St Pierre du Lac et le val d'Authion

Quand le val d’Authion et le val de Loire se confondaient, un village est né sur les premières hauteurs, au passage de la voie romaine qui reliait Juliomago à Casaroduno.

Ce village nous est resté sous le nom de Saint-Pierre-du-lac.


Un peu à l'arrière, une butte étroite fortifiée dominait toute la vallée.


 Peu à peu, des habitants se sont regroupés à l'abri du "beau-fort", délaissant le vieux hameau du bord du lac.

C'est ainsi que Beaufort est né et a prospéré, appuyé sur la riche vallée de l'Authion, isolée de la Loire après la construction d'une grande levée par les comtes d'Anjou. 

SAINT-PIERRE-DU-LAC

Depuis que la Loire a décidé de couler vers l’atlantique, en marge du bassin parisien et du massif armoricain, elle a façonné la grande vallée d’Anjou.

Sous l’action cumulée du ruissellement des eaux affluentes, des mouvements de terrains sous-jacents et de vents froids violents, les vieux sédiments marins ont été creusés réservant ici quelques montilles (1) et  bourrelets de rives, recouverts de sables.

Les hommes se sont installés au milieu des dépôts d’alluvions cultivables et des cours d’eau qui leur permettaient de faire commerce.
C’est ainsi qu’apparaît le village de Saint-Pierre du Lac, à la limite du lit majeur de la Loire ancienne, à l’endroit où il est le plus large.

Au temps des gallo-romains, une des voies romaines reliant  Angers (Juliomagus) à Tours (Casaroduno) passait non loin de ce village qui s’appelait alors Baissai ou Bessé.
Certains auteurs ont avancé que la station Robrica, mentionnée sur la table de Peutinger (2), pouvait se situer là. Cela ne supporte pas l’analyse.

Itinéraire Angers-Tours sur la table de Peutinger

Au moyen-âge, une paroisse se constitue autour de l’église de Saint-Pierre. On dit qu’elle fût construite près d'un vivier ou lac donné en 989, par le comte d'Anjou Foulques Nerra aux religieuses de l'abbaye de Marmoutiers qu'avait fondée Saint Martin, au diocèse de Tours [DEN].

A moins de deux kilomètres de Baissai, au nord-est, une motte résiduelle de bonne hauteur a pu faire l’objet d’une première occupation par les gallo-romains. Des vestiges retrouvés en attestent. Cette motte est, au moyen-âge, fortifiée par les comtes d’Anjou.
Elle constitue un point de défense majeur entre Angers et Saumur. Les populations vont, dès lors, avoir tendance à s’agglomérer  au plus près du « beau-fort », au détriment de Saint-Pierre-du-Lac.

Les crues souvent intempestives du fleuve, constitué de plusieurs bras formant des « tresses » [LOI], portaient la désolation dans les plaines où tout espoir de récolte était anéanti quelquefois dans l’espace d’une seule nuit.

Dans ce temps là, on personnifiait les éléments naturels, pour en expliquer les variations parfois brutales. Dans les zones sauvages et marécageuses et dans chaque grand fleuve, régnait un dragon capable de contenir ou déchaîner les flots. Les hommes les plus courageux défiaient le monstre, se gardant bien de le tuer.
Une des tapisseries qui ornaient l’église Saint-Pierre de Saumur raconte l’histoire de Saint-Florent terrassant le serpent ou le dragon, tout près de là.

La mythologie ne suffit pas et les habitants, pour se protéger des eaux, commencèrent à construire des turcies (3), aux points les plus faibles des bourrelets.
Déjà, au IXe siècle, Louis le Débonnaire, un souverain qui résida à Doué-la-fontaine, se préoccupa de faire construire des levées, pour canaliser l’eau et faciliter la circulation dans la vallée [GOD]. Un historien du XVIe siécle n’hésite pas à lui attribuer une turcie qui « estoit le vieux chemin de Beaufort à Saumur par le milieu des marais que forme l’Authion et le Lathan » [MEN]. Aujourd’hui, les cartes y mentionnent plutôt un tronçon de la voie romaine évoquée ci-dessus.

