Les remparts de porte en porte

Il n'est point de ville sans murs.

Pour leur sécurité et pour préserver leurs privilèges, les bourgeois de Beaufort, ont sollicité du Roi François Ier l'établissement de murs autour des  habitations de la ville.

Les cinq portes établies sur les principaux axes de communication s'ouvraient sur des faubourgs où se regroupaient des activités spécifiques.

Aujourd'hui, il ne reste plus que quelques rares vestiges des murailles et tourelles de défense.

Des faits d'histoire y sont attachés. 

LA VILLE DANS L'ANCIEN RÉGIME

Parler d’Ancien Régime c’est d’abord évoquer un « régime », c’est-à-dire un ensemble de règles d’organisation et de fonctionnement de la société.
Celui que l’on appelle « l’ancien » , encore fondé sur la féodalité, a agonisé à la Révolution.
Mais, quand a-t-il commencé ?

A la fin du Moyen-âge, dit-on. Les Anglais boutés hors de France, le duc de Bourgogne vaincu, l’unité du royaume de France se construit. C’est le début des temps modernes, des grandes inventions, des découvertes géographiques et de changements de modes de vie, pour une partie de la population.
S’il faut mettre une date, les historiens proposent 1453, date de l’entrée des Turcs en Europe. On se demande bien pourquoi mais, aujourd’hui, le sujet revient à l'actualité.

Le bon roi René est duc d’Anjou et bientôt comte de Beaufort en titre.
Le bourg né à l’abri de la motte du château se développe principalement le long de l’axe principal commercial qui conduit d’Angers à Baugé.
Le château a perdu son rôle militaire et après le décès de Jeanne de Laval en 1498, il n’est plus qu’un symbole de féodalité et ne sert plus de résidence, sauf à quelque capitaine.

Le XVIe siècle commence sous d'heureux auspices. La Loire royale coule ses eaux à travers des régions en pleine prospérité [LEB].
La population reste essentiellement rurale mais les classes privilégiées, les riches et les intellectuels se regroupent dans le bourg ou aux abords immédiats.

Ces « bourgeois », au sens premier, souhaitent s’administrer eux-mêmes et s’assembler pour délibérer des affaires de la cité, sous l’autorité d’un procureur syndic, désigné par l’assemblée.
Il était très important de conserver et défendre les prérogatives que les habitants avaient eu bien du mal à conquérir, face au pouvoir royal et aux prétentions des seigneurs [BOIZ].
Les assemblées les plus anciennes ne faisaient l’objet d’aucun procès-verbal écrit. A Beaufort, à partir de 1590, les délibérations sont consignées sur un registre tenu par le syndic.

Un édit d’août 1692 crée dans toutes les villes du royaume un office de maire et des offices d’assesseurs. Ces charges donnent lieu à versement de taxes dans les caisses du Trésor royal qui a bien besoin d’être renfloué.
Le maire est le symbole de la ville, il ouvre et ferme ses portes, accueille les visiteurs illustres, préside en grand costume et grand cérémonial aux grand-messes, processions, réjouissances, deuils et autres rites majeurs [GOU].

Le premier maire de Beaufort est Pierre Le Seiller, désigné en 1693.
A partir du 25 janvier 1773, en application de l’article 6 de l’édit du mois de novembre 1771, le corps de ville est désormais nommé d’office par le Roi.
C’est ainsi que , le 25 octobre 1787, le Roi nomme :
- M. le Seiller de la Moisinière, officier honoraire du grenier à sel, maire de Beaufort ;
- René Moyré, doyen des avocats, premier échevin ;
- Pierre Giroust, ancien avocat, second échevin ;
- François Marie Danquetil de Ruval, bourgeois, premier assesseur ;
- André René Pelé, ancien contrôleur au grenier à sel, second assesseur ;
- François Roberdeau, lieutenant particulier honoraire de la sénéchaussée, procureur ;
- François Jouan, négociant, receveur ;
-Toussaint Prevet, notaire, secrétaire greffier.

Mais retour en arrière. Il n’est point de ville sans murs. La question est posée dès 1545.

LES REMPARTS : TRACÉ et CONSTRUCTION

Les habitants de Beaufort envoient une supplique à François Ier.
Ils argumentent. Dans le bourg, il y a plusieurs belles et bonnes maisons mais les beaufortais n’y sont point en sécurité. Trop souvent, femmes et enfants sont outragés et opprimés par des vagabonds et gens de mauvaises vie. Ces derniers  mangent et dissipent les biens, tant que les habitants ne peuvent plus satisfaire au paiement des impôts et nourrir les familles.
Ainsi, les habitants ont le projet de faire clore le bourg. Ils proposent d’en assurer eux-mêmes la dépense.

