Souvent, les thèmes abordés en classe sont amenés par le biais de supports de cours compilés par l’enseignant·e ou de documents de classe “prêts à l’emploi”. Il est alors du ressort de l’enseignant·e d’apprêter - ou non - ces supports afin de les rendre intelligibles et accessibles pour les élèves. Au moment d’arriver au sein de la classe, les savoirs sont, pour reprendre la formulation de Chevallard, inévitablement et nécessairement passés par une transposition didactique. Les savoirs savants ne peuvent en effet pas être enseignés tels quels, et la “réalité de la science” est inévitablement adaptée pour ce qu’on peut appeler “l’écosystème-classe” (Chevallard, 1991).
Cependant, il est demandé aux enseignant·es de développer l’esprit critique des élèves, et de les préparer aux enjeux et aux questionnements que leur réserve leur futur dans un monde toujours plus complexe. Les cours de science sont ainsi amenés à évoluer dans ce sens, et l’une des entrées qui nous semblent pertinentes dans ce contexte concerne la façon d’aborder les savoirs en classe, et les sources utilisées à cette fin.
Sans avoir la prétention de chercher à éviter toute transposition didactique (cette dernière étant nécessaire et inévitable), il nous semble envisageable de donner accès aux élèves à des données issues de la recherche. Ces données pourraient être exploitées dans une optique de complétion ou de comparaison avec des données plus communément utilisées en classe, et non de remplacement de celles-ci.
L’utilisation de données “brutes” transgresse par définition le parcours menant les savoirs de la recherche à la classe. Comme évoqué précédemment, la confrontation des élèves avec ces données brutes n’est pas une habitude, les savoirs savants étant séparés de l’écosystème classe par les différents échelons de la transposition didactique, et elle n’est donc pas une chose aisée. Ainsi, et pour que ce passage soit tout de même possible, il sera essentiel de penser et de mettre en œuvre un guidage rassurant pour les élèves et leur permettant de s’approprier une façon de travailler qui se rapproche de ce qu’est “faire de la science”.
Afin d’essayer d'intégrer des données issues du savoir savant au processus d'apprentissage, et ainsi de dépasser un peu les "échelons" de la transposition didactique telle que définie par Chevallard, nous nous intéresserons à l’aspect des outils numériques permettant le traitement de données biologiques et à l’utilisation que les élèves peuvent en faire. La problématique, qui découle de cet aspect et sur laquelle nous travaillerons, et la suivante:
Comment exploiter en classe les données numériques issues de la recherche pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?
Conjecture 1:
Si les élèves sont amenée·es à utiliser des données numériques transposées (proches des données originales), ils·elles seront à même de les exploiter.
Conjecture 2:
Si les élèves utilisent des données (légèrement transposées) issues de recherche, ils·elles pourront valider un modèle avec des données proches des données originales.
Conjecture 3: (idée adaptée du groupe 6)
Si les élèves utilisent des données numériques, ils·elles seront amené·es à se questionner sur les méthodes menant au modèle présenté en classe (un arbre phylogénétique “consensus).
L’artefact utilisé s’appelle PhiloPhylo (http://education.expasy.org/cgi-bin/philophylo/philophylo.cgi). Il permet de sélectionner un certain nombre d’espèces, d’aligner des extraits de leurs séquences d’acides aminés, puis de construire un arbre phylogénétique se basant sur ces extraits. Par l’utilisation de cet artefact, les élèves accèdent à des données moléculaires auxquelles elles et ils n’ont que difficilement accès par l’utilisation de documents de classe.
ED1 et sa mise en place en classe:
Un rappel théorique a dû être apporté en amont de l’utilisation de l’artefact; bien que transposées, les données à disposition sur PhiloPhylo restent relativement difficiles d’accès pour les élèves sans accompagnement préalable. Une aide supplémentaire a été apportée au groupe dont la tâche était de compter les différences entre les séquences d’acides aminés du Cytochrome B (très longue). La mise en page de ces séquences sur PhiloPhylo n’est pas adaptée au comptage visuel ce qui rend cette tâche extrêmement chronophage et prompte aux erreurs. Nous avons donc décidé de fournir un document Excel avec les données formatées pour un comptage efficace dans lequel la séquence d’acides aminés de l’humain se trouve juxtaposée au trois autres séquences.
ED4 et sa mise en place en classe:
La comparaison des arbres construits à partir des données de l’artefact entre eux et avec l’arbre de référence donné en début de leçon a été menée de façon individuelle, après mise en commun des résultats obtenus pour chaque protéine étudiée. Cet ED (ED4) a été mené tel que prévu.
