La cache à Sidi M'Barek

La cache à Sidi M'Barek

Un étrange buisson

Le 2 juillet 1959, je rejoignais la harka à l'extrême est de ma zone dans la région de SIDI M'BAREK au nord-ouest de BEL-HADJ. Un harki pensait avoir trouvé une cache. Il avait pris une canne, foncé vers un buisson qu'il accrocha avec la canne en poursuivant sa course. Le buisson se souleva, une rafale de PM sortit de terre et le buisson reprit sa position initiale. Nous sûmes plus tard qu'il était accroché à une corde qui le maintenait en place. Nous étions alors sûrs d'être en présence d'une cache occupée. Je rendais compte au PC, faisait mettre mes sections en garde tout autour du périmètre et faisait fouiller le terrain pour tenter de découvrir d'autres indices ou accès à la cache. Pour éviter des réactions dangereuses, je fis grenader le buisson qui ne résista pas à ce traitement et laissa à découvert le trou d'accès, juste assez large pour le passage d'un homme. Alors que je réfléchissais à la manière de traiter ce problème, le bataillon me faisait savoir qu'il m'envoyait, le lendemain, par hélico une équipe de grotte du génie et qu'il fallait attendre l'arrivée de ces spécialistes. Le Sikorky H 19 arrivait enfin et le lieutenant commandant l'équipe prenait ses dispositions.

Il fit verser un fût de 200 1. d'essence et un de 50 1. d'huile dans le trou et désigna l'un de ses hommes pour allumer le tout avec une grenade incendiaire. Celui-ci était encore auprès du trou lorsque le mélange s'enflamma, créant un "coup de chalumeau" avec une flamme de plusieurs mètres de haut qui brûlait le malheureux au visage. Il fut immédiatement évacué par l'hélico encore présent. L'inspection du trou montra qu'une couverture disposée au fond ne portait aucune trace de brûlure, on pouvait donc penser que celui ou ceux qui étaient derrière n'avaient pas souffert. Je proposais au Bataillon de faire sauter l'entrée de la cache pour régler définitivement le problème. Le refus fut net et précis. Il fallait descendre !...Le spécialiste prenait la décision de traiter au gaz et me demandait si j'avais l'intention de descendre dans la cache après traitement, ceci permettant de choisir le produit à employer, certain rendant l' accès définitivement interdit même avec masque à gaz.

Les tentatives de fouille

Le Bataillon voulant absolument récupérer le contenu de la cache, une solution adaptée fut trouvée. A l'aide d'un appareil ressemblant à une marmite norvégienne et d'un compresseur avec tuyaux, on devait injecter une substance hautement lacrymogène dans le trou. La marmite ayant été ouverte, on y déposa des grenades dégoupillées et sans perdre de temps on referma le couvercle avant que le gaz ne commence à sortir, puis, le compresseur mis en route, le gaz fut propulsé dans le trou à l'aide de tuyaux. Le bataillon me donna l'ordre de faire descendre un harki volontaire dans le trou. Il n'y en eut pas et j'annonçais que j'allais y descendre moi-même mais le bataillon refusa, me donnant l'ordre d'y envoyer un P.I.M. ("prisonniers d'intérêt militaire" dont deux accompagnaient la harka ). L'intéressé fut muni d'un masque à gaz et attaché par la ceinture avec une chaîne cadenassée et assez longue, au bout d'une corde pour lui éviter de nous fausser compagnie en restant dans le trou avec les fells (cela était déjà arrivé, les occupants avaient coupé la corde, d'où la chaîne...). Alors qu'il se faufilait dans ce qui ressemblait à un siphon, gêné par le masque à gaz, auquel il n'était pas habitué, il s'en débarrassait et, pris d'un malaise, restait coincé dans le passage étroit. Il ne répondait plus à nos appels et nous n'arrivions pas à le sortir du trou avec la corde et la chaîne. Je donnais ordre d'agrandir le passage pour essayer de le dégager. Pendant que mes guerriers, transformés en terrassiers, s'activaient, je réfléchissais à la manière d'envoyer de l'air au PIM. Si le compresseur avait pu envoyer du gaz, il pouvait aussi bien envoyer de l'air frais en le déconnectant de la marmite. Je demandais au génie de le faire et le tuyau fut placé de telle manière que son extrémité arrivait près de la tête du prisonnier. Au bout d'une demi-heure, il commença à s'agiter et progressivement nous pûmes lui donner des indications pour qu'il se sorte de son piège. Pendant ce temps, l'élargissement du trou se poursuivait. La nuit était tombée et je remettais au jour suivant la poursuite de l'opération, la sortie du trou étant sévèrement gardée.

