Rue du mail : Claude Chauvière

Nous habitons sous le mail…

Ce mail surélevé, encadré d'un mur de pierres, avait des bancs de bois, des puces de chiens et, sous ses épais tilleuls, nous connûmes, jeunesse triomphante, nos plus sincères émois…

Les cantonniers, que nous appelions " le petit génie", décrassaient le mail de ses mauvaises herbes. Ils se ressemblaient : même dos rond, même membres noueux, même voix moribonde. 

                                                          Claude Chauvière

                                                   Souvenirs tristes sur un mode gai 

Claude Chauvière est journaliste et romancière, au début du siècle dernier, dans la période de l’entre-deux guerres.

Pendant trois ans, elle fut la secrétaire de Colette. Celle-ci resta son amie. Elle l’encouragea à écrire. En retour, Claude Chauvière publiera, en 1931, un essai sur Colette. Cet ouvrage restera une référence pour les biographes de cette dernière. 

Claude Chauvière a vécu, un moment, rue du Mail, peut-être dans son enfance, peut-être plus tard, après son deuxième mariage. Elle est probablement revenue à Beaufort, alors que, sans plus aucune attache familiale, elle menait une vie errante.

LE MAIL DE CLAUDE

Jean Fourasseau, seigneur de Princé et de Giraudet, donna un vaste jardin aux Recollets de la Baumette, le 18 août 1603, permettant à ceux-ci la construction de leur communauté, à Beaufort.

Les jardins du couvent deviennent, après la Révolution, une promenade publique. Des tilleuls sont plantés en quinconce, en 1797.

Le « quinconce », devenu mail (image 1), est redessiné en 1860, lors de la construction de l'hôtel de ville. Le projeteur a prévu d'ouvrir une rue entre la mairie et le mail qui est limité à l’est, par la rue Neuve en cours de redressement. Le projet de rue bordant la mairie ne sera pas réalisé et la rue Neuve sera rebaptisée en rue du Mail.

Pourquoi le nom de mail ? En principe, on donnait ce nom à une place ou l'on joue au mail.
Ce jeu, mis à la mode par François Ier, est devenu le croquet, en faisant un crochet en Irlande dans les années 1820 (1).
Au milieu du XVIIIe siècle, il revient à  la mode en Angleterre et en France. Il est encore assez populaire, au début du siècle dernier.

Le mail est aussi le lieu où l'on édifie un kiosque à musique. A partir de 1848, les fanfares sont autorisées à jouer en plein air. Un large public peut ainsi les écouter.

En 1872, la compagnie de musique de Beaufort fait une demande pour l’établissement d’un kiosque. La réponse est ajournée. En attendant, la municipalité prévoit un dispositif mobile, avec poteaux et oriflammes.
Une vingtaine d’années plus tard, le conseil autorise le maire à faire dresser les plans d'un kiosque à établir sur le mail. C’est René Goblot, architecte de la Ville, qui établit le projet, d’après une étude de Auguste Beignet. Le kiosque aura six 6 mètres de diamètre. Il pourra abriter une trentaine de musiciens.

Mais le projet reste en l’état et, l'harmonie municipale se contente d’un podium mobile, pour ses récitals, notamment celui du 14 juillet. 

La rue du mail s’avère être de largeur insuffisante, à la fin des années 1880. Le projet de passage  d’une voie ferrée à Beaufort nécessite une liaison nord-sud convenable. Le conseil  demande au département d’intervenir financièrement. Les choses traînent. Quand enfin, en 1914, on démolit le mur de soutènement, côté mail, la guerre éclate. Les travaux s’arrêtent et ne reprendront qu’en 1919.

LA FAMILLE CHAUVIERE

Emélie, Marie, Aglaé Chauvière et son frère jumeau Ernest Adolphe, naissent à Paris VIe, 24  rue de Fleurus, le 14 février 1885.

