Scientifique ?

Nous inaugurons ici une rubrique, éloignée de notre habituelle activité, mais nécessairement complémentaire. Une suite d'articles qui vont se succéder, sur les sujets les plus divers mais dans une suite logique. Tous sont liés à la modernité et s'intéressent aux avancées scientifiques les plus fondamentales de ces cinquante dernières années. Nous allons ainsi puiser dans l'histoire passée, comme dans le vécu au présent, les briques nécessaires à une représentation quelques fois surprenante de notre savoir et de notre univers. 

Nota : De nombreux articles relèvent de mes réflexions en informatique : 20 ans d'informatique dont une partie passée à la conception des premiers micros (à Tokyo...), aux premiers systèmes neuronaux ou à me pencher sur la logique de l'intelligence artificielle. D'autres sont le reflet de mes désirs : J'aurai aimé, en plus de ce que j'ai fait, être chercheur en physique fondamentale, en mathématiques pure etc. Une vie ne suffit pas, alors, je raconte ici quelques sujets sur lesquels j'aurai bien passé une vingtaine d'années... Pour ce qui est de la crédibilité scientifique, reportez-vous au petit fichier "Préambule" qui est  en tête des trois "classeurs" de la page "Futurs improbables".

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I) Introduction : Le futur, c’est demain   

        Prenez de l’hélium liquide, un gaz qui devient liquide à –269°C, un liquide tout à fait normal à cette température. Baissez sa température de 2 degrés, et le monde bascule [i] : Si vous versez ce liquide dans un verre, aussitôt il remonte les parois de celui-ci pour s’en échapper. Si vous bouchez toute sortie pour qu’il reste dans le verre, sa position restera exactement immobile par rapport aux étoiles, en dépit du fait que la terre tourne ou que vous bougiez le récipient. Vous constatez aussi qu’il coule plus vite dans un tube fin que large, en contradiction avec toutes mécaniques des fluides, et que vous ne pouvez le chauffer localement, sa température reste uniforme sur toutes ses parties. L’hélium se comporte maintenant comme une ‘onde’ matérielle. Bravo, vous venez de découvrir un superfluide qui, comme la supraconduction ou le laser, relève d’une autre logique. Bienvenue dans la physique quantique, un univers où l’espace n’est qu’une vue de l’esprit, une expression de notre sensibilité, ou de notre façon de regarder le monde. Une physique où il faut admettre qu’une particule, un photon par exemple, puisse passer par deux chemins en même temps (expérience des fentes de Young), sans être aucunement contrainte de choisir l’un ou l’autre des passages possibles. Un espace où le temps tel que nous le concevons n’existe plus, où les lois de la physique se plaisent peut-être à le remonter lorsque cela participe à l’équilibre de notre univers. Une physique dans laquelle tout relève de la probabilité, d’existence potentielle, où un chat peut être mort et vivant à la fois selon une célèbre et caricaturale démonstration du Nobel de physique E. Schrödinger : Chaque époque crée ses mythes et ses paradoxes, ainsi le Chat de Schrödinger donne-t-il la réplique aux paradoxes de Zénon (Ve siècle av. JC.) [ii], avec les mathématiques du XXe siècle. Chaque époque construit ses rêves, et, aujourd'hui, l'avenir  n'est plus ce qu'il était !

