Date de publication : Oct 15, 2009 6:16:57 AM
Cher G…
J’ai mis du temps, mais je fais une réponse à tes mails évoquant l’écologie. En souvenir de notre conversation, je souhaite juste rappeler en préliminaire que l’écologie est un sujet qui m’interpelle, et sur lequel je n’ai aucune idée préconçue ou fixe. Je m’interroge, non sur la pollution humaine évidente qu’il faut étudier sans a priori (ce qui semble très difficile quand je regarde les journaux ou la télé), mais sur les prédictions catastrophistes des medias que les politique relaient pour plaire au plus grand nombre. Je suis simplement persuadé qu’il faut agir, mais qu’il n’est pas nécessaire de revenir à l’âge de pierre pour autant. Que, pour prendre un sujet à la mode, réduire la vitesse automobile de 10 Km/h est sans doute une bonne chose (accidents, santé des riverains), mais n’aura pas la moindre influence sur l’écologie au niveau planétaire. Comme tu me le demandais, voici donc quelques réflexions à propos du Tao de l’écologie.
Je crois que ce qui me gêne le plus à la lecture de ce livre, c’est son aspect critique sans concession. L’auteur, selon lui, détient la vérité, et elle est indiscutable (voir plus loin). J’entends bien ce que dit Goldsmith, mais ma nature (déformation universitaire sans doute) me pousse à confronter les points de vue, sans avoir, au départ, de parti pris. C’est pourquoi je tente de vérifier les opinions qu’il développe au plan scientifique, le terrain sur lequel il veut valider une partie de son approche, mais c’est un terrain mouvant, sans cesse en évolution, trop souvent impliqué dans les débats financiers ou politiques.
D’une manière générale : Ce penchant religieux, qu’il affirme nettement voire qu’il revendique, peut donner l’impression de rejoindre certaines propositions politiques que je pense quelques fois ‘hors sujet’ : Les Verts qui font plus de politique que d’écologie, N. Hulot qui prône un retour en arrière de deux siècles et donc notre faillite économique, J. Bové et les OGM etc. Ces nouvelles croyances (car comme je le disais, il n’est pas seul à radicaliser l’écologie), sous leur aspect doctrinal, font souvent de l’homme un coupable, traitent finalement d’une forme de péché originel qu’il faut assumer, mais qui assure un réel succès à des courants écologistes un peu fondamentalistes. Ils sont, ce que je leur reproche aussi sans doute, à l’opposé de toute forme d’humanisme, plaçant la nature, et non l’homme, au centre de la création. L’homme est tâché, coupable, condamnable. Je n’ai pas de position de principe sur ce sujet (encore que…), mais il mérite, je crois, un débat avant tout jugement définitif.
Concernant le Tao : Goldsmith fait une relecture très personnelle de la théorie bien attirante de Lovelock (que j’ai dû lire pour l’occasion), appelée Gaïta, qui dit que la biosphère contrôle elle-même la température de la terre. Goldsmith habille cette dernière d’une vie qui lui est propre, et nous laisse un rôle restreint, celui de partie d’un vivant. Cela dit, Lovelock s’était clairement désolidarisé de ses successeurs en 1951 (et devient agnostique), qu’il jugea ‘fantaisistes’ lorsqu’ils tendaient vers le côté religieux de sa théorie. Goldsmith a clairement cette lecture très particulière de Lovelock et est souvent en contradiction avec lui (titre chap. 27 par ex.). Il devient un docteur catastrophe, prévoyant une augmentation de la température de 6 à 8° d’ici 2050 et tout un cortège de problèmes liés, alors que Lovelock est un optimiste résolu, et considère que Gaïta en a vu d’autres. L’avenir nous le dira, mais cette progression de 6 à 8° n’est plus partagée par l’immense majorité des climatologues aujourd’hui (y compris ceux qu’il cite), et cette prévision n’est pas nécessairement confortée par les centaines citations, scientifiques ou non, qu’il ajoute sans arrêt. Le réchauffement climatique est très probable ‘scientifiquement parlant’, mais pas de cet ampleur, et probablement pas à cause du CO2 par exemple (qui a d’autres conséquences néfastes) (cf. 4e rapport 2007 du GIEC, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ou Intergovernmental Panel on Climate Change, http://www.ipcc.ch/).
Il prévoit encore pour « les dix ou quinze prochaines années » (p. 264) les pires cancers et autres tuiles pour l’humanité tellement la couche d’ozone sera diminuée. Seulement, voilà déjà un moment que ce fameux trou a cessé de croître, sans explication connue, car ce ne sont pas nos efforts en matière de réfrigérateurs (CFC / fréon) qui compensent la formidable extension de la Chine (une nouvelle centrale à charbon par jour) ou de l’Inde (Cela dit, nous avons sûrement bien fait). On peut évoquer de la même manière la fonte des glaces de l’Arctique ou le rôle de ‘poumon’ de l’Amazonie. La confrontation des idées est encore indispensable : il y a beaucoup à dire (et à contredire). Le vrai problème, c’est que l’on ignore totalement le fonctionnement des climats, et que depuis Lorenz (théorie du chaos), on sait qu’il est impossible de prévoir le temps (et donc encore moins le climat qui se mesure sur 30 ans) au-delà de trois jours.