ED3 et sa mise en place en classe:
La vérification des arbres que les élèves ont construit manuellement à l’aide de la construction grâce à PhiloPhylo a également demandé un peu de guidage: l’artefact pose des contraintes à la construction et à la lecture (nombre de séquences minimum, lecture de l’arbre, longueur des branches, ...), nous avons donc expliqué aux élèves les étapes qu’ils·elles devaient faire pour y arriver. Cela a engendré un certain nombre de questions, que nous discuterons dans notre analyse.
Analyse des tableaux de comparaison et des arbres de parenté.
Tous les élèves ont correctement relevé le nombre de différences entre les différentes espèces et les arbres de parenté construits sont tous cohérents avec le comptage.
À partir de Millar table 4 (p.11) (Millar, 2009)
Les questions sur le fonctionnement de l’artefact et des données:
Est-ce que le comptage des différences se fait automatiquement avec le programme PhiloPhylo ?
Quand il y a un trait, c’est une différence ou pas ?
Pourquoi certaines séquences de protéines sont plus courtes que d’autres ? Cela suffit pour la construction de l’arbre ?
Pourquoi seulement une partie de la séquence de l’insuline a été utilisée ?
question posée 1x
question posée 2-3x
question posée plus de 3x
/
A et C
B
Les questions sur la création d’arbres en général:
On ne devrait pas aussi compter les différences entre chimpanzé et bœuf, chimpanzé et poulet, etc ?
Autre organisme de référence ?
Et si on avait comparé avec le chimpanzé comme référence, on aurait trouvé la même chose ?
Je n’ai pas le même arbre que sur PhiloPhylo, est-ce normal ? (groupes-frères inversés)
Comment on sait comment compléter l’arbre ?
Du coup pour classer les espèces, par exemple les espèces de primates qu’on a vu au dernier cours, les scientifiques se sont basé·es sur des séquences de protéines ?
Pour faire l’arbre de la partie I, les scientifiques ont aussi compté le nombre de différences comme nous venons de le faire ?
question posée 1x
question posée 2-3x
question posée plus de 3x
C
B, D
A
Ce que nous avons pu observer en classe semble montrer que l’effet attendu 1 a été réalisé: l’ensemble des élèves s’est mis au travail et a effectué le travail de comptage (EO1). La réalisation des arbres de parenté à partir des résultats obtenus a également été menée à bien et sans problèmes manifestes (EO3). Un seul élève a eu besoin d’aide supplémentaire pour faire le lien entre les séquences protéiques et leur utilisation dans la construction d’arbres. Ces observations confirment également que la crainte d’utiliser des données moins transposées (issues de la recherche) n’a pas découragé les élèves, qui les ont intégrées à leur réflexion et à la suite de leur travail (questionnaire).
Par ailleurs, bon nombre de questions ont été posées concernant la création des arbres, que ce soit ceux à construire grâce à l’artefact ou de façon générale sur la construction de tout arbre phylogénétique.
Les observations de la part des enseignant·es du travail effectué et certaines interrogations des élèves concernant l’utilisation de PhiloPhylo reflètent un questionnement sur l’utilisation de l’artefact et la création d’arbres phylogénétiques en général. Certaines d’entre elles permettent de penser que la validation de l’arbre déterminé par comptage avec celui construit par PhiloPhylo a été mise en place par les élèves (EA2). (“Je n’ai pas le même arbre que sur PhiloPhylo, est-ce normal ? (groupes-frères inversés)”). L’enseignant·e, en passant dans les rangs, a pu vérifier que le travail était effectué par les élèves. Cependant, le nombre de questions concernant cet EA ont été assez rares, et nous n’avions pas prévu de question écrite spécifique dessus; ainsi, l’évaluation de cet EA reste peu concrète.
Le troisième effet attendu (EA3) a été observé par l’EO1 quand les élèves effectuent la tâche de comptage manuel des différences d’acides aminés entre les séquences de protéines pour les 4 organismes. Le fait que les élèves acceptent les tâches proposées et manipulent ces données nous permet de constater qu’il n’y pas eu de craintes empêchant la mise au travail. Nous n’avions pas d’indicateurs préalables concernant des craintes avant la mise en place de l’activité, mais notre dispositif a manifestement permis de surmonter d’éventuels obstacles.
