Ferme Fabre

L'aspirant POINT rejoint la 12e cie en juin 1959, à la ferme TORO. En août, la 12 laisse la ferme à une unité du 21e R.I.M.a pour, avec la 10 Cie, occuper une nouvelle ferme, la ferme Fabre sous le commandement du capitaine Rice patron du site.

( extrait de « Terre de sang et de larmes » Tome 1 « L'aurore »

"Il fallait quitter la ferme Toro. On la quitta en l'offrant à une petite unité du 21 R.I.Ma. C'était un jeudi 13 août et donc un instant favorable! Ce jour-là, du haut du mirador un marsouin voyait partir une terrible armada. Elle ne traversa pas un océan tempétueux, mais une plaine ondulée et recouverte d'oliveraies. Une petite heure plus tard, la 12, en trois convois distincts et légèrement échelonnés dans le temps, arrivait dans une vieille oliveraie, jouxtant la ferme Fabre, transformée en parc à véhicules.

À Dieu le confort de la ferme Toro aménagée par le 5ème R.E.I ! La troupe et tous les sous-officiers, sauf l'adjudant Duc, chef de section, logeaient sous la tente. Depuis huit jours les gars de la 10 avaient travaillé dur pour les monter, selon un plan précis, dans une autre oliveraie qui prolongeait la cour de la ferme. Ils avaient dû tailler moult branches de ces arbres sacrés en ayant à l'esprit de conserver le plus possible de branches pour offrir de l'ombre à ceux qui y vivraient à proximité.

Chaque section avait son petit îlot de trois tentes collectives à douze places et quatre petites tentes carrées pour accueillir les sous-officiers. Quatre grandes tentes, au centre du dispositif, formaient un long rectangle et servaient de réfectoire où les hommes du rang de chaque compagnie venaient prendre leur repas, à tour de rôle.

Les cuisines étaient regroupées à l'angle nord-est de la ferme. Deux roulantes étaient abritées contre les intempéries par un important vélum, tendu entre quatre mâts, et par deux bâches latérales, positionnées face aux vents dominants. Elles jouxtaient un petit hangar qui servait de stockage des vivres et où l'on avait aménagé une grosse friteuse et un gril très rudimentaire.

Une tente marquée d'une croix rouge se distinguait dès l'entrée de la petite cour, c'était l'infirmerie. L'équipe d'infirmiers n'eut aucun passe-droit. Une seule guitoune lui permit de s'installer tant bien que mal; le sergent infirmier y régnait en maître incontesté.

Le corps de logis était avant tout un long rectangle que composaient deux appartements juxtaposés. Il n'y avait qu'un rez-de-chaussée. La façade principale donnait au sud. La route, venant de Tlemcen et allant à Turenne, passait à dix pas devant elle. Un mur symbolique la clôturait et un petit jardin d’agrément lui donnait un peu d'air. Il y avait une longue tonnelle qu'ornaient de magnifiques rosiers.

L'arrivée de la 12 bouleversa le plan d'occupation des différentes pièces de la ferme. Les trois chefs de section de la 10, sous l'autorité du sous-lieutenant Moy s'étaient installés dans une des grandes pièces du premier appartement. Les deux commandants de compagnie occupaient chacun une chambre. La cuisine conserva sa vocation. Dans le second appartement, la grande pièce devint la salle à manger. Pierre et Vincent occupèrent chacun une chambre et l'adjudant Duc eut vite fait de transformer la cuisine en chambre à coucher. Dès le soir, à défaut de baptiser les locaux avec un goupillon, on prit une anisette en trinquant à cette nouvelle vie. Une cordiale cohabitation commençait.

Huit jours plus tard le colonel commandant le 7ème RI, avec quelques officiers de son état-major, venait se rendre compte des conditions de vie des deux unités, sonder leur moral et les encourager à rivaliser d'audace dans leur nouvelle mission. Ils faisaient partie du « Bataillon d'intervention » de la 12ème DI... et, comme son nom le laissait suggérer, ils interviendraient, au pied levé, dans des conditions insolites. Ils devenaient en quelque sorte les pompiers de leur Division...."

Le lendemain de la visite du chef de corps, les cadres de la 12 firent savoir leur inquiétude. Compte tenu du système de défense qu'ils avaient connu à la ferme Toro, hérité du 5e REI, ils trouvaient celui de la ferme Fabre complètement obsolète : aucune tour de guet, aucune casemate d'abri et de tir, impossibilité d'effectuer de nuit des tirs de flanquement, aucun périmètre de sécurité matérialisé par un réseau de barbelés...bref ! Il n'y avait rien de sérieux, tout était à faire.