Le Roi se montre compréhensif et sensible aux arguments présentés.
En janvier 1545, il donne sa permission pour entourer le bourg de murailles, construire tours et portes, creuser des fossés, démolir les maisons qui pourraient gêner, en remboursant raisonnablement les propriétaires, etc.
Il y a bien sûr des conditions.
Il faut que la majeure partie des habitants consentent aux charges qui en résulteront et que les deniers du Roi ne soient aucunement retardés ni diminués. En clair, il n’est pas question de se prévaloir de cette dépense pour oublier de payer l’impôt.

Les travaux commencent mais plusieurs particuliers ayant biens, édifices, maisons et héritages à l’intérieur de la clôture commencée refusent de payer leur quote-part. Les travaux sont arrêtés.
Le Roi adresse une lettre, le 5 mars 1546, au sénéchal de Baugé pour lui demander de contraindre les récalcitrants à apporter leur contribution.
Il est précisé que la répartition des cotisations se fait sur le principe « du fort portant le faible », c’est-à-dire selon les possibilités contributives de chacun.

Mais quel était le tracé de ces murs et fossés ? où avait-on prévu des portes ?
Nous ne disposons pas du projet d’origine. Par contre, nous disposons d’un plan des douves et du chemin de ronde établi le 20 octobre 1784. Nous reviendrons ci-après sur les circonstances de l’exécution de ce plan.
Si, à cette époque les murs sont depuis longtemps détruits, leur trace est encore parfaitement visible et le tracé figurant au plan dressé par le géomètre est digne de confiance.
Dans les grandes lignes, les murs ou clôtures suivaient au Nord, le ruisseau de la Chalandrerie, au Sud-Ouest, la limite Nord du domaine du château, au Sud, une ligne quasi-horizontale passant par la place Meffray actuelle et rejoignant, à l’Est, la Rabâterie – voir image ci-dessous-.

Les murs d’origine sont certainement de construction sommaire puisque dès 1612 les habitants décident de refaire à neuf les portes, les clôtures, les fossés et les douves. C’est même un peu la panique trois ans plus tard quand on apprend que les armées de la Ligue s’apprêtent à passer la Loire.
Elles sont précédées d’une triste renommée dévastatrice.
Il faut vite organiser la défense, achever les fossés, couvrir les tours, mettre des planchers, poser des portails aux entrées et faire des guérites pour les gardes.
Les remparts vont-ils être terminés pour autant ? Sûrement pas.

En 1635, le calme est revenu à l’intérieur du pays. Louis XIII et Richelieu qui a la réputation de vouloir faire disparaître tous les symboles de la féodalité ancienne, mettent en adjudication la démolition entière du château et la vente des matériaux. Pourtant, à cette date, Richelieu est comte de Beaufort par engagement.
Un tiers du produit est destiné aux pères Récollets pour l’établissement de leur couvent. Le reste ira aux habitants de la ville pour construire murs et tourelles à partir de la tourelle étant derrière le tripot jusques à la porte des moulins en passant par la porte du château.

La porte des moulins, c’est la porte de la ville d’Angers. Il est clair qu’il s’agit ici de contourner l’emplacement du château rasé. Il est d’ailleurs précisé que les fossés du château doivent être comblés.
Le mur se continuerait ensuite jusqu’à la tourelle, derrière le tripot. Ce dernier est probablement un terrain de jeu de courte paume, pavé, entouré de murs.
Nous n’avons pas trouvé d’indication sur son emplacement. Nous ferons l’hypothèse des abords de l’ancien champ de foire, au bas de la rue de Bellevue actuelle.

L’adjudication en question n’a sans doute pas eu lieu et la construction des ouvrages, murs et tourelles, dont le devis a été établi, a été abandonnée.
A partir de cette date, murs, tourelles et fossés cessent d’être une préoccupation pour les habitants de Beaufort et les riverains ne se privent pas d’occuper les lieux, à titre personnel, renverser les murs dans les fossés et même y établir des constructions.

LA PORTE DE LA VILLE D'ANGERS

La porte de la Ville d’Angers est l’accès le plus important. Il ne subsiste aucun élément permettant de décrire cette porte.
Elle ouvre vers le faubourg des moulins et le ruisseau du Couasnon.
Au-delà, c’est la direction d’Angers, ville avec laquelle les échanges commerciaux et administratifs sont nombreux.