Le quatrième effet attendu (EA4) a été observé en classe: la plupart des élèves a répondu aux questions concernant la vérification de leurs résultats obtenus par PhiloPhylo. En se référant au tableau d’analyse de l’EO2, il semble que le lien de parenté mammifères - oiseaux ait été fait pour la plupart des élèves. Par contre, bon nombre d’élèves a rencontré des difficultés à expliciter la différence entre l’arbre de référence et les arbres PhiloPhylo concernant les informations qu’ils peuvent apporter (groupes/organismes pouvant être représentés). Il est difficile de savoir si ces difficultés observées sont issues d’une mauvaise compréhension du contenu de l’exercice ou d’une formulation inadaptée de la question 2 du questionnaire. Cette problématique avait été anticipée, mais nous n’avons trouvé aucun arbre morphologique de référence idéal qui aurait permis aux élèves de placer les 4 organismes dans la partie 1 de cette activité.
L’EA5 est, au vu de nos EO, difficilement évaluable. En faisant compter les différences entre les séquences par les élèves, nous espérions induire un questionnement sur le sens de cette démarche: les scientifiques font-ils/elles ça? N’y a-t-il pas un moyen de le faire automatiquement? En construisant les arbres pour vérification avec PhiloPhylo, nous pensions amener des éléments de réponse en explicitant le fait qu’effectivement, les outils informatiques permettent de s’épargner du temps et de gagner en exactitude. En l’occurrence, nous n’avons pas relevé de questions concernant cet aspect de l’utilisation de l’artefact. En revanche, nous avons relevé quelques questions d’élèves nous donnant le sentiment qu’une réflexion sur la puissance des outils informatiques a été initiée. Pour pouvoir le mesurer de manière plus concrète, il conviendrait de définir un nouvel effet observable ciblé sur cet aspect.
L’idée initiale qui a motivé notre choix d’utiliser l’artefact PhiloPhylo était de faire comparer différents arbres construits grâce à l’artefact, pour faire émerger un doute et un questionnement autour de la construction d’arbres. Ayant pris acte que cette stratégie pourrait se révéler contre-productive et induire plus d'incertitudes que de questionnements permettant de mieux comprendre le sujet à traiter, nous avons modifié nos ED, qui sont devenues celles qui ont été présentées. En conséquence, nous avons également complètement modifié les modalités d’intégration de l’artefact, dont l’essence a perdu de la place dans le dispositif.
Cela dit, nous avons exploité les qualités de l’artefact pour répondre au mieux à notre question de recherche. En effet, à défaut d’utiliser la comparaison entre arbres qui semblait délicate, nous avons décidé d’ajouter un ED mettant en évidence l’importance de la comparaison entre séquences qui est la tâche qui a permis de mettre du sens sur la détermination des liens de parenté entre organismes. Cet élément n’est que peu explicite lors d’une utilisation “standard” de PhiloPhylo. En quelque sorte, nous avons donné à voir aux élèves ce qui se cache derrière la construction d’arbres phylogénétiques.
PhiloPhylo a permis une approche claire de la détermination des liens de parenté entre organismes grâce à la transposition des données brutes issues d’UniProt. Les séquences protéiques fournies aux élèves sont en effet préalablement alignées et annotées (code couleur), ce qui permet leur utilisation par les élèves.
Cependant, le dispositif d’enseignement mis en place n’est pas optimal par rapport aux possibilités d’utilisation de PhiloPhylo. Le comptage de différences entre séquences de protéines et la construction d’arbre de parenté s’y rapportant peut se faire sans avoir recours à cet artefact. Dans notre dispositif, nous avons utilisé PhiloPhylo principalement comme une banque de données de séquences alignées, mais relativement peu comme un outil de construction d’arbres phylogénétiques. Ce rôle détourné (limité à la validation des arbres de comptage) n’a probablement pas encouragé les élèves à ressentir la réelle puissance de ce genre d’outils.
Pour la classe du CO, la source des séquences PhiloPhylo aurait pu être discutée, afin de permettre aux élèves de mettre du sens sur les données avec lesquelles ils·elles travaillent, de les ancrer dans un contexte.
Le fait de faire compter les différences aux élèves avait, comme dit précédemment, l’ambition de leur faire réaliser la puissance des outils informatiques par le “contre-exemple”. Cependant, PhiloPhylo n’est pas destiné à ce type d’exercice, et ce comptage aurait aussi bien pu être effectué sur la base de séquences “papier”, si on pousse un peu la critique.