Les travaux allèrent relativement vite. en effet sur six sections, quatre pouvaient réellement participer à ces travaux. On ne pouvait pas toucher à la section de semaine, ni à celle d'alerte qui chaque matin se payait l'ouverture de la voie ferrée entre le pont de Mehaguene et le tunnel d'Aïn Souaridj."

Le 25 août, lieutenant Bréal en fin de contrat ORSA, retournait dans ses foyers. A compter du 1er septembre 1959 le capitaine Gobin lui succédait.

"Les travaux s'interrompirent une première fois les 24 et 25 août, pour une première intervention d'urgence. Cela tombait mal, le lieutenant Bréal dut prendre une dernière fois le commandement de la 12, alors que le capitaine arrivait le 25. En fin d'après midi les deux unités sont à huit cent mètres de la barre rocheuse de Sidi Abdallah qu'elles atteignent au pied, une heure plus tard. Au dessus d'elles un piper tourne...tourne alors que les unités crapahute par bons successifs. Changement de tactique au PC :" Tenir face à lest sur la ligne de crête atteinte, ennemi repéré sur le versant de l'oued Tiddar, intervention patrouille T6, intercepter tout fel se repliant vers vous. "

On allait être aux premières loges. On y fut et le spectacle fut grandiose lorsqu'un B26, arriva en vol rasant au-dessus d'un chabet et largua ses bidons de napalm. Cette audacieuse tactique n'avait qu'un but : couper tout repli des rebelles vers l'ouest. Dix minutes plus tard ce fut la danse des T6 qui, à la ressource, survolaient la ligne de crête tout en virant vers l'ouest. Le ballet prit fin. Un autre, plus intimiste, commença, celui du piper qui sur la fréquence air-sol avertissait qu'un petit groupe de 5 à 6 fels s'enfuyaient plein est. Ils n'eurent pas la baraka avec eux. Leur course s'arrêta sous les tirs de l'unité en bouclage qui les attendait de pied ferme."

Sur la frontière marocaine

Au retour de leur séjour à la frontière marocain les jours s’annoncèrent sombres, il pleuvinait, un vrai temps breton.

Ce dimanche 20 septembre 1959, après le repas du soir, tous les officiers de la 10e compagnie et de la 12e prenaient leur café dans la salle qui était tout à la fois leur lieu de réunion, de détente et leur salle à manger. Les commentaires ne manquèrent pas sur la journée passée en bouclage entre la maison forestière d’Hafir et l’oued Talouames, à 1100 m d’altitude sous une pluie glaciale mêlée de flocons de neige. La position des unités en bouclage était très critiquable ; à découvert, ou presque, face à l’orée du djebel Gaadi, les sections pouvaient se tirer dessus sans pouvoir répondre efficacement par des tirs directs ennemis., la visibilité était réduite. Bien évidemment les fels qui avaient égorgé le garde-champêtre devaient bien se gausser de la bêtise d’un état-major qui avait réagi avec un certain retard pour ne pas dire un retard certain. Bref ! Bilan nul , temps de perdu et fatigue inutile.

S’ajoute à ces tristes commentaires, le dernier discours de de Gaulle qui après « l’Algérie française » et le « je vous ai compris » avait éclaté ces deux terribles mots : « l’Algérie algérienne ».Ils avaient sonné comme des coups de tonnerre ; ils faisaient mal comme deux coups de sabre. Ce fut la consternation générale, « on s’était troué la paillasse pour rien et qu’il n’y avait plus de raison à droper encore dans le djebel après les fels, puisque de Gaulle leur donnait l’Algérie sur un plateau d’argent ». les anciens disaient avec amertume qu’après l’Indochine bradée aux viets à cause de l’indifférence internationale et de la marche en avant du communisme. L’empire français et sa glorieuse histoire n’était déjà plus que peau de chagrin.

Dans ce climat morose les sorties en opération se succédèrent, toutes aussi décevantes les unes que les autres avec des bilans à faire extasier les benêts. Dans la zone de la forêt des Azaïls, dans celle de Guer-Zahra et dans celle d’El Bedel, pas un fel fait aux pattes ! Le moral était au plus bas. Après ces opérations décevantes, les sections de la 12 reprenaient leurs occupations routinières : ouvertures de voie ferrée, patrouilles et embuscades.

24 septembre 1959 :

La 10e Cie était partie sur le terrain depuis le matin, dans le secteur sud du djebel Ourdjene, et ne devait rentrer qu'en fin de nuit. Le B2 avait fait savoir au poste qu'un piper avait repéré la veille, en milieu d'après-midi, un groupe d'une dizaine d'hommes à l'ouest de ce massif. Les deux sections devaient s'installer en embuscade au sud de Turenne.