         En marge de telles révolutions, certaines innovations provoquent une rupture dans l’évolution des technologies et modifient notre quotidien tout autant que notre économie : Dans les années 60’ apparaissent les premières calculatrices et personne n’y croit vraiment. Tout comme la photo numérique des années 80’, la calculatrice était une véritable innovation qui allait provoquer une réelle rupture technologique. A la manière des fabricants de règles à calcul, les grands laboratoires photographiques (Kodak, Polaroïd, Ilford…) ont certes surveillé leurs concurrents, mais assurément pas ce qui  émergeait de domaines très distincts comme ceux des capteurs numériques, qui signèrent la mort du film argentique. De la même manière personne, hors quelques rares visionnaires impliqués dans ses développements, n’imaginait à quel point l’informatique allait envahir notre quotidien. C'est pourquoi il faut toujours se méfier des prédictions, surtout si elles concernent l'avenir ! C’est ainsi qu’après l’échec patent de la futurologie du début du XXe  siècle, la prospective devient l’outil moderne de projection dans le futur. Plus méthodique, la prospective qui est loin de la ‘divination’ de la futurologie, étudie et sélectionne ses scénarii dans le spectre des futurs possibles et plausibles et se méfie des projections mécanistes. En effet, ce n’est pas parce que l’espérance de vie s’est allongée considérablement au cours du dernier siècle, voire des deux ou trois siècles passés, que l’on est en droit de prolonger ‘mécaniquement’ la courbe pour les siècles à venir. Il arrive cependant que le futur accomplisse quelque prédiction des temps anciens, mais il ne s'agit généralement pas d'une prédiction réussie mais, plus simplement, de la réalisation de nos rêves passés. L'avion ne fait que concrétiser le rêve d'Icare. Dans un autre domaine, et en dépit des communications modernes (Web, mails, téléphonie mobile), le télétravail ne s’est pas déployé comme on le prévoyait il y a vingt ans. Pourquoi ? Parce que l’innovation seule ne suffit pas, elle doit aussi converger avec l’acceptabilité sociale ou la conscience morale collective. Le constat d’une technologie mûre et aboutie n’implique donc pas son essor. La dimension temporelle est une composante importante et rend parfois  nécessaire de repousser la prévision de quelques années ou décennies, si socialement, la communauté n’est pas prête à adopter les changements prévisibles. Il résulte que l’analyse prospective ne peut se réaliser sans une approche éthique (étude des mœurs et de la morale) importante.

Par ailleurs, il est des découvertes dont on pressent qu’elles s’inscrivent inéluctablement dans l’avenir de l’homme, mais dont on éprouve les plus grandes difficultés à comprendre comment. Au tout début des années 60’, on ne savait que faire d’une nouvelle invention, une ‘curiosité inutile’ : le laser. Qui pouvait en effet prévoir son utilisation dans l’industrie, la chirurgie, la biologie, les spectacles, nos lecteurs CD ou les lecteurs code barre de tous les magasins. C’est identiquement que les progrès réalisés dans le domaine des nanotechnologies laissent encore perplexe. Après les matériaux nouveaux (vitres, tissus…) issus des nanotubes qui se développent, que faire de ses moteurs invisibles à l’œil nu que l’on étudie pourtant à grand renfort de travail et de crédits ?

[i] Mise en cohérence de ses atomes.

[ii] Le paradoxe d'Achille et la tortue par exemple : Achille donne une avance à la tortue au départ, soit une longueur X. Lorsqu'il aura parcouru cette distance X, la tortue aura avancé d'une longueur Y ; lorsque Achille a parcouru Y, la tortue a encore avancé d’une longueur Z, et ainsi de suite, il ne pourra jamais rattraper la tortue puisqu'il doit toujours parvenir d'abord au point que la tortue vient de quitter, prenant toujours un peu d'avance. La solution mathématique ne sera trouvée qu'au XVIIe siècle avec les sommes infinies.

II) Introduction : L'univers impossible

    Jusqu’au XVIIe siècle ou pour mieux situer, jusqu’à Descartes, aucune théorie ne permettait une représentation complète de l’univers sans faire appel à une ou plusieurs divinités.

    La doctrine copernicienne [1] ne sera condamnée par l’Église qu’au XVIIe siècle (1616, mise à l’index du De Revolutionibus de 1543), et la démarche képlérienne [2] qui la complète aura beaucoup de mal à trouver sa place et sa légitimité car elle sera encore longtemps confrontée à la cosmologie traditionnelle si riche au plan symbolique. Il est vrai que Copernic faisait appel, à la fin de son ouvrage, à Hermès Trismégiste pour étayer sa théorie, théorie qui s’inscrit dans un cadre réellement hermétique, et se prête aisément au culte du soleil. Seuls les luthériens s’étaient alors opposés à Copernic, l’Église catholique ne s’étant pas inquiétée de la portée de cette thèse.

