Fondée en 1953 aux Etats-Unis par l'auteur de science fiction Lafayette Ronald
Hubbard (1911 – 1986), la « Church of Scientology » est une organisation
internationale ayant son siège aux Etats-Unis et opérant dans le monde entier la
vente de développement de personnalité et de techniques d'organisation et de
management. Elle utilise la forme d'organisation et de distribution d'une entreprise
commerciale de formation sur le marché de la formation professionnelle continue,
tout en s'attribuant la qualité de religion dite nouvelle. Ses activités ont entraîné et
entraînent dans le monde entier des conflits avec les sociétés démocratiques.
Après examen approfondi, la Commission d'enquête sur lesdits « sectes et
psychogroupes » instituée par le Deutscher Bundestag (parlement allemand) a
évalué l'organisation, dans son rapport final déposé en 1998, comme étant une
structure criminogène poursuivant des buts anticonstitutionnels. Cette évaluation
rejoint celle des services de sécurité allemands. Sous le manteau d'une nouvelle
religion, cette organisation qualifiée par la Commission d'enquête non pas de
communauté religieuse mais de psychogroupe a su, jusqu'à une date récente,
dissimuler avec adresse ses caractéristiques structurelles essentielles : structure
organisationnelle et logistique de groupe industriel ; stratégie expansionniste de
structure commerciale opérant avec agressivité (entraînement à la vente sur base
de franchising par la formation de chaînes de sous-entreprises) ; procédures
dures de conduite et de conditionnement des êtres humains sous la forme du
social engineering, ce qui signifie : mise en oeuvre brutale de techniques
psychologiques et sociales empruntées à la psychologie du comportement pour le
recrutement de collaborateurs, de clients et d'adeptes ; utilisation d'une technique
d'organisation totalitaire pour la mise au pas et l'instrumentalisation des
collaborateurs par un contrôle temporele et local sans failles.
Selon une expertise séparée rendue dans le cadre du rapport final de la
Commission d'enquête, l'organisation de la Scientologie appartient à la catégorie
des fournisseurs commerciaux de prestations de services intervenant sur le
marché de la psychologie sous la rubrique « mind machines et nouvel
apprentissage ». Ce secteur de prestations de services d'un nouveau type se
caractérise par la tentative de modifier durablement l'être humain, dans son
comportement extérieur et intérieur, dans le laboratoire d'apprentissage, par des
moyens appartenant à ladite psychologie du comportement, c'est-à-dire par
l'apprentissage et le conditionnement programmés.
Ce courant scientifique de la psychologie et de la pédagogie est qualifié de
béhaviorisme. A partir du début du XXe siècle, les psychologues étudiant
l'apprentissage dans une approche béhavioriste (Watson, Pavlov, Skinner) ont
cherché, en s'appuyant sur des expériences d'apprentissage menées en
laboratoire sur des animaux et des êtres humains, à établir des lois générales
d'apprentissage et ont développé à partir de celles-ci des programmes
d'entraînement (technologie d'apprentissage) visant à modifier le comportement
humain. Ce procédé technologique appliqué à l'être humain trouvant son point de
départ dans la possibilité d'influencer les organismes de sorte qu'ils réagissent à
certains stimuli et modifient leur comportement, c'est-à-dire apprennent, est
qualifié de conditionnement, lorsque de nouveaux types de comportement sont
inculqués dans le laboratoire d'apprentissage de telle sorte qu'ils peuvent se
déclencher après l'envoi d'un signal clé. Pour promouvoir l'apprentissage de tels
schémas d'impulsions et de réactions, on utilise un système raffiné de
récompenses et de punitions, appelé 'feedback training' (= utilisation du principe
de la rétroaction, c'est-à-dire du renvoi d'informations sur le comportement d'un
système, tel que l'organisme humain par exemple, dans ce même système de
sorte qu'elles influencent le comportement futur du système) ainsi que d'autres
méthodes de modification du comportement.
Les facultés cognitives de l'hommes peuvent également être influencées par
conditionnement (béhaviorisme cognitif). Ces techniques d'apprentissage
évoquent souvent le dressage. En dépit de succès remarquables, ces procédés
d'apprentissage technologiques ont vite été l'objet de la critique car ils ne furent
pas seulement utilisés pour modifier l'homme à son avantage, mais aussi à son
désavantage (p. ex. : déclenchement par Watson d'une névrose due à l'insuccès
de schémas de conduite sous la forme d'une phobie à l'égard des chats chez un
enfant en bas âge).
Les expériences de la psychologie du comportement ont également établi que
leur stratégie de modification du comportement permettait de modifier la volonté
et les convictions d'une personne par un contrôle systématique de l'information et
de la communication dans l'esprit de l'expérimentateur et même de provoquer des
troubles psychiques par un usage paradoxe du langage (p. ex. « la douleur est le
bonheur ») (technique du double bind).
Lorsque de tels procédés sont utilisés de manière ciblée pour manipuler et nuire à
une personne (cf. « Newspeak » dans Orwells « 1984 »), la connaissance
psychologique perd son caractère d'instrument pédagogique thérapeutique
apportant une aide et devient une arme perfide. L'efficacité des méthodes de la
psychologie du comportement se manifeste de la manière la plus spectaculaire
lorsque les convictions politiques et philosophiques d'une personne internée sont
modifiées contre sa volonté, selon le programme du tortionnaire, en lui infligeant
des tortures ne laissant pas de traces sur le corps (torture dite psychologique). Il
est bien connu que, pendant la guerre de Corée, des prisonniers de guerre
américains ont ainsi été « convertis » à l'idéologie communiste et que des fidèles
de Staline tombés en disgrâce ont été amenés, avant d'être liquidés, à s'accuser
en public d'un sentiment antinational n'existant pas en réalité et à « reconnaître leur
faute ».
Mais les personnes jouissant de leur liberté peuvent également être agressées
par l'utilisation systématique de méthodes empruntées à la psychologie du
comportement et s'en trouver affaiblies dans leur volonté ou même anéanties dans
leur personnalité. Cela a été montré par le combat mené contre les dissidents par
la Stasi (services de sécurité de l'ex-RDA), qui s'est inspirée à cet effet d'un
programme scientifique de « désagrégation de l'âme » développé par des
psychologues du comportement. Les victimes de ces méthodes de torture
psychologique souffrent encore plus ou moins de leurs séquelles. Il est prouvé que
la Scientologie utilise des procédés (« techniques ») semblables, d'une part, pour
rendre ses adeptes dociles et pour leur appliquer une pédagogie leur inculquant
une discipline, d'autre part, dans le cas d'attaques contre ses critiques considérés
comme des ennemis, pour les réduire au silence et pour les paralyser dans leurs
activités contre l'organisation. Les préjudices résultant de l'utilisation de telles
méthodes, qui ont déjà pénétré le monde des affaires, sont aujourd'hui étudiés par
les sciences humaines et sociales sous le concept de « mobbing ». Il est
particulièrement inquiétant, car inconciliable avec l'ordre de valeurs démocratique,
que de telles méthodes soient enseignées dans leurs cours par certains
formateurs en management prônant une philosophie entrepreneuriale et sociale
darwiniste et visant à faire de leurs clients des « managers de combat » entraînés
pour la « guerre économique ».
Lorsqu'il n'est pas donné d'éclaircissements sur les effets principaux ou
accessoires de stratégies modifiant le comportement ou bien lorsqu'il y a même,
comme c'est le cas avec la Scientologie, tromperie intentionnelle à leur sujet, les
individus ont généralement de la peine à faire la distinction entre pédagogique
normale, pédagogique coercitive visant à manipuler ou lavage de cerveau. Il est
particulièrement condamnable de camoufler sous le manteau de « mesures
curatives » des techniques de répression que l'utilisateur applique de manière
ciblée avec la volonté de causer un dommage ou en en acceptant l'éventualité.
Les recherches de la Commission d'enquête l'ont amenée à constater que, dans
des soi-disant camps de rééducation, appelés « rehabilitation project force
(RPF) », les membres de l'unité d'élite de la Scientologie Sea Org ayant commis
des erreurs sont soumis, pour leur rééducation, à des techniques classiques de
lavage de cerveau. La description du « brainwashing » donnée par Hubbard dans
le dictionnaire du management dont il est l'auteur prouve qu'il possédait
d'excellentes connaissances psychologiques sur l'utilisation des techniques du
lavage de cerveau. Il y classe les procédés de conditionnement selon Pavlov dans
la catégorie du lavage de cerveau et décrit comment celui-ci a déclenché des
psychoses, dans des expériences sur des animaux, au moyen de sa technologie
de dressage. Dans une conférence tenue en 1951, Hubbard a rapporté que ses
techniques lui permettaient de rendre les gens malades. Il qualifiait ces méthodes
de « black dianetics ». Le fait que des psychoses et névroses dues à l'insuccès
de schémas de conduite peuvent également être déclenchées chez l'homme par
le conditionnement appartient depuis longtemps à l'inventaire des connaissances
acquises dans les sciences humaines.
L'étude de l'apprentissage de caractère naturaliste a reçu une nouvelle impulsion
par la mise en évidence, à la fin des années 40, par le mathématicien Norbert
Wiener, de la similitude des lois régissant la commande, la régulation et la
transmission de l'information dans l'être vivant et dans la machine (ordinateur,
robot) qui a conduit à la naissance d'un nouveau paradigme commun aux
sciences naturelles et aux sciences humaines et d'une nouvelle science cadre, la
systémique et la cybernétique (art de la navigation). C'est le retour à l'image
matérialiste de l'être humain, « l'homme machine », formulée à l'époque des
Lumières. Aujourd'hui, les ordinateurs et la construction de robots se pilotant eux-mêmes
permettent la simulation mécanique de l'intelligence (artificielle) et de la
vie (artificielle). La nouvelle théorie assimile les processus mentaux et psychiques
internes à l'homme aux propriétés fonctionnelles cybernétiques d'un système
(cognitivisme). Certains chercheurs croient que la preuve est ainsi apportée que le
cerveau humain n'est rien d'autre qu'une machine du type calculateur à électrons.
