La saga des comtes de Beaufort

Tableau généalogique des Roger de Beaufort

Guillaume  Roger, premier comte 

L'histoire commence en Limousin, au château de Maumont, dans la paroisse des Rosiers d'Égleton, au nord de Tulle.


Vers 1290, un petit Guillaume naît au foyer de Guillaume et Guillaumette Roger, de petite noblesse. Un deuxième fils, que l'on prénomme Pierre, suit peu après.

A dix ans, ce dernier est envoyé pour ses études chez les bénédictins de l'abbaye de la Chaise-Dieu, en Auvergne. Il poursuit l'étude de la théologie à Paris.


Nommé abbé de Fécamp en 1326, Pierre progresse rapidement et devient archevêque de  Rouen en 1330. La même année, il accède à la présidence de la Chambre des Comptes.

Le roi de France, Philippe VI en fait son homme de confiance et son ambassadeur auprès du roi d'Angleterre et de la papauté. Il obtient alors des avantages financiers importants.

Dans son ascension, il entraîne sa famille et, en particulier, son frère aîné Guillaume. Celui-ci obtient les faveurs du roi et de son fils Jean de Normandie, comte d'Anjou.


Pierre est élu pape, à Avignon,le 19 mai 1342, sous le nom de Clément VI. D'un abord avenant, aux allures dégagées il était aimable, conciliant, excellent orateur, bon théologien et habile politique [PAL].


Comme il déteste l'austérité, il fait rénover le palais, en puisant dans les réserves financières de la papauté. Il attire à Avignon les artistes, savants et hommes de lettre.

Il prête beaucoup d'argent au roi de France.


L'histoire retient aussi qu'il a mené une lutte efficace contre la peste noire. En 1340, son médecin personnel, un certain Guy de Chauliac,  est autorisé à pratiquer des autopsies publiques sur le corps des pestiférés. 


De son côté, Guillaume obtient de Jean de Normandie (1), en 1344, un domaine autour de Beaufort, avec titre de vicomte, puis de comte en 1347.

Par anticipation, Guillaume avait déjà obtenu, en 1342, l'autorisation de rebâtir le château de Beaufort, ce qu'il fait à partir de 1345 et dure une dizaine d'année. On voit encore aujourd'hui les vestiges des deux tours sud de ce château.


A cette époque, la ville d'Avignon est dans le comté de Provence. En 1343, Jeanne hérite, pour la maison d'Anjou, du royaume de Naples, sous le nom de Jeanne Ière . Elle est aussi comtesse de Provence.

En 1348, la reine Jeanne,à la vie tumultueuse, est suspectée, peut-être à tort, de l'assassinat de son premier mari, André de Hongrie. Elle est chassée de Naples.

Elle vient se réfugier en Provence et se confier à Clément VI. Elle implore son absolution. Celle-ci lui est accordée mais, le pape en profite pour lui acheter la cité d'Avignon, pour 80 000 florins, somme qu'il n'acquittera jamais, dit-on, malgré les réclamations de la reine.

Jeanne, qui a grand besoin d'argent, multiplie les aliénations domaniales.


C'est ainsi que Guillaume, qui a déjà acheté nombre de fiefs en Auvergne, devient  propriétaire en Provence de la terre de Valernes, érigée en vicomté en 1350, et de bien d'autres.


C'est surtout à la suite de son deuxième mariage, avec Guérine de Canilhac, qu'il atteint l'apogée de sa fortune [MIC].

Guillaume devient ainsi l'un des plus grands seigneurs du royaume. Les princes deviennent ses obligés.

Quand, en 1360, Louis (2) devient duc d'Anjou, sous le nom de Louis Ier, mécontent des libéralités de son père envers Guillaume Roger, il annexe le comté de Beaufort. Guillaume n'en continue pas moins la reconstruction du château de Beaufort.


Les choses s'arrangent un peu plus tard. En 1371, Louis, qui par ailleurs a toute l'affection de la Reine Jeanne (3), reconnaît les dons faits par son père et rend le comté de Beaufort au profit de Raymond (4), le fils de Guillaume, pour agréables services rendus tant au roi de France qu'à lui-même.  


Guillaume voyage beaucoup entre Paris, l'Auvergne et Avignon, sa résidence principale. Pour cela, il traverse, sans trop de dommages, les campagnes infestées d'Anglais et parcourues par les bandes armées des grandes compagnies.

On ne le voit pas à Beaufort. Son comptable se déplace pour lui présenter les comptes des travaux du château de Beaufort.


Ce château, construit sur une motte, domine la vallée. Visible de tout le pays environ, il sert au prestige du comte. Il accroche ses bannières bien haut, au sommet des flèches des tours du château[GUI].
La vie de Guillaume sera longue et son pouvoir va se perpétrer par une famille nombreuse.

De sa première femme, Marie Chambon, décédée en 1344, il a eu dix enfants, dont Guillaume, le fils aîné; Raymond, héritier du comté de Beaufort; Pierre, futur pape Grégoire XI; Nicolas, seigneur de Limeuil et Marthe qui épousera Guy de la Tour d'Auvergne.


De sa deuxième femme, Guérine de Canilhac, épousée en 1345, il aura deux enfants, dont Marquès qui associera pour longtemps le nom de Beaufort à celui de Canilhac.

Guérine meurt en 1359 et Guillaume se marie une troisième fois, en 1368, avec Catherine d'Adhémar .
Le premier comte de Beaufort rédige son testament le 27 août 1379, au château de Cornillon, près d'Alest (Alès), où il s'est retiré.  Il s'éteint à la fin du mois de février 1380, à plus de 90 ans.

Il ne semble pas y avoir de portrait authentifié de Guillaume Roger Ier comte de Beaufort.

En 1933, un érudit avignonnais du nom de Colombe étudia les fresques de la chambre du cerf, au palais des papes. Dans la scène de la chasse au faucon, il a vu chez l'adulte le portrait de Guillaume Roger, frère du pape [SAL].

Nous avons retenu cette hypothèse pour le dessin de l'image 1.


Pour son tombeau en albâtre, à l'abbaye de la Chaise-Dieu, Clément VI avait tenu à être entouré par les membres de sa famille et donc, de Guillaume Roger.

Il n'en reste malheureusement aujourd'hui qu'un fragment, conservé au musée du Puy.