    L’âge de la terre est encore estimé, à la fin du XVIIIe siècle, à environ 4 000 ans. L’un des calculs les mieux acceptés en ce temps est celui de James Ussher (1581-1656) en son Annals of the world, qui précise que la Création se déroula la nuit précédant le 23 octobre de l'an 4004 av. JC. Faire mieux ne semble pas facile. Il apparaît que le développement de l’esprit critique n’est pas toujours proportionnel à l’ampleur des connaissances acquises, et l’Académie des Sciences ou l’anglaise Société des gens de lettres par exemple, n’ont aucun doute sur les millénaires écoulés, tant et si bien que l’idée est encore vivante à la fin du XIXe [3]. Cette curieuse computation (estimation numérique du temps) durera tant qu’elle est encore présente et vivante comme dans certains chants de Noël comme Il est né le divin enfant. Ceci reste vrai, du moins jusqu'à la révision des paroles vers la fin des années 1950. Une autre conséquence de cet attachement aux quatre millénaires, est que le mot préhistoire ne fera son apparition qu’en 1867…

    L’évolution des sciences est non seulement complexe, mais soumise aux contraintes morales et sociales d’une époque, tout autant qu’à l'intégrité ou la probité des chercheurs. Les lois de l’hérédité, par exemple, sont maintenant établies grâce aux études sur les transmissions biologiques chez les petits pois, réalisées par le pionnier et moine Gregor Mendel. Il publie ses résultats en son Expériences sur les plantes hybrides en 1865, dans la mouvance des théories de Charles Darwin sur L’Origine des espèces sorti six ans plus tôt. Le succès des travaux de Mendel ne se dément pas et ils font encore référence de nos jours. Mendel est encore et toujours la figure représentative du chercheur patient et rigoureux. Aussi l’étonnement fut assez vif lorsqu’en 1936, le statisticien Ronald Fischer démontre que Mendel, ou l’un de ses assistants, a triché. Les résultats correspondent vraiment trop bien avec les prévisions de la théorie. Théorie qui sera validée par ailleurs. Tricheries et hasard sont parents de bien des découvertes. Et qu’importe, puisque nous ne retenons pas l’histoire en ce domaine. Si vous demandez à tous ces enfants du savoir moderne qui est l’inventeur du paratonnerre ou, si vous consultez n’importe quel site Web ou votre Livre Mondial des inventions, Benjamin Franklin en 1752 sera la réponse unanime. Il fût pourtant inventé deux ans avant par Jacques de Romas avec son « brontomètre », en 1750. Les expériences de Romas avec le « cerf-volant électrique », le même que Franklin mais dont il est l’inventeur, furent célèbres en France. Astronomie toujours, qui a inventé la lunette astronomique dite « de Galilée » ? Eh bien non, ce n’est pas Galilée. Il la perfectionna certes, mais elle était déjà fort connue en Hollande et un certain Hans Lipperhey voulu la breveter (par la demande d’un « privilège ») en 1608, soit un an avant que Galilée ne la découvre. De plus, cette lunette est déjà décrite en 1589 dans un traité de Giovan Battista Porta intitulé Magie naturelle.

    La découverte scientifique, à notre époque, est moins hasardeuse et résiste mieux aux arrangements grossiers des chiffres. On imagine, on modélise, bien avant de crier « Euréka » si le modèle est vérifiable. Il résulte alors de ce point de vue, la connaissance de notre univers repose moins sur des faits que sur des suppositions. La mise en œuvre des expérimentations doit permettre de valider ou non les nouveaux concepts. Ces modèles proposés par la réflexion scientifique évoluent avec le savoir acquis, et le fossé se creuse chaque jour entre notre vision restreinte, celle de l’homme de la rue, et les résultats des outils mathématiques à disposition des chercheurs. Cet écart devient si important que le chercheur lui-même se montre souvent surpris des conclusions auxquelles il parvient, des visions que lui imposent ses calculs, surpassant un imaginaire pourtant généralement élevé, né de l’abstraction des mathématiques. Et nombre de ses suppositions seront pourtant vérifiées par l’expérience qui, si elle n’épuise ni ne résout les nombreuses interrogations légitimes sur notre milieu, fait à chaque fois progresser notre compréhension, élargit le socle de nos connaissances et le complexifie.