Au cours du repas du soir le sous-lieutenant Point reçoit la mission de son capitaine de se rendre à la "vieille bergerie" où le B2 avait suspecté l'installation d'un groupe de felouzes. Le sous-lieutenant Point présentait à ses cadres le scénario de l'embuscade projetée après études de la carte. Le dispositif s'appuierait sur le remblai sud de la voie ferrée, zone qui dominait la vieille bergerie et ses deux pistes d'accès. Il se couvrait à l'est comme à l'ouest par les pièces FM, au centre il mettait tous les GV, en arrière, près du marabout, il plaçait un élément d'alerte sous la responsabilité du sergent Mégeni, son adjoint. Sur la carte il traça deux cercles pour matérialiser les emplacements des 2 sections de la 10e Cie.

Une petite heure plus tard le dispositif en place comme prévu, la section apprécia la nuit claire où l'on voyait à un peu plus de cent mètres. Vers 22 h 30, Mégeni signala au sous-lieutenant Point que le long de la ligne à haute tension des fells allaient en direction du col du Juif. Ils comptèrent 8 mulets lourdement bâtés et pas moins de 28 fells répartis en trois groupes. Point voulut dans l'instant rendre compte à son PC avec le poste radio. Pas de bruit de fond alors qu'il fonctionnait encre quelques instants plus tôt selon son radio. Il fallait décrocher et retourner à la ferme. À hauteur du carrefour de la piste et de la route de Turenne, la section allait silencieusement le long de l'orée de l'oliveraie quand soudain une fusée éclairante troua le ciel et un bruit assourdissant jeta le trouble. Le chef de section Point gueula "Planquez- vous". Le silence revint et une autre voie rocailleuse et bien connue lui répondit "Halte au tir pour tous". C'était celle de l'adjudant J. qui commandait la 2e section de la 10e Cie. Explications des deux chefs de section sur l'erreur d'emplacement. Après l’étude de la carte, il s’avéra que la 10e Cie n'avait pas utilisé la bonne grille de camouflage. Le sergent Mégeni signala deux blessés : le 1e classe Abelin, servant FM, et Cohen son compagnon de pièce. Plus tard au poste, Point remarqua que la manche gauche de son treillis, côté intérieur et à hauteur du coude, présentait deux trous conséquents du passage d'une balle. Les deux blessés avaient été opérés et leur vie n'était pas en danger. Ils seraient rendus à la vie civile après leur temps de convalescence. La bande des fells avaient été interceptée avec succès au sud du Dhahar Mendjel au cours de la matinée.

16 novembre 1959 :

La colonne des douze Simca 8 arriva à l'heure prévue. En ordre et en silence, les 5 sections regroupées sur la petite place du mât des couleurs étaient prêtes à embarquer. Après une rapide inspection des deux commandants de compagnie, l'ordre d'embarquer tomba. Dans la nuit tous feux éteints, les véhicules partirent vers leur premier lieu de rendez-vous. L'itinéraire, pour tout le personnel initié, était simple : la route de Turenne jusqu'au pont sur le Tafna, puis celle qui longe sinueusement jusqu'à Sidi Yahia. Au point de rendez-vous à 05h30 le débarquement se fit et le dispositif se mit en garde autour des véhicules. On était à plus de 700 mètres d'altitude, l'air était vif et froid. La colonne reprit son train jusqu'au sud du barrage de Beni Bahdel et à nouveau les soldats débarquèrent et se mirent en garde. Vers les 06h30, l'ordre reçu était plus complet que les précédents. Cette fois on opérait ! Route de Khémis, au centre du village, puis la piste de Sidi Zébaïr, débarquement côte 1028 et déploiement face à l'ouest. Véhicules pris en compte par élément du CR 202.