On y aurait reconnu Almodie, soeur de Guillaume, entourée de ses quatre filles et d'un de ses fils. Une copie en moulage plâtre est exposée -image 1b- dans l'abbaye de La chaise-Dieu. 

Antoinette de Turenne et Boucicaut

Le comté de Beaufort reste dans la famille  et après Raymond, mort sans descendance en 1389, c'est Guillaume son frère qui devient comte.

Guillaume est vicomte de Turenne depuis son mariage, en 1349, avec Aliénor de Comminges, vicomtesse de Turenne. L'année suivante, il a  désintéressé la famille d'Aliénor de tous droits d'héritage sur le vicomté de Turenne. Guillaume détient ainsi une place forte, à la frontière du vaste comté de Toulouse.

Le jeune couple s'installe dans un hôtel, à Villeneuve-lès-Avignon, et les déambulations de la jeune épousée dans le palais de Clément VI fait sensation.


Venons-en à Antoinette de Turenne. Elle est la petite fille de Guillaume. Elle naît en 1380, au foyer de Raymond Roger et de Marie d'Auvergne, comtesse de Boulogne.


Son père va devenir un personnage tristement célèbre, dans toute la Provence.

En 1386, il entre en guerre contre le pape Clément VII, resté à Avignon après le grand schisme (5).

A partir de son quartier général des Baux et celui de Roquemartine, il écume la Provence avec ses brigands, incendiant villes et villages, détroussant, maltraitant, tuant sauvagement [RIV].

On le ménage néanmoins, en tant que père d'Antoinette, considérée alors comme l'une des plus riches héritières de France.


Le temps est venu de marier Antoinette de Turenne. Clément VII, Marie de Blois, et Guillaume, le grand-père d'Antoinette choisissent Charles du Maine, prince de Tarente (6).

Raymond Roger ne l'entend point ainsi. Il n'est pas homme à s'agenouiller devant un gendre et la contre-partie financière lui paraît insuffisante.


Charles VI, roi de France intervient. Des pourparlers s'engagent.

On propose à Raymond un simple gentilhomme du nom de Jean Le Meingre, dit Boucicaut.

C'est la fine fleur de la chevalerie. Fils  de maréchal de France, il l'est, lui-même, depuis quelques mois. Dans son enfance, il était compagnon de jeux du futur Charles V.

Ce parti répond aux vues de la politique française.


D'après son historien, Boucicaut a le coeur grand et noble, et l'âme élevée. Il est d'une humeur douce, franche et libérale, parle et rie peu, a l'air grave et les manières sérieuses, aime la propreté, mais haït le faste et l'orgueil, en un mot il a toutes les qualités qu'on peut souhaiter à un seigneur de la plus haute naissance [DEN].

Parfait chevalier, vaillant militaire, respectueux des dames [HAR], il va créer l'ordre de la Dame blanche à l'écu vert, pour défendre les femmes et filles, dont les mari et père sont éloignés par la guerre.


Boucicaut est ravi à l'idée d'épouser Antoinette,  jolie jeune fille et très bon parti.

Il s'engage auprès de Raymond à faire annuler une sentence pour une affaire qui l'oppose à Eudes de Villars et Alix des Baux. Cela comble les espérances du père d'Antoinette.


Par contre, Guillaume, le grand-père trouve dans cette alliance une grande honte pour le lignage.

Clément VII intervient auprès de Raymond pour le faire changer d'avis. Celui-ci se fache et renie du même coup sa foi politique et sa foi religieuse. Il continue ses exactions et le pape fait entamer, contre lui, un procès, en cour d'Avignon.


Raymond choisit ce moment pour marier sa fille à Boucicaut. Le mariage est célébré, la veille de Noël 1393, dans la Chapelle du château des Baux.

Antoinette a treize ans et son mari, vingt-sept.

Antoinette y paraît comme une des plus belles femmes du royaume. Ses qualités personnelles sont reconnues à l'égale de son illustre naissance.

Boucicaut est admiratif. Avant le mariage, il avait, plus d'une fois, célébré en vers sa future épouse et dans les tournois, il avait cassé plus d'une lance pour l'honorer.


Raymond, très heureux, donne procuration à Boucicaut pour l'utilisation de ses châteaux et lui fait promettre de venir à son secours, en cas de besoin.

Les choses ne se passent pas comme espéré par Raymond.

Oubliant ses promesses, Boucicaut  quitte la Provence avec la dot et la procuration.


Comme les charges contre Raymond s'accumulent, le conseil du Roi envoie Boucicaut auprès de Raymond pour conclure une paix entre lui et l'Eglise.

C'est un échec. Pas tout-à-fait pour Boucicaut qui en profite, le 15 novembre 1394, pour faire agréer par la reine Marie (7) la donation récente du comté et château de Beaufort, faite entre ses mains et celles d'Antoinette, par Guillaume Roger.


Raymond se trouve du même coup privé de cet héritage. Ses bandes continuent les ravages dans le pays, lequel achète parfois sa tranquillité en nourrissant les brigands.

Boucicaut est alors chargé, en 1399, de ramener  les Baux et  Roquemartine à l'obéissance de la Reine et d'essayer de faire embarquer les routiers qui guerroient en Provence vers Constantinople.


Boucicaut réalise, comme cela, quelques actions de police, mais il a besoin de terrains plus vaste pour s'exprimer. Il participe aux croisades contre les musulmans, aux côtés du comte de Nevers, futur Jean sans peur. Il y est à deux doigts d'y perdre la vie.


Si le mariage d'Antoinette fut de raison politique, Boucicaut aime sa femme qui le lui rend bien. Elle réside au château d'Alès mais, quand Boucicaut est nommé gouverneur de Gênes, en 1403, il appelle auprès de lui sa très chère et aimée épouse, laquelle ne vit pas aise loin de son seigneur.

Ils restèrent neuf ans à Gênes.

Malheureusement, ce couple uni va être frappé durement. Leur seul enfant, Jean meurt jeune.

Boucicaut est fait prisonnier, lors de la terrible bataille d'Azincourt, en octobre 1415, et emmené en Angleterre. Antoinette meurt de chagrin, le 14 juillet 1416, en son château d'Alès. Boucicaut meurt cinq ans plus tard.
Conformément au voeu d'Antoinette, ils sont enterrés tous les deux dans la basilique Saint-Martin à Tours.