La théorie technologique de Hubbard pour la modification de l'être humain, telle
qu'il l'a décrite dans son ouvrage fondamental intitulé « Dianétique » (1950), n'a
pas seulement le béhaviorisme cognitif comme point de départ, mais se rattache
également directement à la technique de communication et de commande de la
cybernétique. Cela est étayé par les indices suivants : le fait que Hubbard
conçoive le cerveau humain/la raison humaine comme une machine traitant des
données (cf. Dianetics, Le développement d'une science, 1959, 1972), le fait qu'il
se qualifie lui-même d'« ingénieur », le langage emprunté aux sciences de
l'ingénieur, évoquant un code mécanique, la redéfinition de toutes les aptitudes
mentales et sociales de l'homme par des centaines de notions fonctionnelles
empruntées à l'ingénierie, la recommandation d'utiliser des ingénieurs comme
« auditeurs » pour la reprogrammation du cerveau humain/de la raison humaine,
les méthodes de mensuration et d'évaluation psychométrique (cf. Séries sur le
Management, vol. 1-3), l'utilisation de procédés de feedback lors de la mise en
oeuvre d'un détecteur de mensonges (« électromètre », abréviation : « é-mètre »),
le fait de croire à la « programmabilité » et à la « productibilité » d'un Homme
Nouveau (« valuable final product ») dans le laboratoire d'apprentissage.
Conformément à cela, Hubbard a défini l'utilisation de sa technologie comme
étant l'utilisation de règles éducatives naturelles (The logics of Dianetics are the
science of education. These are the axioms of education, Dictionnaire du
Management, mot-clé: Axioms of Education).
De même, les méthodes à première vue incompréhensibles de la dianétique et la
scientologie (« technologie ») peuvent être expliquées de manière plausible par le
paradigme cybernétique. Par de nombreux exercices répétitifs (« trainings »), on
inculque à « l'homme-machine », comme à un robot qu'il s'agit de programmer
entièrement, par des procédures éprouvantes durant souvent des heures et des
heures, une manière d'agir dans et en rétroaction avec le monde extérieur
prétendument (selon Hubbard) plus précise, ou plutôt on la lui fait intégrer par
programmation (lesdits 'objective process'). On apprend en même temps au sujet
(« Préclair », « PC ») à obéir aveuglément à tous les ordres du formateur, c'est-à-dire
à se comporter comme une marionnette. C'est seulement après que le sujet a
appris cette obéissance consistant en des réactions à des stimuli que son
psychisme est soumis à une exploration visant à détecter les troubles de
fonctionnement et procédant par interrogatoires excessifs et inquisitoires
(« audition »). L'audition trouve également son point de départ dans la théorie
cybernétique. Faisant abstraction des facultés acquises par hérédité, Hubbard
supposait manifestement que tous les troubles psychiques, ainsi d'ailleurs que
tous les troubles physiques, étaient causés par une « mauvaise programmation »,
à savoir par la mémorisation de vécus douloureux sous la forme d'un
enregistrement de données (« engramme ») dans le cerveau/la raison, lui-même/
elle-même conçu(e) sous la forme d'une banque de données (« mental
réactif »).
Pour essayer de détecter une éventuelle « erreur de programmation », on utilise
l'électromètre auquel le sujet est relié pendant l'interrogatoire mené au moyen de
listes de questions standardisées, à la manière d'une recherche par quadrillage
dans la mémoire, ainsi que de jeux raffinés de questions mécaniques suivant la
dite « piste du temps » (« Timetrack »). La présence d'un « engramme » est
signalée par un certain mouvement de l'aiguille de l'électromètre. Le sujet doit
ensuite revivre l'événement douloureux dans son imagination jusqu'à ce que
l'aiguille de l'électromètre ne bouge plus lors de l'interrogation (« null needle »).
Cette pratique rappelle les exercices de déconditionnement par abréaction
utilisés par la thérapie comportementale. Selon la théorie thérapeutique de
Hubbard, l'engramme est alors « effacé » et ne doit plus avoir d'effets
préjudiciables sur l'individu ainsi traité. Hubbard n'a jamais apporté la preuve que
la « charge » électrique (corporelle) indiquée par l'électromètre pouvait être
provoquée par le souvenir visuel de l'événement douloureux ou bien que le
souvenir visuel même pouvait nuire à la santé du sujet. L'augmentation du bien-être
ressentie après la « décharge » de l'« engramme » n'en constitue pas une
preuve car cet état peut être provoqué par suggestion ou par effet placebo.
Lorsque tous les engrammes sont effacés, la cause dite réactive est considérée
comme « éliminée ». Cet état est défini comme étant « clair ». La possibilité de
pénétrer dans la conscience au moyen d'un appareil à biofeedback et de
l'influencer à des fins thérapeutiques a été étudiée expérimentalement par la
recherche psychologique (psychométrie, psychophysique) longtemps avant que
Hubbard s'empare de cette méthode. L'effet et la valeur de ces méthodes sont
contestés et souvent critiqués en tant que réductionnisme biologique.
Même si, jusqu'à ce jour, il n'a pas encore été élucidé dans le détail par les
méthodes des sciences humaines ce qui se passe avec les personnes qui se
soumettent aux méthodes de Hubbard, il y a lieu de supposer que la « technologie
dianétique » n'est pas une simple thérapie de soutien ou un jeu symbolique, mais
que le comportement extérieur et intérieur du sujet est durablement modifié au
moyen de techniques psychologiques et sociales d'une grande efficacité
(conditionnement opérant, induction de transe, suggestion, régulation du
comportement social par la psychométrie et la sociométrie et contrôle systémique
du groupe).
Dans ce contexte, les exercices induisant l'expérience dite de la séparation d'avec
le corps (extériorisation) (« état d'OT ») semblent être particulièrement
problématique. L'expérience bien étudiée par les sciences humaines de ce
phénomène survenant lors de certains exercices de méditation est utilisée par
Hubbard pour étayer sa théorie dualistique paranormale de l'âme et du corps. Il
affirme que l'esprit, dont il est postulé qu'il s'agit d'un champ d'énergie (« thêtan »),
peut quitter l'« homme-machine ». La prétendue preuve en serait, là encore,
fournie par un certain déplacement d'aiguille (« thêta bop ») de l'électromètre.
Chez de nombreux clients, de tels exercices entraînent des phénomènes
psychiques singuliers pouvant aller jusqu'à des troubles psychiques à caractère
morbide. Un désir à caractère addictionnel de poursuivre ces exercices naît
rapidement et les clients ne reculent devant aucune dépense et aucune peine pour
y être soumis.
Dans son rapport final, la Commission d'enquête a confirmé que dans le cas de
personnes plus fragiles, l'audition peut conduire à des maladies psychiques
sérieuses pouvant aller jusqu'au danger de suicide. La Commission a également
critiqué le caractère agressif des méthodes de vente (hard sell) employées pour
faire acheter par les clients ces exercices extrêmement coûteux.
La forme d'organisation choisie pour la Scientologie par Hubbard, afin de vendre
son développement de personnalité technicisant et ses méthodes de gestion
d'entreprise, éveille à première vue l'impression qu'il s'agit simplement d'un
groupe industriel international à la gestion très stricte offrant divers services aux
particuliers sur le marché de la formation professionnelle continue. (Narconon :
« réhabilitation des drogués » ; Criminon : « réhabilitation de délinquants »;
Applied Scholastics: « amélioration de la formation»; Fondation Le chemin pour
être heureux : « amélioration de la morale dans la société » ; Commission contre
les manquements de la psychiatrie dans la société : « protection des patients
contre les empiétements de la psychiatrie »). Les scientologues convaincus
opposent toutefois que la vente de ces prestations de services n'est que le moyen
permettant d'atteindre le but qui est de « soigner » tout le monde et, ainsi, de
« créer une civilisation sans maladie mentale, sans criminels et sans guerre ».
C'est pourquoi ils considèrent la Scientologie comme un « mouvement de réforme
de la société ».
Au-delà de son but consistant à d'offrir des thérapies individuelles, but qu'elle
poursuit au moyen de la « first dynamic tech », la Scientologie prétend également
détenir une nouvelle technologie d'organisation, d'administration et de
management, qu'elle nomme « third dynamic technologie » et qui permettrait
d'améliorer les structures et les fonctions de tous les groupes, organisations et
administrations.
a) Third dynamic technologie
L'organisation vend cette technologie, dans le cadre de contrats de
franchise, à des entreprises industrielles qu'elle fait adhérer au « World
Institute of Scientology Enterprises » (WISE), organisation couvrant toutes
les branches d'activité. La diffusion de cette technologie de management et
l'intégration des clients acteurs de la vie économique dans la structure du
WISE sont directement liées à un objectif d'accumulation du pouvoir
économique et, dans le cadre de la stratégie à long terme cependant, à la
volonté de prise d'influence sur les événements concernant l'ensemble de la
société et le monde politique dans le but final d'une prise de pouvoir. Il n'est
pas difficile de conclure à ce dessein dans le programme de réforme
sociale poursuivi par la Scientologie et décrit par elle sous le terme de
« Planète claire ». L'influence de la Scientologie sur l'économie est aux
Etats-Unis déjà d'une telle force que, dans le cadre de la coopération avec
les industriels allemands, certaines grandes entreprises américaines
refusent souvent d'accepter que leurs partenaires contractuels allemands
se protègent par contrat contre l'utilisation de technologies Hubbard dans
leur entreprise.
La « third dynamic tech » et les instructions relatives à sa mise en oeuvre
ont été couchées par écrit par Hubbard dans les trois volumes des
« Management Series » (Séries sur le Management). Le contenu de ces
prescriptions organisationnelles et de ces instructions opérationnelles ainsi
que les effets sociaux et psychologiques en résultant dans le cas de leur
mise en oeuvre n'ont fait jusqu'à ce jour l'objet d'aucune étude scientifique
du point de vue organisationnel et social. De ce fait, l'examen des buts du
système de la Scientologie et la possibilité d'évaluation du potentiel de
dangerosité pour les fonctionnaires et les clients d'une part, pour l'Etat et la
société d'autre part, sont donc très difficiles. Actuellement, il est seulement
possible de faire une description et une évaluation provisoires de cette
théorie organisationnelle et sociale et de ses techniques.
Dans les Séries sur le Management, l'appellation « third dynamic tech »
recouvre la théorie sociale d'une société contrôlée par l'ingénierie
cybernétique, entièrement décrite sous la forme d'un système
biotechnologique comparable à un superorganisme, ainsi que la
description des techniques sociales nécessaires à la génération et la
conservation d'un tel système, techniques spécifiques à un engineering
social technocratique, et la formulation voilée de l'objectif poursuivi
consistant à créer, au moyen de ces techniques sociales, un grand nombre
de petits « superorganismes » scientologiques permettant à terme
d'absorber les démocraties dans un « superorganisme » global sous
commande scientologique (cf. « The Ideal Org » dans HCO PL du 12 mars
1975). Les techniques sociales dont l'utilisation est proposée reposent sur
des lois de régulation et de communication biotechnologiques.
