Front marocain

Le mercredi 26 août 1959, au repas du soir, le capitaine lisait le message radio qui signifiait qu’une section de la 12 allait renforcer la 3e Compagnie du 5e RI qui se trouve sur le barrage dans le secteur sud de Bou Aricha. La section de l'aspirant POINT fut désignée pour une durée d'une quinzaine de jours. Rendez-vous le vendredi 28 avant midi à Bled Zaouïa à une vingtaine de km sud de Marnia. Trois camions du train les transportent, une escorte assure la sécurité jusqu'au 2ème point de rendez-vous : Rhar Roubane. En étudiant la carte, l'aspirant découvre que le barrage à cet endroit est à quelques kilomètres de la frontière marocaine près du Djebel Gadet el Haïane. Ce gros massif est parsemé de multiples chabets qui fuient vers l'ouest dans de nombreuses vallées arides et marquées par une succession de falaises abruptes.

A la côte 638, ornée de trois marabouts, un capitaine du 5e RI reçut le renfort de la section POINT. Il la guida vers P10 et P12 pour participer à la surveillance et à la défense du barrage. La section prit possession des deux bâtiments préfabriqués alloués pour leur séjour. Un groupe s'y installa en réserve d'intervention immédiate, les deux autres occupèrent P10 et P12, deux miradors assez spartiates séparés de 400 m, derrière eux les préfabriqués se trouvaient à une distance équivalente. Les groupes tournèrent tous les quatre jours afin de rompre la monotonie et le manque de confort.

Chaque mirador était une tour carrée d'environ quatre mètres de côté et de huit bons mètres de haut. Il y avait quatre niveaux. Au rez-de-chaussé, la porte blindée donnait accès à un étroit corridor qui, grâce à une échelle murale, permettait d'accéder aux différents étages. Dans l'autre partie il y avait une pièce noire, séparée de ce corridor par une cloison bétonnée et munie d'une porte blindée, on y trouvait une table, deux lits "picot", une petite armoire et deux tabourets. on allait donc du rez-de-chaussée et d'un étage à l'autre par une échelle métallique scellée au mur. Chaque pièce de deux mètres de haut, au grand maximum, est uniquement éclairée par un ridicule vasistas horizontal. Elle se fermait sur la précédente par une trappe qui permettait aux hommes de descendre ou de monter l'un après l'autre. Il n'y avait ni table, ni tabouret. C'était un lieu de repos et de sommeil, sans aucun confort.

Le dernière étage avait tout du haut d'un donjon de château fort. A hauteur d'homme et sur chaque côté, il avaient des meurtrières qui permettaient aux deux sentinelles de voir, de manipuler le projecteur et de pouvoir tirer au fusil mitrailleur. De cette pièce singulière, chacun put contempler avec étonnement l'importance du barrage électrifié et la vue sur le Maroc tout proche avec, vers le sud, la vaste étendue ondulée et les deux monts de la ville la plus proche, surnommés "les tétons de Zélidja".

Le barrage par lui-même était assez complexe. Il était avant tout une succession d'obstacles les plus divers. En venant du Maroc, les rebelles devaient tout d'abord traverser une importante zone soigneusement dénudée et même aplanie en certains endroits afin de ne pas constituer des masques à l'observation des guetteurs, surtout la nuit lorsqu'ils devaient éclairer cet espace à l'aide de puissants projecteurs. Après cela, il y avait un premier réseau de barbelés et de ronces métalliques, dense et profond, truffé de mines anti-personnelles, de mines bondissantes et éclairantes. A cet obstacle succédait le barrage électrifié. Il était constitué d'une rangée centrale de pieux métalliques, hauts de plus de deux mètres et espacés de dix mètres environ. De part et d'autre, il y avait des pieux de plus en plus bas qui donnaient à l'ensemble l'aspect d'un ruban pyramidal, recouvert d'une terrible toile d'araignée. Seule la rangée centrale supportait des fils électrifiés. Cela commençait au ras du sol et allait à la cime de chaque pieu avec des espacements de vingt centimètres environ. Par secteur, il y avait des pieux maîtres qui supportaient, en forme de candélabres, l'arrivée de câbles électriques enterrés. Enfin, un autre réseau de barbelés complétait l'ensemble du barrage. Du côté algérien une piste large et damée permettait aux véhicules blindés de type M8 ou half-track de patrouiller facilement le long de cette dernière rangée de barbelés ou d'intervenir rapidement en cas d'alerte.