La chapelle où était placé le tombeau a disparu. Derrière celui-ci, un vitrail représentait Antoinette en prière. Un bibliothécaire collectionneur en a heureusement conservé le dessin [DEN2]. Celui-ci, consultable à la Bibliothèque nationale de France, a servi de base à l'image ci-contre.

Les beaufortais gardent le souvenir de ce couple, en raison de son intervention dans l'établissement de l'hôpital local.

Quand, en 1412, Jean Jouanneau et sa femme Jeanne fondent l'Hôtel-Dieu de Beaufort, ils  sollicitent l'autorisation du comte et de la comtesse de Beaufort et demandent à  être nommés administrateurs.

La supplique est accueillie avec bienveillance et une charte signée le 27 janvier 1413, à Alès, fixe toutes les conditions de fonctionnement pour le présent et l'avenir de l'Hôtel-Dieu.


Les attentions des Boucicaut pour Beaufort se limiteront apparemment là.

Dans son testament, rédigé le 11 avril 1413, Antoinette, qui est d'une grande piété, fonde une grande quantité de messes, dans plusieurs églises,  dispose de sommes importantes pour réparer, construire ou équiper des églises, pour la réparation d'hôpitaux ou aider des miséreux.

Il n'y a aucune mention particulière concernant Beaufort, trop loin des yeux de sa comtesse.

Jeanne de Laval et le roi René

La succession des Boucicaut, qui n'ont pas d'enfant vivant, va d'abord à Éléonore, une tante d'Antoinette puis, à des cousins.

Pierre Roger est comte de Beaufort en 1433 quand Rodrigue de Villandrodo, capitaine de gens d'armes pour le Roi, surnommé l'empereur des brigands ou l'écorcheur, promet qu'il sera dorénavant " vray, loyal amy, allié et bien veillant de mgr. le comte de Beaufort ...".

Cette alliance n'est pas dénuée d'intérêt, quand on sait qu'il peut compter sur dix mille mercenaires sanguinaires, la plupart d'origine Anglaise.


René d'Anjou, né en 1409 de Louis II et de Yolande d'Aragon, hérite de l'Anjou, du Maine et de la Provence en 1434. L'année suivante il reçoit la succession du royaume de Naples. On a réservé à son cadet, Charles du Maine, le comté de Beaufort.


Yolande d'Aragon, qui a dirigé les affaires du royaume et de la maison d'Anjou, meurt en 1442. Charles meurt la même année et, dès lors, René commence à diriger les affaires de Beaufort. Il engage même des travaux de réparation au château. Les héritiers des Roger revendiquent.


Le Ier novembre 1461, le roi Charles VII, qui n'est autre que le beau-frère et compagnon d'enfance de René, réunit le comté de Beaufort au duché d'Anjou.

Huit ans plus tard, pour clore la procédure qui l'oppose à Agne de la Tour et sa femme Anne Roger de Beaufort, fille de Pierre Roger, René leur verse 30 000 écus, pour solde de tout compte.


René, qui s'est retrouvé à 26 ans à la tête d'un empire, n'a pas été élevé par Yolande d'Aragon dans la politique. Sa mère l'a plutôt dirigé vers les arts, la littérature et l'esprit de chevalerie. Il s'y entend d'ailleurs très bien.

Pour les affaires, il doit être assisté. Sa mère, puis sa première femme, Isabelle de Lorraine, ont parfaitement tenu ce rôle.


Aussi, quand Isabelle meurt en 1453, l'entourage de René s'empresse de lui rechercher une nouvelle épouse, d'autant qu'il affiche une certaine tendance à courtiser, ici et là, en laissant, paraît-il, quelques bâtards. 

N'a-t-il pas écrit (8):

Je suis René d'Anjou, qui se veut acquiter

Comme coquin d'Amours, servant de caymander

Et cuidant mainte belle a moi acoquiner

Et ma caymanderie coquinant esprouver

De maintes quont voulu mon cueur racoquiner.


On lui présente le portrait d'une jeune femme de 20 ans. C'est Jeanne, née le 10 novembre 1433, fille du comte Guy de Laval et de Isabelle de Bretagne.

Peut-être, sans le dire, on espère ainsi favoriser le rapprochement de la Bretagne à la France.

Le mariage a lieu le 10 septembre 1454, en l'église Saint-Nicolas d'Angers.


Jeanne est une épouse douce et simple [DEL], elle exalte l'amour des arts et lettres de son époux. Elle soutient son mécénat. La politique, la guerre et l'aventure cèdent la place aux fêtes et divertissements champêtres.

C'est Jeanne qui gère les aménagements des nombreuses résidences du couple.


D'après Michelet (9), cette union prépare la maison d'Anjou à mourir de bonne grâce, s'éffaçant au profit de l'unité du royaume.Au milieu d'une aimable famille française, il fut comme enveloppé de la France. Il oublia le monde. Il avait, dès lors, bien assez à faire pour amuser sa jeune femme et une soeur encore plus jeune qu'elle avait avec elle.


En 1457, ils partent pour un périple en Provence. René, qui reste malgré tout un homme des bords de Loire, trouve dans ce comté de Provence, dans lequel la paix est revenue après les exactions de Raymond de Turenne, le calme et l'environnement qui lui conviennent pour s'adonner à ses passe-temps favoris.


Avant de partir, Jeanne a pris toutes dispositions utiles pour l'administration du comté de Beaufort qui est son domaine préféré. Elle afferme les revenus du domaine, moyennant 2700 livres par an, à charge des preneurs de payer les émoluements attachés à chaque office [ROY].


La politique  poursuit néanmoins René. Charles VII l'envoie en Italie mater une révolte génoise. Sans succès. A son retour, il apprend la mort du roi.

Son successeur, Louis XI, neveu de René, montre rapidement son objectif de contrôle sur l'Anjou et ses possessions.

Jean de Calabre, fils de René et son héritier direct, meurt en décembre 1470. Puis, l'année suivante, c'est son gendre, roi d'Angleterre, qui est assassiné.


René a maintenant soixante-deux ans. Il n'a plus le tempérament pour intervenir efficacement sur les évènements politiques.

Prenant conscience de sa fin prochaine et sollicité par Jeanne, il décide de rejoindre la Provence, si accueillante, pour y passer ses dernières années.

Il met en ordre ses affaires angevines, organise sa  succession, donne en douaire le comté de Beaufort à Jeanne, emballe meubles et tapisseries et part pour Tarascon en octobre 1471.