En 1622, un ordre de religieuses Franciscaines de La Flèche souhaite établir un monastère. Une maison est achetée,hors des murs, aux abords immédiats de la porte.
Cette fondation ne peut se réaliser et l’immeuble est revendu à la ville, dix ans plus tard. Celle-ci cherche un endroit pour transférer l’Hôtel-Dieu géré par les Récollets, à l’emplacement de l’actuel Hôtel-de-Ville.
Les malades sont acceptés dans les nouveaux locaux le 29 septembre 1933 [SIB].

Les installations sont encore en triste état quand, en 1669, la ville confie ses malades aux bons soins gratuits des religieuses hospitalières de Saint-Joseph. C’est le début d’une longue et passionnante collaboration qui durera trois siècles.
Nous en parlerons plus longuement, un jour.

Poursuivons jusqu’au Couasnon avec son moulin, son abreuvoir et son lavoir – voir la fiche Grand-moulin .
Le ruisseau peut être traversé à pieds secs en empruntant le pont de pierre. Il est quelquefois appelé, de nos jours, le pont romain, parce que de construction rustique. Il ne semble pourtant pas dater d’avant le XVIIe siècle. Encore, a-t-il été amplement modifié au siècle suivant.

Lors d’une visite réalisée par le sénéchal de Beaufort, en 1772, le petit pont est noté avec une seule arche. Il est dans un état de dépérissement qui ne permet plus le passage des marchandises. Les experts disent qu’une seule arche est insuffisante pour recevoir toutes les eaux qui affluent. Pour reconstruire le pont avec deux arches, il faut compter une dépense de 4 018 livres.
Les travaux correspondants ont probablement été réalisés peu après, en conservant une bonne partie de l’ancien ouvrage. Notons une curieuse pierre de couronnement de parapet comportant un bossage taillé –image ci-dessous-

Une coutume, dont les fondements semblent remonter à l’ancien moyen-âge, est attachée à ce pont.
On le sait, certains seigneurs s’étaient attaché un droit de cuissage ou de jambage, à l’occasion du mariage d’un de leurs serfs.
Si le marié ou l’épousée n’arrivait pas à réussir une certaine épreuve sportive, cette dernière devait s'acquitter d'une redevance en nature particulièrement infamante pour elle et le jeune mari [FRA].
Avec le temps et la régression de la féodalité, cette redevance au seigneur s’est quelquefois transformée pour être liquidée en deniers.

Ainsi à Beaufort, pendant plus d’un siècle, de 1671 à 1776, des courses de pelote sont organisées, tous les ans, au lendemain de Noël.
Tous les nouveaux mariés qui ont passé leur première nuit de noce dans la ville ou les faubourgs de Beaufort doivent payer au Roi une taxe de 16 sous, sous peine d’une amende de trois livres. Bien entendu, les nobles sont exemptés.
Pour éviter de payer, certains couples quittent la ville pour cette première nuit.

Il y a un moyen de récupérer sa contribution. Il faut ramener l’une des trois pelotes lancées , du pont dans le ruisseau, par des officiers royaux.
Le 26 décembre 1765, la course a lieu à l’issue des vêpres.
Les mariés, au nombre de vingt-cinq se présentent. Bien qu’ils soient exemptés de taxe, quelques nobles participent, motivés par l’épreuve sportive.

Les trois pelotes sont jetées de l’arche, l’une par le sénéchal, l’autre par le procureur du Roi et la troisième par le receveur du comté.
Pierre Bourdais, filassier, très efficace, en rapporte deux. Jacques Chevallier, bêcheur, rapporte la troisième.
La procédure est très officielle. Le procès-verbal est aussitôt dressé par Me Pierre-Bernard Poupard (1).

LA PORTE DE LA RABÂTERIE

A l’opposé de la porte de la ville d’Angers, la Grande rue s’arrête à la porte de la Rabâterie.
Si nous nous en rapportons au plan dressé en 1784, la porte s’appuie sur deux tourelles à base carrée.
Dans le pré-inventaire réalisé par le ministère de la Culture en 1978 (voir encadré) figure une photo des restes supposés de cette fortification, près du n° 11 de la rue de la Manufacture. Ces constructions ont été rasées depuis.

Le faubourg de la Rabâterie s’étire au long de la rue du Pavé actuelle. Au-delà, d'après la carte de Cassini dressée vers 1750 - image 3 -, il semble qu’aux temps plus anciens la route dirigeait vers la Noirette et Baugé, en évitant le marais du Nord de la ville.