Vers 08h00 la compagnie arriva sur zone et se mit en garde sous un soleil rougeoyant à peine à l'horizon. Le coin n'était pas très sympathique. Il n'y avait presque pas de végétation : sol rocailleux avec quelques touffes d'alfa et quelques chênes verts rabougris, partout une herbe rase donnait une couleur sable au versant du Djebel Aimer (Tazedtcha actuel). Le barrage de la frontière marocaine était à peine à 15km. La veille, une trentaine de fells avaient franchi ce barrage à Rhar Roubane et avaient été repérés en fin d'après-midi dans la zone nord et nord-est du Djebel Aimer. Pour cette opération de ratissage 4 compagnies étaient engagées : 2 du 7e Ri et 2 du 5e RI. La ligne de départ allait de la côte 1118, avec ses 5 marabouts, à la côte 1095. La section du sous-lieutenant Point occupait le centre du dispositif. A son arrière la section du sous-lieutenant Moy, à sa gauche la section de l'adjudant Duc, à sa droite une section de la 11e Cie. Une demi-heure plus tard un message du PC opération : "Attention présence suspecte de troupeaux et bergers en limite de zone interdite". Cela va sans dire, car les sections les avaient déjà rencontrés et avaient laissé le soin aux éléments du PC de les interroger. Un piper apparut tournant haut dans le ciel, 2 T6 l'avaient rejoint dix minutes plus tard et survolaient la zone nord-ouest du Djebel Aimer. Au bout d'une heure de crapahut, la pente devint plus forte et la végétation ressemblait à un maquis corse. À 10h00, le piper descendit assez bas sur notre position et par un battement d’ailes demanda le contact radio. La section Point était à peine à un kilomètre de la crête quand brusquement une rafale d'arme automatique rompit le silence. Le tireur désigna trois fells remontant le chabet droit devant. Point en ayant abattu un, il n’en restait que deux. Le tireur d'élite sur ordre de Point ajusta l'un des deux fells qui sautait de rocher en rocher et le neutralisa. Point à la jumelles avait identifié les rebelles habillés en treillis vert, tête nue et l'arme à la main et confirma au tireur le résultat obtenu. Au bigot le capitaine demanda un CR et prévint la section qu'une bonne dizaine des salopards s'installaient derrière les rochers.

- Restez sur place, je vous rejoins.

À ce moment commença la longue danse des T6, le bruit des longues rafales de mitrailleuse de bord et l'explosion des roquettes créant le vrai climat des accrochages. Les compagnies profitèrent de cet appui feu pour progresser et atteindre une ligne à partir de laquelle on pouvait donner l'assaut. L'ordre fut donné de mettre à l'épaule gauche, le foulard rouge de reconnaissance pour le piper et les T6. Après un ajustement sur la position de la ligne d'assaut quelque peu désordonnées par les bonds successifs, tous les hommes engagés dans ce combat se trouvèrent projetés dans une ambiance bien particulière où on s’oublie soi-même pour ne penser qu'à l'action collective. La meute aérienne fit un dernier passage en mitraillant la zone des rebelles et l'ordre de l'assaut fut crié à l'ensemble des sections rapidement en contact crachant un feu nourri afin de neutraliser les rebelles à découvert. Point allait sauter un petit rocher quand il fut retenu par la manche par Martinez, son radio, lui évitant d'être déchiqueté par l'explosion d'une grenade de l'autre côté du rocher. Elle atteignit néanmoins à l'épaule gauche de Peuvrel, tireur lance-grenades, sans doute plus exposé.

Puis étrangement tout devint calme. Devant, la section apercevait l'autre versant du djebel. Leur chef fit le point avec ses sergents Norbert et Martial. Le bilan s'avérait éloquent pour peu de pertes : deux blessés légers (voir plus de détail dans le livre de Point). Mais l’opération n'était pas à son terme. Il fallait à nouveau traiter la zone des falaises devant et en contre bas. C'est l'affaire des T6 et des Corsairs. Quelle ne fut pas la surprise de voir arriver, dans le chuintement caractéristique d'un avion à réaction, deux Vampires, et comme au spectacle la section les regardait se mettre en piqué et lancer leurs roquettes au pied de la falaise. Sur le côté gauche du dispositif un début d'incendie se dévoila dans l'oued emprunté par les fells en fuite ainsi que le bruit de longues rafales d'armes automatiques. Cela doit accrocher du côté du 5e RI. Un fell fuyant l'incendie se dirigea vers la section qui le fit prisonnier.

Le 18 novembre 1959 un curieux message parvint du bataillon. En un mot pour faciliter la rapidité des interventions au sud et au sud-ouest du secteur de Tlemcen les deux compagnies devaient quitter la ferme Fabre et venir occuper la ferme Coll, à huit cents mètres des Beni-Mester. Notre capitaine émit un commentaire poivré :

- les pontifes de l'EM ont mis trois mois pour se rendre compte que le centre de gravité du secteur se trouvait près de Tlemcen. Il faudrait leur suggérer qu'il serait plus judicieux de nous positionner sur le plateau de Terni pour être encore plus réactifs et intercepter au plus tôt les bandes de fellaghas qui franchissent la frontière.

La Ferme Coll

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