Sur les points hauts du barrage, il y avait des miradors plus ou moins espacés en fonction du terrain, où un groupe d'une dizaine d'hommes assurait une observation permanente des lieux.

La reconnaissance des lieux terminée, l'aspirant répartit ses groupes en ces trois lieux. Le groupe de Martial restait aux préfabriqués, il passait en intervention sous la responsabilité du sergent Mégueni. Le groupe d'Antoine occuperait le P10. Le groupe de Norbert s'installerait à P12. L'aspirant et le caporal Martinez, son fidèle radio, résideraient à P10 pour mieux épauler Antoine. Chacun des hommes avait la garde de son arme et de ses chargeurs jour et nuit. A la douche ou aux latrines, l'arme demeurait sous la vigilance d'un camarade.

Devant le poste et à proximité de la lourde porte d'entrée en terre-plein, une importante tonnelle, couverte d'une vigne vierge, meublée de deux grandes tables métalliques et de deux bancs faisait office de réfectoire. A proximité, une citerne de mille litres d'eau servait à la boisson et à la douche rudimentaire. La section disposait de deux jours de vivre en ration individuelle et dans le préfabriqué étaient en stock des rations collectives, en cas où, Chaque jour à midi et à 19 heures, une équipe de l'ordinaire du 5e RI venait, avec un petit camion, distribuer dans chaque poste les norvégiennes qui contenaient des plats préparés dans les cuisines de la compagnie dont dépendait la section. C'était copieux, mais peu varié.

Le lendemain matin, un temps maussade surprit la section. Un vent, venant du Maroc, charriait de lourds nuages bas ; ils buttaient contre les contreforts du djebel Ouadjène, culminant à 1000 mètres, qui se dressait à moins de cinq kilomètres du poste. Un orage s’annonçait.

Du haut du mirador le chef de section pouvait voir ce gris sombre, succédant à une nuit noir, limitant la vue. A la jumelle l’horizon restait fermé à un kilomètre. Le barrage devant lui, le rassurait. Mais il se souvient des cours d’Arzew que c’est toujours dans les pires conditions météo que le fel profitait de s’infiltrer. L’orage éclata, terrible, suivit d’un déluge qui dura la matinée. Le petit groupe électrogène, bien protégé, emplit son office, il distribuait la lumière et le chauffage. La nuit il assurait le puissant projecteur. Plus question d’utiliser la tonnelle, on se réfugie dans l’une des pièces du premier étage. Un froid humide s’infiltrait par les petites ouvertures, glaçant les hommes malgré le chauffage.

Cette proximité permit à Point d’étudier ses hommes, il les voyait évoluer avec leurs travers et qualités.

Le mauvais temps s’installa pour durer, le vent et le froid engendraient la mélancolie et la lassitude, malgré tous les efforts déployés pour les combattre. On organisa des séances de sports, de tir individuel, de chasse au porc épic et au sanglier, afin d’améliorer l’ordinaire. Le moment le plus attendu fut l’arrivée du petit camion du midi et du soir avec son chargement de deux trésors : la bouffe et le courrier.

Les jours succédaient aux nuits dans une navrante paix : aucune alerte, aucune tentative de franchissement du barrage, aucun bruit d’explosion de près ou de loin, aucune fusée éclairante venant trouer le noir de la nuit. Non rien ! Tout était platitude.

L’aube du 14 septembre vint. Il pleuvait encore ! on embarqua gaiement en pensant à la joie de revoir tous ceux de la compagnie que l’on avaient laissés et l’on quitta sans regrets ce coin de terre sombre.

Pour en savoir plus sur le fonctionnement du barrage cliquez sur ce lien : 977e Compagnie d'électromécaniciens

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