Le faubourg de la Rabâterie est connu pour avoir regroupé beaucoup de maisons de tisserands, jusqu’au début du XIXe siècle.
Ce n’est sans doute pas cette particularité qui a laissé le nom.
Qu’est-ce donc qu’une rabâterie ?
Ce nom a été peu souvent utilisé pour un lieu-dit. Toutefois, nous le trouvons à Saint-Pierre-des-Corps, en Touraine. Des historiens locaux ont cherché l’origine probable de ce nom.
La conclusion en serait « le lieu où il faut peut-être voir des maisons hantées par les esprits ». Quand les fantômes rabâtent, ils font du raffut, du tapage, évidemment plutôt de nuit.

Pourquoi, à Beaufort, l’endroit aurait-il été choisi par les lutins pour s’exprimer ainsi ? Rien ne l’indique mais on ne peux s’empêcher de penser à des faits qui renvoient aux tisserands.
Il n’y a pas encore bien longtemps, dans un village des Mauges, le curé venait exorciser les métiers pour chasser les mauvais esprits, tenus pour responsables des fréquentes sorties brutales de navette.
Alors, « rabâts » chez les tisserands, pourquoi pas ?

La porte de la Rabâterie est aussi la sortie qui conduit vers la château de la Blinière, à une demi-lieue.
Les seigneurs de la Blinière possèdent plusieurs fiefs dont celui très important du Palis, en ville de Beaufort. Il en sera question, ci-après.

AUTRES PORTES , TOURELLES et DOUVES

La porte que nous connaissons le mieux est celle de la Chaussée. Les tourelles existaient encore à la fin du XVIIIe siècle et elle a été photographiée en 1895 –  image ci-dessous- .

Cette porte ouvrait la ville vers le Baugeois, au Nord. Dès la sortie, il fallait ensuite franchir une partie fréquemment inondée. C’est la raison de la construction d’une digue ou « chaussée » qui a laissé son nom à la rue qu’elle supporte.
Compte tenu de la présence du marais, la ville ne s’est guère étendue de ce côté, au delà des remparts.

Cette situation ne changera qu’à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée du train à Beaufort et l’implantation de la gare entre Chaussée et Montensais.
Les rues conduisant du centre de la ville à la gare sont progressivement élargies et il est probable que les tourelles soient alors devenues indésirables.

A l’Est, était la petite porte de Longué ou de la Fontaine. Cette porte était la plus petite des cinq. Le passage était réduit à huit pieds de large et neuf de haut. Les voitures ne pouvaient y passer qu’avec beaucoup de difficultés.
Il fut envisagé de l’élargir.
La Fontaine est encore le nom d’un lieudit situé à quelques centaines de mètres, après le Léard. Il est possible, compte-tenu de la configuration géographique, que des eaux propres couraient là, provenant, par la Galonnière, de sources émergentes au bas de la butte de Brion.

De la porte du Puits-Bauchard nous ne savons rien, sinon son emplacement sur la carte.
La porte ouvrait, au Sud, sur la direction des Rosiers, mais aussi, par la rue Fautras, sur la petite levée traversant les marais pour rejoindre le port sur la Loire à Saint-Maur.
La rue Fautras, longeant les murs à l’extérieur, est ainsi devenue un secteur d’extension de la ville assez important.

Ayant fait le tour des portes, il reste à parler des tourelles de défense.
Insérées dans les murs, elles disposaient de meurtrières pour poster les défenseurs. Au moins, quatre tourelles ont été citées. Seules deux d’entre-elles, au Sud, sont encore visibles aujourd’hui.
C’est Marie Davanel, femme de Gilles Crouin, qui aurait payé la construction de ces deux tourelles et du mur qui les joignait [DEN].
La date de 1587 est restée inscrite sur une pierre de l’une d’elle – voir Logis Crouin
Nous reviendrons plus loin sur ces tourelles.

Au Nord, la ville était protégée par une douve qui drainait, en même temps les eaux des marais.
Mise en communication avec le Couasnon, à l’aval des grands moulins, la douve a ainsi pris le nom de ruisseau de la Chalandrerie.
Celui-ci est rapidement devenu une cause d’insalubrité notoire.
Il s’y installe de nombreux routoirs (2), lieu de pourrissement végétal, rendant les eaux infectes.

Les officiers de police sont obligés, en 1774, d’interdire de faire rouir le chanvre, à partir du canton de la Chaussée, jusqu’aux grands moulins, en passant par les terres des marais, dans aucun douet(3), douve ou fossé de la ville, eau courante et morte.
Le ruisseau sert aussi d’égout pour les habitations et industries de la ville du versant Nord, en particulier les manufactures de Joubert-Bonnaire.
De plus, les murs s’écroulent dans la douve retenant les eaux qui alors, y croupissent.

