Considérant que l’érudition même modeste, ne se digère correctement sans un léger souffle de
poésie, vous trouverez ci-après quelques lignes avec lesquelles j’ai passé de bons moments :
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"Une femme en mélancolie
Par faute d'occupation ,
Frottez-moi lui le cul d'ortie,
Elle aura au cul passion."
Ducatiana ou Remarques de Feu M. Le Duchat sur divers sujets d'histoire & de littérature, Amsterdam : Pierre Humbert, 1738 (1715). Vol. 2, p. 505.
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J'ai pris vostre éventail, Madame,
Mais n'en soyez pas en courroux,
Songez à mon ardeur, considerez ma flâme,
Vous verrez que j'en ay plus de besoin que vous.
Autre, Mathieu de Montreuil (1620-1691)
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De toutes les façons vous avez droit de plaire,
Mais surtout vous savez nous charmer en ce jour,
Voyant vos yeux bandez on vous prend pour l'amour,
Les voyant découverts on vous prend pour sa mère.
Pour Madame la Marquise de Sévigné en jouant à Colin-maillard, Mathieu de Montreuil (1620-1691)
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Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras,
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats ;
Il se tourna vers ceux qui l'attendaient en bas
Rêvant d'être des rois, des sages, des prophètes...
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : " Non, Dieu n'existe pas ! "
Ils dormaient. " Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J'ai touché de mon front à la voûte éternelle ;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !
Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l'autel où je suis la victime...
Dieu n'est pas ! Dieu n'est plus ! " Mais ils dormaient toujours !
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Le Christ aux oliviers, Gérard de Nerval (1808-1855)
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André Chénier mourra décapité. Peu avant son exécution, il écrit :
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Animent la fin d'un beau jour,
Au pied de l'échafaud j'essaye encore ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour.
Peut-être avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé sur l'émail brillant,
Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant ;
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière.
Avant que de ses deux moitiés
Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes soldats,
Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres,
Où seul dans la foule à grands pas
J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime,
Du juste trop faibles soutiens,
Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime ;
Et chargeant mes bras de liens,
Me traîner, amassant en foule à mon passage
Mes tristes compagnons reclus,
Qui me connaissaient tous avant l'affreux message,
Mais qui ne me connaissent plus.
André Chénier (1762-1794)
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Notre Père qui êtes aux cieux,
Restez-y.
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie.
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Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer,
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion,
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maître de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres
leurs traîtres et leurs reîtres,
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons,
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons.
Pater noster in "Paroles", Jacques Prévert (1900-1977)
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Se consacrant à d'autres imbéciles,
Il n'eut pas l'heur de s'occuper de nous,
Avec son arc et tous ses ustensiles,
Il est des jours où Cupidon s'en fout.
On tentait sans lui d'ouvrir la fête,
Sur l'herbe tendre, on s'est roulés, mais vous
Avez perdu la vertu, pas la tête,
Il est des jours où Cupidon s'en fout.
Si vous m'avez donné toute licence,
Le coeur, hélas, n'était pas dans le coup;
Le feu sacré brillait par son absence,
Il est des jours où Cupidon s'en fout.
Cupidon s'en fout, extrait, Georges Brassens, 1921-1981.
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J´croyais tenir l´amour au bout de mon harpon
Mon p´tit drapeau flottait au cœur d´madam´ Dupont
Mais tout est consommé : hier soir, au coin d´un bois
J´ai surpris ma maîtresse avec son mari, pouah
Ma maîtresse, la traîtresse !
Trouverais-je les noms, trouverais-je les mots
Pour noter d´infamie cet enfant de chameau
Qu´a choisi son époux pour tromper son amant
Qu´a conduit l´adultère à son point culminant
Ma maîtresse, la traîtresse !
Où donc avais-j´les yeux ? Quoi donc avais-j´ dedans ?
Pour pas m´être aperçu depuis un certain temps
Que, quand ell´ m´embrassait, ell´ semblait moins goulue
Et faisait des enfants qui n´me ressemblaient plus
Ma maîtresse, la traîtresse !
La traîtresse, Georges Brassens, 1921-1981.