Le père, Emmanuel, est né le 13 août 1850 à Gand (Belgique), de parents français. Très jeune, il se lance en politique. En 1868, il est disciple de Blanqui, théoricien socialiste qui définit l'action révolutionnaire comme la préparation d'un coup d'état, permettant d'instaurer une dictature ouvrière.

Communard en 1871, Emmanuel est pris et condamné à cinq ans de prison. Il s'enfuit en Belgique et revient en France après l'amnistie du 14 juillet 1880.
Emmanuel exerce alors la profession de correcteur d'imprimerie. Il se présente parfois comme homme de lettres. Il devient député de la Seine en 1893, dans le groupe des socialistes révolutionnaires.

Maria, son épouse, née Toilliez, est la fille d'un peintre belge. Toute sa vie, elle dépouillera les siens pour donner aux plus déshérités, ce qui lui valut d'être qualifiée de sainte laïque (2).  Son nom est inscrit au fronton de la crèche de l'Espérance, 71 avenue Félix Faure à Paris XVe, près du dernier  domicile du couple.

Ernest, le frère jumeau d’Emilie, meurt le 4 janvier 1889, au domicile de ses parents, 1 place Beaugrenelle à Paris XVe. Il avait moins de quatre ans. Emilie en restera très affectée.

Emilie grandit à Paris. Elle fait des études et aide son père. Elle confiera plus tard :  Le travail n'est pas pour moi une passion, mais une habitude. Quand j'étais enfant, mon père me sortait "de boite" pour me charger de préparer son courrier ou de collationner les documents pour ses travaux. A l'age le plus frais, je cherchais dans de gros bouquins des renseignements sur la sociologie chez les Assyriens ou, dans des rapports de chimiste, les bienfaits de la vaniline.

Pas de théâtre, pas de sauteries, pas de promenade, pas de romans. De l'utilisation à outrance.
Un tel régime trempe les inclinations.
Aussi, quand je ne travaille pas, je "m'embête", mais quand je travaille, je ne m'amuse pas. C'est une corvée devenue manie qui continue.

Emilie se marie, à Paris, le 30 janvier 1902 avec André, Hector Rivier. André est né le 11mai 1882 à Viry-Noureuil dans l’Aisne. Il est instituteur, soldat au 45e régiment d'infanterie en garnison à Soissons.
Au moment de ce mariage, Emilie et ses parents habitent 14, avenue Victor Hugo, Paris XVIe.

Ce mariage dure peu. Emilie va habiter chez sa cousine Alice, à Montreuil, dans la Seine. Le divorce est prononcé le 24 octobre 1907.

A Montreuil, Emilie rencontre René de Récusson, un employé du ministère de la Justice, à peine plus âgé qu’elle. Les députés, Auguste Gervais et Charles Deloncle, sont ses amis.
Ses parents sont rentiers et habitent à  Beaufort. Camille Récusson, le père, ancien chef de district de la compagnie de chemin de fer, est arrivé à Beaufort, vers 1894, peut-être pour construire la ligne du petit-Anjou.
Emilie et René se marient, à Montreuil, le 12 mars 1908.

Les joies familiales sont de courte durée. Emilie perd ses parents peu après : d’abord Maria, puis Emmanuel, le 2 juin 1910.

LA JOURNALISTE, LA ROMANCIERE, LA FEMME


Libre interprétation du portrait
de Claude Chauvière

Emélie Chauvière, fait du journalisme et écrit quelques petits contes, sous le nom de Claude Chauvière.

L'association des Amis du Folklore et des Parlers d'Anjou a fait récemment un très bon travail de mémoire sur cette «  éminente » représentante de la littérature angevine [AMI]. Dans ce qui suit, il y sera fait un large emprunt.

En 1919, elle débute sa carrière de romancière avec La vie, les autres et moi,  un essai publié chez E. Figuère.