LA LEGENDE DE LANCELOT

Lancelot est un des chevaliers de la table ronde, dans la légende arthuréenne. C’est aussi le valet de trèfle de nos jeux de cartes.

Voici ce qu’en dit Jehan de Bourdigné (4), en 1518 : «  Le roi Artus espousa une noble dame, nommée Guennaram ( Geneviève ), et furent les noces célébrées en sa duché de Cornouilles, avec ung tournoy auquel se trouvèrent plusieurs chevaliers errants, entre lesquels, le très-preux Lancelot du lac, Angevin, fils adoptif de la dame du lac, près de Beaufort en Anjou, se y trouva ».


Ainsi, loin de la forêt de Brocéliande et de ses étangs, la fée Viviane,la dame du lac, amoureuse de Merlin l’enchanteur, enlève Lancelot bébé et le transporte dans son palais, au fond du lac de Saint-Pierre, pour le protéger des affrontements. Elle l’emmène ensuite à la cour du roi Arthur pour le faire chevalier. Plus tard, Guenièvre, la femme du roi, et Lancelot ont une liaison amoureuse sans que Arthur le sache.

Après bien des péripéties, Guenièvre se fait nonne et Lancelot devient ermite. Ils mourront tous les deux, dit-on, en 573.


La légende Arthuréenne a inspiré la littérature depuis le XIIe siècle.

Elle se fonde sur deux textes :

- l’historia regum Britanniae (1136-1138) de Geoffoy de Montmouth, un membre de l’entourage de Geoffroy Plantagenêt ;

- le roman de Brut (1155), commandé à Wace, par Henri II Plantagenêt, fils de Geoffroy et roi d’Angleterre depuis 1153.


Henri II qui veut asseoir sa souveraineté  en Angleterre veut confisquer à son profit la légende d’Arthur, en se présentant comme son héritier légitime [BER].

Les auteurs succesifs ont amplifié la légende.


C’est Ulrich Von Zatzikhoven qui raconte dans un roman en vieil allemand comment Lanzelet (Lancelot) a été élevé par une fée des eaux, puis est devenu à la cour d’Arthur le champion de Guenièvre.

Chrétien de Troyes (vers 1180) écrit "Lancelot ou le chevalier à la charrette". Ce roman a été commandé par Marie de Champagne, fille d’Aliénor d’aquitaine.


Avec l’Anjou et la Bretagne, la Normandie revendique aussi son Lancelot. Dans une légende des saints ermites qui, au VIe siècle, ont évangélisé le Passais, on découvre Saint-Faimbault de Lassay (Frambaldus de Laceio), nom que certains ont traduit par « le lancier du lac ».

Notre Lancelot, devenu ermite, s’est peut-être isolé dans une grotte de Saint-Fraimbault, aujourd’hui, Saint-Fraimbault-de-Prières.


Le chevalier Lancelot

LA CHAPELLE  SAINT-LEOBIN

Au cœur du village de Saint-Pierre-du Lac, il y avait une chapelle romane.
Dédiée à Saint-Lubin (ou Léobin), évêque de Chartres au VIe siècle. Elle avait trente quatre pieds  de long et quinze de large [DEN].

Pour transformer ces dimensions en nos mesures actuelles, il faut s'entendre - voir encadré - sur la valeur du pied de référence. Pour simplifier, si l'on compte trois pieds au mêtre, la chapelle faisait à peu près onze mêtres par cinq.

L’image du christ qu’on  voyait posée au dessus de l’autel, pourrait bien être le tableau du XVIIe siècle qui se voit aujourd’hui dans la chapelle d’Avrillé.

Avant la révolution, les paroissiens de Beaufort avaient l’habitude de se rendre à la chapelle, en foule, chaque année depuis le 15 septembre, fête du patron, jusqu’à la Toussaint.
Dans tout Saint-Pierre on chômait le jour de la Saint-Léobin.