Les qualités dont un fonctionnaire scientologique idéal a besoin dans le
nouveau système social et qu'il convient donc d'inculquer aux néophytes
sont celles d'un parfait technocrate ayant la faculté d'obéir aveuglément aux
ordres de commande émanant du système ainsi que la capacité de
corriger impitoyablement les plus infimes déviations par rapport au
règlement technique et d'imposer l'obéissance absolue aux subordonnés.
Le but à atteindre par l'éducation scientologique pour les fonctionnaires
correspond donc au type de personnalité de la personnalité autoritaire ainsi
que T. W. Adorno et d'autres l'ont constaté, en 1950, dans le cadre d'une
étude clinique sur la réceptivité pour les idéologies fascistes autoritaires.
b) La théorie de la technique de contrôle empruntée à l'ingénierie cybernétique
Une technologie de contrôle raffinée doit permettre de contrôler sans faille
tous les « processus de production » de toute organisation scientologique
(« Org ») selon un système parfait de management total de la qualité où il
est indifférent de savoir si les parties du système dont le fonctionnement
correct est testé avec minutie lors de ce contrôle sont inorganiques ou
organiques. Si les membres du personnel de l'exploitation, à leurs
« postes » respectifs, sont qualifiés par Hubbard de parties d'une « live
organization », ils sont cependant strictement soumis aux processus de
production et aux mécanismes de commande du système, sans aucun
égard pour les besoins et la liberté personnels, et traités comme des
parties d'un ensemble mécanique (HCO PL du 2 novembre 1970, réédité
le 10 octobre 1980). Emprunté par Hubbard à la théorie et à la technique
cybernétiques de Norbert Wiener, dont il n'a conservé que l'aspect
technologique, promu au rang de prétendue « loi naturelle » s'appliquant à
toute production, qu'il s'agisse de reproduction biologique ou de production
effectuée par la main humaine, ce principe a pour corollaire que la
fourniture de prestations de service par la Scientologie dans les domaines
de la « pédagogie » et de la « thérapie » est considéré comme un
processus de fabrication portant sur des choses et, donc, assimilé à la
production de marchandises. Selon la philosophie entrepreneuriale de
Hubbard et de la direction actuelle de l'organisation, les « organismes de
production » scientologiques fabriquent le scientologue, « produit fini de
valeur ». Dans les Séries sur le Management, l'« homme nouveau » de
Hubbard, n'est donc pas une personne libre de disposer d'elle-même mais
un objet, un organisme dont on prétend qu'il fonctionne mieux après le
« traitement », et qui est intégré au superorganisme de la Scientologie en
tant que partie du système. Pour détourner le client de cette réalité, on lui
promet « l'acquisition de la liberté » (HCO PL du 24 janvier 1969, corrigé et
réédité le 6 octobre 1985).
Dans les Séries sur le Management, la dimension spirituelle et psychique
de l'homme est absolument ignorée. De même, les qualités de
l'« organisme de production», l'« Org », ne sont pas traitées dans une
optique spirituelle mais uniquement dans une optique purement technique
et fonctionnelle. Par conséquent, une « bonne Org scientologique » doit son
existence et son efficacité, selon Hubbard, à l'interaction correcte des trois
facteurs d'organisation « naturels » suivants : 1) Ethique (« Ethics ») ; 2)
Technique (« Tech »); 3) Administration (« Admin »), les lois « naturelles »
suivantes s'appliquant alors : quand l'Ethique a été « apportée » dans un
groupe – traduit dans le langage quotidien, cela signifie : tous obéissent à
tous les ordres du système mécaniquement et sans protestation. (cf. 4 d)) –
c'est alors seulement qu'il est possible de passer à la mise en oeuvre de la
« Technologie de la Scientologie » (c'est-à-dire à la pédagogie
d'entraînement répétitif à caractère militaire (cf. 4 c)), laquelle est elle-même
la condition permettant d'imposer le règlement d'administration.
Celui-ci repose sur le principe de l'ordre et de l'obéissance strictes à la
manière d'un système de commandement militaire. C'est seulement
lorsque ces trois facteurs fonctionnent tous d'une manière optimale que l'on
a une organisation « saine » en expansion (HCO PL du 16 octobre1997).
Cette « loi fondamentale » de « l'art du management » scientologique est
développée et illustrée de manière concrète dans des centaines de lettres
de directives harmonisées les unes avec les autres, émanant du bureau de
communication d'Hubbard (« HCO PL »), réglant la fondation et la
constitution d'organisations scientologiques, la formation du personnel, la
conduite interne et externe de l'organisation, dans un langage froid,
technocrate et souvent cynique. Ce faisant, c'est son modèle d'organisation
et de management développé pour l'organisation de la Scientologie que
Hubbard propose en tant que modèle type idéal pour la constitution et la
conduite de toutes les organisations dans tous les domaines de la future
société globale. Pour son modèle organisationnel, Hubbard part
visiblement de la conviction, élevée par lui-même au rang de « loi
naturelle », que la stricte application de ses technologies permet
d'améliorer l'homme et la société, comme pour le moteur d'une voiture de
sport par exemple, et d'en faire un « produit de pointe » en le soumettant à
un processus d'optimisation continu.
Conformément à cela, les règles organisationnelles pour la constitution et le
contrôle d'organisations scientologiques rappellent les plans de
construction et les instructions de service tels qu'en produisent les
ingénieurs du domaine des techniques de communication et de la
robotique lorsqu'ils prévoient l'installation d'une unité de production
entièrement automatisée grâce à l'utilisation d'ordinateurs et de robots.
Dans ces prescriptions organisationnelles interviennent, d'une part, des
collaborateurs désignés par le terme de « terminaux », c'est-à-dire des
points de départ et d'arrivée pour la transmission d'informations et d'ordres
de contrôle, d'autre part, des collaborateurs désignés par le terme de
« machines », pour la « production » de « machines » qui devront ellesmêmes
produire des « machines » aptes à produire (HCO PL du 29
octobre 1970) ainsi qu'un système très hiérarchisé d'instances de contrôle
et de commande menant constamment des procédures de mesure
psychotechniques et sociotechniques. Aussi Hubbard considère-t-il les
prestations de service de ses organisations, dans les Séries sur le
Management, comme une véritable fabrication. Ainsi, il qualifie les clients
et le personnel à former de « matière brute » (« raw meat », « raw public »,
« particles »). Il s'agit de les « optimiser » afin d'obtenir un « produit final de
valeur » (« valuable final product ») à l'issue d'une procédure de travail
« mécanique » se déroulant selon un modèle prédéterminé (« séance
type ») et selon des procédés techniques prédéterminés à appliquer avec
précision, qui rappellent des règles de déroulement de séquences
mécaniques, c'est-à-dire des algorithmes. Ce n'est pas par hasard que
Hubbard parle de « réparation de vie » (HCO PL du 20 août 1979 ; HCO
PL du 21 septembre 1980).
Cette conception biotechnologique d'un « Homo sapiens » modifiable par
les méthodes de l'engineering social présentée dans les Séries sur le
Management ne permet de reconnaître aucun des traits inhérents à l'idée
d'un homme religieux, philosophique ou psychologique. Le modèle humain
de Hubbard incarne ainsi la négation totale de l'idée de l'homme véhiculée
non seulement par les religions mais aussi par les démocraties. Selon
l'ordre de valeurs des démocraties, l'homme est une personne, c'est-à-dire
un sujet se déterminant lui-même et possédant la dignité humaine, et non
pas un objet qu'il s'agirait de fabriquer, qui serait doté d'une capacité de
fonctionnement plus élevée seulement après son passage dans un
laboratoire d'apprentissage évoquant le « New Brave World » d'Huxley et
auquel le chef de laboratoire attesterait la qualité de « produit fini »
utilisable à l'issue d'un contrôle final mené dans le cadre d'un processus de
management total de la qualité.
c) L'entraînement des fonctionnaires, l'apprentissage du nouveau langage
Ces règles d'organisation et de contrôle sont d'ailleurs appliquées avec
minutie par les dirigeants de la Scientologie. Pour assurer le
fonctionnement de l'organisme de production d'une « Org », le personnel
est soumis au dressage du « Tech », c'est-à-dire à l'apprentissage
programmé et à l'entraînement répétitif à caractère militaire en vue
d'assurer son fonctionnement parfait pour le « traitement », c'est-à-dire
l'entraînement de sa clientèle (« educating people with drills until they can
think », HCO PL du 26 avril 1970 R, revu le 15 mars 1975; cf. également la
méthode d'entraînement « Chinese School », HCO PL du 13 mai1972).
Ceci implique notamment l'apprentissage du « nouveau langage » créé par
Hubbard pour ses « hommes machines », avec lequel il a imité, à la
manière des sciences de l'ingénieur, les relations de communication
physiques de la communication humaine selon la théorie et la technique
cybernétiques. Ce nouveau langage rappelle donc le jargon technique des
techniciens des télécommunications, ingénieurs de la communication et
programmeurs informatiques (cf. « formule de communication », HCOB du
5 avril 1973). Pour les profanes, qui ne comprennent pas cet arrière-plan
emprunté aux sciences de l'ingénieur et qui prennent pour de l'argent
comptant l'idéologie pseudo-religieuse sous le manteau de laquelle les
rusés scientologues, professionnels du travail de relations publiques,
dissimulent le système, ce nouveau langage ainsi que les textes rédigés
dans ce langage sont totalement incompréhensibles et ne sont donc pas
soumis à discussion. Avec ce nouveau langage, Hubbard a créé pour les
« terminaux » et les « machines de production » utilisés dans son système
d'ingénierie cybernétique un code machine parfait permettant à ses
« hommes machines » de communiquer sur le monde (« MEST ») et sur
eux-mêmes sur un mode technologique. Ils appellent des « données » dans
leur « banque de données », dans leur cerveau/leur mental (HCO/PL du 12
mai 1970), ils les envoient comme message à un autre « terminal » ou se
font reprogrammer par « False Data Stripping » (HCO PL du 7 août 1979)
lorsqu'il a été constaté, lors d'un contrôle, des erreurs dans leur programme
ou dans leur banque de données (« Data Series »). Les Séries sur le
Management se présentent donc dans une conformité absolue avec une
théorie et une technique inspirées de l'ingénierie cybernétique et se
trouvent, de ce fait, en contradiction avec la théorie spéculative du Thêtan
exposée par Hubbard dans d'autres écrits.
d) Désapprendre les sentiments
Le nouveau langage cybernétique de Hubbard, en tant que code de
représentation du monde physique, ne connaît aucune expression pour les
sentiments et les états d'âme. Dans l'ordre de valeurs scientologique, la
compassion est même un défaut. Selon Hubbard, la compassion
(« sympathy ») réduirait le « potentiel de survie ». Dans son tableau
d'évaluation des émotions à 40 niveaux (« échelle des tons »), tableau
permettant de mesurer le « potentiel de survie » par des tests, la
compassion a une valeur de 0,9, indice d'une dépréciation totale.