La construction des arbres pour vérifier ceux construits manuellement a effectivement permis une validation de la méthode utilisée; les élèves ont retrouvé un arbre similaire à celui construit à la main. Cependant, nous n’avons pas exploité les différents aspects - intéressants - des arbres PhiloPhylo: la longueur des branches, ou encore le fait que les arbres obtenus ne donnent pas toujours les mêmes liens de parenté si on ajoute des espèces ou qu’on prend d’autres protéines. Nous avons ici choisi de laisser ces éléments de côté, en sélectionnant ce qui nous permettait de réaliser nos EA. Mais ce choix ne permettrait pas de continuer de travailler avec PhiloPhylo, ces limites étant directement atteintes. Ainsi, dans le cas où nous voudrions poursuivre le travail ou inciter les élèves à utiliser l’artefact, il faudrait traiter de façon plus large ses utilisations.
Le choix de ne comparer les séquences qu’en référence à l’humain pose une limite à la compréhension de la construction “réelle” d’arbres phylogénétiques. Les élèves ont d’ailleurs régulièrement posé des questions vis-à-vis de cet aspect. Ces questions ont donné lieu à des discussions sur la construction d’arbres, ce qui est précisément une conjecture que nous voulions évaluer; par ailleurs, les limites de ce qui est faisable “à la main” ont également été mentionnées, permettant la mise en avant de la puissance des outils informatiques.
Si les élèves sont amené·es à utiliser des données numériques transposées (proches des données originales), ils·elles seront à même de les exploiter.
Il nous semble que les élèves ont été en mesure d’exploiter les données numériques auxquelles ils/elles ont été confronté·es.
L’artefact utilisé fournit un support utilisable et accessible aux élèves. La confrontation à PhiloPhylo n’a pas soulevé de problèmes techniques. Bien que les élèves ne soient pas habitué·es à être mis·es face à des données numériques, cette confrontation n’a pas freiné la mise au travail; les élèves ont pu tirer des informations permettant de compléter leurs connaissances sur le sujet traité.
Le choix didactique d’utiliser des arbres à des fins de vérification et non à une exploitation plus complète a rendu l’artefact “facilement utilisable” (y compris la construction des arbres), mais les concepts derrières sont complexes. Nos choix ont permis de vérifier notre conjecture, mais comme relevé précédemment, il nous semble intéressant de se poser la question d’une utilisation alternative (ED peut-être différents), permettant une exploitation plus “large”, plus complète de l’artefact comme un travail plus approfondi sur les arbres et leur complexité par exemple. Une question subsidiaire est celle de savoir à quel niveau de la scolarité les élèves sont armé·es pour être confronté·es à cela.
Cette conjecture pourrait être testée avec un artefact différemment transposé. Les objectifs d’une telle mise en œuvre seraient cependant à définir (travailler l’alignement de séquences? travailler la recherche de données exploitables sur une banque de données?) . Les difficultés techniques, didactiques et scientifiques sous-jacentes rendent ce genre d'activité plus complexe à mettre en place. (moins facilement utilisable)
La transposition des données sur PhiloPhylo (données moléculaires sélectionnées et alignées) semble avoir présenté un avantage, voire une nécessité pour les élèves dans l’exploitation de données numériques.
Si les élèves utilisent des données (légèrement transposées) issues de recherche, ils·elles pourront valider un modèle avec des données proches des données originales.
Il nous semble que le lien entre les données issues de PhiloPhylo et celles fournies en cours a été fait, et que la transposition des données de l’artefact a largement contribué à cela. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion autour de la question de recherche.
Cependant, deux éléments pourraient être réfléchis et éventuellement modifiés pour mieux répondre à notre conjecture:
Le premier concerne le modèle présenté en classe, qui a été complété plus que validé: en effet, l’alignement de séquences a permis la création d’arbres de parenté qui enrichit le modèle vu en classe. Les liens de parenté entre les organismes étudiés ont été retrouvés, et les élèves ont pu compléter les relations de parenté entre les mammifères. Pour mieux répondre à un objectif de “validation” d’un modèle, nous pourrions changer certaines ED. Ou, s’il s’agit de compléter un modèle, changer la conjecture...