A partir de la fin du XVIIIe siècle, la chapelle n’est plus guère entretenue. Devenue bien national, en 1791, elle est vendue avec le terrain, pour la modeste somme de 310 livres.
En 1825, elle appartient à la famille Lebreton d’Avrillé.

Cette chapelle n’a pas complétement disparu, aujourd’hui. Une maison d’habitation a été construite sur ses ruines.
On peut voir , entre cuisine et séjour, la triple voussure plein cintre, du couronnement de l’ancien portail.
Les propriétaires ont conservé, en assez bon état, cet élément architectural principal de l’ancienne chapelle.

C’est le dernier signe d’un bourg qui a disparu, avec la paroisse, au début du XIXe siècle. L’église, le presbytère, le cimetière, le champ de foire, l’auberge, le moulin à vent ne sont même plus localisables.

Le portail d'entrée de la chapelle Saint Léobin

LA GRANDE LEVEE SUR LA LOIRE

Revenons à la Loire.

Il a été dit qu’historiquement, la Vienne et la Loire ne se regroupaient qu’au droit de Saint-Maur, vis à vis de Beaufort [COL1]. Suite à une crue prodigieuse, au début du XIIe  siècle, le cours des eaux aurait été modifié et la confluence remontée au droit de Candes.


On aurait alors commencé la construction de la grande levée et l’Authion se serait  engoufré dans l’ancien lit de la Loire. Cette question de la confluence a préoccupé les chercheurs.

Les études les plus récentes concluent que la confluence de La Loire et de la Vienne est bien à Candes, depuis la période gallo-romaine, au moins [LEC].


Il faut néanmoins remarquer que le ruisseau de Lane, affluent de l’Authion, naît au pied de la levée de la Loire, à Saint-Michel-sur-Loire, près de Langeais.

La construction de la levée, à cet endroit, a probablement isolé une dérivation du fleuve existant depuis quelques millénaires.


Les premières levées attestées, en vallée d’Anjou, ont été construites à Chouzé, au XIe siècle, près de Bourgueil, en amont de la confluence Loire-Vienne.


Au siècle suivant,Henri II, comte d’Anjou, engage la construction de sa prolongation, en aval, jusqu’à Saint-Martin-de-la-Place.

Surtout, il fait installer des “ hôtes” chargés d’entretenir les digues et de les habiter moyennant quelques compensations , notamment, certaines exemptions de service dans l’armée du comte et de la plupart des droits féodaux.

En concertation avec les grands seigneurs et abbés concernés, il rédige, vers 1166-1168, une charte pour en définir les modalités, pour lui et ses successeurs.


La levée est prolongée ensuite, dans la basse vallée d’Anjou, jusqu’à Sorges, toujours sous l’impulsion des comtes d’Anjou qui encouragent les défrichements des forêts de Beaufort et de de Bellepoule.

En 1365, l’endiguement est pratiquement continu, du port de Sorges à Saint-Patrice.


La levée n’est pas alors au point de perfection qu’elle présente de nos jours. Les constructeurs de cette époque s’attachèrent d’abord à réunir les petites digues partielles qui existaient déjà et que les habitants avaient construites successivement pour garantir, autant que possible, leurs propriétés des inondations [TOU].

C’est ce qui explique les ruptures anguleuses de tracé que l’on constate aujourd’hui.


Dans la basse vallée, une succession de hameaux et de bourgs s’installent sur la plateforme même de la levée. Après les Rosiers et la Marsaulaie, ce sont Saint-Clément des Levées, Saint-Mathurin, la Bohalle et la Daguenière.


D’autres disparaissent ou sont déplacés. C’est ainsi que le vieux village de Saint-Martin –de-la-Place est enseveli sous les bancs de sable qui se déposent dans le nouveau chenal ligérien.

Depuis, il se raconte que chaque nuit de Nöel, à Saint-Martin de la Place, sur les rives de la Loire, en tendant l’oreille, on entend les cloches de l’ancienne église sonner au fond du fleuve.