    Depuis Einstein, la physique n’a plus du tout le même visage, et la relativité ou la physique quantique rendent le monde si éloigné de notre expérience quotidienne empirique qu’elles pénètrent difficilement notre bagage culturel.

[1] Héliocentrisme. N. Copernic (1473-1543) ne place plus la Terre au centre de l’univers comme Ptolémée, mais le soleil. Théorie déjà diffusée 1700 ans plus tôt par Aristarque et connue grâce au texte l’Arénaire d’Archimède, mais il était trop tôt pour le démontrer…

[2] J. Kepler décrit de manière plus correcte notre univers en donnant des trajectoires elliptiques et non plus circulaires aux objets célestes.

[3] La revue L'Ami du clergé déclare encore en 1899 : «  ... Tels sont les chiffres authentiques de la chronologie biblique. Ils nous conduisent sans l'ombre d'une lacune, jusqu'au retour de la captivité. De cette époque à la création d'Adam il s'est écoulé 5 021 ans, et jusqu'au déluge, 2 759 ans. La création d'Adam eut lieu en 5562, le Déluge en 3300 avant l'Ère chrétienne, et l'Exode en 1445. »

III) Introduction : Et autres curiosités

IL est des êtres créés de toutes pièces par la légende, comme la papesse Jeanne, et d’autres qui, comme l’exprime la culture populaire, sont « entrés dans la légende » : des personnages dont l’existence est attestée, mais dont l’image parvenue jusqu’à nous s’apparente plus au merveilleux qu’à la réalité. Comme une sorte de contrefaçon plus belle que l’original, elle transpose en notre époque la figure du héros ou du protégé des dieux. Il en va ainsi par exemple de Nostradamus qui s’inscrit bien dans la continuité du merveilleux, comme sous d’autres aspects, de Brillat-savarin ou du Capitaine Cook. Ces deux derniers personnages laissent dans la mémoire collective l‘empreinte de la détermination, et lèguent le fruit d’une passion quasi-obsessionnelle si célèbre, que les récits fantaisistes ne tarderont pas à se greffer sur le tissu de leur vie.

Et puisque Brillat-savarin figure ici pour démontrer l’art du bien manger et de ses implications sociales et politiques, puisque Nostradamus était un fameux confiturier, il était nécessaire de faire un point sur la gastronomie au Moyen-Âge. En effet, cette cuisine se présente souvent sous la forme d’un assortiment de présupposés, d’une composition d’idées reçues, qui ne correspondent que trop bien avec l’obscurantisme médiéval de bon ton, développé dès le siècle des Lumières. Cette période de l’art culinaire est trop peu connue, semblable en cela à la période médiévale en général, et les rares points de vue exprimés ordinairement sur le sujet, ne sont pas franchement en correspondance avec les faits. Pourtant, à y regarder de plus près, la table de nos ancêtres semble fort appétissante et répand encore par ses épices, à la lecture des recettes et des récits de l’époque, des bouquets de senteurs enivrantes…

En marge de ces hommes d’exception, notre histoire est parcourue par des courants de pensées qui se créent et se développent, à l’instigation de quelques hommes qui portent sur l’existence un regard différent du commun de leurs voisins. Un des courants les plus attachants, pour nous, est ce dandysme de la fin du XIXe siècle qui donna naissance à la littérature décadente. Morose, névrosée et s’inscrivant dans un contexte de remise en cause de l’art en particuliers et du monde en général, cette littérature empoisonnée nous laisse des pages parmi les plus belles et les plus acides de cette fin du millénaire précédent. Ce sera l’objet de notre première « rédaction ».