Le second concerne le lien entre notre dispositif et les données originales. La question suivante se pose: les élèves ont-ils·elles bien conscience de la source des données de PhiloPhylo, “proches des données originales”, de ce avec quoi ils·elles travaillent? Le lien qui a effectivement pu être fait par les élèves entre “ce que font les scientifiques” (récupérer des séquences/les aligner et les comparer grâce aux outils informatiques) et ce qui est exploitable au travers de PhiloPhylo n’est pas facilement observable grâce à notre dispositif. Le peu de temps à disposition nous a par ailleurs contraint·es à y passer peu de temps avec les élèves, ce qui nous laisse penser que ce lien n’a probablement pas été fait. Le bénéfice de travailler avec des données se rapprochant des données brutes est amoindri en l’absence d’une certaine conscience de ce avec quoi l’on travaille; ajouter un ED qui puisse faire mieux le lien avec la source de ces données transposées nous semble ainsi une possibilité d’amélioration.
Si les élèves utilisent des données numériques, ils·elles seront amené·es à se questionner sur les méthodes menant au modèle présenté en classe (un arbre phylogénétique “consensus”).
Nous avons pu relever un certain nombre de questions d’élève attestant des questionnements sur la création d’arbres et les données utilisées. Cependant, il nous semble que notre activité n’était pas centrée sur cette conjecture, que nous avons par ailleurs ajoutée alors que nous avions déjà organisé les grandes lignes de notre activité et de l’utilisation de l’artefact.
Pour mieux travailler sur cette conjecture, il semble que le travail sur la construction d’arbres grâce à PhiloPhylo aurait permis de faire émerger des questions sur les méthodes permettant de le faire. Par exemple, le fait de faire travailler sur des arbres ne représentant pas les mêmes liens de parenté aurait probablement suscité un questionnement. Mais la mise en évidence de différences entre les arbres phylogénétiques issus de séquences différentes aurait pu être perçue comme une contradiction, et comme nous l’avons précisé précédemment, nous voulions éviter de semer trop de doute vis-à-vis des données issues de la recherche, le temps à disposition pour en parler étant également réduit.
Un autre aspect que nous n’avons pas abordé avec les élèves et qui pourrait participer à induire un questionnement est celui des données numériques à proprement parler: que sont les séquences, que prend-on, comment choisit-on la partie de la séquence de protéine à évaluer? Un travail plus approfondi sur les données transposées utilisées grâce à PhiloPhylo nous aurait permis de mieux travailler sur cette conjecture. A nouveau, le temps à disposition pourrait représenter une limitation, et il faudrait probablement envisager une séquence plus longue au vu de l’étendue des notions nécessaires à travailler. Ainsi, valider de cette conjecture nécessiterait presque une séquence en soi.
Comment exploiter en classe les données numériques issues de la recherche pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?
L’utilisation des données issues de la recherche nécessite qu’elles soient transposées. L’artefact utilisé (PhiloPhylo) ne présente pas des données brutes, ces dernières ont déjà subi une étape de transposition, ce qui a permis leur utilisation. Nous avons ensuite à notre tour apprêté l’utilisation de cet artefact par les élèves pour essayer de répondre à nos conjectures (Chevallard, 1986). Ainsi, il semble qu’il y ait plusieurs “degrés de transposition” qui sont entrés en jeu dans notre activité. Le choix d’utiliser des données transposées nous a semblé, comme le précise Chevallard, “inévitable et nécessaire”, mais reste la question du “comment” l’exploiter.
L’artefact nous semble optimal pour une utilisation par les élèves, mais il manque selon nous un lien plus explicite avec les données originales. Cela pourrait être un élément à modifier dans l’optique d’une prochaine passation.
La transposition des données proposée par PhiloPhylo a permis aux élèves de les exploiter sans trop de difficulté. Cette appropriation facilitée a été essentielle dans la compréhension des liens de parenté retrouvés dans les modèles d’arbres phylogénétiques vus en cours, et de l’existence de données moléculaires. Cependant, PhiloPhylo offre bien d’autres possibilités que la comparaison visuelle de séquences. Ce panel d’opportunités permettrait d’enrichir l'étendue de la compréhension des arbres phylogénétiques.
De façon assez classique lors des cours de biologie, on travaille avec des arbres de parenté lorsque l’on parle de classification et d’évolution. Mais ce qui se cache derrière ces arbres n’est pas souvent explicité. La construction d’arbres phylogénétiques est en effet très complexe, et les choix à faire concernant la façon de travailler dessus en classe avec nos élèves aussi. Dans le cadre de notre dispositif intégrant un outil MiTIC, ce questionnement autour de l’utilisation des arbres est central: faut-il faire comprendre ce qui a permis leur construction? Et comment le faire? Nous avons ici choisi de rester à un questionnement autour du type de données utilisées (moléculaires), et pour ce faire PhiloPhylo est un bon outil. Mais ces arbres deviennent alors peut-être ce que Chevallard appelle un “monument”: un savoir incontournable à l'école mais qui a perdu toute connexion avec la réalité (Chevallard, 1991).