De turcies en turcies, un chemin de rive commence à s’installer, tout au long de la Loire.

En 1457, le roi René établit une levée au milieu de la forêt de Bellepoule et fait construire un pont sur l’Authion à Sorges. La communication se fait alors avec les Ponts-de-Cé et Angers.


Louis XI, créant la poste aux chevaux avec ses routes et ses relais, développe cette voie pour assurer la liaison de Angers à Tours.

En 1675, Mme de Sévigné regrette de ne pas avoir choisi de prendre cette route et d’avoir pris le bateau à Orléans. Elle écrit à sa fille « les eaux (de la Loire) sont si basses et je suis si souvent engravée que je regrette mon équipage, qui ne s’arrête point et qui va son train » [COL2].


C’est le début de la perte d’attractivité du « grand chemin Angevin » qui, pour relier ces deux villes, passait par Beaufort, Longué et Bourgueil.

Beaufort s’éloigne alors des grandes voies de communication.

On écrira plus tard « depuis que la Loire s’est éloignée de Beaufort, depuis que la construction de la levée a changé la direction de la route de Tours qui passait dans ses murs, cette ville est totalement déchue de son ancienne prospérité » [BOD].


La levée est renforcée, à la fin du XVIIe siècle, dans le cadre d’un plan général commandé par Colbert.

La route de la levée est complète en 1732, d’Angers à Tours, après la reconstruction du pont de Sorges et la prolongation de la levée jusqu’au plateau de Trélazé. 

Construction de la levée dans le val de Loire

L'AUTHION ET LA VALLEE

La basse vallée d’Anjou, de Saint-Martin-de-la-place à Sorges, petit à petit séparée de la Loire par la grande levée, ne va pas cesser de prospérer.

La forêt s’est installée partout, mais la vallée reste humide, submergée chaque année par les inondations d’automne, déposant des alluvions fertiles.


Pendant tout le moyen-âge, l’exploitation de la vallée dépend d’une lutte de pouvoirs entre le Roi qui veut préserver la grande forêt pour y chasser, les abbayes (Saint-Florent et Saint-Maur), plutôt favorables aux défrichements, des comtes chasseurs ou aménageurs  et les paysans qui s’installent progressivement.

Ces derniers s’organisent, sous l’œil bienveillant du seigneur, pour exploiter collectivement, contre redevance, les pâturages inondables.

C’est ainsi que commence l’histoire des communes ou « communaux » de Beaufort qui pourrait remonter au IXe siècle [COL] et perdure, pour partie, jusque vers 1970.


La première référence connue daterait de 1148, avec le concession, par Geoffroy Plantagenêt, à Othon du Lac, pour lui et pour ses hommes, de 1200 arpents de frous, marais et dégats de la forêt, moitié en propre et moitié pour les bestiaux des habitants [FOL1].

La question des « communaux » et de leurs règlements, extrêmement complexe, a fait l’objet de nombreuses études et mémoires. Cette complexité a plutôt servi les habitants qui se sont battus pendant des siècles pour conserver leurs droits.


Les Beaufortais retiennent principalement la charte signée, le 2 mai 1471, par Jeanne de Laval, avec le titre de « Institucion et ordonnance touchant les herbages de Beaufort ». Une transcription de cette charte est accessible en cliquant sur le lien suivant : charte.


Les paysans vont façonner le paysage de la vallée, dont les terres constituent le comté de Beaufort, à partir du 7 juin 1344.

Ils défrichent et se partagent, sans véritables conflits, les terres assainies. Ils y établissent leur habitation. Ils découpent les parcelles à cultiver, perpendiculairement aux cours d’eau en réservant les dépressions latérales aux landes et aux prairies, en grignotant sans cesse sur la forêt.

En 1685, la quantité de communaux est évaluée à 5476 arpents.


Avec le temps, la culture devient presque intensive. Jehan de Bourdigné écrit, vers 1529, que les terres y sont cultivées « tous les ans sans leur donner aucun repos ou intermission » [DIO].