En 1834, au moment ou la municipalité fait dresser un projet de lavoir près des grands moulins, constatant une nouvelle fois l’insalubrité des eaux du ruisseau qui se déversent à cet endroit, elle propose au conseil de faire remettre la douve d’enceinte à trois mètres de largeur.

LES INVENTAIRES du MINISTÈRE de la CULTURE


Le souci de dresser un inventaire des biens culturels naît au XVIIIe siècle.
L’abbé Grégoire présente un rapport à la Convention en recommandant à la surveillance de tous les bons citoyens, les monuments de sciences et d’arts appartenant à tous.
L’inspection générale des monuments historique est créée en 1830, avec un objectif de protection.
Une première liste, établie en 1840, ne comprend que des monuments préhistoriques et des bâtiments antiques ou médiévaux. Il faut attendre 1920 pour que le classement s’ouvre au patrimoine privé.

Aujourd’hui, les immeubles dont la conservation présente, du point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public peuvent être classés en totalité ou en partie.
Ceux qui ne justifient pas un classement immédiat mais, présentent un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent être inscrit sur l’inventaire supplémentaire.

A Beaufort-en-vallée,  sont classés :
- le chœur de la chapelle, la sacristie et le réfectoire de l’ancien couvent des religieuses hospitalières de Saint-Joseph de la Flèche,
- la chapelle et quelques vestiges de l’ancien prieuré d’Avrillé.
Sont inscrits :
- les ruines du château ;
- l’église Notre-Dame ;
- des éléments du manoir de Princé.

Au-delà du souci de protection, André Malraux crée en 1964 le service des monuments et richesses artistiques pour recenser, étudier, faire connaître toute œuvre qui, du fait de son caractère artistique, historique ou archéologique constitue un élément de patrimoine national, dans un contexte de recherche scientifique.

En Maine-et-Loire, un comité est mis en place dès 1968.
Un pré-inventaire est réalisé sur la commune de Beaufort-en-vallée en 1978.
Les informations collectées dans chaque département sont intégrées aux bases de données nationales.
Les données les plus élémentaires sont mises en ligne sur Internet, notamment dans les bases MERIMEE, pour l’architecture et PALISSY, pour les objets.

LA FIN DES REMPARTS ET DES PORTES

Fin du XVIIe siècle, les finances du royaume s’épuisent. Louis XIV vit dans le faste et entretient des guerres coûteuses. Colbert n’est plus là pour gérer.
Pour se donner des ressources nouvelles, le Roi déclare propriété royale, les places qui ont servi aux clôtures, fossés, remparts et fortifications des villes du royaume, sensées être vacantes et inutiles.
Il en ordonne la vente et l'aliénation.

Il fait dresser un état, précisant qu’il faut comprendre le long des clôtures une bande de terrain de cinq à six toises de large nécessaire pour monter le canon et espacer les hommes armés de pique.
On lui rend compte rapidement que ces places sont, pour leur majorité, occupées par des particuliers qui les tiennent de ventes ou concessions consenties par les maires et échevins des villes. Ou plus simplement, ils s’en sont emparés par bienséance et y ont éventuellement construit des édifices.

Le Roi est conscient qu’il ne peut poursuivre son projet sans causer un préjudice considérable aux occupants des dites places.
Il se résigne à laisser ces derniers en leur possession et jouissance mais, à la charge, pour eux, de payer au Trésor, chaque année, douze deniers pour chaque arpent occupé.
En même temps, il les décharge de tout cens, rente ou redevance prétendues par les Villes et Communautés.
Cette déclaration est registrée au Parlement de Paris, le 10 mars 1696.

Pierre Le Seiller, conseiller du roi et maire, donne suite le 3 septembre 1696, pour ce qui concerne Beaufort.
Il répond qu’il n’y a aucun édifice construit en attenance aux fossés et murailles de Beaufort, ni dehors, ni dedans.
Il n’y a pas non plus de places vacantes, ni jardin, la dite ville n’étant qu’en partie close.
Il est seulement dû des deniers patrimoniaux à la ville, pour un total de 12 livres 5 sols, essentiellement pour des petites « tourettes » occupées par des particuliers, soit :
- deux , joignant le portail de la Chaussée ;
- une, occupée par un boulanger au portail des moulins ;
- une, au portail du puits Bauchard ;
- une, proche du portail ci-dessus ;
- une, proche de la petite porte.