Il meurt au château d'Aix le 10 juillet 1480, au milieu des sanglots et des pleurs de tous les provencaux et, par-dessus tout des Aixois [COU].


Ces derniers veulent conserver son corps, pour l'ensevelir à Aix. Mais René a fait élection de sépulture, en la cathédrale d'Angers, dans le tombeau où repose Isabelle, sa première femme.

Jeanne va organiser le retour secret des restes de son corps, un an plus tard.

Elle les fait placer dans une garde-robe censée contenir robes et tapisseries qu'elle a laissé en Provence. La garde-robe est envoyée en Anjou.


Les Provençaux se contenteront des entrailles de René qu'ont leur a laissées. Ils en feront la sépulture aux Carmes.


Jeanne de Laval s'installe définitivement au château de Beaufort. C'est vraisemblablement elle qui fait construire la tour octogonale [GUI], pour y établir ses appartements.

Elle porte un grand intérêt à l'église Notre-Dame, qu'elle voit de sa fenêtre. On lui accorde, pour le moins, la construction du choeur neuf et la chapelle de la Reine, derrière celui-ci [DEN3].


Nous n'oublions pas, à l'occasion, son intervention sur la gestion des "communaux" de la vallée et la célèbre charte du 2 mai 1471.

 

Faire le portrait de Jeanne de Laval est intéressant, parce que contreversé.

Ses traits physiques nous sont parvenus par les peintures de Nicolas Froment,peintre en titre de René d'Anjou.


Le plus important est le triptyque du Buisson ardent, peint vers 1475, sur la commande de René, en vue  d'être placé au-dessus de sa sépulture.

L'oeuvre, où figurent René vieillissant et Jeanne, est restée très longtemps exposée dans la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix.

Elle n'est plus visible aujourd'hui, ayant été retirée pour raison de sauvegarde.

Le second portrait  est le deuxième volet du diptyque Matheron. Jeanne y est représentée avec le voile noir du deuil. L'oeuvre étant datée d'environ 1475, de quel deuil s'agit-il ?

Le tableau  fait partie des collections du musée du Louvre.


Dans les deux portraits ci-dessus, Jeanne affiche le même air austère, sous un profil anguleux. Nous en reprenons les traits principaux sur l'image 3, ci-contre.

Prosper Mérimée (10) exprime en 1835 un avis définitif :  Jeanne de Laval est remarquablement laide, si jose dire et, d'une laideur qui n'est pas relevée, comme celle du roi René, par une expression d'intelligence.

Juge-t-il la représentation, d'inspiration flamande, de Froment ou Jeanne de laval, elle-même (voir encadré sur les portraits) ?


Peu importe. Ce qui est excessif est insignifiant. Pour se détendre, reprenons, avec Alphonse Karr (11), une petite légende qui court encore, en Provence.


Lors du mariage de René d'Anjou avec Jeanne de Laval, en 1454, l'histoire dit que la future épouse ne souriait jamais, gardant sa mine sévère malgré d'aussi heureuses circonstances. Navré de voir sa souveraine aussi austère, le cuisinier royal Titsé, confectionna pour elle une petite friandise à base de sucre, d'amandes et de fruits confits. Jeanne y goûta; sa douceur était telle que son visage s'éclaira soudain d'un sourire. A la cour les courtisans furent frappés de stupeur. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui fait sourire notre reine ? demandèrent-ils. Et l'un deux répondit en provençal : "di calin soun"; ce sont des câlins. Titsé venait d'inventer la recette des calissons.


L'historien capucin,Ubald d'Alençon  veut bien nous faire part des qualités de Jeanne.

La charitable et populaire Jeanne de Laval était aussi une intellectuelle. Elle savait le latin. Elle était une lectrice pieuse, un peu mondaine aussi. Elle ne propageait que les ouvrages sérieux. Généreuse avec son entourage, elle faisait beaucoup de petits cadeaux mais, souvent à court d'argent, elle empruntait à ses serviteurs.

Sur sa manière d'administrer, Ubald dit qu'elle fait rédiger les comptes de sa propriété de Beaufort par le chancelier de Provence.

Elle en prend un soin jaloux. Elle les fait doubler par Maistre Pierre Ginet, licencié es-lois et lieutenant d'Angers.


Quoi qu'il en soit, Jeanne jouit d'une reconnaissance inégalée dans le vallée de l'Authion. Elle meurt le 19 décembre 1498. On porte son corps dans la cathédrale Saint-Maurice, à Angers, pour qu'il repose à proximité de son mari.

La sépulture sera malheureusement complètement détruite, pendant la Révolution.


Beaufort lui rend un grand hommage, en 1842, en élevant une statue sur la place, aujourd'hui nommée place Jeanne de Laval.

LES PORTRAITS NOUS DISENT

Le  portrait est, dans le principe,  une représentation de l'apparence extérieure d'une personne.

Au sens strict, le portrait est dessiné. L'auteur interprète ce qu'il voit, mais aussi ce qu'il sait . Par le choix de la pose, de l'expression, du cadre, il rend sensible la personnalité intérieure du modèle.


L'usage du portrait est ancien. La fresque est peut-être la technique ancienne la plus évidente mais les Egyptiens de l'époque romaine nous ont laissé , dans les sables du Fayoum, un autre exemple remarquable.

Plusieurs centaines de portraits, peints à l'encaustique sur bois ou sur lin, ont été retrouvés dans des nécropoles, couvrant la tête des personnes momifiées. Les visages sont très expressifs et quelquefois le nom du défunt est indiqué. Le plus connu est le portrait d'Aline.


Au XVème siècle, Léonard de Vinci étudie, en dessinant des portraits,  les passions qui déforment momentanément le visage et celles qui laissent des traces perpétuelles qui caractérisent l'individu.

En peinture, son attrait pour les jeunes femmes au charme énigmatique s'exprime, en particulier, dans "La Joconde".


Jean Fouquet fait,  en France, des portraits pour ses commanditaires, dignitaires de la Cour ou grands bourgeois enrichis.

Il sort de la représentation conventionnelle de personnages irréels destinés à la dévotion et se penche sur ses modèles en soulignant ce qui leur est singulier.

Dans son tableau de" la Vierge et l'Enfant",  il transcript pour la vierge les traits de la très belle Agnès Sorel , la favorite officielle de Charles VII.