Vers 1920, par les Oeuvres libres elle entre chez l’éditeur Arthème Fayard. C’est ainsi qu’elle est présentée à Colette, avec son nouveau roman La femme de personne, publié en 1922. A propos de celui-ci, Colette dira :  il a bien failli l'écraser. Il était trop grand et elle trop petite;  un de ces enfants qui coûtent la vie à leur mère.
Claude Chauvière devient la secrétaire de Colette et pendant trois ans, chaque jour, elle ouvre la petite grille de l’hôtel du boulevard Suchet. Elle dira : en refermant la grille pour la dernière fois, j’ai refermé aussi la porte sur une période de ma vie. Depuis, je suis errante.

En 1923, elle publie chez Fayard  Amour, mon ennemi. Henri Coutant (3) dira : Ce roman est l’un des plus poignants qu’on puisse concevoir. Il l’est, non seulement par la vérité et l’impressionnante vigueur de l’observation, mais encore grâce à la plénitude de la langue que Claude Chauvière manie avec une maîtrise incomparable.
Je sais peu d’artisan du verbe qui possède à un tel degré le don d’exprimer sa pensée avec cette force invincible que donne la concision d’une phrase toujours prête à éclater sous la pression des mots, mais aussi avec une richesse d’images qui laisse le lecteur étonné tout d’abord, puis ébloui et comme haletant.

Une vingtaine de romans et nouvelles suivra (voir bibliographie). On peut encore trouver quelques-uns de ces ouvrages sur le marché de l’occasion. Pour une consultation, on peut aussi se tourner vers les bibliothèques habilitées à recevoir le dépôt légal (voir encadré).

Claude Chauvière a collaboré à de nombreux journaux, notamment : L’heure, Les Annales, Candide, Les Nouvelles littéraires, L’action Française, L’Intransigeant, Paris’Soir, Le Quotidien, Les Amitiés, Les Œuvres Libres, L’impartial de Saïgon …
Elle succéde à Colette comme critique dramatique au Quotidien.

Revenons sur les romans. En 1928, Crimes, qui deviendra L'ai-je aimé ? ,  est désigné comme l'un des meilleurs romans féminins. Colette dira à Claude :  … c’est presque tout le temps très bien, et souvent très épatant … depuis que j’ai lu « Crimes », je me mets à penser que tu écrirais un très bon dialogue de théâtre, serré et significatif. Songes-y … 

La même année, lasse et malade, Claude Chauvière entre à l'hôtellerie du cloître de l'Esvière, à Angers, pour se reposer. Elle y est accueillie, le 4 mars, par les Franciscaines de Sainte-Marie des Anges. Elles sont adoratrices, missionnaires, éducatrices, soignantes.

Après quelques temps de pension, à l'exemple d'une novice qui vient de faire profession et part soigner la peste aux Indes, Claude fait part se son désir de partir aussi, pour oublier la minceur fastidieuse des jours sans but.

Mais la route s'annonce longue pour y parvenir: noviciat, obéissance, labeur, abandon de personnalité … Et puis, sa structure en papier mâché ne paraît pas bien adaptée au séjour en brousse pour se faire bouloter par les fourmis rouges, les serpents à sonnettes et toutes les bêtes de l'Apocalypse.

Claude qui, avant d’arriver à l’Esvière, disait ignorer Dieu, mais en avoir le goût, se convertit. Elle  est baptisée le 2 juillet, à l'église Saint-Laud, toute proche.
Colette, qui ne l'a pas encouragée dans cette conversion, est sa marraine.  Son parrain est l’abbé Jean-Baptiste Aubert, son confident à l'Esvière.

Claude poursuit son projet de devenir un jour Mère Maria-Emmanuel ou Marie de la Consolation, malgré les réserves de son entourage immédiat.
Elle fait le service de la cuisine et puis, infirmière diplômée, elle est chargée d'assister le chirurgien à la clinique. Celui-ci appelle Claude, la main qui guérit.
Elle s'épuise au service des malades mais, elle est toujours pressée de retrouver  ceux qui passent, mais dont la gratitude, aussi fugitive soit-elle, devient sa récompense, son ambition, sa joie.