Conformément à cela, Hubbard refusait également la charité et l'Etat providence.
Il n'est donc pas étonnant que Hubbard ait inventé des exercices visant à
réprimer systématiquement l'expression d'émotions, tels que, par exemple,
la procédure appelée « bull baiting », au cours de laquelle le sujet soumis à
une procédure de stimuli doit apprendre à rester impassible même sous la
torture, ou que l'entraînement répétitif et mécanique à un langage corporel
de marionnette applicable à la mimique, au contact visuel, aux mouvements
des bras et des jambes, au corps en ce qui concerne la proximité et
l'orientation vers d'autres personnes, à la manière de parler en ce qui
concerne l'élocution, le rythme et la mélodie. Ces exercices divers de
communication non verbale (« TRs ») visant à acquérir un langage corporel
artificiel font penser à des cours d'art dramatique mais sont toutefois du
domaine d'une pédagogie de dressage.
L'usage permanent du langage technique emprunté à l'ingénierie et cette
culture de communication non verbale artificielle dans la vie sociale
devraient conduire peu à peu, chez les fonctionnaires et les clients de
longue date, à l'extinction de la vie émotionnelle et, donc, également du
sentiment moral allant de pair avec la vie émotionnelle. Il se pourrait que
cela conduise, chez les sujets, au développement d'un « homme
unidimensionnel », tel que H. Marcuse l'a présenté et critiqué, en tant que
nouveau type de personnalité technoide, dans ses études sur l'idéologie de
la société industrielle avancée (1964). Quant aux dirigeants supérieurs et
aux membres de la Sea Org, « aristocratie » de l'organisation, qui sont
soumis à l'entraînement le plus intensif, il est sans doute plus pertinent de
les ranger sous le type voisin de l'homme technologique destiné à
fonctionner et à combattre, tel que E. Jünger a prévu son avènement dans
son étude « Le Travailleur »(1932), comme nouvelle étape dans l'évolution
d'une humanité de plus en plus technicisante (cf. 5b).
Selon l'étude sur la « Personnalité Autoritaire » menée par T. W. Adorno et
ses collaborateurs, à la fin des années quarante, à Berkley, il est
aujourd'hui du domaine des connaissances considérées comme acquises
par la recherche sociale que la réification du psychisme et la
technologisation des relations humaines, but sciemment poursuivi par
l'entraînement scientologique, constitue une condition essentielle pour la
formation de ce type de personnalité. Dans sa forme la plus achevée, ce
type présente les caractères suivants : il fonctionne, dans les systèmes
totalitaires, de manière absolument mécanique ; lorsqu'il s'agit de la
conservation ou de l'élargissement du pouvoir du système, il ordonne sans
scrupules, même des mesures inhumaines, ou exécute de telles mesures
avec précision lorsque l'ordre lui en est donné. La question de savoir si ces
mesures sont contraires aux droits de l'homme ou à la loi morale lui est en
règle générale indifférente. Pour justifier ses actes, il lui suffit que ceux-ci
soient utiles au système et / ou soient approuvés par le système. Le
modèle humain autoritaire est donc en contradiction fondamentale avec le
modèle humain démocratique.
Longtemps encore après leur sortie de l'organisation, les anciens membres
ayant été pendant de longues années fonctionnaires ou clients permanents
de l'organisation se plaignent parfois de froideur intérieure et d'absence
d'émotion. Les proches de membres de la Scientologie constatent déjà la
modification de leur personnalité souvent peu après la prise de contact
avec l'organisation. Ils décrivent leur comportement en des termes tels que
« froidement calculateur », « comme un robot », « mécanique », ou se
plaignent d'un comportement social « cynique » ou même « sadique ». On
décrit des comportements semblables même après leur sortie de
l'organisation. La question de savoir s'il est permis de s'appuyer sur un tel
comportement pour en conclure à une maladie sous forme de névrose
reste à examiner.
Le phénomène difficilement explicable concernant la plupart des anciens
fonctionnaires et clients permanents et résidant dans la question de savoir
pourquoi, pendant la durée de leur adhésion, ils considéraient les auteurs
de critiques du système comme de véritables ennemis, même lorsqu'il
s'agissait de personnes parmi les plus proches, et cherchaient à éliminer
ces facteurs perturbateurs par tous les moyens, ne peut cependant pas
résulter uniquement du développement d'une structure de personnalité
autoritaire. Certains anciens adeptes font remarquer qu'ils considéraient le
fait de devoir rompre leur lien avec l'organisation pour se conformer au
désir de leurs proches comme une menace pesant sur leur propre bien-être,
leur « survie » selon la doctrine du système. La génération de cette
attitude fait partie de la stratégie de manipulation du système qui immunise
ainsi ses adeptes contre la critique extérieure. Il s'agit là d'une technique
sociale éprouvée à de nombreuses reprises par les régimes totalitaires,
consistant à dogmatiser le lien étroit avec le régime et sa pérennité en tant
que bien nécessaire à la survie, afin d'acquérir des défenseurs, mais aussi
des combattants pour la protection et l'expansion du système.
e) Inflexible exigence de rendement par la mesure permanente de la
capacité de performance de « l'homme machine » et de ses « agrégats »
Lorsqu'une « Org opérationnelle » a été créée, les clients sont « amenés »
dans l'« Org » et « traités » avec les méthodes exposées au point 3. Le
processus de formation et d'éducation auquel sont soumis les
collaborateurs n'est, à ce moment, aucunement achevé. Toutes les
prestations des collaborateurs, qui, tels des ouvriers à la chaîne, sont mis
au contact du client conformément à un règlement technique prédéterminé,
font l'objet de minutieuses et continuelles mesures sur lesquelles sont
fondés le contrôle et la commande de l'individu ainsi que de l'« Org ». Cette
mesure de l'« outflow » sert à évaluer la capacité de performance de
chacun des collaborateurs ainsi que, indirectement, celle du management.
En outre, Hubbard a élevé la statistique au rang de théorie biologique du
salut. Car elle permet en même temps de mesurer le « potentiel de survie »
des collaborateurs concernés ainsi que celui de l'« Org ». La statistique est
donc le pivot et la charnière de tout le système de la Scientologie. Elle
décide à elle seule du sort du plus petit fonctionnaire comme de celui du
manager haut placé. Sur la base du résultat de la statistique, chacun des
collaborateurs, jusqu'au haut manager, ainsi que les organisations se voient
attribuer, dans le cadre d'un système d'évaluation à douze degrés
(« Confusion, trahison, ennemi, doute, liabilité, non existence, danger,
urgence, normale, affluence, changement de puissance, puissance »), une
condition dite d'éthique déterminant sa valeur et sa réputation à l'intérieur
de l'« Org » ou vis à vis des autres « Orgs ». Si le résultat de la statistique
est mauvais (p. ex. « non existence »), des sanctions extrêmement dures
sont prononcées pour l'amélioration de la capacité de performance
personnelle. Dans ce contexte, la maladie ne constitue pas une raison
d'excuse car, selon la théorie, les scientologues parfaitement entraînés ne
peuvent jamais être malades. Une mauvaise statistique ayant la maladie
pour cause est donc une raison justifiant tout particulièrement une « mesure
de correction », à savoir des exercices difficiles. Selon les rapports
d'anciens adeptes, la statistique est abusivement utilisée pour la mise au
pas et l'exploitation impitoyables des collaborateurs, afin de les pousser à
la « production », sur laquelle est fondée l'« expansion » du système. La
mesure de l'expansion dans un système de coordonnées espace-temps
sert d'indicateur pour la force d'une « Org » (HCO PL du 4 décembre
1966).
f) Le potentiel de survie de « l'homme machine » et de ses « agrégats »
Par « potentiel de survie », Hubbard entend une fonction de vitalité
mesurée au moyen de la statistique de production (HCO PL du 6 juillet
1976). La mise en oeuvre de sa « technologie » vise à augmenter cette
fonction de vitalité, c'est-à-dire la capacité de fonctionnement de l'être
humain dans sa totalité, dans les domaines physiques, intellectuels et
spirituels, jusqu'à lui faire atteindre une dimension surhumaine, tous les
troubles du fonctionnement, parmi lesquels figurent également les maladies
psychosomatiques, devant être éliminés sur le « Pont », à savoir ce long
parcours d'exercices au coût incroyable. Les organisations se voient
également attribuer un potentiel de survie.
Le surhomme biologique à la parfaite fonctionnalité et à la force biologique
la plus grande possible (« puissance ») de Hubbard n'appartient donc pas
au domaine des religions au sens occidental, non plus qu'à celui du
bouddhisme, comme l'organisation le prétend, mais à celui d'une doctrine
naturelle biologique à la superstructure fantastique (scientisme utopique).
Par la condition « puissance » qui, ainsi que mentionné plus haut, constitue
le degré le plus élevé dans le « système d'éthique » gradué et, donc, la
valeur la plus élevée pour le système, Hubbard n'entend en premier lieu rien
d'autre que la capacité de rendement la plus élevée dans le processus de
travail, qu'il s'agisse d'un individu ou d'une organisation, mais c'est aussi la
puissance la plus élevée pour une humanité biologique composée de
surhommes qu'il s'agit de créer au moyen de sa « technologie » et grâce à
laquelle se fera jour la « volonté de puissance » (« will power ») de
l'humanité tout entière. Dans « Scientology 0-8. Das Buch der
Grundlagen », Hubbard se réfère expressément à Nietzsche comme
source de la Scientologie. Le concept de puissance biologique, mais aussi
le modèle de l'homme machine qui n'attribue plus qu'une valeur d'usage à
l'homme, montrent que Hubbard voulait réaliser les idées de Nietzsche. Les
exigences technologiques de Nietzsche en appelant à un social
engineering contraire à la dignité humaine ne le cèdent en rien au cynisme
de Hubbard : « La tâche consiste à rendre l'homme aussi utile que possible
et de le rapprocher, autant que cela peut se faire, de la machine infaillible :
à cette fin, il faut le doter de vertus propres aux machines (- il doit
apprendre à considérer les conditions dans lesquelles il travaille avec une
utilité mécanique comme celles ayant la plus grande valeur : à cette fin, il
est nécessaire de le dégoûter des autres autant qu'il se peut, de lui en
présenter le danger et de les déconsidérer autant que possible) »
(Nachlaß, dans: Werke III, p. 630).