Après lui, Jean Clouet, peintre attitré de François Ier  ,  a produit une grande quantité de portraits,  souvent aux crayons, pierre noire et sanguine, qu'il fabriquait lui-même. Il exécute les portraits d'après nature, en se rendant lui-même au domicile de ses modèles. Les poses, qui pouvaient se multiplier, étaient courtes.

Son fils François continua de travailler à la cour, sur des portraits peints.

Le musée Condé de Chantilly en conserve beaucoup, réunissant la plus importante collection, au monde, de portraits au crayon du XVIème siècle.


Avec l'invention de la photographie, la commande du portrait peint s'est pratiquement éteinte. On admire encore les clichés réalisés par le très observateur, Robert Doisneau, qui fixe l'instant. Son "Baiser de l'hôtel de ville" est  mondialement connu.

Henri de la Tour d'Auvergne

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, duc de Bouillon, prince de Sedan, maréchal de France, est devenu comte de Beaufort en 1594, dans des conditions presque romanesques.


Comme on l'a vu ci-dessus, tous les droits du comté de Beaufort reviennent  à la couronne, à la fin du XVème siècle.

Sitôt son avènement, en 1515, François Ier rétablit l'Anjou en apanage et l'offre à sa mère, Louise de Savoie. Celle-ci s'empresse de donner le comté de Beaufort en viager à son frère René, le "bâtard de Savoie", après avoir désintéressé les héritiers du roi René, qui rappelaient que ce dernier l'avait obtenu à prix d'argent, en 1469.


Son fils Claude, comte de Tende, le reçoit en partage, en 1525. Il croit pouvoir en jouir, sa vie durant, mais en 1545, un arrêt de la cour du Parlement conteste la donation faite, mais lui laisse la jouissance des fruits du comté pour neuf ans.

Honorat Ier, fils de Claude, n'en continue pas moins, de s'intéresser au comté de Beaufort.


Les Beaufortais sont reconnaissants à cette famille de Savoie. C'est sous son autorité et vraisemblablement avec son aide matérielle que la nef de l'église Notre-Dame est agrandie et qu'un nouveau clocher (12) est élevé, au-dessus de l'extrémité du transept nord. 


Henri de la Tour d'Auvergne naît le 18 septembre 1555, au château de Jozé, en Auvergne. Il est fils de François III de la Tour, vicomte de Turenne et de Eléonore de Montmorency.

Sa mère meurt l'année suivante, puis son père est tué à la bataille de Saint-Quentin.

Catherine de Médicis confie le petit Henri à ses grands-parents, Anne de Montmorency et Madeleine de Savoie.


Le comté de Beaufort commence à s'éffriter par dons et aliénations successives. Le 30 mars 1559, le roi François II, premier fils de Henri II et de Catherine de Médicis, crée une commission pour recouvrer les domaines usurpés des héritages relevant du Roi, depuis Guillaume Roger, en raison de son comté de Beaufort.


A l'âge de dix ans, Henri de la Tour, devenu à la mort de son père, vicomte de Turenne, est envoyé à la Cour. Il est attaché à François d'Alençon, quatrième fils de Catherine, à peu près du même âge.  Celui-ci prend Henri en une singulière amitié.

Henri apprend le métier des armes. Il prend son premier commandement, en 1575, contre les troupes royales.

L'année d'après, il se convertit au calvinisme. Il est alors éloigné de la Cour et nommé  lieutenant-général du Haut-Languedoc.


En 1576, François d'Alençon devient duc d'Anjou et comte de Beaufort. Il fixe les limites et démarcations du comté: " Vers orient, au Ponceau-des-Tuffaux, outre la rivière de Loire et dès icelle vers vallée à la paroisse de Saint-Martin-de-la-Place comprise au dit comté; joignant du côté vers midi, depuis ledit Pontceau des Tuffeaux le long du chantier et levée de ladite rivière de Loire, jusqu'au droit de l'église de Juigné et forêt de Belle-Poule, ladite rivière en la dite étendue comprise au dit comté " [GOD].


Au début de l'année 1581, Henri accompagne le duc d'Anjou, qui veut devenir roi des Pays-Bas, dans sa campagne de Flandre. Il a réuni douze compagnies à son commandement. C'est un échec. Lors d'une escarmouche, devant Cambrai, Henri est fait prisonnier par le marquis de Roubaix et emprisonné à Hesdin.

Il est libéré, début juin 1584, sur l'intervention de Catherine de Médicis, contre le versement d'une rançon de 50 000 écus, réclamée par les Espagnols.


C'est à ce moment que Scipion Sardini, un banquier italien, conseiller du Roi, arrive dans la vie de Henri, pour verser une partie de la rançon, contre la promesse de versement d'une rente. 


Le Roi a besoin d'argent. Le comté de Beaufort est mise en vente  sur adjudication, au plus offrant. C'est ainsi qu'en août 1586, Pierrre Le Royer achète le comté, terres et seigneuries de Beaufort-en-vallée, y compris la seigneurie de la Ménitré, au nom et profit de quelques investisseurs, dont Gilles de Riant, sieur de Villeray, président à mortier (13) au parlement de Paris. 


Pour renforcer la position de la France, à l'est,le roi Henri IV souhaite conclure le mariage d'Henri avec l'héritière de Sedan, Charlotte de la Marck.

Elle est présentée à Henri, le 24 septembre 1591 et le mariage est célébré le 19 novembre.

L'année suivante, suite à la mort du vicomte de Joyeuse, il reçoit la charge de maréchal de France. Il a quarante sept ans et fière allure -image 4-


Henri de la Tour achète le  comté de Beaufort en 1594, année où il hérite de tous les biens de Charlotte de la Marck, décédée en mai.

Il prend les affaires de son nouveau comté au sérieux.

Dans une instruction à Charles Crouin, seigneur des Fontaines et capitaine du château, il demande à celui-ci d'informer le corps de ville et les autres communautés qu'il est maintenant leur seigneur, ce dont ils doivent louer Dieu pour les traitements et soulagements qu'ils doivent espérer d'un tel seigneur.

Il rappelle, en même temps qu'il a voulu acquérir ce comté parce que c'est l'ancien patrimoine des vicomtes de Turenne, ses prédécesseurs.


Henri est généreux avec Charles Crouin.

Il lui cède plusieurs arpents de terre, dans le comté. Cela provoque une procédure en nullité. Il est alors rappellé à Henri qu'il ne peut disposer que des fruits du domaine, celui-ci étant royal et donc inaliénable.