Cette difficulté est cependant petit à petit prise en compte dans les MER. La représentation des liens de parenté sous forme d’un arbre phylogénétique est apportée graduellement (“démonumentalisation”).
Chevallard, Yves. 1991. La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. 2. éd. Recherches en didactique des mathématiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.
Millar, R. (2009). Analysing practical activities to assess and improve effectiveness: The Practical Activity Analysis Inventory (PAAI). York: Centre for Innovation and Research in Science Education, University of York.
PhiloPhylo: http://education.expasy.org/cgi-bin/philophylo/philophylo.cgi
Annexes:
La passation est prévue dans des classes de 11ème du cycle d’orientation et dans des classes de 3ème DF du Collège de Genève.
Prérequis / Introduction à la phylogénie:
Pourquoi classer les espèces entre elles?
Comment classer les espèces entre elles?
Cf. cours de chaque enseignant·e (pas inclu dans notre projet Mitic)
Partie I: Présentation d’un arbre phylogénétique des vertébrés de référence (Lecointre):
Rappels concernant la lecture
Quelques questions de préparation sur l’arbre (en vue des questions de synthèse)
→ placer les 4 organismes dont les séquences seront analysées dans l’arbre qui met en évidence les innovations morphologiques
Partie II: Comparaison de séquences de protéines entre les 4 espèces ciblées.
Rappel concernant les séquences et leur alignement (ADN → acides aminés)
Introduction à l’utilisation de l’artefact
Comptage des différences entre les séquences d’acides aminés en prenant l’humain comme séquence de référence → remplir un tableau et construire un arbre
Mise en commun des résultats obtenus
Partie III: Comparaison des modèles (obtenus vs arbre de référence (Lecointre))
Comparaison des arbres obtenus avec ceux construits par PhiloPhylo
Comparaison des résultats avec celui obtenu en plaçant les espèces dans l’arbre de référence
Documents à donner
pdf théorie (issu de PhiloPhylo)
documents pour les différentes étapes de la passation:
Partie I: arbre de référence et placement des 4 espèces
Partie II: utilisation de PhiloPhylo et mise en commun des réponses
Partie III: questions de synthèse (comparaison arbre de référence/résultats obtenus)
En te basant sur le tableau des attributs ci-dessous, place les 4 espèces suivantes au bout de la bonne branche de l’arbre ci-dessous.
Ouvre http://education.expasy.org/cgi-bin/philophylo/philophylo.cgi
Tu vas former un groupe avec 3-4 camarades, avec qui tu vas travailler sur l’une des trois protéines suivantes: l’insuline, le TPIS et le cytochrome B.
Sélectionne la protéine correspondante à ton groupe, et clique sur “rechercher”.
Tu as maintenant accès à la séquence d’acides aminés de la protéine sur laquelle tu travailles pour chacune des 4 espèces que tu as placées sur l’arbre. Vous allez ensemble comparer les séquences d’acides aminés des 4 espèces, pour une seule protéine.
Chaque groupe va devoir:
compter le nombre de différences entre la séquence d’acides aminés de l’humain et celles du bœuf, du poulet et du chimpanzé. Le nombre de différences déterminées doit être reporté dans le tableau correspondant.
compléter l’arbre “préconstruit” en y plaçant les 4 espèces en fonction du nombre de différences déterminées.
Une mise en commun des résultats de chaque groupe sera effectuée à l’issue de ce travail.
Noms des personnes du groupe: ……………………………………………………………………...
Protéine étudiée: …………………………………..
Insuline :
Tableau de comptage des différences :
Arbre de parenté :
TPIS :
Tableau de comptage des différences :
Arbre de parenté :
Cytochrome B :
Tableau de comptage des différences :
Arbre de parenté :
A l’aide de PhiloPhylo, vérifie les arbres que tu viens de construire. Suis les consignes de l’enseignante!
En comparant les liens de parenté obtenus par alignement de séquences pour les protéines étudiées, que peux-tu conclure?
Compare maintenant ces liens de parentés obtenus par alignement de séquences pour les protéines étudiées avec ceux représentés par l’arbre de la partie I. Que peux-tu en conclure?
Vérifie les liens de parentés que tu as obtenus pour l’humain, le chimpanzé et le bœuf en plaçant ces 3 espèces sur l’arbre phylogénétique des mammifères.