Le lendemain matin nous reprîmes nos activités et jugeant que l'entrée était suffisamment agrandie, je décidais de descendre dans la cache avec deux ou trois hommes de confiance. Le lieutenant du génie, spécialiste, tint absolument à passer devant et je ne pus le faire plier, Nous nous engageâmes donc à la queue leu leu dans ce siphon d'environ 2 mètres de profondeur où il fallait passer les pieds devant. Je m'étais débarrassé de mon étui à pistolet pour être plus à l'aise et j'avais simplement passé l'arme dans mon ceinturon. Nous avions tous un masque à gaz car les effluves lacrymogènes se faisaient encore sentir avec vigueur. Débouchant du siphon, nous arrivions dans une petite galerie où nous pouvions à peine tenir debout. Craignant des réactions prévisibles, l'homme de tête tenait sa lampe d'une main sur le côté, à bout de bras pour tromper l'adversaire sur sa position réelle, l'autre

crispée sur la poignée de son pistolet, comme nous. A notre grande surprise, il ne se passa rien et nous reprîmes notre progression. Nous arrivâmes sur une première plate-forme en bois qui en surplombait une autre, elle-même débordant au dessus d'un puits de 4 m de diamètre et d'une quinzaine de mètres de profondeur. Sur la deuxième plate-forme, nous trouvions un individu incapable de parler, mal en point (effet des gaz) et porteur d'un poste radio à transistor et d'une carabine U.S. Nous le fîmes évacuer immédiatement vers l'extérieur où nous le suivîmes, les gaz commençant à nous incommoder malgré les masques.

Interrogatoires

Dehors, j'entrepris d'interroger le prisonnier, mais compte tenu de son état, je lui faisais donner de l'eau et un peu de nourriture qu'il avala immédiatement. Reprenant l'interrogatoire, j'appris que j'avais affaire à l'aspirant NASSER, qu'il y avait d'autres hommes dans la cache mais qu'ils avaient sauté depuis la 2ème plate-forme dans le puits. J'étais étonné car vu la hauteur de la chute on aurait du voir des corps en bas. Je décidais de faire descendre un PIM dans le puits, au bout d'une corde pour voir ce qui se passait. Alors qu'il commençait à descendre, une nappe de brouillard se forma dans le puits et il devint comme fou. Il fallut le remonter et je décidais d'attendre le lendemain pour reprendre nos investigations. Pendant que j'étais occupé dans la cache, mon homme de confiance, Ahmed, Français de Souche Nord-Africaine (F.S,N.A.), serveur dans un bistrot parisien, avait continué à faire parler le prisonnier en lui demandant en particulier si l'adjudant ZOUBIR était dans la cache. J'arrivais au moment où il posait cette question et j'eus la surprise d'entendre le soi-disant aspirant Nasser dire : "l'adjudant ZOUBIR, c'est moi …" J'avais une canne à la main et je ne pus m'empêcher de lui en envoyer un coup en lui demandant s'il avait fini de se foutre de ma gueule. En s'excusant, il me précisait qu'il avait été promu aspirant il y avait peu, et que, dans la rébellion, l'usage voulait que l'on change de nom en même temps que de grade.

Sur ces entrefaites l'officier de renseignement venait en prendre livraison et repartait avec la carabine et le transistor. Ahmed voulait garder le poste au titre de "prise de guerre", mais l'O.R. ne voulut rien savoir, lui disant : "un poste radio ça vaut une arme, t'auras une citation mais pas le poste". Nous redescendîmes dans la cache, le brouillard était toujours là et en fouillant la paille qui recouvrait les plates-formes, nous découvrîmes un autre transistor et un fusil de chasse. Je mis le poste dans une poche de mon treillis en assurant à Ahmed qu'il était pour lui mais que je le gardais provisoirement au cas où l'O.R, reviendrait.