Goldsmith tend à donner une ‘volonté’ à tout, même aux moustiques pour résister au DDT (p.168) et ‘créer des enzymes adaptés’. Je crois que l’on peut faire de l’anti-darwinisme, de l’anti-néodarwinisme (voire du créationnisme) sans pour autant étayer ses idées par des arguments aussi peu scientifiques. C’est curieux de la part d’un homme qui, par ailleurs, cherche sans arrêt à s’appuyer sur les autres. Il me semble que de nombreuses affirmations sont discutables, notamment à propos des ‘scientifiques orthodoxes’ et de leur démarche (p.47 par ex., un exposé qui n’est plus vrai depuis les années 50’), ce qui ajoute à la confusion. Mais il arrive à conclure à « l’inévitable extinction de notre espèce » si l’on ne suit pas ses conseils. Et pour mieux assoire ses idées, il démolit l’adversité en parlant de ‘gadgets technologiques’ en matière d’équipement médical (p. 9), de la ‘science réductionniste’ sans arrêt comme l’on évoquait la ‘bourgeoisie décadente’ ou ‘l’anti-communisme primaire’ quelques années en arrière ; évoquant les ‘grossières technologies’ des techniciens en physique, pour conclure avec des phrases du genre : « Mais telle est pourtant la vérité » (p. 44 par ex.). Son discours est-il plus crédible après avoir réduit en miettes le monde scientifique ? Je crois qu’il peut utiliser d’autres arguments, peut-être plus philosophiques mais tout aussi convaincants pour décrire sa vision globalisante et poétique du monde.
Il peut introduire, comme il le fait, une théologie de l’écologie. C’est assez séduisant, pour peu que l’on ne prenne pas les mots au pied de la lettre, mais la théologie ne se résume pas à des dogmes. L’apologétique est une partie essentielle de la théologie (pourquoi dois-je croire cela ?). Des critiques violentes comme, toujours à propos des moustiques (p.49) pour expliquer qu’il ne faut pas les tuer ‘puisque les gens s’en accommodaient bien avant’, oubliant de dire que les morts de la malaria se comptaient par milliers chaque année. Comment peut-il affirmer que l’inné est inconnu des scientifiques (p. 53) ? Il reprend des théories (le cerveau primitif par ex. p. 56) qui sont rejetées depuis longtemps par tous les spécialistes, même si ce modèle eut un réel succès à une certaine époque. Il copie ici son maître, souvent mot pour mot, sans mettre à jour l’argumentaire. Son ouvrage à trente ans de retard, et est trop polémique et trop affirmatif (et donc non scientifique) pour être respectable par l’ensemble des communautés.
En conclusion, je pense que l’auteur du Tao de l’écologie, plutôt que de s’attacher à des attaques inutiles et polémiques sur les ‘scientifiques orthodoxes, aurait pu philosopher (dans la mesure où l’on peut philosopher sur du réel, un autre terme plus convenable doit exister mais ne me vient pas à l’esprit), présenter une théorie unificatrice de notre monde, et pourquoi pas religieuse, sans heurts. Il présente un monde magique que j’aime beaucoup, mais je crois qu’il le défend mal, je regrette que son exposé ne soit pas du tout consensuel car le sujet est franchement beau.
Bon, je sens que je risque d’aller trop loin, d’être trop long. Aussi, si tu ne m’en veux pas trop, je te recommande l’excellent (car il vient d’un scientifique ET politique que je crois compétent), Ma vérité sur la planète de Claude Allègre (Paris : Plon, 2007, 18 €) : c’est dans ma nature, j’aime bien les gens un peu décalés, qui vont à contresens et proposent des solutions.
J’espère que, non seulement tu ne m’en voudras pas pour ce long commentaire, car je me cherche en même temps que j’écris, mais qu’au contraire ceci ouvrira d’autres portes à nos prochains échanges (que je souhaite de vive voix). Je suis ouvert à tous points de vue, mes remarques ci-dessus ne traduisent pas ce que je crois, mais une contre argumentation qui me paraît recevable et donc qui mérite qu’on s’y attarde, ou mieux encore, qu’on y réponde : je dois moi-même tenter ce travail de réflexion, trouver à nouveau ce qui cloche (ou peut clocher) dans ce que je dis rapidement ici. La difficulté d’interprétation du Tao, c’est qu’il y a clairement deux (au moins) lectures possibles : la ‘philosophique’ que j’aime, et la ‘scientifique’ sur laquelle il se repose et est contestable. Dis-moi quelle en est ta lecture ?
Par ailleurs, je te conseille (si je puis me le permettre), un très bon roman de notre ami M. Crichton, État d’urgence, mais je l’ai déjà acheté pour toi, et je te l’apporte à notre prochaine rencontre. Je serai très heureux de te présenter ce bouquin moi-même, car j’ai fait quelques recherches à son sujet. Il représente assez bien (en dépit du fait qu’il s’agisse d’un roman) les questions qui me perturbent.
Amitiés...
PS : Références James Lovelock (Amazon.fr) : L’hypothèse Gaïta, Éditions du Rocher, 1990, 14,50 € ; Une médecine pour la planète, Sang de la terre, 2001, 24,50 €).
Gilles Le Pape.