Un état descriptif et nominatif des terrains non construits a ainsi été dressé et vraisemblablement transmis aux fins de taxation des particuliers concernés et régularisation des titres.

Trois-quarts de siècle se passent. Louis XVI donne l’Anjou et donc le comté de Beaufort, à son frère Louis Stanislas Xavier, comte de Provence.  C’est le 11 juillet 1771. On l'appellera "Monsieur".

Dès l’année suivante, celui-ci commissionne le sénéchal et le procureur du Roi pour faire le bilan des réparations et reconstructions à faire sur les bâtiments étant à la charge du Roi.
La visite comprend les remparts.

Pour ces derniers le constat est plus qu’inquiétant.
La porte d’Angers est dans le plus mauvais état. Les deux jambages sont entièrement dégradés par le froissement des voitures. Entre cette porte et celle du puits Bauchard, il ne reste que quarante toises de mur, en très mauvais état. Cette dernière porte menace d’une ruine prochaine.
En continuant vers la petite porte, il n’existe que trois tours et quelques murs dans le plus grand délabrement.
La porte de Longué est trop petite et les assises sont sorties de leur aplomb.
Entre cette porte et celle de la Rabâterie, le mur, s’il n’est réparé, tombera infailliblement. C’est la même chose pour cette dernière porte qu’il faudra reprendre en sous-œuvre.
En suivant jusqu’à la porte de la Chaussée, il n’existe qu’une petite tourelle et les fossés sont comblés par les décombres des murs.
Sur cette porte, il faut aussi reprendre les premières assises en sous-œuvre et refaire à neuf une partie des jambages.
Quant à la partie douve, au Nord, elle est comblée par les murs, tous écroulés.

Les dépenses à faire sont chiffrées par les experts. Pour l’ensemble des bâtiments et constructions à la charge du Roi, les châteaux de Beaufort et de la Ménitray, les halles, les ponts, murs et fossés, le montant atteint 290 000 livres.

Il n’y a guère eu de suites en ce qui concerne les remparts, sinon que le 19 juin 1779, Monsieur permet aux habitants, sur leur demande, d’abattre et démolir les tourelles et portes de la ville de Beaufort.
Les ouvrages n’ont plus aucune utilité et leur démolition est de nature à embellir la ville.
A la place des portes, il est prévu de construire de simples piliers pour marquer les entrées de ville.

Malgré tout, Monsieur n’oublie pas qu’au titre de son apanage, il reste propriétaire des ouvrages restants et des terrains et emplacements qui en font partie.
Les arguments et procédures de 1696 ressortent.
Le propriétaire du fief des Palis (4) qui s’étend sur une partie de la ville de Beaufort, est accusé d’usurpation pour avoir consenti des baux à cens sur certains terrains.
La majorité des particuliers ,excités par les officiers municipaux et le seigneur du fief des Palis, refusent de contracter avec Monsieur.

Ce dernier décide de faire dresser un plan de la totalité des objets et d’annoncer ensuite publiquement ses droits et sa résolution d’en faire usage.
Le plan est signé par Béritault de la Sablonnière, le 20 octobre 1784.
Pour le château, les douves, le chemin de ronde et les maisons du champ de foire, la surface pouvant être accensée (5) est de 8429 toises (carrées). Compte tenu de la procédure suivie, le conseil de Monsieur estime, le 28 mars 1786, que les prétentions des officiers municipaux et du seigneur des Palis s’évanouiront d’elles-mêmes et qu’on mettra autant d’empressement à obtenir les « accensements » de Monsieur qu’on a porté jusqu’à présent de lenteur et de répugnance à les demander.

L’affaire devait être traitée dans l’année. Qu’en a-t-il été ?
Quatre ans plus tard, dans la nuit du 4 août 1790, féodalité et privilèges sont abolis et Monsieur perd son apanage.

LES TOURELLES A RENÉ MARMIN

Des remparts de Beaufort, il ne reste aujourd’hui que deux tourelles et quelques pans de mur entre le boulevard du rempart et la rue de la Petite porte.
Il s’en est fallu de peu que les tourelles disparaissent avant la Révolution.

René Marmin, conseiller du Roi et commissaire aux saisies réelles de la Sénéchaussée de Beaufort avait acquis, le 13 octobre 1770, la propriété du logis Crouin , cité plus haut, avec les terrains entre rue Bourguillaume et boulevard du Rempart.
Il sait que, sur son terrain, les ouvrages des remparts ont été réunis au domaine royal, donc les tourelles et le mur qui les joint.