A l’été 1929, Claude Chauvière quitte l’Esvière, comblée de cadeaux, comme une mariée. Elle retourne à Paris.

Puis, elle va vivre à la Seyne sur mer, d’abord  dans la station de  Tamaris, avec le seul souci de bien écrire des livres qui font honneur à la littérature française.
Au cours de son séjour en Provence, Claude Chauvière s'est rapprochée de quelques cercles littéraires. Elle donne des conférences à Toulon, Valence, Avignon, Montélimar …

Elle fréquentait le salon de Marie Gasquet (4). Celle-ci recevait généreusement, chaque été, ses amis au domaine de Fontlaure, à Eguilles, près d'Aix-en-Provence.
Elle écrivait: Combien ai-je vu de ces hôtes célèbres, de Louis Bertrand à des évêques, à Claude Chauvière, qui fût la secrétaire de Colette et dont les souvenirs nous égayaient.

Claude revient à Paris. Elle  séjourne, du 2  novembre 1930 au 27 juin 1931, dans "le home" familial de la Rue de Calais. C’est un foyer qui vient d’ouvrir et qui accueille des jeunes filles de province venant, à Paris, poursuivre des études supérieures. Il est dirigé par les Sœurs de la mère de Dieu. Claude loue leur travail. Elle écrit : je voudrais avoir des filles pour les leurs donner.   

Son dernier roman sera   Le soir Tombe, publié dans la revue hebdomadaire, en 1938.

Elle s’éteint le 7 avril 1939, à la Seyne sur mer, rue François Sauveur Peter. Elle a succombé à une congestion cérébrale.

LES  RESSOURCES  DU  DEPOT  LEGAL

Le code du patrimoine, au titre de la protection des biens culturels, régit actuellement le dépôt légal.
Institué par François Ier, en 1537, le dépôt légal est l’obligation faite à tout éditeur, imprimeur, producteur, distributeur, importateur de documents, d’en effectuer un dépôt auprès d’organismes désignés par la loi.
Le dépôt légal permet :
- la collecte et la conservation des documents de toute nature publiés, produits ou diffusés en France, afin de constituer une collection de référence ;
- la constitution et la diffusion de la Bibliographie nationale française ;
- la consultation des documents dans les salles de la bibliothèque, sous réserve des secrets protégés par la loi, dans les conditions conformes à la législation sur la propriété intellectuelle et compatibles avec leur conservation.

La Bibliothèque nationale reçoit ainsi :
- les imprimés depuis 1537 ;
- les estampes, dont les cartes et plans, depuis 1648 ;
- les partitions musicales depuis 1793 ;
- les photographies et phonogrammes depuis 1925 ;
- les vidéogrammes et les documents sur plusieurs supports depuis 1975 ;
- l’édition électronique sur support depuis 1992.
La Bibliothèque nationale de France (BnF) permet la consultation des documents dans ses salles de lecture et de recherche. Elle donne accès en ligne à ses catalogues, en particulier Bn-Opale+.

Elle expérimente actuellement, avec des bibliothèques d’autres pays, le recueil et la sauvegarde de ce qui circule sur le réseau Internet.
Comme ce réseau n’a pas de frontières, la conception et la mise en œuvre de tels outils nécessitent la collaboration des grandes institutions de mémoire au niveau mondial.
A noter que les documents sonores et audiovisuels radiodiffusés et télédiffusés sont déposés à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina). Cet organisme vient de permettre l'accès en ligne d'une partie des documents conservés.

UNE POSE POUR REGARDER UNE FACADE


L’ouverture de la rue Neuve, devenue rue du Mail, s’est accompagnée de la reconstruction, au nouvel alignement, d’un ensemble d’immeubles de rapport. Bien que la réalisation fut étalée dans le temps, il y a une belle harmonie d’ensemble. C’est dans un de ces immeubles qu’a séjourné Claude Chauvière.