Henri ne tarde pas à entrer en conflit avec Henri iV, après sa participation à la conspiration de Biron.

Il souhaîte porter ce différent sur le terrain international. Il doit finalement se soumettre en 1606 et renoncer à devenir le chef des protestants. 

Il faut dire qu'il a bien besoin de la bienveillance du Roi dans ses affaires personnelles.

Le comte de Maulévrier et le duc de Montpensier réclament, pour le moins,  une partie de l'héritage de Charlotte de la Marck.

Plus grave; Scipion Sardini fait saisir les biens de Henri, parce qu'il n'a pas tenu ses engagements financiers. 


Henri IV intervient, comme médiateur, dans les tractations. Henri a fait valoir auprès de lui, les dépenses et services rendus à sa majesté, aux frontières du royaume et au-delà.

Henri affirme que Sardini n'a pas non plus, dans l'affaire,  désintéressé les créanciers.

Il estime qu'il est pris en haine, à cause d'un procès qu'il poursuit contre la femme de Sardini, pour une terre de Limeuil.


Là, il nous faut présenter le couple Sardini. La femme n'est autre que Isabelle de la Tour d'Auvergne, une cousine de Henri.

Isabelle a un passé, pour le moins mouvementé.

Elle a fait partie de "l'escadon volant", une compagnie de jolies femmes, à la cour de Catherine de Médicis. Ces femmes avaient pour rôle principal de divertir les grands du royaume, pour qu'ils pensent moins à se faire la guerre, paraît-il.

Elles avaient interdiction de devenir "grosses".


Isabelle n'a pu tenir le contrat. Louis, prince de Condé, arrière-grand-père du "grand-Condé", dont on parlera ci-après, lui donna un fils.

Isabelle ne s'est pas trop attachée à ce fils, puisqu'on dit quelle a envoyé le nouveau-né à son père, dans un panier d'osier.

La carrière d'Isabelle, auprès de Catherine s'arrêta là.

Néanmoins, Catherine se préoccupe de son avenir. Elle la propose en mariage à Scipion Sardini. La cérémonie a lieu le 30 janvier 1569. Le couple eût ensuite plusieurs enfants.


Revenons au conflit Sardini-Bouillon. Le Conseil du Roi accorde des délais et Henri de la Tour a engagé le comté de Beaufort, au bénéfice de Scipion Sardini.

Celui-ci se comporte alors en comte de Beaufort. Il prend toutes mesures  en 1601,pour procéder aux visites des ruines et démolitions du château de Beaufort, de la Ménitré, des turcies et chaussées, pour faire faire les réparations les plus utiles et nécessaires.


Le conflit voit son terme en 1608 quand Scipion Sardini et Isabelle de la Tour confessent qu'ils ont reçu les sommes dues.


Henri de la Tour rentre alors en pleine jouissance du comté de Beaufort. Il la gardera jusqu'à ce qu'il l'échange avec le comté de Nègrepelisse du marquis de Lavardin, avant 1615.


De sa deuxième épouse Elisabeth de Nassau, Henri a huit enfants.

L'avant-dernier naît en 1611. Ce sera Turenne, compagnon et adversaire de guerre du grand-Condé.


La même année, Henri se rend à Saumur pour l'assemblée provinciale protestante, ouest et sud-ouest. Il se présente comme chef du parti protestant et souhaite prendre la présidence de l'assemblée. C'est Duplessis-Mornay qui est désigné. Henri, après avoir menacé de se retirer, reste finalement.


Il meurt le 25 mars 1623. Alter-ego du roi de Navarre, dans les années 1576-1581, il est passé à côté d'un grand destin politique, victime de la technicisation de celle-ci [ZUB].

Claire-Clémence de Maillé-Brézé

Princesse par la volonté de son oncle, le Cardinal de Richelieu, Claire-Clémence de Maillé-Brézé eût une vie exemplaire, dévouée entièrement à un mari, militaire de génie, qui ne lui rendait rien.


Elle est née à Milly, près de Gennes, en Anjou, le 25 février 1628.

Sa mère, Nicole du Plessis de Richelieu,  est éffacée, voire bizarre.

Nicole est la soeur du cardinal de Richelieu (14) qui achète le comté de Beaufort, au duc de Roanne, le 1er avril 1628.

Le père de Claire-Clémence, Urbain de Maillé-Brézé, est issu d'une des familles les plus illustres du royaume. Très cultivé, il a été dans sa jeunesse , capitaine des gardes de Marie de Médicis. Il sera bientôt Maréchal de France. Son destin aurait pu être plus grand encore s'il n'avait eu un caractère extravagant et un trop grand souci de son indépendance.


Dès le plus jeune âge de la fillette, c'est le Cardinal qui se préoccupe de son éducation. Alors qu'elle n'a que cinq ans, il se met d'accord avec le prince Henri II de Bourbon-Condé, cousin du Roi, pour promettre en mariage, Claire-Clémence au duc d'Enghien, âgé de douze ans et fils aîné du prince.

Le Prince souhaîte ainsi se réconcilier avec le "tout puissant" Richelieu et ce dernier qui, dans le même temps, s'engage sur le comté de Beaufort, montre sa grande influence sur les affaires du royaume.


Le Cardinal, qui ne fait pas confiance aux parents de Claire-Clémence, pour assurer son éducation, l'envoie à Nogent-sur-Marne, dans la famille Bouthillier, en qui il a toute confiance. Elle y reste jusqu'au mariage qui a lieu le 11 février 1641, dans l'indifférence remarquée du duc d'Enghien qui ne pense alors qu'à la guerre.

Marie-Clémence est pourtant ardemment éprise de son mari. Elle assure le Cardinal, qui continue de veiller à son éducation, de son entier dévouement et gratitude.


A Paris ou à Chantilly, elle côtoie les plus grands et ... les plus grandes. La "grande demoiselle" (15), dont l'ambition est aussi grande que son rang, raille parfois la "minuscule" provinciale. Son beau-père la protège neanmoins pendant que son mari, quand il ne fait pas la guerre, se divertit avec des jeunes de son âge et quelques courtisanes. 


Richelieu meurt le 4 décembre 1642. Il désigne Mazarin, comme successeur auprès de la Reine (16) qui prend la régence, après la mort de Louis XIII.