Ainsi, le premier axiome de la doctrine de Hubbard « Survis! » n'a sans
doute pas été conçu en tant que concept philosophique, mais au contraire
en tant que concept biologique dans le cadre d'une théorie biologique
procédant du darwinisme social. La réflexion philosophique sur la
Scientologie néglige souvent le fait que la plupart des concepts
scientologiques ont un fondement matérialiste, c'est-à-dire biotechnique,
sur lequel Hubbard appuie sa connaissance du comportement actif
(« technologie »). Pour Hubbard, il ne s'agissait donc jamais de l'exercice
de la puissance spirituelle, mais toujours et uniquement de la puissance
biopolitique telle que la définit l'analyste de la puissance M. Foucault.
g) L'obligation de « produire » par la mise en oeuvre de l' Ethique »
Cependant, la logique de fonctionnement de la doctrine totalitaire
d'organisation et de production du système est constituée de règles
technocrates s'appliquant non seulement à la construction de l'organisation
(« Admin ») et à la formation des collaborateurs (« Tech »), mais aussi,
comme déjà indiqué plus haut, à la direction des collaborateurs
(« Ethique »). Ce règlement est également l'expression du principe de
contrôle total du comportement par la mise en oeuvre de mesures
pédagogiques coercitives.
Les moindres transgressions au règlement de rôles orienté vers la
« production » imputables aux fonctionnaires auxquels il a été inculqué par
entraînement répétitif (ideal scene, HCO PL du 5 juillet 1970) sont relevées
au sein de l'« Org » par un système raffiné de contrôle et de sanctions
(« Ethics »). Dans ce contexte, le système ne connaît pas de sphère intime.
Tous les moyens sont donc permis pour soumettre chaque membre à un
examen total, c'est-à-dire pour en faire « l'homme de verre » total. Le but du
contrôle « éthique » est de constater les « intentions contraires » et
« intentions étrangères » des fonctionnaires afin de les éradiquer ensuite
par les moyens d'une pédagogie coercitive. Pour permettre la détection de
quelconques intentions constituant une transgression, des « rapports de
connaissance » sur les erreurs commises par des collaborateurs et
s'avérant contraires au but d'exploitation doivent être envoyés aux officiers
dits d'éthique. Il est également exigé, le cas échéant, de se dénoncer soi-même.
Tous les « rapports de connaissance » sont réunis dans des
dossiers dits d'éthique afin de pouvoir les utiliser pour justifier une sanction
plus sévère pour la mise au pas du fonctionnaire en cas de défaillance
renouvelée.
L'« évaluation » s'effectue aussi à partir des dossiers personnels et des
statistiques ainsi que de la « condition d'éthique » précédente. Etant donné
que l'éthique scientologique porte sur le comportement productif et, donc,
utile à l'expansion des collaborateurs, il n'est pas étonnant que Hubbard
pardonne généralement même des crimes, comportement donc amoral, à
des collaborateurs ayant une statistique élevée (doctrine dite de Khan
Khan, HCO PL du 1er septembre 1965 VIII). Il est manifeste que le système
applique aujourd'hui encore cette éthique finale, utilitariste et amorale
lorsqu'il réprime systématiquement toute critique justifiée, diffuse de la
propagande mensongère, fait suivre des « entraînements au mensonge » à
ses collaborateurs, attaque les auteurs de critiques avec les méthodes de
la terreur psychique ou contraint ses anciens membres à la docilité en les
menaçant de publier les données de leurs auditions. La Scientologie agit
donc selon une double morale ayant pour principe que « la fin justifie les
moyens ».
En outre, le système s'assure en permanence du non déviationnisme de
ses collaborateurs par des interrogatoires sévères, à caractère
inquisitorial, menés dans le cadre desdites « vérifications de sécurité », au
moyen de listes de questions et avec le secours du détecteur de
mensonges (« E-mètre »). Cependant, les clients sont également soumis à
de telles « vérifications » afin de détecter d'éventuelles « intentions
contraires » ou « intentions étrangères ». Les transgressions soi-disant
indiquées par un certain déplacement d'aiguille de l'électromètre sont
aussitôt « réparées ». Parmi ces « mesures de réparation » figurent en
premier lieu les procédures dites de clarification des mots. Son objectif est
de consolider le nouveau langage – et donc, en même temps, l'orientation
idéologique du déviant – par l'étude des définitions propres au système. Il
n'est pas donné d'éclaircissements sur le but et l'effet de ce programme de
dressage linguistique. Le fait que cet arsenal de techniques d'éducation
répressives comporte également l'éducation en camp de travail est bien
dans la logique du système. Hubbard a manifestement trouvé le modèle du
« RPF » dans la « pédagogie des camps » des dictatures communistes et
fascistes.
Les individus troublant la fabrication de l'homme nouveau de l'intérieur ou
de l'extérieur font l'objet d'un traitement éducatif spécial particulièrement
sensible appliqué par la machinerie d'éducation technologique de la
scientologie. Ces gêneurs qui freinent la « production » (« personnes
suppressives », HCO PL du 16 octobre 1967), sont « maniées » au moyen
de « mesures d'éducation » extrêmement douloureuses jusqu'à ce qu'ils ne
freinent plus la machinerie. Le cours PTS/SP « Comment confronter et
briser la suppression » (HCO-PL du 23 décembre 1965 RA, revu le 10
septembre 1983) contient un règlement précis de règles matérielles et
procédurales relatives à la définition des « actes suppressifs » et à la
manière de les faire cesser. Est considéré comme un grand crime (« high
crime »), par exemple, le fait de se détourner de la Scientologie. Les
déclarations publiques contre la Scientologie ou les scientologues sont
interdites. Ce règlement confirme que l'ordre social de la Scientologie est
un système instaurant le contrôle total du comportement et la répression la
plus dure. Il montre également que la Scientologie se place et agit à
l'extérieur de l'ordre de valeurs démocratique.
En raison des mesures de contrôle du comportement d'une dureté
inhumaine appliquées à la conduite des collaborateurs, ceux-ci sont soumis
en permanence à une exigence de performance extrêmement élevée.
Celle-ci génère chez eux la mauvaise conscience permanente de ne pas
avoir fait assez, ce qui les amène, d'une part, à augmenter leur « puissance
de production » en suivant de nouveaux cours cher payés et, d'autre part, à
attirer de nouveaux clients dans le système afin d'améliorer leur statistique.
La construction du système repose donc sur une stratégie d'exploitation
sans égard pour la personne humaine, visant sciemment à asservir non
seulement les collaborateurs, mais également les clients. Dans ses
instructions aux cadres relatives à la manière d'assurer la « santé du
groupe », Hubbard dit qu'il faut « utiliser » les gens. Toute autre attitude
sociale est rejetée comme étant « psychotique ». (HCO PL du 14
décembre 1970).
a) « Dianométrie »
Pour mesurer en permanence la capacité de performance de « l'homme
machine », outre le dur règlement d'exploitation, le système utilise encore
tout une batterie de tests constituée par un système hiérarchisé de
méthodes de mesure psychométriques et sociométriques
complémentaires les unes des autres. Il est manifeste que Hubbard a très
vite reconnu quel pouvoir ses procédés de mesure et de contrôle
« psychodiagnostiques » lui confèrent sur les hommes. En 1951, il a vanté
en public, avec emphase, son nouveau concept de mesure « Dianometry17
Your Ability and State of Mind », n'ayant pas peur de se comparer à Adolf
Hitler. Il a d'abord exprimé son admiration pour l'inventeur Thomas A.
Edison et pour Adolf Hitler. Ils avaient été tous les deux « intelligents,
extrêmement capables, brillants », avaient eu « beaucoup de succès ».
Mais il y avait encore autre chose que l'intelligence et l'énergie. Et Hubbard
se met alors à exposer son modèle humain cybernétique et les méthodes
de test correspondantes (Bulletins techniques 1950-1953, p. 67).
La fixation du système sur un contrôle permanent par des tests
béhavioristes se manifeste par la très large place faite à ce sujet dans les
Séries sur le Management. Aux seuls mots clés « evaluation » et
« evaluator » correspondent plus de 350 renvois à des passages du texte
traitant de ce sujet et dont il ressort que chaque « audition » est en même
temps un test de performance. Tous les actes des collaborateurs sont
également testés en permanence. Le mode d'observation, d'analyse,
d'enregistrement et d'évaluation fait penser aux procédures d'essai
menées par des ingénieurs du Service de contrôle technique en laboratoire
d'essai.
Or, il en résulte que le débat purement philosophique et idéologique ne
permet pas de pénétrer le véritable noyau du système de la Scientologie,
où il s'agit de tests permanents et d'apprentissage programmé. C'est bien
pourquoi les scientologues ne croient pas aux dogmes philosophiques ou
religieux. Ils croient en leur capacité à être « optimisés » grâce à des tests
à leurs yeux efficaces et grâce à la « technologie » appliquée. La mission
de l'Etat de droit démocratique doit donc être de décrire ces méthodes,
d'en démontrer les dangers et de les écarter. Cependant, l'Etat de droit
démocratique est actuellement insuffisamment préparé à remplir cette
mission.
b) Sur le chemin de la société de tests
Au cours des dernières décennies, la divergence entre l'appréhension
philosophique du monde et la connaissance scientifique est devenue de
plus en plus grande. Un nombre croissant de zones de notre esprit sont
décryptées par les méthodes scientifiques et, de ce fait, rendues
accessibles à la maîtrise technique (W. Ch. Zimmerli, 1989). Le pouvoir de
diagnostic de la société lui permettant de mesurer par des tests la capacité
de performance, les besoins et les opinions du citoyen et de juger, sur la
base de ces tests, de ses aptitudes à remplir certaines tâches au sein de
la société, n'a donc cessé de croître. Ces possibilités de diagnostic sont
de plus en plus utilisées. Il existe un nombre incalculable de tests vendus
sur un marché des services en croissance constante. Dans sa vie
professionnelle, surtout, et dans le cadre de la formation professionnelle
continue, le citoyen, qu'il soit simple employé ou manager de haut niveau,
est sans cesse amené à passer des tests dont le résultat est déterminant
pour la poursuite de sa vie professionnelle.