Au XVIIIe siècle, diverses sources confirment la taille modeste des exploitations, la variété des cultures et l’absence de jachère grâce à des sols abondamment fumés, ce qui s’expliquait par la possession d’un nombre prodigieux de bêtes de toutes espèces  nourries sur les espaces collectifs et laissant de grandes quantité de déjections [FOL2].


Tessier du Mottay (5) écrivait en 1799 « le fief de Beaufort s’étend sur un longueur de sept lieues , sur le terrain le plus riche, le plus habité et peut-être le plus morcelé en propriétés particulières qu’il y ait dans le royaume ».


Les paysans de la vallée ont lutté jusqu’à la Révolution pour s’opposer à l’Etat qui voulait qualifier les terres communes de domaniales, pour en concéder ensuite certaines.

Ils s’opposeront notamment, en 1763, et avec succès aux entreprises des sieurs Turbilly et Faribault, sur des projets de telles concessions.

Le 1er août 1767, la grande direction du Conseil d’Etat du Roi rend un arrêt qui « maintient les usagers du comté de Beaufort dans la propriété et possession des communes de ce comté, pour en jouir à perpétuité, par indivision et comme par le passé … ».


Tout va bien, sauf que le val d’Authion s’envase. L’eau y circule lentement. L’exploitation intensive des cours d’eau, pour le transport des bois, le rouissage du chanvre et les pescheries fait proliférer les installations qui créent des obstacles à l’écoulement des eaux. S’y ajoute, le reflux périodique des eaux de la Loire.


Déjà en 1651, un arrêt du Conseil a ordonné le curage de l’Authion.

A partir du XVIIIe siècle, dans la vallée d’Anjou, les grands travaux ne sont plus ceux de la levée « protectrice » mais le curement, l’élargissement et le redressement de l’Authion, ainsi que l’assèchement de sa vallée.

LA  MESURE DES CHOSES

Protagoras, un philosophe grec du temps de Périclès (Ve siècle avant JC) a affirmé dans un de ses traités « de toutes les choses, la mesure est l’homme : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas » .

Platon, autre philosophe, puis l’architecte Vitruve et le dessinateur Léonard de Vinci, se sont inspirés de cette parole, de portée très générale.

C’est ainsi que l’homme s’est d’abord servi de son propre corps, dont les proportions sont en harmonie avec le cosmos, pour mesurer les éléments physiques qui l’entourent.

Pour les longueurs, parmi les références les plus courantes, il y avait le pouce, le pied et la toise. La toise est la longueur que l’on mesure entre le bout des doigts, en étendant les bras à l’horizontale, à moins que ce ne soit la brasse des marins.

Pour voyager, il faut une base plus grande. Une lieue est la distance que peut marcher un homme ou un cheval au pas pendant une heure.

Le problème est qu’il y a des hommes grands et des petits. Pour commercer, il faut s’entendre sur le pied de référence et donner des équivalences entre les éléments. Il faut un systême de mesure.

Celui du Roi de France remonterait à Charlemagne ou à Charles le Chauve. Le pied du Roi se partageait en douze pouces et, il fallait six pieds pour faire une toise. Une toise étalon était matérialisée sur un mur du Châtelet.

Pour les distances, à partir de 1674, la lieue des ponts et chaussées était équivalente à deux milles toises.

Pour les surfaces, l’agriculteur de la vallée se repérait sur la surface qu’il pouvait ensemencer avec un boisseau, sorte de seau en bois, plein de grains. Cette surface était appelée la boisselée. Avec douze boisseaux, il ensemençait un arpent.

Comme les terres, suivant les régions ou les époques, n’avaient pas le même rendement de production,  à une quantité de semence pouvait correspondre des surfaces différentes.  La référence était strictement locale.

Les tentatives pour un systême unifié furent nombreuses.

En août 1793, enfin, la Convention institue provisoirement le systême métrique décimal. Il est officialisé en 1799, mais il faut attendre 1840 pour une mise en pratique quasi définitive.