Ceux-ci sont en mauvais état. René Marmin, pour améliorer l’aspect de sa propriété, propose à l’assemblée des maire et échevins, le 23 décembre 1771, d’entretenir ces ouvrages et d’y faire des augmentations qu’il jugerait à propos.
Il obtient cette autorisation , sous réserve de l’interdiction de faire une quelconque démolition.

Il fait exécuter les travaux. C’est sans doute à ce moment là qu’il fait ouvrir la porte que nous voyons aujourd'hui sur la tourelle Est –image ci-dessous-.
Sur cette image, les parties disparues depuis ont seulement été figurées au trait.
Le détail - à côté - des meurtrières est intéressant. Une fourrure en bois est placée au nu extérieur du mur. Moins friable que le tuffeau, c'est elle qui est percée d'un orifice pour passer le canon du fusil.

tour et détail de meurtrière

Quand René Marmin décède le 11 juin 1779, la propriété passe à sa femme Louise Chevallier.
Deux ans plus tard, l’intendant des finances de Monsieur reçoit une lettre de M. Tessié du Mottay (6). Le sieur Pierre Panonceau, salpêtrier, vient de remettre à ce dernier un plan d’une partie de la douve de Beaufort, devant le jardin de Madame Marmin.

Pierre Panonceau avance qu’il a reçu l’accord de l’intendant pour une aliénation des terrains et tourelles à son profit.
L’opération profiterait à Monsieur, en lui procurant une rente de plus et occasionnerait l’embellissement de la ville.
Pierre Panonceau assure que les officiers municipaux ne sont pas opposés à cette concession.
M. Tessié fait une estimation du cens qui pourrait être fixé, étant entendu que le terrain a peu de valeur parce que trop étroit et encombré de pierres. Il propose cinq livres de rente.

Madame Marmin apprend la démarche de Pierre Pananceau. Elle s’inquiète et en parle à son notaire, Jean-Pierre Béconnais, par ailleurs père de son gendre.
Le 11 février 1781, Jean-Pierre Béconnais adresse une lettre au conseil de Monsieur pour faire part de son étonnement et rappeler l’autorisation donnée à René Marmin, en son temps.
Celui-ci a fait recouvrir les deux tourelles d’ardoises et a engagé, pour cela, une dépense de 400 livres.
Il serait désagréable pour Madame Marmin d’en être pour ses frais et encore d’être privée de l’agrément de la vue, si quelqu’un venait à bâtir sur les murs.

Le notaire rappelle qu’à l’origine les murs ont été construits par les habitants, chacun sur son fond, comme il est constaté par les titres de l’hôtel de ville et ceux du seigneur du Palis, dans la mouvance duquel sont situés les terrains en question.
La procédure a probablement été suspendue à ce moment, les officiers de la maison de ville s’opposant alors à son exécution, prétextant le projet d’aménagement d’une promenade.

Pierre Pananceau fait plusieurs relances, précisant d’ailleurs son intention de niveler le terrain et d’établir un logement à cet endroit, y déposer des salpêtres et autres matériaux.
A coup sûr, les tourelles en seraient condamnées.
Il propose maintenant un cens de dix livres, puis douze ou même quinze.
Il fait intervenir des personnalités, comme la comtesse d’Aubéry et M. Dupetit Thouars (7).

Il a des arguments liés à sa profession. En effet, les salpêtriers qui agissent pour le bien de la Nation, ont le privilège de pouvoir réclamer aux officiers municipaux, l’affectation d’un logement pour leur activité.
Rien n’y fait.
L’intendant de Monsieur, de son côté, ne désarme pas sur la question finance.
Le receveur des deniers patrimoniaux de Beaufort assigne la ville à comparution en raison d’un droit d’amortissement (8) pour les deux tourelles mises dans le commerce.

L’assemblée des habitants, réunie le 9 février 1786, se défend en précisant que les murs et tourelles en question n’ont point été aliénées au sieur Marmin qui n’a été obligé de payer aucune redevance.
Si l’occupation accordée en 1771 devait être considérée comme un transfert de propriété, ce serait au sieur Marmin de payer le droit d’amortissement réclamé.

Pierre Pananceau fait une dernière tentative en 1789, auprès de Monsieur, pour obtenir terrain et tourelles.
Les événements ne vont pas tarder à rendre caduque cette démarche.

Dans l’affaire Pananceau, Louise Marmin a été particulièrement bien soutenue par les officiers municipaux.
Ce n’est pas très étonnant. Mis à part le fait que ces derniers prenaient maintenant quelques distances par rapport aux intérêts royaux, Louise Marmin avait su, par ses quatre filles, s’allier aux familles influentes de la Ville.