Le courant pataphysique, de son côté, allie un humour plus bon enfant aux aspects les plus arides de la science, et n’hésite pas non plus à remettre en cause la totalité de nos acquis pour tout ce qui touche aux arts. Elle n’épargne ni la littérature ou la poésie, ni le théâtre, ni même notre conception de Dieu, concept qui n’échappe pas à cette rationalisation poétique et drôle de la pataphysique. Cette « science de l’imaginaire » n’égratigne pourtant personne, elle reconstruit aussitôt tout ce qu’elle tente de briser, et se réapproprie toutes formes de traditions artistiques pour les objectiver de manière très inattendue.

Enfin, la zététique, dernière en date (pour ce qui est de sa « résurrection ») et plus pragmatique dans sa démarche, tente de réduire à néant ou peu s’en faut, les innombrables charlatanismes qui envahissent notre vie sous des noms aussi étranges, mais respectables, que la télékinésie (déplacement d’objets par la force de « l’esprit »), la télépathie (communication à distance, toujours par la force de « l’esprit »), la radiesthésie, la réincarnation, le spiritisme etc. La démarche, très scientifique dans sa méthodologie, a ce grand mérite de l’impartialité, et cherche à démontrer que ce qui n’est pas observable dans son cadre épistémologique, c’est-à-dire scientifiquement, n’est pas valide. Ce qui est vrai, aux réserves déjà souvent exprimées autour de la pensée religieuse notamment [1], et qui concernent la limitation de son horizon. C’est en effet de son rayon d’action dont il faut se méfier, à seule fin de ne pas écorner les courants culturels à l’origine de des mystifications, voire des duperies évoquées plus haut. On peut donc regretter qu’en ignorant parfois les deux aspects fort différents ou les deux faces d’une même chose, la zététique risque involontairement de jeter le discrédit sur une bonne partie de ce dont nous traitons habituellement, à savoir la vision magique du monde. La zététique s’emporte ainsi quelques fois car elle considère à juste titre que son propos ne relève pas de l’histoire ou de l’ethnographie, ce qui est vrai. Elle n’en reste pas moins une remarquable démarche intellectuelle qui assainie heureusement notre environnement

        Enfin, nous avons beaucoup parlé de chronologie, de la frise du temps et de ses repères. Qu’il s’agisse

de l’historien, du généalogiste ou tout simplement du curieux, ce repérage dans le temps est un passage obligé et l’un des fils conducteurs de ces « rédactions ». Pour mesurer ce temps qui passe, en partant du cadran solaire ou, son ancêtre connu depuis la plus haute antiquité le gnomon [2], l’homme rivalisa d’ingéniosité pour bâtir un calendrier. Nous survolerons donc l’histoire étonnante de ce seul moyen de situer dans le temps vérités et légendes, et de comprendre comment, dans quel ordre, s’imbriquent les différentes pièces de notre héritage.

[1] Cf. le concept d’idée reçue dans Idées de Dieu dans la civilisation chrétienne, Paris : Edite, 2009.

[2] Le gnomon (un mot formé comme gnose, qui signifie connaissance) est un simple bâton planté verticalement sur une surface plane. Il permet mille choses connues depuis l’antiquité comme de lire l’heure (solaire) ou de calculer le rayon de la sphère terrestre (Ératosthène en 350 av. JC). 

En guise de conclusion

    Il me faut clore cette série de 25 « rédactions » (et les 3 introductions) sur les principaux sujets qui ont « titillés » mes neurones ces dernières années (hors l’histoire des idées en matière religieuse et ésotérique). Tous les sujets que je m’étais fixé sont traités, alors finissons-en avec, en guise de conclusion, quelques réflexions qui, de mon point de vue, en résultent. Elles sont fort personnelles et ne seront pas nécessairement partagées, c’est ce qui fait notre diversité, et c’est tant mieux.