Lors de la mise en oeuvre et de l'évaluation de ces tests, on utilise
aujourd'hui de plus en plus les capacités de calcul et d'analyse des
ordinateurs. Les programmes informatisés de développement du personnel
ont pour fonction, d'une part, de fournir des aides d'enseignement et
d'apprentissage aux membres du personnel, mais ils sont également
utilisés comme instruments de diagnostic pour la mesure de leur capacité
de performance. Or, grâce à des logiciels de gestion très pointus,
développés comme instruments de gestion pour l'optimisation du résultat
de l'entreprise, la direction de l'entreprise est aujourd'hui en mesure de
radiographier à tout moment chacun des membres de son personnel au
moyen de « l'ombre informatique » qu'il a laissée en travaillant dans le
système informatique en réseau de l'entreprise et d'en faire ainsi un
« homme de verre ». Pour des considérations de protection de la
personnalité, un tel diagnostic par prélèvement, mise en rapport logique et
traitement des données personnelles dans les systèmes experts (« Data
Mining ») est certes interdit (§ 206 du code pénal allemand (StGB), § 43 de
la loi fédérale sur la protection des données (BDSG)). Cependant, un
nombre croissant d'entreprises utilisent de tels diagnostics pour protéger
leurs systèmes informatiques entièrement mis en réseau et, de ce fait,
infiniment fragilisés. Sous le prétexte d'éliminer les brebis galeuses, il
arrive de plus en plus fréquemment que l'on établisse par la même
occasion des profils de performance des membres du personnel visant à
instaurer un management total de la qualité (Kaltenborn, 1999).
c) Protection de la personnalité insuffisante vis à vis des « pouvoirs fondés
sur les tests »
Celui qui teste a du pouvoir ; le test livre la personne testée au pouvoir de
diagnostic du testeur. Si la personne testée ne peut pas contrôler de quel
test il s'agit ni s'il a été correctement utilisé, elle peut devenir le jouet du
testeur. Bien que les tests de personnalité empiètent profondément sur le
droit d'autodétermination informationnelle du citoyen, l'Etat n'a guère pris,
jusqu'à ce jour, de mesures visant à le protéger de l'usage abusif des tests.
De ce fait, le système de la Scientologie peut sans problème vendre ses
tests de personnalité (« test OCA ») aux industriels, bien que ce test ne
repose sur aucun fondement scientifique. De ce fait, la Scientologie peut,
sans grand problème, étendre son prétendu pouvoir de diagnostic
psychologique et diffuser son modèle humain technicisant dans notre
société. La prétention à la détention de la connaissance totale en matière
de diagnostic est encore renforcée par le fait que la Scientologie diffuse en
Allemagne, depuis des années, des tonnes de matériel de propagande
dans lequel elle attaque systématiquement et de manière diffamatoire nos
pouvoirs de diagnostic psychologique respectueux de l'ordre de valeurs de
la Loi Fondamentale (NDT : Constitution de la République fédérale
d'Allemagne) que sont la psychiatrie et la psychologie scolaire. Or, l'Etat de
droit démocratique n'est pas dépourvu de moyens de protection.
Dans le document E/CN/4/1116 du 23 janvier 1973, p. 71 et suivantes, la
Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies a décrit les
dangers découlant de l'utilisation abusive des tests et émis une série de
recommandations pour la « protection de la sphère privée à la lumière des
méthodes psychologiques et physiologiques modernes visant à soutirer
des informations », recommandations que l'Allemagne n'a pas encore
transposées dans sa législation :
(1.) Les Etats sont invités à régler par la loi la mise en oeuvre
de procédés de tests psychologiques en dehors des domaines du
conseil et de la thérapie.
(2.) La mise en oeuvre de tests psychologiques doit être conditionnée
en priorité par le droit à la protection de l'individu et effectuée
uniquement par des personnes qualifiées et compétentes.
(3.) Des stipulations particulières doivent régler la possibilité
de refuser le passage de tests sans qu'il en découle des
conséquences préjudiciables et de faire opposition aux
conséquences déduites des résultats de tests.
(4.) Dans le domaine de la formation et du travail, il ne doit être utilisé
que des tests ayant un rapport direct et vérifiable avec les
exigences en matière de compétence.
(5.) L'utilisation, la confidentialité et la diffusion des résultats de tests
doivent être réglées par la loi.
(6.) La mise en oeuvre de tests de personnalité permettant de tirer
des conclusions sur des processus touchant à l'inconscient et au
psychisme profond doit être soumise à des règlements
particulièrement stricts assurant la protection des droits de l'homme.
En vue de protéger l'autodétermination informationnelle, le diagnostic
psychologique au moyen de tests devrait être réglé par la loi aussi
rapidement que possible. Ceci permettrait de mettre fin à l'abus
systématique par la Scientologie de connaissances diagnostiques lui
donnant du pouvoir sur les autres.
Il faut se demander pourquoi les collaborateurs et les clients permanents ne se
révoltent pas contre l'humiliante obligation de se soumettre à ces contrôles.
L'explication tient sans doute à ceci : les sujets sont tellement sous l'impression
des expériences qu'ils ont vécues en état de transe pendant l'entraînement et qui
ont fait exploser leur vision empirique du monde, qu'ils croient les promesses de
l'organisation lorsqu'elle affirme pouvoir venir en aide à l'humanité entière avec
ses techniques. Dans ces conditions, ils acceptent comme un mal nécessaire le
fait que la vision d'une « nouvelle civilisation » exige des sacrifices, à savoir une
discipline de fer, la soumission à un contrôle total, la mise en oeuvre permanente
et excessive de sa propre force de travail et de ses propres ressources
financières. En même temps, ils sont incapables de reconnaître qu'on les a
appâtés avec des artifices empruntés à la psychologie du comportement et qu'on
les maintient dans un système fermé au moyen de techniques de contrôle
cybernétiques. Car les sujets ne reçoivent pas d'éclaircissements sur le fait qu'ils
ont été hypnotisés au cours des entraînements déterminants. On leur assure
toujours, au contraire, qu'on n'utilise pas l'hypnose. Les techniques de contrôle
biocybernétiques ne sont pas identifiables par le client car la Scientologie ne parle
pas de leur utilisation et trompe même sciemment sur l'utilisation de ces
méthodes.
Pour créer des liens, la Scientologie exploite abusivement les règles sociales de
jeux. Avec et dans les jeux, il peut devenir possible de contrôler et de façonner les
joueurs, c'est-à-dire de les instrumentaliser et de les asservir. L'anthropologie
systémique cybernétique considère le jeu comme l'adaptation initiale de l'espèce
humaine et des organismes supérieurs à leur environnement et, donc, comme un
mode particulier d'apprentissage. Le jeu sur et avec le modèle matériel et spirituel
tiré de la réalité est sensé servir à acquérir et exercer certaines facultés. La
cybernétique essaie d'expliquer la modification du comportement des hommes et
des groupes en s'appuyant sur la théorie du jeu, qui distingue entre jeux
déterminés, non déterminés, stratégiques et non stratégiques (Flechtner, 1970).
Le réseau même des interactions entre les membres d'un groupe est également
considéré comme un jeu et l'ensemble de ces interactions (ou stratégies de jeu)
est défini comme étant un système social (F.B. Simon, 1995).
Dans l'optique de la théorie des systèmes, la Scientologie s'entend elle-même
comme étant un réseau (HCO PL du 4 décembre 1966) et un système de jeu
(HCO PL du 4 décembre 1966) pour lequel il s'agit d'acquérir de nouveaux
joueurs au moyen de stratégies spécifiques. Dans ce contexte, la Scientologie
donne l'apparence d'être un système ouvert dans lequel on peut commencer et
terminer un jeu selon son propre gré. Mais en réalité, il s'agit d'un système conçu
pour garder durablement les joueurs, c'est-à-dire pour en faire les parties
constituantes de la structure du système. Les systèmes présentant ce caractère
sont qualifiés de systèmes « asservissants » par la théorie des systèmes. Dans
les systèmes de ce type en expansion, les éléments asservis consolident la force
d'expansion du système, comme dans une avalanche dans le cadre d'un effet dit
de synergie (H. Haken, 1981). Le management de la Scientologie agit selon ce
concept systémique ; ce concept est à la base de la stratégie d'expansion de la
Scientologie.
a) L'audition, un jeu de marionnettes
Dans sa théorie des conditions de jeu du 1er décembre 1950 (PAB
nº 101), Hubbard écrit : « Les jeux sont la réponse la plus adéquate à
l'énigme de la vie ». Il définit ensuite l'« audition » comme étant un « jeu »
(« Nous auditons le « Préclair » dans toutes les phases, comme on joue à
un jeu »). Dans « Les conditions préalables pour l'audition » du 12 juin
1956 (PAB nº 88), Hubbard expose que, au cours de l'audition, on doit
s'adresser aussi peu que possible à son propre moi subjectif, le mind, mais
que l'on doit au contraire inculquer au « Préclair » la faculté de « jouer à un
jeu » à l'issue duquel il obtiendra un « gain ». Cette technique consistant à
organiser des jeux permettant d'obtenir un gain est la cause pour laquelle
de nombreux clients et collaborateurs ne peuvent plus quitter le système de
la Scientologie.
Les jeux de la Scientologie qui, comme nous l'avons exposé plus haut, ont
pour modèle une interaction quasi mécanique, appartiennent à la catégorie
des jeux de contrôle ne laissant pas la moindre liberté au joueur. Le joueur
devient une marionnette, un objet que seul l'entraîneur peut modifier. Le
concept axiomatique de Hubbard selon lequel tous les exercices sur le
« Pont » sont des jeux d'apprentissage procédant de la pédagogie
thérapeutique éclaire le sens et la finalité des centaines d'entraînements
mystérieux (p. ex. l'exercice avec un cendrier ou l'apprentissage du
« contrôle » par l'exécution stéréotype et répétée d'un exercice de marche
du type « Démarrer, changer et arrêter »). L'« auditeur » joue avec
l'« homme machine » un jeu d'entraînement rappelant un jeu d'enfants en
bas âge, afin qu'il apprenne à se déplacer ensuite dans le monde avec la
précision d'un robot, à appréhender ce monde à la manière d'un instrument
de physique et à le contrôler avec une sûreté de plus en plus grande. Le
film américain Matrix, qui serait un film culte pour les scientologues
avancés, offre une illustration concrète de cette anthropologie cybernétique
fantastique.