La nuit se passa tranquillement et au matin du 5, je recevais l'ordre de repartir avec mon commando pour me porter entre TERNY et TAL-TERNY où l'on devait amener Zoubir en hélico pour qu'il me guide sur une autre cache. La harka, restée sur place devait poursuivre seule l'exploitation de la cache. Arrivé‚ sur notre zone vers midi nous attendîmes l'hélico qui arriva 2 heures plus tard. Lorsque ZOUBIR débarqua, je ne le reconnus pas : il avait le visage enflé par les coups, complètement hébété, abruti, presque incapable de marcher. M'étonnant de son état, alors qu'au moment de sa capture il était prêt à coopérer, j'appris qu'il avait été confié au régiment voisin qui était intéressé par les renseignements qu'il pouvait lui fournir, Mettant en doute ce qu'il racontait, "ils" avaient employé la manière forte sans retenue et sans obtenir plus qu'il n'avait déjà dit. On lui imputait beaucoup plus que ce dont il était réellement responsable d'où cet acharnement inutile. Je regrettais amèrement qu'on ne me l'ait pas laissé plus longtemps, je pense qu'avec une méthode plus douce il aurait vidé son sac. Je me retrouvais sur le terrain avec un homme incapable de s'orienter et de s'exprimer d'une manière cohérente. Il avait à moitié perdu la raison et je maudissais mes voisins du 5ème R.I. qui l'avaient mis dans cet état. Je rendis compte des faits à notre O,R. et lui exprimai mon opinion sans aucune retenue en lui précisant qu'à l'avenir je ne l'avertirais d'une capture que lorsque j'aurais fini d'interroger moi-même le prisonnier, je mis fin à mes recherches et après avoir remis ZOUBIR dans l'hélico je regagnais mon poste.

En chemin je tombais sur mon chef de bataillon, au courant des faits, qui m'assura comprendre mes réactions mais que le mal venait de nos voisins et pas de chez nous. Il me demandait de lui établir 5 propositions de citation pour la capture de l'aspirant. Je lui répondis que seuls 4 hommes dont un sous-officier s'étaient distingués et qu'il n'y aurait donc que 4 propositions. Il ajouta qu'avec la mienne ça ferait les cinq. J'eus beau lui dire que je n'avais fait que mon boulot et rien d'extraordinaire, il n'en démordit pas et j'obtins ainsi ma première citation à l'ordre de la brigade (Croix de la Valeur Militaire avec étoile de bronze), celle que j'appelle la citation de terrassier.

Bilan de la fouille

Pendant ce temps les harkis, qui avaient reçu le renfort d'un half-track, utilisant le treuil de ce véhicule en déroulant le câble à travers la cache, faisait descendre de nouveau un PIM au fond du puits. Il leur signalait qu'il y avait une sorte de grotte, invisible d'en haut, dans laquelle il comptait 8 corps dont 4 semblaient avoir été égorgés. De nombreux papiers déchirés menu jonchaient le fond du puits. 11 apparut aussi qu'une petite galerie remontait vers la partie supérieure de la cache; son entrée ayant été colmatée par des pierres et de la terre, elle avait échappé à nos investigations, l'éclairage de nos lampes de poche étant insuffisant. Cela expliquait pourquoi on ne voyait aucune trace de ceux qui, selon ZOUBIR, avaient sauté dans le puits. Les corps furent remontés un par un à l'aide du treuil et il apparut que les 4 non égorgés étaient encore vivants. Après 6 jours dans la cache, avec le gaz, sans eau et sans nourriture, Il y avait parmi eux un sous-lieutenant dont ZOUBIR m'avait révélé la présence. Cet officier rebelle, après un premier interrogatoire succinct au bataillon, fut lui aussi transféré à nos voisins du 5 auxquels il proposa de les conduire à une cache, Vu son état de faiblesse apparent, et ignorant les capacités de résistance des autochtones, ses gardes n'avaient pas jugé bon de l'attacher.

Arrivé à proximité d'un regroupement, il s'échappait en direction des mechtas. Ses gardiens, incapables de le rejoindre, ne purent l'abattre que parce qu'une moukère le repoussa hors de sa mechta. Le 5 s'était encore distingué. Pendant toutes ces opérations le Bataillon avait envoyé sur place un toubib et un élément du foyer pour "soutenir" le moral des troupes engagées". En plus des 5 citations du commando, il y en eu 20 pour le reste des personnels de "soutien", cela nous amusa un peu !

Vallée de l'oued Khemis