Un pas en avant :

     Il y a un demi-siècle, les futurologues projetaient un développement de l’acquis pour tenter de percevoir, de deviner ce que serait ce mythique an 2000 que nous avons passé il y a une dizaine d’années. Il suffit de se replonger dans quelques revues de vulgarisation scientifiques de l’époque, pour constater que l’émerveillement du temps vécu occultait l’imagination. Au sortir de la Révolution Industrielle du XIXe siècle avec ses hauts-fourneaux, son gaz d’éclairage, l’électricité ou les trains à vapeur, l’homme découvrait au XXe siècle les miracles de l’électronique avec les premiers transistors puis les premières télévisions, les moyens efficaces de transports aériens ou encore le téléphone et l’automobile accessible à tous. Ces technologies balbutiantes portaient tout naturellement le rêve et l’imagination vers un fort développement, une grande miniaturisation et une vraie démocratisation. En effet, l’Europe du début du XXe siècle est celle des certitudes, imaginer l’an 2000 consistait à projeter dans l’avenir l’évolution du connu, persuadé que les temps présents cristallisaient ceux à venir. La problématique se résumait sommes toutes, à une affaire de probabilité.

    Certes nos voitures ne volent pas, pour des raisons d’investissements et de sécurité (il y a probablement assez de morts sur les routes), pas plus que la nourriture en tubes (encore que…) ou en pilules, tout à fait réalisable, ne fait recette. Son succès annoncé, même chez l’homme pressé, n’est heureusement pas au rendez-vous. Cependant, les prédictions de l’époque ont souvent été atteintes, voire largement dépassées dans certains domaines comme celui de l’informatique ou de la téléphonie.

    Aujourd’hui, alors que nous avons finalement atteint ce 3e millénaire, une telle projection vers le futur ferait-elle encore rêver ? Nous savons tous que toutes les technologies actuelles vont très vite se perfectionner. Plus vite encore que dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce qui était une prédiction en 1950 est devenu un savoir, une certitude, car nous avons une conscience claire de ces progrès, tant ceux-ci sont rapides depuis trois décennies. L’ordinateur, la médecine, la voiture ou la téléphonie, il n’est pas un domaine utilisant un savoir-faire moderne, qui n’ait avancé à si vive allure que seuls nos moyens financiers ne permettaient que rarement de suivre cette course folle à l’armement technologique.

    Mais les cartes sont changées. Si nous devions maintenant essayer de deviner ce que sera la fin du siècle, le process imaginatif des années 50 s’avérerait bien insuffisant. Demain fait appel à des notions qui sont en complète rupture avec plus de trois mille ans d’histoire scientifique. Comme nous avons pu le remarquer en consultant les chapitres « Le futur, c’est demain » ou « L’univers impossible », demain vraisemblablement ne sera pas seulement le fruit d’évolutions comme ce fut le cas au siècle passé, mais de révolutions. Et ces révolutions, qu’elles concernent notre conception de l’univers, la production d’énergie (fusion) ou l’informatique, sont liées entre elles par quelques facteurs communs, quelques équations qui sont les dernières énigmes du sphinx qui ouvrent la porte du siècle prochain. Ces quelques énigmes, ces clés manquantes, sont à l’image des équations qui réconcilieront la théorie de la relativité générale et celle la mécanique quantique, comme nous le remarquions dans les deux chapitres évoqués. L’unification de ces deux théories fera faire un bond de géant à notre compréhension tant des premières secondes de l’univers (Big Bang) que des trous noirs pour ne citer que ces deux exemples, mais également à la physique en général, tant fondamentale qu’applicative. Pour paraphraser Louis Pauwels et Jacques Bergier, le matin des physiciens est sans doute pour bientôt.

    Qu’y a t-il derrière cette porte ? L’inimaginable justement. Que faire d’un monde quantique si dérangeant, où des « choses » peuvent être en deux endroits à la fois, où le temps n’a plus de sens, du moins à notre sens commun, où nos repères ont perdu toute pertinence. Le monde est si peu celui que l’on croyait que toute prédiction relève du hasard… ou de Nostradamus plus à l’aise en confitures qu’en prédictions. La rupture avec la physique du passé est consommée, les premières applications réalisées et en cours de réalisation, mais l’essentiel relève encore de l’imaginaire aujourd’hui. De l’imaginaire parfois le plus débridé puisque, par exemple, l’invisibilité est au programme : Si le physicien John Pendry de l’Imperial College de Londres prouve que c’est faisable dans l’infrarouge dès le milieu des années 90 (par courbure de la lumière qui contourne ainsi l’objet, le rendant invisible), tout laisse à penser que cette opération sera réalisable dans le domaine du visible humain dès la prochaine décennie d’après Sébastien Guenneau de l’Institut Fresnel de Marseille. L’invisibilité, mais encore la jeunesse prolongée (pas encore éternelle !) avec les cellules souches induites (artificielles, Shinya Yamanaka, 2007) etc.