Une façade attire plus particulièrement l’attention (image 3). Sur cette construction privée, on retrouve l’inspiration ornementale classique, fréquemment utilisée dans des édifices publics au XIXe siècle.

Sans porter de jugement qualitatif sur ce type d'architecture, dans cette période d'éclectisme [THU], cette façade nous permet de retrouver une partie du langage constructif antique.
Sans préjudice de l'avis plus pertinent d'un spécialiste, nous nous hasarderons à quelques observations.

En haut, point de lucarne mais, un étage attique percé de petites ouvertures. Il est destiné aux chambres de service. Sa façade est abondamment décorée, à la manière d’un entablement classique, avec corniche à modillons, frises géométriques et denticules.
A cette époque, ce type de demi-étage était souvent prévu pour élever des habitations, au-dessus des hauteurs règlementaires.

Au premier étage, les pilastres s’appuient sur une base et sont couronnés d’un chapiteau à volutes, dites ioniques. Ce type de chapiteau ressemble aux cornes du bélier mais, paraît-il, fait aussi référence à la chevelure féminine, assez appréciée en Grèce, il y a 2500 ans.

Les fenêtres, régulièrement distribuées, sont traitées suivant deux modèles différents. Au centre, elles sont surmontées d’un fronton imposant, à cadre mouluré. A l’extérieur, le fronton, plus léger, est seulement sculpté de volutes et palmettes.
Les parties verticales de l’encadrement montrent des cannelures horizontales.

Le bandeau filant, de la ligne d’appui des fenêtres, est décoré d’une frise géométrique.

Le rez-de-chaussée, plus sobre et, en partie transformé, est moins marqué.

Cet exemple d’architecture pour une façade d’immeuble d’habitation sur rue, est, sauf erreur, quasi unique à Beaufort. Quel message a voulu transmettre son constructeur ? Quel architecte a écrit la partition ?

CLAUDE CHAUVIERE ET BEAUFORT

Claude Chauvière fait plusieurs références à Beaufort, dans ses souvenirs et dans ses romans.
Difficile de savoir à quelle période, elle y a vécu. Peut-être, n’y a-t-il eu que de simples séjours, en particulier chez ses beaux-parents, à partir de 1908.

Dans Souvenirs tristes sur un mode gai, Claude Chauvière parle de l'Anjou, de Beaufort, de « sa » maison, rue du mail.


Nous habitions sous le mail…des pots d'œillets grêles, fragiles se tenaient l'un contre l'autre, sur le rebord de la fenêtre… Le jour, on entendait les chats miauler, les pompes se lever, s'abaisser, le chaudronnier battre l'enclume, la jeune mariée chanter Mireille; la nuit, c'était les moutons du marchand de bestiaux qui bêlaient à fendre l'âme.

Quatre fois peut-être ce fut le feu. Le clairon sonnait l'alerte, puis précisait d'une voix claire: Y'a l'feu, chez Gauthier, su'c't'place. Et nous sautions sur notre carpette des îles, et nous nous bousculions pour aller faire la chaîne; les femmes, celle des seaux vides; les hommes, celle des seaux pleins. La maison achevait de brûler et nous rentrions, trempés et ravis.

Aux fêtes nationales et locales, on suspendait le drapeau, au-dessus de la poulie…au fronton de la lucarne.

Marie, la bonne en coiffe, nous rapportait de  " sous les halles " le possible et l'impossible dans son panier, qui contenait autant de provisions que de ragots.

Les marchands offraient leurs victuailles sur le seuil, les mendiants leur misère.

A la gare, nous comptions, nous soupesions les voyageurs qui descendaient du " tortillard " asthmatique et frivole. Parfois, à un tournant dangereux, il broyait une carriole imprudente, et puis, sans s'émouvoir, continuait sa route, son panache de fumée sur la tête, comme un plumet.

En Anjou, en Anjou seulement, je n'ai pas souffert, comme une bête traquée, à cette heure que maman appelait l'heure mauvaise (tombée de la nuit, quand il était encore trop tôt pour allumer la lumière)…En Anjou, cette  heure là est verte et légère.