L'ouverture du testament de Richelieu provoque bien des colères.

Claire-Clémence ne reçoit rien de la succession de son oncle. Le duché de Richelieu revient à un cousin Armand-Jean de Vignerot du Plessis. Le duché de Fronsac et les terres de Beaufort sont attribués au frère de Claire-Clémence, Jean-Armand de Maillé-Brézé. Le plus gros de l'héritage, qui est immense, revient aux autres neveux et nièces.

La soeur cadette de Claire-Clémence attaque le testament. Une très longue et peu courtoise procédure s'engage.


Le duc d'Enghien démontre son génie militaire. Le 20 mai 1643, il écrase l'infanterie espagnole à Rocroi et ses admirateurs le  comparent à  César ou Alexandre.

Le 29 juillet de la même année, Claire-Clémence donne naissance à un fils, Henri-Jules de Bourbon. Elle lui apporte toute son affection et ne le quitte pas. Mazarin est choisi pour parrain.


L'année 1646 voit successivement disparaître deux proches de Claire-Clémence. D'abord, son frère tué à 27 ans par un boulet de canon; Claire-Clémence devient, dès lors, duchesse de Fronsac et comtesse de beaufort.

En réalité, c'est Condé qui administre Beaufort. Il signe du titre de comte de Beaufort-en-vallée, "à cause de son épouse".


En fin d'année, le beau-père et soutien de Claire-Clémence décède, laissant ainsi le titre de prince de Condé à son fils. Claire-Clémence devient princesse. Elle n'a que dix-huit ans -image 5-



C'est alors que débute la Fronde des Princes. Condé, son frère Conti, et son beau-frère Longueville, sont emprisonnés à Vincennes, le 18 janvier 1650, sur l'ordre de Mazarin.

Claire-Clémence, qui ne cesse de réclamer la libération de son mari est assignée à résidence à  Chantilly. Grâce à un stratagème, elle réussit à s'enfuir avec son fils. Elle rejoint à Bordeaux le duc de la Rochefoucault, le duc de Bouillon et le vicomte de Turenne (17).


Douée d'une naturelle facilité d'élocution, elle obtient le  soutien  du parlement de Bordeaux

Elle organise alors la résistance aux armées royales.

Mais le parlement finit par négocier la paix avec Mazarin et Claire-Clémence est obligée de se soumettre. Elle vient vivre quelques temps à Milly.


En janvier 1651, Mazarin est destitué et les princes sont libérés.

Le prince de Condé ne rentre pourtant pas en grâce. On se méfie de lui. On le prive même de ses droits, prérogations et gouvernements.

Il reprend les armes et s'allie avec les Espagnols, malgré la réprobation de Claire-Clémence.

Ils partent ensemble pour Bordeaux ou Claire-Clémence reçoit toujours un accueil enthousiaste.


Condé n'y reste pas. Mazarin rentre en France et Condé vient attaquer sa petite armée aux portes de Paris. Il est sauvé par la "Grande demoiselle" qui dirige les canons sur l'armée royale.

Bien vite, Condé est abandonné par ses amis. Il choisit l'éxil.

Claire-Clémence quitte Bordeaux où la Fronde s'éssouffle et rejoint son mari en Flandre.

Elle est séparée de son fils, envoyé parfaire ses études à Namur. Claire-Clémence assume, comme elle peut, sur ses biens, les dépenses de la famille.


Après la  paix des Pyrénées, signée avec les Espagnols, en  novembre 1659, Condé revient en France. Il se soumet au Roi qui lui a pardonné et reprend sa vie de prince, à la Cour.


Après le mariage de son fils, avec Anne de Bavière, le 23 juillet 1663, Claire-Clémence s'isole de plus en plus à l'hôtel de Condé. Elle ne reparaît à la cour que pour des cérémonies officielles, pour tenir son rang auprès du Prince.

Fatiguée des continuelles récréminations contre la conduite de son mari, elle se résigne dans sa retraite. Sa raison commence à chanceler, même si de rares visiteurs constatent qu'elle reste pleine de bon sens.


On ne l'aide pas. Pire, alors qu'elle est victime d'une tentative d'assassinat, dans sa chambre, le 13 janvier 1671, elle est accusée d'adultère par son mari et les courtisans.

Condé, qui cherche depuis longtemps à se séparer d'une femme qui ne lui est plus utile, réclame au Roi, contre celle-ci, une  lettre de cachet. Celui-ci réserve d'abord sa décision, pendant que Condé envoye son fils faire signer à sa mère un acte notarié par lequel elle lui abandonne tous ses biens, sous réserve d'usufruit.


Lorsque Condé revient à la charge, le Roi, qui ne peut plus rien lui refuser, signe la lettre de cachet qui lui est présentée.

Claire-Clémence, après s'être guérie de ses blessures, part le 18 février 1671, pour  une propriété des Condé à Chateauroux.

Elle est  accompagnée d'une dame d'honneur et de quelques domestiques.

Condé, pour mettre un terme à la procédure qui l'oppose aux héritiers de Richelieu, se sépare du duché de Fronsac et des comtés de Coutras et Beaufort. Il les remet, aux termes d'une transaction du 2 mai, au nouveau duc de Richelieu (18).


Deux mois plus tard, le Conseil du Roi ordonne que le domaine de Beaufort soit remis à la ferme générale de son domaine et qu'il soit procédé à la liquidation des sommes payées pour la finance et l'engagement du dit domaine.


Claire-Clémence perd peu à peu ses facultés intellectuelles. Elle s'éteint, dans l'indifférence quasi générale, le 18 avril 1694, sans avoir jamais revu ni son mari, ni son fils (19).

Elle est inhumée, à Chateauroux, dans la chapelle Saint-Martin. Le caveau sera malheureusement saccagé, pendant la Révolution.

Louis de France dernier comte

On ne sait pratiquement rien des comtes de Beaufort, pendant le XVIIème siècle. La terre demeure peut-être sans engagement, jusqu'au début du règne de Louis XVI, en 1774.

Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, que l'on appelle Monsieur, parce que frère du roi, reçoit en apanage l'Anjou et le comté de beaufort.


Il  s'intéresse à ses terres et apporte son aide. 

En 1786, il lance un concours pour établir un projet raisonnable d'aménagement de l'Authion.


Mais, le 4 mai 1789, c'est l'ouverture des Etats généraux et la présentation des cahiers de doléances. Beaufort n'y a point de député.