Un pas en arrière :

    Faut-il réécrire l’histoire ou simplement l’éclairer d’un jour différent ? Est-il utile de lever un coin de ce voile des croyances qui escamote l’histoire à notre bon sens, qui dérobe une réalité pourtant souvent plus belle que la légende ? En plongeant son regard dans le kaléidoscope des idées reçues, on peut toutefois se demander si ce n’est pas après tout la place nécessaire à l’imaginaire, si la fiction n’est pas parfois préférable à la réalité, si la métahistoire (celle qui aurait pu être) n’est pas moins déstabilisante que la logique factuelle des événements. Le droit à la rêverie en quelque sorte.

    Pour reprendre un concept imagé, on peut violer l’histoire, à condition de lui faire un enfant. Et les enfants ne manquent pas, viables pour la plupart. Sauf que les détournements de l’histoire, ces enfants perfides si nombreux, ne ressortissent pas tant au merveilleux qu’à la manœuvre politique. Ils ne sont que rarement conçus pour la poésie et peu se retrouvent autour de la Table Ronde du roi Arthur, préférant les couloirs plus obscurs des gouvernements et des contre-pouvoirs, œuvrant pour refaire, au risque de l’anachronisme, un récit plus conforme aux ambitions et à la morale des intrigants. C’est, en synthèse, la représentation de deux légendes qui traversent les siècles mais s’opposent en terme d’objectif, de raison d’être : le Roi Arthur et la papesse Jeanne.

    Si nous avons opté pour la remise en cause de certaines idées dans ce registre, ce n’est pas par souci d’exactitude historique mais par curiosité, pour tracer un raccourci, une manière de démontrer que si le passé est émaillé de contes, la modernité pour sa part n’est pas désenchantée.

    Et c’est bien ainsi, de ce point de vue, l’épistémè ne traite pas de l’ensemble des vérités, mais des connaissances reçues comme telles.

    Ces connaissances que nous avions intégrées sous le terme générique de fond culturel sont, entre autres, alimentées par le système éducatif qui, de manière implicite, rejette ou fait l’impasse sur ce qu’il estime indigne de la mission éducative. Ainsi, l’astrologie populaire est un courant qui sort du cadre de l’enseignement et à ce titre, le sujet est ignoré dans sa globalité au risque finalement de jeter le bébé avec l’eau du bain. Comme il n’est guère question d’astronomie dans l’enseignement et que l’on n’explique pas que l’astrologie est d’abord le fruit d’un effort de compréhension extraordinaire avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui, c’est démuni, dénué de toute référence, que l’étudiant devenu adulte devient une victime de choix pour les marchands de bonheur céleste et autres utopies sociales. À bien y regarder, les montreurs de conjonctions astrales et les tordeurs de petites cuillères (Cf. Uri Geller) nous fournissent un « fantastique » très désuet et fort ennuyeux. La physique moderne a tellement plus à proposer que des tables qui tournent sous l’action de supposés esprits. Les mystères des sciences modernes méritent infiniment plus d’attention que ces assommants petits arcanes mille fois ressassés. Il ne s’agit pas de dénoncer, ni même d’évoquer une structure enseignante qui desservirait le futur adulte, mais bien de plaider pour l’apprentissage d’une culture générale plus en phase avec le monde. Une culture plus large qui probablement éviterait bien des errements.

