halles et de l'école mutuelle de garçon.

Références

Bibliographie

[GOD] GODARD-FAULTRIER, V., Beaufort, Vallée et Château , vers 1860

[DUB] DUBY, Georges, dir. , Histoire de la France urbaine, Seuil, 1985

[DEN] DENAIS, Joseph, Monographie de Notre-Dame de Beaufort-en-vallée, 1874

[ENG] ENGUEHARD, Henri, Pour restaurer, Cheminements, Réed. 2003

[GOU] GOUBERT, Pierre, ROCHE, Daniel, Les français et l’Ancien régime, Armand Collin, 1992

[VER] VERNISSEAU, Mathieu, Société et culture, d’après les archives de la Sénéchaussée de Beaufort         1705-1749, Mémoire d’études


Entretiens

Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec : Raymond Cantin, Michel Charrueau, Catherine Gaudin et Bernard Pierre.                   

Il convient de les en remercier.


Date de mise à jour:18 octobre 2008                         Jean-Marie Schio