Le 8 septembre 1780, c’est une double noce à Beaufort.
Louise Marmin épouse Jean-René Béconnais, notaire influent de la ville et sa sœur Anne épouse Louis Pierre Lorier, autre notaire du Roi, futur juge au tribunal du district de Baugé, puis conseiller à la cour impériale d’Angers.
Le 3 février 1784, Julienne épouse Charles Urbain Chevallier, juge gruyer (9) de la ville, appelé le chevalier de la porte de ville.
Le 5 novembre 1792, Jeanne épouse René Philippe Chevaye, fils de René Chevaye, le nouveau maire élu de la commune.

Tous ses honorables messieurs vont se retrouver aux premiers rôles dans la Société populaire de Beaufort (10). Inspirée du club parisien des Jacobins, cette association, très organisée, veut « aider de ses lumières, quiconque en aurait besoin, en fortifiant le faible, en secourant l’indigent, en prenant la défense de l’opprimé, en un mot en vouant toute son exécration aux oppresseurs, aux tyrans et à toute espèce d’usurpateurs de l’autorité … »

Pierre Pananceau s’est lui aussi inscrit à la Société populaire. Cela ne l'empêchera pas, en 1794, d'être suspecté par cette dernière d'utiliser dans son entreprise de la main d'œuvre bon marché. Des jeunes gens réfractaires au service de la nation cherchaient, en effet, à se faire employer, soit à la Manufacture, soit chez un salpêtrier.

Pierre Pananceau se consolera de son infortune en mariant sa fille Hélène, le 20 avril 1803, à Achille Chansiergue du Borg, de noble naissance (11), tout récent professeur de peinture à Beaufort.

François-Marie Danquetil de Ruval, que l'on a vu nommé officier municipal par le Roi en 1787 est, depuis le 8 juillet 1800, maire de Beaufort.
Il le restera jusqu'en 1830, servant tout aussi passionnément, la République, l'Empire et la Restauration.

Un nouveau régime se construit.

Notes


(1) Pierre-Bernard Poupard de Moru sera le premier juge de Paix de Beaufort après la Révolution

(2) routoir ou rouissoir où l’on laisse macérer les fibres de chanvre dans l’eau

(3) douet :trou d'eau créé de la main de l'homme pour le rouissage du chanvre

(4) le fief du Palis, ou Pallis, avait son siège dans une maison de la rue qui porte encore ce nom; il dépend de la Blinière

(5) accensée : donnée à cens, à bail

(6) la famille Tessié est connue aux Rosiers comme dynastie de maîtres de poste

(7)  Aristide Aubert Dupetit Thouars(1760-1798), né à Saint-Martin de la Place, est capitaine de vaisseau, héros légendaire de la bataille d'Aboukir

(8) le droit d'amortissement est une redevance payée au seigneur par certaines personnes, notamment morales, qui ne peuvent transmettre leurs biens par héritage; c'est une compensation des droits de mutation qui n'interviendront jamais

(9) juge gruyer : officier des eaux et forêts, juge en première instance des délits

(10 ) la Société populaire de Beaufort, créée en 1793, est forte d'au moins 150 membres

(11) Achille François Chansiergue du Borg, né le 5 août 1781, fut page de Louis XVI


Références

Bibliographie

[BOI] BOIZARD, René, Les communautés rurales sous l’Ancien Régime en Anjou, Mémoires de l’Académie des sciences, Belles-Lettres et Arts d’Angers 1981-1982
[DEN] DENAIS, Joseph, Portefeuille d’un curieux G. Grassin 1913
[FRA] FRAYSSE, J. et C. Les Troglodytes en Anjou à travers les âges, Imp. Fabre, Cholet, 1984
[GOU] GOUBERT, Pierre, ROCHE, Daniel, Les français et l’Ancien Régime, Editions Armand Colin, 1992
[LEB] LEBRUN, François, histoire des Pays de Loire, Editions Privat, 2001
[SIB] SIBENALER, Jean, Les hospitalières de Beaufort-en-vallée, Nuances 2003


Entretiens


Cette fiche a été élaborée suite à des entretiens personnels, notamment avec : Odette Boussin et Clément Beaussier. 

 

Il convient de les en remercier.


Merci à Claire Steimer du service départemental de l'inventaire de Maine et Loire, pour ses précieux conseils et l'accès au fond documentaire. 

Merci à Christine Faure, archiviste à la mairie de Saint-Pierre des Corps, pour les documents transmis



Date de mise à jour: 12 septembre 2009              Jean-Marie Schio