Les jeux scientologiques intervenant lors des Processus Objectifs sont
d'une telle banalité que les individus soumis à ces exercices se trouvent
manifestement mis dans la nécessité de les surfaire du point de vue
sémantique, c'est-à-dire de les investir de mystère afin de parvenir de cette
manière à l'expérience du gain qui leur a été promise. Dans la plupart des
cas, les sujets ne reconnaissent pas que les exercices sont seulement une
technique opérationnelle destinée à leur apprendre à exercer sur ordre et
avec précision des processus de mouvement déterminés. Le but du
« processing » est en premier lieu l'interaction ludique en tant que telle.
Comme dans les jeux des enfants en bas âge, il ne s'agit pas de véhiculer
un sens quelconque, ainsi qu'on le recherche dans les jeux de symboles,
mais il s'agit bien au contraire uniquement de l'action (jeu de fonction
sensori-moteur). Ces jeux « dépourvus de sens » permettant de
nombreuses interprétations, le sujet est toujours libre d'y trouver, par
autosuggestion, la « reconnaissance » d'un gain (« cognition ») par laquelle
se termine chaque jeu ; il est manifeste que le sujet élève alors le jeu de
fonction au rang de jeu de symboles. Ceci est facilité par le fait que, ces
exercices stéréotypes se prolongeant souvent pendant des heures, il est
assez fréquent que le sujet tombe dans un état de transe et qu'il peut
considérer cette expérience comme étant le but de l'exercice.
L'artifice consistant à amener un joueur à interpréter une action insensée
comme étant un événement chargé de sens semble marcher avec une très
grande efficacité. Les clients se laissent entraîner de plus en plus
profondément dans le grand jeu de la Scientologie par cette « expérience
du gain » sur laquelle ils doivent rédiger un protocole après chaque jeu. La
promesse d'une augmentation constante du « gain » apportée par chacun
des nombreux cours sur le « Pont » incite à poursuivre. Dans le secteur
publicitaire, on qualifie cette méthode de système d'incitation ou de
technique d'incitation (incentive). Le fait qu'il faille alors faire des sacrifices
financiers et personnels de plus en plus grand est accepté par des clients
et fonctionnaires apparemment devenus esclaves de leur passion du jeu.
Vendeur rompu à toutes les ruses et instigateur de ses fonctionnaires,
Hubbard leur fait remarquer, dans les « Séries sur le Marketing », combien
il importe de ne pas donner d'explications au public sur les expériences
mystérieuses que celui-ci a vécues, afin de pouvoir ainsi lui vendre d'autres
cours plus facilement (HCO PL du 25 juin 1978, réédité le 31 août 1979).
Ainsi, les clients sont des marionnettes dans la main de l'entraîneur qui est
lui-même la plupart du temps la marionnette du système. C'est pourquoi
clients et entraîneurs restent souvent sans remarquer que, contrairement à
ce qu'affirme la propagande scientologique, ils ne parcourent pas un
« chemin spirituel », mais sont au contraire en train de subir un dressage
faisant d'eux des « hommes machines » fonctionnant parfaitement pour un
système en expansion qui les utilise comme appât, comme dans un jeu de
pyramide, pour acquérir de nouveaux joueurs.
La pression exercée par la machinerie est tellement forte que même les
fonctionnaires très lucides sur les méthodes de ventes agressives (hard
sell) en arrivent toujours à se laisser persuader d'acheter d'autres cours,
même lorsqu'ils sont déjà absolument ruinés sur le plan financier. Les
forces de résistance naturelles semblent complètement paralysées par le
dressage idéologique.
b) Plan et pratique d'expansion selon les règles d'un jeu de stratégie
La théorie cybernétique du jeu accorde une importance particulière aux jeux
concernant la concurrence et le combat et qui ont donc pour objet un conflit
que l'on veut trancher à son avantage par la mise en oeuvre d'une stratégie
de gain (G. Klaus, 1969; Flechtner, 1970). Lorsque le système de la
Scientologie, avec toutes ses organisations, est explicitement présenté
comme un joueur engagé dans un jeu de ce type joué contre le monde
entier (HCO PL du 4 décembre 1966, 12 février 1967 et 6 décembre1970),
les Séries sur le Management font implicitement référence à la théorie
cybernétique des jeux stratégiques. Pour gagner ce jeu, les joueurs sont
« drillés » dans des « battle plans » (HCO PL du 22 août 1982) et formés
au « strategic planning » (HCO PL du 5 janvier 1983). Il est significatif que
l'on relève, dans la table des matières des Séries sur le Management, une
quarantaine de références au mot clé « guerre » et une quinzaine au mot
clé « combat ». De ce fait, les Séries sur le Management peuvent être
globalement interprétées comme étant un manuel de logistique et de
stratégie cybernétique pour la conquête du monde à laquelle vise le
management de la Scientologie.
Il ne s'agit pas ici d'une interprétation abusive, car cela se manifeste non
seulement par l'utilisation d'une terminologie de stratégie militaire mais
aussi par le fait que le système de la Scientologie s'est réellement armé
pour son expansion comme pour un combat. Son noyau est doté d'une
forme d'organisation militaire. La Sea Org, dont les membres portent
l'uniforme, s'entend comme étant un ordre militaire amené à intervenir dans
les régions de crise, pour éliminer les obstacles, lorsque l'expansion
marque un coup d'arrêt. De même, les services secrets OSA, qui « doit
créer un environnement sûr pour l'expansion », agit comme une troupe de
combat. Ses agents, ainsi que ceux du SeaOrg Management sont d'ailleurs
préparés à leurs « missions » et « opérations » par une formation pratique
spéciale, tirée pour l'essentiel du manuel de stratégie du Chinois Sun Tsu
(500 av. J.-C.), qui est un guide pour l'utilisation de techniques
d'espionnage et de combat biologique étrangères à toute idée de morale
et de droit, ainsi que du règlement « Manual of Justice », dans lequel
Hubbard a prescrit comment éliminer l'adversaire avec « efficacité » au
moyen de méthodes sales. La preuve est faite que ces instructions sont
appliquées dans le monde entier contre les critiques de l'organisation.
Par la formulation d'un but stratégique et l'utilisation d'un modèle
d'organisation emprunté au domaine militaire, Hubbard a exploité les
forces de cohésion sociale qui soudent dans l'action les membres d'une
formation de combat ayant une mission à remplir. Cela conduit à une
harmonisation de la perception, à une vision du monde et une perspective
d'action communes (J. Ruesch/G. Bateson, 1995). En connaisseur averti
de la psychologie sociale, Hubbard a donné pour mission à la formation de
combat qu'il a lui-même créée d'assurer la « survie de l'humanité entière »,
motivation ne souffrant aucune surenchère. Il s'agit là encore d'un artifice
psychologique emprunté à l'arsenal des propagandistes totalitaires et des
spécialistes de l'incitation, qui s'en servent pour monter des campagne de
vente, mais aussi des mouvements sociaux.
Ainsi, le règlement scientologique – constitué de règlements harmonisés
les uns avec les autres – régissant l'organisation, l'éducation et le contrôle
systémique, réduisant les collaborateurs ainsi que les clients au rang
d'instruments et de marionnettes et aboutissant à leur asservissement,
repose sur l'utilisation abusive de connaissances relatives au
comportement actif empruntées aux théories des systèmes, de l'information
et du contrôle. Si la possibilité d'une telle utilisation abusive est depuis
longtemps l'objet de débats chez les théoriciens de la science, la
réalisation de ce danger a cependant été tenue pour invraisemblable (H.
Stachowiak, 1989). Cela ne manque pas d'étonner car, depuis la
découverte des lois cybernétiques par N. Wiener, l'ancien bloc de l'Est,
notamment, a intensivement travaillé sur l'étude et l'application pratique de
cette nouvelle théorie et de cette nouvelle technique scientifique. Ainsi,
l'étude de la cybernétique a même été inscrite aux programmes des partis
de l'URSS et de la RDA (G. Klaus/H. Liebscher, 1970). Les idéologues
marxistes-léninistes voyaient même dans la théorie et la technique
cybernétiques la preuve scientifique de la justesse du matérialisme
dialectique (G. Klaus/M. Buhr, 1964, 1972). En dépit de l'utilisation
mondiale des concepts et des techniques appartenant à la théorie des
systèmes, de l'information et du contrôle, également dans l'industrie des
sociétés démocratiques, la référence à une cybernétique vulgarisée dans
la théorie et la technique de la Scientologie et l'abus fondé sur cette
nouvelle connaissance de l'organisation et du contrôle n'ont pas été
décelés jusqu'à ce jour.
La raison déterminante en est sans doute que le radicalisme de la
démarche technocrate consistant à fonder un système social uniquement
sur une théorie et une pratique procédant de l'ingénierie cybernétique,
consistant donc à dégrader l'homme au rang de robot, dépasse largement
l'imagination normale. De même, il n'a pas été relevé jusqu'à ce jour que,
dans les Séries sur le Management, la notion de « Thêtan » désigne une
unité de commande émettant de manière autonome des ordres qui
commandent un autre système, à savoir le corps (HCO PL du 4 décembre
1966). On peut trouver une approche semblable dans la cybernétique
sérieuse (Haken, 1981). Au regard de la pertinence des Séries sur le
Management dans le domaine de l'ingénierie, on ne peut s'empêcher de
soupçonner que celles-ci n'ont peut-être pas été écrites par Hubbard, mais
qu'elles sont l'oeuvre de technocrates sans scrupules qui se sont seulement
servis de l'écrivain de science fiction et mythomane Hubbard pour
camoufler leur jeu de puissance cynique. Si, toutefois, les Séries sur le
Management sont de Hubbard, il y a lieu de penser que son mythe du
Thêtan a seulement été conçu en tant que « mystery sandwich » (HCO PL
du 25 juin 1978), pour mieux attirer le public dans sa machinerie
d'exploitation.