 Il était une… école…

     Les sciences dites exactes, vues par l’enseignement, le sont de moins en moins, et la physique enseignée en ce troisième millénaire est encore, et uniquement, celle de Newton. Un lycéen se voit cantonné au savoir du XIXe siècle et plus précisément celui d’avant 1905, année dont Albert Einstein marque de manière indélébile la rupture avec la physique classique. Non que celle-ci, dite classique, soit devenue inefficace ou sans objet au tournant du siècle, mais elle n’est, en tout état de cause, plus guère porteuse d’avenir. Nous avons bâti une confortable construction assise sur des certitudes anciennes qui, si elles ont prouvé leur efficacité, pourrait presque être qualifiées de dogmatiques. En tant que telle, et ancrée dans une sorte d’immobilisme de l’éducation, elle reste insensible aux appels de la progression scientifique. Si la physique classique est un préalable nécessaire, s’y cantonner n’est peut-être pas la manière la plus efficiente de préparer de futurs chercheurs, de les aider à s’intégrer et à comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain. La physique enseignée dans nos écoles, trop souvent réduite à une suite de formules froides et abstraites, rétrécit le champ de vision de ses élèves et les dépossède de tout espoir d’évasion vers le merveilleux tressé par la physique moderne : Elle les prive de toute perspective sur le monde contemporain. Cette physique tend à confondre le comprendre qui est la vocation de la science, et la technique qui n’est qu’une conséquence, le simple mode d’emploi d’un savoir déjà acquis.

    Considérer qu’un étudiant est incapable d’appréhender la relativité, fut-elle générale, est faire insulte tant à Einstein qui rédige pour cela de remarquables pages, qu’à l’étudiant lui-même. Si la relativité ou la mécanique quantique peuvent se révéler d’une complexité mathématique insurmontable pour un non-spécialiste, les concepts de la relativité au moins, sont recevables et compréhensibles en quelques heures par tout jeune lycéen en fin de cycle.

    La vision du système éducatif maintient cette perception ordinaire et désuète, qui refuse de se soustraire devant la nouvelle physique, qui établit une barrière solide entre ce que nous sommes et ce qu’ils sont appelés à devenir. Les voilà placés devant un mur par un apprentissage qui perd de son à-propos, escamote les outils modernes les plus répandus (GPS, laser…) pour lesquels ils ne sauront répondre ni au Pourquoi, ni au Comment. Il est à craindre alors que l’enseignement échoue dans sa mission de s’ouvrir sur le futur. Même si l’inertie collective dans les changements aux acquis des époques précédentes est forte, si la résistance à l’innovation est naturelle et si plus que d’une modification des règles c’est un changement de mentalité qui est nécessaire, il semble souhaitable au moins d’exciter la curiosité des étudiants. Il est enfin probable que la responsabilité est partagée entre enseignant et enseigné. Si le rôle du premier est d’enseigner en s’adaptant aux évolutions techniques et sociales, il doit être dans la nature du second d’apprendre. Apprendre suppose une envie et une curiosité, deux notions certainement difficiles à susciter, et qui relèvent non seulement de l’enseignement, mais aussi (et surtout ?) de la fonction parentale et de la société en général.

     Que conclure, sinon qu’une remise en question des préjugés bien ancrés dans notre savoir commun, et le recul nécessaire à la réflexion, nous donne une vision plus globalisante, plus critique de ce que nous sommes, et ouvre sans aucun doute de nouvelles perspectives à notre devenir. Que l’avenir plonge ses racines dans le passé, qu’il soit imaginaire ou non, et qu’en dépit de la multitude d’informations à notre disposition, la projection vers le futur est devenue une des choses les plus difficiles qui soit.

    Probablement, comme le suggérait le physicien prix Nobel E. Schrödinger, faut-il militer pour l’intégration de la science à la culture, et pour que la recherche soit menée systématiquement de pair avec la philosophie et la réflexion épistémologique (théorie de la connaissance). Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons concevoir et comprendre une nouvelle représentation du monde.

[1] La théorie des supercordes qui, comme nous l’avons vu,  tente cette réunification, semble même capable de nous donner accès à l’origine du Big Bang. Un pré-Big Bang en quelque sorte, nous ouvrant alors les yeux sur la véritable origine de l’univers.

[2] Le matin des magiciens, introduction au réalisme fantastique, éd. Gallimard, Paris, 1960.

[3] Voir par exemple son ouvrage  La relativité, paru dans la Petite Bibliothèque Payot à Paris.