Pour établir des liens de parenté entre espèces (= les classer), les scientifiques se basent à la fois sur des données morphologiques des données moléculaires (comparaison de séquences d’ADN ou d’acides aminés). Cependant, les données moléculaires sont de plus en plus exploitées.
Fais une hypothèse pour expliquer que les scientifiques ne se contentent pas d’utiliser des données morphologiques?
Fiche de soutien pour PhiloPhylo
Choisir une protéine
Pour construire un arbre phylogénétique, on peut se baser sur les séquences de protéines. L’idéal est de choisir une protéine qui vous intéresse et qui est connue dans les espèces que vous voulez comparer... ce n’est pas toujours le cas :
Les biologistes savent qu’une protéine existe dans une espèce donnée, mais elle n’a pas encore été caractérisée : par exemple, les girafes ont de l’insuline, mais sa séquence n’est pas encore connue.
La protéine n’existe pas dans une espèce : les bactéries, les levures ou le maïs par exemple, n’ont pas d’insuline. D’autres protéines, comme le cytochrome B, sont appréciées des phylogénéticien·nes, car leurs séquences sont connues dans de très nombreuses espèces, y compris dans des espèces disparues comme le dodo ou le mammouth !
Rechercher les séquences de cette protéine chez différentes espèces
Une fois que l’on a choisi la protéine de départ, il faut aller pêcher sa séquence dans d’autres espèces comme la grenouille, le bœuf ou le lapin. Pour cela, il faut utiliser un programme bioinformatique (appelé ‘Blast’) qui va ‘pêcher’ dans une banque de données toutes les protéines qui ressemblent à la protéine de départ.
Comparer les séquences des protéines
Pour comprendre cette étape, il faut se rappeler que les protéines peuvent être comparées à des colliers de longueur variable, composés de 20 perles différentes: les acides aminés. Les acides aminés sont représentés par des lettres majuscules (G, E, N, I, E...). Construire un alignement consiste à mettre en relation les colliers de perles les uns avec les autres en fonction de la similarité de leurs perles (comparer de façon biologique les différents colliers de perles). Au cours de l’évolution, les acides aminés qui jouent un rôle important pour la structure ou la fonction d’une protéine ne sont pas ou peu modifiés et se retrouvent à la même place dans toutes les espèces. Les acides aminés moins ‘vitaux’ pour la fonction de la protéine peuvent être plus ou moins modifiés en fonction du moment auquel les espèces ont divergé.
Exemple d’alignement de séquences de l’insuline chez différentes espèces :
Construire un arbre phylogénétique
Pour construire un arbre, il faut utiliser des programmes bioinformatiques qui évaluent les différences ou similitudes observées dans l’alignement. Les résultats peuvent ensuite être visualisés à l’aide d’un arbre phylogénétique. Plus le nombre d’acides aminés est différent entre les protéines, plus les espèces seront ‘éloignées’ dans les différents embranchements de l’arbre et plus les espèces seront considérées comme ‘éloignées’ dans l’évolution. Les embranchements (ou nœuds) correspondent à des organismes ancestraux hypothétiques.
Votre projet ne semble pas présenter de résultats.
Quelques conseils :
Il n'y a pas besoin de décrire toute la leçon mais les ED qui permettent d'éprouver vos CJ (à reporter plus bas chapitre Annexe si vous voulez)
Revenez bien sur les EA que vous avez présentés et essayez de voir comment extraire de vos données des indicateurs révélant dans quelle mesure ces effets se sont produits. Discutez les causes possibles de ces résultats, notamment en examinant la cohérence entre votre dispositif et les ED prévus.Vous pourriez centrer l'analyse des réponses produites sur des indices de progression focalisés sur les CJ.
Une discussion lucide des CJ, et la manière dont vous les avez implémentées pourrait conduire à des éléments de réponse à votre question: "Comment exploiter en classe les données numériques issues de la recherche pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?" et une discussion de recommandations fondées sur votre passation et une retour sur la littérature.
Vert-orangé
Votre projet est devenu plus concret et me parait pouvoir presque affronter la passation . Mes suggestions (basées sur les CJ, ED, EA, EO principalement puisque le dispositif en découle ) de quelques clarifications qui impliqueront quelques changements ouo resteront des Q° à discuter après la passation en vue de répondre à votre QdR au colloque
A propos de votre Q° sur la création d'un arbre "transposé simulé"
Votre Q° plairait peut-être à Chevallard : elle montre bien à quel point la transposition des savoirs est ... inévitable et nécessaire. Vous proposez de produire un faux document de manuel scolaire pour le comparer à une adaptation du savoir de référence ( PhyloPhylo est produit uniquement à des fins éducatives). Vous voyez le paradoxe...