La clé permettant d'expliquer le système totalitaire de la Scientologie et son
pouvoir d'assujettissement réside donc moins dans sa superstructure
pseudo-religieuse, à laquelle croient peut-être de nombreux scientologues
de base, mais certainement pas les auteurs et exécuteurs du règlement
contenu dans les Séries sur le Management, que dans sa capacité à
utiliser des connaissances empruntées à la psychologie du comportement
et à la cybernétique des systèmes qui permettent d'assurer sa domination
sur les autres afin de contrôler les hommes, de les réduire au rang
d'instruments et de les asservir, et à utiliser ces connaissances sur le
comportement actif sans scrupules, dans le mépris de la dignité humaine et
des Droits de l'Homme.
Au nombre de ces techniques utilisées de manière cumulative figurent:
(1) La motivation des clients et des collaborateurs par la mise en oeuvre
permanente de procédés dit d'incitation (techniques d'incitation) sous la
forme de promesses de gain, de bonheur et de succès, dans l'action
publicitaire et dans les cours ; le déclenchement, à des fins de
manipulation, de sentiments de bonheur, sous hypnose ou par surmenage
systématique de l'organisme (p. ex. par des séances de sauna d'une durée
excessive lors de la purification appelée Run-down) ; le fait de faire miroiter
des buts imaginaires visant à dissimuler la volonté de puissance totalitaire
et la construction d'une position de pouvoir antidémocratique.
(2) L'accoutumance à un nouveau langage emprunté aux sciences
de l'ingénieur à des fins de restructuration opérationnelle de l'action et de
la pensée ; désapprentissage du langage corporel naturel ;
(3) L'éducation à l'exercice d'un pouvoir de contrôle sur ses congénères par
a) apprentissage par exercices répétitifs à caractère militaire (drill)
b) apprentissage programmé
c) conditionnement opérationnel par consolidation des comportements
désiréset répression des comportements indésirables (technique de
renforcement)
d) contrôle systémique permanent par le groupe ;
(4) L'endoctrinement au moyen d'une fausse anthropologie (affirmation
de la possibilité d'une maîtrise totale de l'esprit et de l'âme par mesure de
l'électricité corporelle d'une part et par la mise en oeuvre de technologies
d'apprentissage d'autre part) ;
(5) L'induction d'une sorte d'addiction poussant les clients et
les collaborateurs à vouloir participer constamment au « jeu gagnant » de la
Scientologie ;
(6) L'exploitation de cet état d'addiction
a) par les prix exorbitants des cours vendus
b) par l'exploitation des collaborateurs;
(7) Le mépris systématique des connaissances acquises par les sciences
humaines et sociales et des valeurs en découlant pour des relations
respectueuses de la dignité humaine dans les rapports avec le corps,
l'esprit et l'âme, lors de l'entrée en affaires, lors de l'entraînement, dans la
conduite des collaborateurs et lors de la discussion avec les critiques .
En raison de son approche stratégique, telle qu'elle apparaît dans les Séries sur le
Management, il faut considérer l'exploitation de la Scientologie comme une
entreprise qui, sous le manteau de la philanthropie et de la réforme sociale,
pratique l'asservissement de ses collaborateurs et de ses clients dans une société
contrôlée par des procédés de commande technologiques (dictature
cybernétique) et tente de diffuser et de promouvoir la transformation de l'ordre
social démocratique en une dictature cybernétique.
Par sa programmatique comme par sa manière de procéder, l'organisation de la
Scientologie incarne un nouveau type de totalitarisme. Pour soumettre les
hommes et ses organisations, celui-ci se sert d'une technique de commande et de
contrôle procédant de la cybernétique et du béhaviorisme (technototalitarisme ou
cyberfascisme). Hubbard a sans doute emprunté la vision consistant à
débarrasser la société de ses « agressions » au moyen de la technologie
d'apprentissage béhavioriste au théoricien de l'apprentissage B. F. Skinner.
Celui-ci a diffusé, dans son livre publié en 1948 « Walden Two », un modèle de
rééducation de la société présentant des similitudes avec celui de Hubbard.
Toutefois, contrairement à Hubbard, Skinner mettait en lumière que la réussite de
la tentative d'éducation proposée exigeait que l'homme renonce à sa liberté et à
sa dignité. Bien que la théorie anthropologique selon laquelle il serait possible de
façonner l'homme à volonté au moyen de technologies d'apprentissage soit
depuis longtemps réfutée, de telles techniques sont aujourd'hui de plus en plus
utilisées dans le secteur de la formation professionnelle continue (formation des
cadres) dans l'objectif d'une prétendue optimisation de l'homme.
Mais le concept technologique de l'« optimisation » appliqué par Hubbard à l'être
humain est également tout à fait dans la tradition du « Scientific management »
de l'ingénieur F. W. Taylor qui, au début du XXe siècle, a utilisé des techniques
d'ingénierie pour mesurer la performance et le comportement d'ouvriers d'usine
américains, pour les décomposer en fonctions individuelles et les ordonner selon
une nouvelle cadence, c'est-à-dire pour les mécaniser et, donc, les déshumaniser
(taylorisme). Dans cette technique visant à discipliner l'homme extérieurement et
intérieurement au moyen de méthodes scientifiques, Max Weber voyait la forme
de domination typique de l'époque moderne (voir à ce sujet: Der Neue Mensch.
Obsession des 20. Jahrhunderts, Exposition du Deutsches Hygiene-Museum
Dresden, 1999). Le véritable potentiel de danger émanant du Scientific
Management, à savoir la possibilité d'en faire une utilisation abusive à des fins
totalitaires, a été décrit d'une manière valable aujourd'hui encore par l'ingénieur et
écrivain russe J. Samjatin. Dès 1920, à l'époque où Max Weber faisait la critique
du taylorisme, il expliquait la capacité du bolchevisme à collectiviser la société en
Russie et à asservir les individus par l'utilisation abusive des méthodes du
Scientific Management. Dans le roman d'anticipation satirique « Wir », dans
lequel Samjatin fustigeait le bolchevisme, les hommes sont des « numéros »
commandés selon les méthodes de Taylor, c'est-à-dire selon des lois
mathématiques. Ils paient le prix de leur parfait fonctionnement technique par la
perte de leur âme. La stratégie d'application des technologies à tous les rapports
personnels et sociaux (social engineering) élaborée par Samjatin, en tant que
caractéristique du totalitarisme, est aussi incontestablement appliquée par la
Scientologie. Il est significatif que, pour décrire sa pratique de modification de
l'homme et de la société, l'organisation utilise non pas le concept d'« idéologie »
ou de « psychologie », mais celui de « technologie ».
Dans l'expertise séparée mentionnée plus haut, expertise rendue par quatre
experts de la Commission d'enquête, en considération de l'orientation scientifique
de la théorie et de la pratique de la Scientologie, celle-ci n'est pas classée dans le
domaine de la religion et de la foi, mais dans le domaine postmoderne d'une
idéologie utilisant les sciences et la technique (scientisme). La Scientologie
appartient manifestement au nouveau courant culturel critiqué par le sociologue N.
Postman qui le qualifie de « Technopole » (1991) et par son confrère G. Ritzer qui
parle « McDonaldisation » de la société (1993). Postman redoute la mise sous
tutelle de la société par la puissance des technologies ; Ritzer voit dans le progrès
de l'application des technologies à la société le danger d'une « cage de fer » pour
la société. J. Weizenbaum, scientifique américain expert en informatique, voit le
même danger et lance une mise en garde contre l'orientation simpliste de la
société au scientisme cybernétique et contre les excès sans frein dans ce sens
(1976).
L'application à l'homme de techniques de commande et de contrôle ainsi que de
procédures de mesure et d'évaluation psychométriques permettent d'identifier
clairement la Scientologie comme un représentant typique de la « Technopole ». Il
se peut que la critique culturelle exprimée par les scientifiques américains cités
soit exagérée, mais elle décrit avec justesse la tendance croissante à l'orientation
biotechnique de notre société et s'applique en tout cas aux pratiques de la
Scientologie. Or, certains futurologues allemands voient des dangers semblables
à ceux décelés par les auteurs américains. L'Institut Fraunhofer pour l'économie et
l'organisation du travail (JAO), à Stuttgart, a développé trois scénarios futurs
possibles pour le XXIe siècle. A deux modèles optimistes s'oppose le modèle de
« Metropolis » qui est une sombre variante de la « Technopole » de Postman. Le
Commission de futurologie instituée par la Bavière et la Saxe considère qu'il ne
faut pas exclure une évolution de type « Metropolis » si rien n'est fait pour la
contrecarrer.
Notre société a à peine pris note des risques que pourrait engendrer l'application
effrénée des technologies cybernétiques aux rapports sociaux (cybersociété),
notamment des méthodes du Scientific Management appliquées à l'organisation
et au contrôle cybernétique de l'entreprise auxquelles il est fait recours dans
certains domaines de la vie économique. La Scientologie est un représentant
extrémiste de cette tendance consistant à donner le primat à la technologie. Bien
que l'organisation de la Scientologie soit observée, depuis 1997, par les services
de contre-espionnage allemands, en qualité de mouvement anticonstitutionnel, et
si de nombreux adeptes ont tourné le dos à l'organisation en raison de l'effort
d'information fourni en Allemagne par l'Etat, il faut cependant rester vigilant. Pour
écarter les dangers émanant de l'utilisation excessive des technologies
d'apprentissage de type béhavioriste et des techniques de contrôle
cybernétiques, il faudrait développer aussi rapidement que possible des normes
de comportement éthiques et juridiques permettant de protéger l'individu. C'est
pourquoi il faut engager sans tarder l'élaboration d'une réglementation juridique
applicable aux activités déployées sur le marché de la psychologie, de la
formation professionnelle continue et du perfectionnement professionnel, ainsi que
la Commission d'enquête l'a recommandé, mais aussi sur celui du diagnostic de
personnalité par des tests.
Note:
Le but de l'utilisation de la Tech est la « reprogrammation » d'un « homme
nouveau » fonctionnant comme une machine, d'« organisations nouvelles » et,
ainsi, d'une « civilisation nouvelle » (Clear Planet!). Le but final poursuivi par
l'organisation de la Scientologie (SO) dans son utopie de la pédagogie par la
contrainte est la soumission de tous à sa Tech 3 D. La mise en oeuvre de la Tech
1 D n'est qu'un moyen d'atteindre ce but. Grâce à la vente (franchising) de la Tech
3 D par WISE à des organisations, principalement à des entreprises industrielles,
la Scientologie procède à l'extension intersectorielle de son pouvoir de contrôle et,
donc, à une accumulation de pouvoir. La Scientologie prône un nouveau
totalitarisme (technototalitarisme ou cyberfaschisme) reposant sur une
conception biologique de l'homme (béhaviorisme, cybernétique).
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