Vallée de l'oued Khémis

Au mois d'août, je fus envoyé en renfort pour une opération du 5ème RI dans la vallée de l'oued KHEMIS au sud-ouest du barrage de BENI-BAHDEL. Arrivé à midi au point de rendez-vous, je fus accueilli par le chef de Corps du 5 qui me demanda où était le capitaine commandant le commando. Il fut surpris de m'entendre lui dire : "Le capitaine c'est moi et je n'ai pas encore un an de grade de lieutenant, mais jusqu'à présent on ne s'en est pas plaint". Je disposais de nouveau de mes quatre sections et il s'expliqua en me disant qu'il allait me donner en renfort une grosse section, de plus de 50 hommes commandée par un jeune aspirant et composée de la musique et d'autres "bras cassés" du régiment. Ces personnels, non opérationnels, devaient être ménagés. Ma mission était de ratisser le flanc sud de la vallée en étalant mon dispositif du fond de l'oued KHEMIS jusqu'au bord supérieur où les compagnies du 5 se trouvaient en bouclage. Je devais donc laisser mon renfort en fond d'oued, dans les lauriers roses. Je donnais des consignes très strictes sur l'ouverture du feu à l'aspi en lui demandant de les transmettre à tous ses personnels. Mon dispositif était le suivant : du haut en bas 3 de mes sections, mon groupe de commandement, ma 4ème section et, enfin, le renfort. Nous devions ratisser jusqu'à un éperon, à mi chemin du bouclage de fin, et où une compagnie du 5 devait être héliportée pour prendre la suite pendant que je passerais en bouclage arrière. Nous n'avions pas démarré depuis plus de 5 minutes qu'une fusillade éclatait au niveau du renfort. Ne pouvant avoir l'aspi à la radio, je dégringolais pour me rendre compte de ce qui se passait. Je trouvais l'aspi, très calme, m'annonçant que ses hommes avaient simplement tiré sur un sanglier, et qu'ils l'avaient raté. Après avoir exprimé, sans nuance, mes sentiments et mes reproches, je rendais compte au PC opération qui s'inquiétait de cette fusillade, 10 minutes plus tard, l'aspi me faisait savoir qu'un de ses hommes était malade et qu'il fallait l'évacuer d'urgence (jaunisse ou hépatite...). Appel au P.C. du 5 pour une demande d'EVASAN (évacuation sanitaire) par voie routière. Attente d'un quart d'heure et re-départ. La progression était difficile, le flanc de la vallée, très pentu, étant coupé par de nombreux petits thalwegs qui descendaient vers l'oued. La chaleur était accablante, pas de courant d'air, et les hommes buvaient énormément. Au bout d'une heure, je dus me résoudre à demander que la section du haut fasse descendre une équipe jusqu'à l'oued, en collectant les bidons vides, où elle les remplirait avant de remonter en les redistribuant. Je craignais les coups de chaleur et demandais à tous de mouiller les bérets pour tenir les têtes au frais. Vers 16 heures, nous assistions à l'héliportage de ceux qui devaient nous relayer. Le crapahut, sous cette chaleur intense et dans ce terrain très difficile, nous avait tous crevé et nous pensions à la halte qui nous attendait en passant en bouclage. A peine étions-nous arrivés sur notre objectif que le PC m'envoyait le message suivant : "Suite erreur d'unité dans héliportage, rose 129 poursuivra ratissage, unité héliportée restera en bouclage arrière avec section de renfort". Croyant à une plaisanterie de mauvais goût, je demandais confirmation du message. Ce qui fut fait immédiatement. Maudissant ceux qui me faisaient un tel "coup de l'invité", je donnais l'ordre de reprendre la progression après une halte de 15 minutes. Ca grognait à tous les niveaux et je dus pousser un coup de gueule pour ramener le calme. Arrivant près d'une mechta inoccupée près de l'oued, nous tombions sur les restes d'un feu dans lequel il y avait deux cadavres, puis un troisième baignant dans l'eau. Ils semblaient tous avoir été tués par arme à feu. Je rendais compte de ma découverte et peu après le PC m'informait que ce n'étaient que les restes d'une opération précédente.

Trop crevé pour dire ce que je pensais, je repris la progression et vers 19 heures nous atteignions enfin le point final de notre marche. Les hommes du 5ème embarquaient dans leurs camions, mais les miens n'étaient pas là. La radio m'apprit qu'ils m'attendaient à 3 km de mon emplacement. Je répondis à mon interlocuteur que je donnais l'ordre à mon commando de mettre sacs à terre, de s'installer en point d'appui fermé pour la nuit, qu'il n'était pas question que je fasse un pas de plus vu l'état de fatigue dans lequel nous étions après le coup de l'invité qui nous avait été réservé, que mes conducteurs n'étaient pas plus bêtes que ceux du 5 et que si ces derniers avaient pu atteindre le point d'embarquement, les miens pouvaient le faire également. Je finissais en annonçant " je coupe ", ce qui signifiait que je fermais le poste radio et qu'il ne serait plus possible de me contacter. 45 minutes plus tard mes véhicules arrivaient, les conducteurs m'expliquant qu'ils n'étaient pas responsables, ce que je savais. Après embarquement nous reprîmes la direction du poste. Une fois arrivé sur la route, je trouvais une jeep à l'arrêt et un officier qui me faisait signe de stopper. Je pensais que j'allais prendre une engueulade, et je me préparais à y répondre sans retenue, mais en fait c'était le Chef de Corps du 5 qui me pria d'accepter ses excuses pour tout ce qui nous avait été imposé. Faisant bonne figure malgré ma rage, je repris la route et nous arrivions au poste vers 23 heures 30. Repensant au cadavre baignant dans l'eau de l'oued, eau que nous avions bu tant et plus, je demandais à l'infirmier s'il avait des comprimés pour prévenir tous risques dûs à cette consommation. Sur sa réponse affirmative, je le chargeais de distribuer ces comprimés à tous, sans exception, ce dont il s'acquitta à la perfection, allant jusqu'à s'assurer qu'ils étaient bien avalés par ceux qui les recevaient. L'état des hommes était tel que je demandais 3 jours de repos complet au bataillon en rendant compte des conditions dans lesquelles j'avais été engagé. J'eus mes 3 jours mais pas une minute de plus !

Le lieutenant Bard dans sa chambre