Le 4 août 1789, c'est l'abolition définitive du régime féodal et des privilèges.

Les municipalités s'administrent, au début, un peu comme elles l'entendent.

Monsieur participe à l'organisation du corps de garde de la ville.

A l'occasion de la préparation de la fête de la fédération, il fait verser par le receveur des douanes et bois de sa majesté une certaine somme, à reporter en aumônes aux pauvres de la ville, à l'arbitrage des officiers municipaux [DEN1].


Plus de comtés, ni de sénéchaussées. Les départements sont créés.

L'histoire des comtes de Beaufort s'arrête là.

Peut-être pas, si l'on est curieux de savoir ce qu'est devenu Monsieur.

Il émigre en Allemagne et à la mort de Louis XVI, il prend le titre de Louis XVIII.

En 1800, à Marengo, il se rapproche de Bonaparte, en essayant de le convaincre de restaurer les Bourbons. Bonaparte l'éconduit de son dédain.

On comprend qu'il avait d'autres projets.


Quand l'empereur est envoyé à l'ile d'Elbe, Louis se fait proclamer Roi de France par le Sénat impérial, grâce à l'intervention de Talleyrand auprès des vainqueurs.


Son règne est difficile, d'abord interrompu pendant les cent jours,  il est confronté aux différentes tendances qui divisent la France.

Modéré, il s'efforce de tenir compte des avancées de la Révolution, sans abandonner les principes fondamentaux de la monarchie.

Notes


(1) fils de Philippe VI, roi de France; succèdera à son père en 1350, sous le nom de Jean le Bon

(2) Louis est le fils de Jean le Bon; il avait épousé Marie de Blois 

(3) En 1380, elle lui lèguera ses titres sur les royaumes de Naples et de Jérusalem; elle meurt deux ans plus tard, assassinée dans sa prison

(4) Raymond est le plus souvent appelé Roger Roger

(5) Entre 1378 et 1417 il y a deux papes concurrents, l'un à Avignon, l'autre à Rome

(6) Charles du Maine est le frère cadet de Louis II, nouveau duc d'Anjou, après la mort de Louis Ier en 1384

(7) Marie de Blois

(8) dans Le coeur d'Amour épris

(9) Historien français -1798-1894-, auteur d'une monumentale Histoire de France

(10) Ecrivain français -1803-1870-, pratiquement le créateur du poste d'inspecteur des monuments historique 

(11) Journaliste écrivain et poète français -1808-1890- auteur de nombreuse citations non dénuées d'humour

(12) Le nouveau clocher est attribué à l'architecte angevin Jean de Lespine

(13) Bonnet porté par les magistrats du sommet de la hiérarchie de la justice

(14) Armand-Jean du Plessis de Richelieu, cardinal en 1622, entre au Conseil du Roi en 1624

(15) Anne-Marie Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, fille de Gaston d'Orléans

(16) Anne d'Autriche

(17) Ce sont les deux fils de Henri Ier de la Tour d'Auvergne, autre comte de Beaufort

(18) Il s'agit du neveu du cardinal, Armand Jean de Vignerot-du-Plessis

(19) Le couple avait eu deux autres enfants décédés très jeunes.

Références

Bibliographie

[COU] COULET, Noël, PLANCHE, Alice, ROBIN, François, Le Roi René - Le prince, le mécène, l'écrivain, le mythe, Edisud, 1982

[DEL] DELAHAYE, Nicolas, Histoire de l'Anjou, Pays et terroirs, 2005

[DEN1] DENAIS, Joseph, Le château de Beaufort et ses seigneurs, SA Editions de l'Ouest, 1928

[DEN2] DENAIS, Joseph, Le testament d'Antoinette Turenne, Revue historique de l'Ouest, 1889

[DEN3] DENAIS, Joseph, Monographie de Notre-Dame de Beaufort-en-vallée, Imp. Lachèze, 1874

[GUI]  GUITTON , Arnaud, Le château de Beaufort-en-vallée, Ville de Beaufort-en-vallée, 1988

[MIC]  MICHOLON, F., Un frère de Clément VI, Guillaume Roger de Beaufort, vicomte de la Mothe, L. Watel, 1936 

[GOD] GODARD-FAULTRIER, Victor, L'Anjou et ses monuments, Cosnier et Lachèse, 1839

[HAR] HARTHAU, L'âge d'or des livres d'heures, Elsevier, 1977

[HOM] HOMBERG, Octave et JOUSSELIN, Fernand, La femme du Grand Condé, Claire-Clémence de Brézé, Plon,

[PAL] PALADILHE, Dominique, Les papes en Avignon, Editions Perrin, 2008

[ROY] Le ROY, Pierre, La Reine Jeanne Jeanne de Laval, Editions régionales de l'ouest, 1996

[SAL] SALTARELLI, Jean-Pierre, Les véritables portraits de Clément VI, Grégoire XI et des Roger de Beaufort, vicomtes de Turenne ?, Bulletin n° 128 de la sciété scientifique historique et archéologique de la Corrèze, 2006

[UBA] UBALD d'Alençon, Comptes de ménage de Jeanne de Laval pour la période de 1455-1459, J. Sirodeau, 1901

[ZUB] ZUBER, Henri, Recherches sur l'activité politique et diplomatique de Henri de la Tour, thèse de l'école des chartes,

Site Internet

Les sites Internet sur les questions d'histoire et de généalogie sont trop nombreux pour les citer.

Entretiens

Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec : Claire Buchet, Joseph-Henri Dénécheau,  Pierre Hamelin et Daniel Schweitz, historiens.                        


Il convient de les en remercier.


Merci également :


- à Emmanuelle Toulet, conservateur en chef de la bibliothèque et des archives de Chantilly, pour avoir facilité l'accès aux ressources;

- à Danielle Oger, conservateur au musée des Beaux-arts de Tours, pour ses recherches;

- au service des archives de la ville d'Alès, pour l'envoi de certains documents;

- à Didier Van der Haegen, pour l'autorisation d'utiliser le fonds de son dictionnaire historique.


Pour terminer, l'auteur demande par avance l'indulgence des spécialistes. Le contenu de cette fiche ne peut prétendre être un exposé d'histoire. Il sera néanmoins heureux de corriger les grosses erreurs qui lui seront signalées sur le forum.



Date de mise à jour: 8 avril 2009                          Jean-Marie Schio