Dans son roman  La femme de personne, Claude Chauvière met en scène son héroïne, Marie, dans un village qu'elle nomme Avrillé sur Loire et qui ressemble à un Beaufort romanesque.

Pour aller au collège, je suis jusqu'à la place la rue de la Maladrerie où se met en évidence, avec ses balcons de fer forgé, la propriété du notaire …

Les anciennes maisons de tisserands, si basses que leurs volets descendent au ras du sol sont fermées …

Sur une place ronde avec, en son centre, la pompe et la statue de Jeanne de Laval, la femme du coiffeur rasait l'huissier…

M…pérore au café Janot (Jeanneau ?) avec le docteur Sénéchal (Chevalier ?) qui écrit dans les journaux républicains …  (5).

Mais j’irai voir, dans la grange, aux sons de la pibole, les filles et les gars danser. Elles entourent leur taille d’un mouchoir pour la protéger des mains moites de leur galant. En cadence, ils se trémoussent sur le paquet poudreux.

Je fais un détour pour monter jusqu'aux tours écroulées. Dans l'une, qui a conservé sa porte bardée de fer, tandis que tout disparaît autour d'elle, les amoureux du pays s'enlacent et se continuent …

Dans les baraques des sociétés de jeux, le choc des boules et les exclamations des joueurs oscilleront dans l'air bleuâtre.

Après le moulin, le lavoir est entouré d'un mur construit avec des déchets d'ardoises… 

Revenons pour terminer à   Souvenirs tristes sur un mode gai.

Mon pays de prédilection, c'est l'Anjou. J'aurais voulu y demeurer toujours… On fait rarement ce que l'on veut. J'exige du moins d'y être enterrée. Puéril désir, désir consolant.
C'est dans un petit cimetière qui passe sur une molle colline…Choisir son carré pour y dormir tout à fait. J'économise pour acheter le terrain d'une toute petite concession: je ne suis ni longue, ni large…

Claude est enterrée à Beaufort, conformément à son vœu et, semble-t-il,  grâce à l'intervention de Marc Leclerc (6).

Une dalle et une croix perpétuent son souvenir au cimetière (7). Là, où  avec des amies, elle venait à bicyclette. Autre terrain de jeux,

où tout était fleurs, parfums, soleil, oiseaux.

Notes


(1) source Sté Jorelle

(2) rapporté par André Bruel (1896-1978) chroniqueur littéraire au Petit-courrier, spécialiste du folklore angevin

(3) Henri Coutant, journaliste à l’Ouest

(4) Marie Gasquet (1879-1960), écrivain-conférencière, filleule de Frédéric Mistral

(5)  nous retrouverons ces deux personnages, dans une fiche sur la place Jeanne de Laval

(6) Marc Leclerc (1874-1946), poète et journaliste , auteur des "Rimiaux d'Anjou"

(7) dans le carré de droite, en entrant, n° 372

Références

Bibliographie

[AMI], collectif d'auteurs, l'Anjou n° 98, publié par les Amis du Folklore et des Parlers d'Anjou, 2005


[THU], Thuillier, Jacques, Histoire de l'Art, Flammarion, 2002

Sites Internet

Catalogue BnF   Accès aux catalogues de la Bibliothèque nationale de France


Ina  Accès au site de l'Institut national de l'audiovisuel 

Entretiens

Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec :  Claude Bruel, Alain Pasquier, Françoise et Jean-Claude Le Lan, André Boivin.                 


Il convient de les en remercier.


Merci également à :


- L'association des Amis du Folklore et des Parlers d'Anjou qui a fourni des bases pour ce travail;

- Les services des mairies de La Seyne sur mer, La Brede, Montreuil et Viry Noureuil, qui ont effectué des     recherches d'état-civil.



Date de mise à jour: 5 février 2006                          Jean-Marie Schio