Vous dites "L’utilisation de données “brutes” transgresse par définition le parcours menant les savoirs de la recherche à la classe." Mais dans PhyloPhylo sont-ce vraiment des données brutes et cette transgression est-elle complètement possible ? Faut-il sortir de la pensée binaire et envisager des degrés authenticité ( moindre transposition ?)
Si vos conjectures se heurtent à la réalité des classes il faut bien réfléchir … Pourquoi faudrait-il que cet exemple soit absolument identique à celui de PhyoPhylo : si je vois bien vos questions c'est une démarche que vous voulez développer ?
Votre CJ1 parle d'apprêter des savoirs de référence, cela peut paraitre contradictoire. comment donc transposer mieux ? C'est un point sur lequel votre projet vous permettra d'apporter une réflexion empiriquement basée
Cj2 je ne trouve pas très clair et m'interroge sur l'opérationnalisation de "pourront faire le lien (interpréter, expliciter, comparer, ...) entre ces données et celles apportées en classe." idem EA3.Quel lien font-ils ? n'y a-t-il pas un "lien" spécifique à la science que voulez qu'ils soient capables de faire / d'utiliser ?
ED1 et 2 : numériques ou (plus) authentiques ? car sur internet ils trouvent de nombreuses données numériques très transposées …
EA1 " mettent du sens " quel sens mettent-ils ? n'y a-t-il pas un "sens" spécifique à la science que voulez qu'ils soient capables d'utiliser ? (puissance explicative ? limites, domaine de validité ? reconnaissance sociale ? applications à leur monde, …)
EA4 : Clarifier selon quels critères il faut synthétiser… cherchez vous à les rendre capables de tenir un discours sur la transposition ou de savoir utiliser les savoirs (plus) authentiques pour expliquer prédire etc . ? ou dans quels cas se référer à l'authentique ? cf "pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?"
EO1 : Clarifiez quelles données pour quel type de Q° -> en vue de mesurer un aspect de "pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?"
EO3 : n'oubliez pas la puissance explicative en plus des limites … sinon vous risquez de disqualifier la séquence et ses objectifs. Comment mesurer cet EO "pour permettre aux élèves de mieux comprendre un sujet choisi?"
Pour la discussion après la passation : qu'est-ce que cette séquence permet de mieux comprendre du monde dans lequel vivent les élèves ? -> Quelle transposition apparait dans la difficulté à répondre à cette Q° ? Que Chevallard appelle-t-il un "monument" ?
Sur le plan théorique : il n'est pas si facile de former des arbres phylogénétiques car il y a souvent plusieurs possibilités (rooted tree problem https://en.wikipedia.org/wiki/Phylogenetic_tree ) quand vous parlez des séquences différentes sur PhiloPhylo?
"Nous empruntons le terme « d’apprêt didactique » à Chevallard (1991). Ce nom vient du verbe apprêter qui signifie : «rendre prêt, mettre en état en vue d’une utilisation prochaine » (Le Petit Robert 2000). Ainsi, nous nommons « apprêtage » l’action de l’enseignant qui « apprête » ce savoir et « apprêt » le résultat de cette action. Perrenoud ( sauf erreur)
Je me réjouis de voir ce qui va sortir de votre passation
Projet intéressant et d'actualité !
Essayez de focaliser vos CJ sur des effets attendus ( désacraliser ?? , développeront un regard critique ?? ) précisant ce qu'ils feront, pas ce qu'ils ne feront plus ...
Attention à distinguer la perspective sur la TD : la votre et la leur sont différentes. Pour eux indiquez ce qu'on saura mieux faire en allant chercher ces textes compliqués, en quoi cela leur donne plus de sens, p. ex le scénario sur l’évolution leur permet d'éprouver empiriquement la puissance explicative des modèles de l'évolution,
prouver le rôle central des protéines dans le fonctionnement normal et la maladie permet de mieux expliquer certaines maladies et participe aux décisions sur la santé
Attention a distinguer l'énoncé du modèle de la capacité à l'utiliser pour prédire / expliquer ("Les élèves complètent un modèle vu en cours par des données numériques."
Peut-être donner du sens à l'ensemble comme une façon d'aller plus loin que les ouvrages officiels
Il faudra choisir une activité dans la liste que vous avez sélectionnée (evt. une chacun.e)