En 1962, un systême international de mesure, reprenant le dispositif métrique français, est adopté .

Ce qui est dit ci-dessus est particulièrement simplificateur. Plusieurs ouvrages et nombre de sites web développent ce  sujet.

Retenons que la lecture des mesures inscrites dans les documents anciens et la transformation dans les unités actuelles reste délicate, d’autant plus que le calcul décimal n’existait pas. C’est souvent affaire de spécialiste.

Si l’on veut néanmoins quelques indications, on notera que :

-      le pied du  Roi fait presque 32,5 cm

-         la toise du Roi fait presque 1,95 mètre ;

-         l’arpent de la vallée vaut 65, 93 ares ;

-         la lieue des ponts-et-chaussées fait à peu près 3,90 kilomètre.

Remarquons qu'en 1950,  plus de cent cinquante ans après l’installation du systême métrique, les modes d’exploitation ayant peu changé, l’arpent et la boisselée étaient encore utilisés par les agriculteurs de la vallée.

De toutes choses, la mesure reste l’homme. 

LES PROJETS DU XVIIIe SIECLE

Le 18 novembre 1753, les habitants de la paroisse de Beaufort sont réunis au sujet du dessèchement des marais de la vallée d’Anjou et du projet d’un nouveau canal pour la navigation depuis Bourgueil jusqu’à Sorges.

Ils sont invités à déclarer à l’ingénieur du Roi, « le nombre de passages qu’ils doivent avoir sur le canal tant à pied, qu’à cheval et charrette, pour l’exploitation de leurs domaines qui se trouvent de chaque côté et autres utilités qui leur seront nécessaires, sans néanmoins pouvoir les multiplier trop, par rapport à l’exécution du dit projet ».


Le 9 février 1756, Pierre Nicolle de Maisonneuve (6) et Charles Haran de la Barre (7), déposent un rapport qui dresse l’historique de l’administration royale à Beaufort et fait l’état des lieux, des bois, communes et rivières sur la gruerie de Beaufort. La forêt de Beaufort est alors estimée à 1762 arpents.


Le rapport montre que les seuls chemins qui traversent la forêt sont ceux qui communiquent de la vallée vers la Loire et la levée: au Porteau, au Montil (8) et au Gué d’Anjan, sur l’Authion.

La liaison de Beaufort à la Loire par le Gué d’Anjan, la Macrère et Saint-Mathurin est sans doute la plus ancienne.

Elle utilise au mieux les terrains « hors d’eau ». C’est la voie utilisée par la messagerie. Sur cet itinéraire se fixent les habitations de nombreux paysans.


A ll’époque du rapport, le passage le plus direct et le plus fréquenté est celui du Montil qui communique avec la Loire par une petite levée, au milieu des marais. Le pavage de cette levée est commencé, ce qui promet un chemin solide.


Les rapporteurs avancent que l’exploitation des bois et le transport par la rivière rend inutile les voitures de terre. Ils regrettent toutefois que les lourdes portes qui ont été établies au pont de Sorges, en 1732, pour empècher le refoulement des eaux dans la vallée, bloquent la communication de la navigation, en raison d’un seuil mal placé.


Le 16 février 1770, les représentants des quatorze paroisses du comté se réunissent.

Ils exposent « les communes étant situées dans un terrain bas et sous les eaux, la rivière l’Authion qui est au centre n’ayant pas un lit assez large, ni assez profond pour l’écoulement de ses eaux, il s’agirait de supplier M. le comte dessuile (9), commissaire en cette partie, d’obtenir du Roi le nettoyement de la rivière dans sa longueur d’environ six lieues, c’est-à-dire depuis la ville de Longué où il y a foires et marchés les plus considérables de la province, jusqu’au pont de Sorges, auquel il serait nécessaire de construire une vanne commode aux bateaux pour entrer dans la rivière de Loire … que le nettoiement de cette rivière rendrait l’Authion navigable, faciliterait le transport des marchandises et les denrées que le pays produit abondamment, que des ruisseaux, boires et cours d’eau qui inondent les communes se déchargeraient dans l’Authion par des coupures de communication que pourraient faire les habitans, à la décharge des travaux publics auxquels ils sont employés … ».


Après une relance de l’assemblée, le conseil du Roi prend un arrêt, le 24 mai 1770, pour lancer les études et estimations, pour les travaux demandés, à la diligence du sieur comte Dessuile.

Celui-ci se met au travail rapidement et termine son rapport le 15 novembre 1771.


Sous forme de « recueil des pièces et actes concernant les objets de police et leurs opérations proposées pour les communes de Beaufort et le dessèchement des marais, d’Angers jusqu’à Bourgueil », il présente ses propositions détaillées, avec plans à l’appui.


Pour la canalisation de l’Authion, il présente d’abord les freins actuels à l’écoulement, notamment :

- le refoulement de la Loire,

- les installations diverses pour le rouissage du chanvre,

- les ponts privés et autres ouvrages,

- l’envasement dû à la faible pente de la rivière,

- l’insuffisance de section du canal construit à Sorges - il faudrait le double.


Il détaille ensuite les travaux à exécuter, depuis le pont de Sorges jusqu’au pont du Montil, sur 11893 toises de distance.

Il estime à 95637 toises cubes les terres à enlever, pour un prix de 172032 livres, 19 sols et 2 deniers 1/3. On ne peut faire plus précis. 

Le projet comporte le tracé d’un canal à construire entre Sorges et Sainte-Gemmes, pour reporter plus en aval de la Loire, le débouché de l’Authion. Les travaux correspondants à ce canal ne sont pas chiffrés.

Accessoirement, le comte Dessuiles demande de supprimer le moulin de Beaufort pour libérer le cours du Couasnon et assainir les terrains situés en amont. L'abbé du Loroux, le gestionnaire, saura trouver des arguments pour conserver le moulin. 

Plan de la forêt de Beaufort – milieu XVIIIe

LA VALLEE : HEUREUX PAYS

Le rapport du comte d’Essuiles reste un moment en instance. Il semble que les officiers municipaux de Beaufort aient traîné pour le publier.

Le projet a pu paraître d’un coût trop élevé, la charge financière étant imputée aux habitants et communautés.

D’ailleurs, en 1786, un projet est déposé par le sieur Morel, pour répondre à la question de Monsieur frère du Roi, comte de Beaufort [FOL1]   « quels estoient les moyens les plus simples et les moins dispendieux d’empêcher les débordements de l’Authion, la stagnation de ses eaux et même de rendre cette rivière navigable dans une partie de son cours ».


L’année suivante, une opération de bornage et d’arpentage est lancée sur la forêt de Beaufort. C’est Louis Béritault de la Sablonnière, ingénieur arpenteur, avocat au siège royal, qui la réalise.

L’opération consiste à délimiter l’emprise de l’Authion, y compris les servitudes de chantier et de marche-pied et l’usage du droit de pêche. On calcule aussi la superficie des iles, ilots, boires, atterrissements …

Le document est arrêté le 23 décembre 1788.


Nous sommes tout près de la fin de l’ancien régime et des bouleversements juridiques qui ont suivi.

Le grand projet reste en l’état, les suivants aussi.


Il faudra attendre la mise en place de la loi du 16 septembre 1807, sur le dessèchement des marais, pour réveiller les projets.

Le 24 novembre 1807, une commission provisoire est créée, puis une commission syndicale permanente, nommée « Communauté des marais de l’Authion », formée de cinq membres choisis par le Préfet parmi les maires et délégués des communes.


Quelques projets plus tard et encore, beaucoup de réticences, la canalisation de l’Authion est enfin entreprise mais, pour nous, cela fait l’objet de la fiche à suivre: l'Authion aménagé.


Entre-temps, le comte Dessuile a fait disparaître tout ce qui restait de la forêt de Beaufort, pour en exploiter le sol. Les prairies communes ont, pour leur part, résisté. Dans une énergique pétition adressée le 21 septembre 1790, à l’assemblée nationale, les seizes paroisses du comté défendent le maintien de l’état de choses traditionnel.

Elles disent en substance « dans les pays peu peuplés, il peut être avantageux de partager les landes communes entre les particuliers qui en usent pour les faire mettre en culture. Mais les communes de la vallée devraient être réparties entre des usagers si nombreux que la part revenant à chacun d’eux serait trop petite pour être utilisable. De plus, le nombre de fossés et de haies qu’il faudrait créer pour délimiter les parcelles individuelles entraînerait la perte d’une grande partie de terrain. Ce serait ruiner cet heureux pays que de morceler les gras paturages où se nourrissent en foule les bestiaux qui fécondent ses terres … ».

Heureuse vallée, en cette année 1790. 


Notes



(1 ) les montilles sont des buttes recouvertes de sable, hors d’atteinte de la montée des eaux

(2) la table de Peutinger est une carte schématique des voies de l’empire romain ; Konrad Peutinger assura au XVIe siècle la publication d’une reproduction ancienne

(3) les turcies sont des petites digues discontinues en terre, élevées aux points d’irruption des courants de débordement

(4)  jean de Bourdigné (vers 1480-Angers 1547) est le premier historien de l’Anjou 

(5) Tessier du Mottay est ( ? ) receveur du comté de Beaufort

(6) Pierre Nicolle de Maisonneuve est conseiller du Roi, juge civil criminel des eaux et forêts en la gruerie royale de Beaufort

(7) Charles Haran de la Barre est avocat en parlement, conseiller du Roi

(8) c’est aujourd’hui le pont-rouge

(9) Jean-François de Barendiery-Montmayeur, comte d'Essuile (1718-? ), agronome, administrateur des domaines particuliers du Roi


Références

Bibliographie

[BER] BERTHELOT, Anne, Arthur et la table ronde- La force d’une légende, Gallimard, 1996

[BOD] BODIN, J. F., Recherches sur l’Anjou et ses monuments, 1821

[COL1] COLLECTIF, Mémoire pour les habitants des 14 communes de l'ancien comté vers 1820

[COL2] COLLECTIF, A hue et à dia histoire des relais et routes de Poste en Anjou, Cheminements, 2005

[DEN] DENAIS, Joseph, Monographie de Notre-Dame de Beaufort-en-vallée, 1874

[DIO] DION, Roger, Le Val de Loire. Etude de géograhie régionale, Arrault, 1934

[FOL1] FOLLAIN, Antoine, PLEINCHENE, Katia, Les communaux du comté de Beaufort-en-vallée (Anjou), du XVe au XIXe siècle, voir le site Internet d'Antoine Follain accessible ci-dessous

[FOL2] FOLLAIN, Antoine, PLEINCHENE, Katia, Règlements pour les communaux de beaufort-en-vallée d’Anjou, du XVe au XVIIIe siècle, ibid

[GOD] GODARD-FAULTRIER, V., Beaufort, Vallée et Château , vers 1860

[LEC] LECONTE, Jean-Paul, Turcies et levées dans la haute vallée d’Anjou-Archives d’Anjou n° 4 –2000

[LOI] COLLECTIF, Loire, Associations : Confluences-Maison de Loire en Anjou, 2006

[MEN] MENAGE, Gilles, Histoire de Sablé, 1683

[POR] PORT, Célestin, Dictionnaire historique de maine-et-Loire

[TOU] TOUCHARD-DELAFOSSE, G. , Le Maine-et-Loire, Les éditions du bastion, 1851


Site internet

Antoine Follain , professeur d'histoire à l'université d'Angers puis Strasbourg, a dirigé ,entre-autres, plusieurs travaux d'étudiants sur les thèmes des "communaux".

Entretiens 

Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec :  Germaine Bernier, Noël Chapelet, Laurent Coudercy, Solange et Jean-Marie de la Maisonneuve et Katia Pleinchène.                        

Il convient de les en remercier.


Date de mise à jour: 4 décembre 2012                          Jean-Marie Schio