A.-E. Fournier
Eclipse
Tu m’as dit
je te planterai un arbre
pour quand viendront tes saisons asthéniques
et les pluies d’oiseaux défunts
lents, lents,
dans le sommeil d’automne
tu pourras t’asseoir sous son feuillage
et goûter la douceur de la brise
dans le souffle ténu de tes cheveux.
tu m’as dit
cette douleur qui fouille ta poitrine
tu la déposeras
dans l’herbe, à la lisière de l’ombre
et lorsque les cieux commenceront à se disloquer
en longs sanglots fossiles
l’arbre, doucement, se penchera vers toi
pour retenir la cendre.
tu m’as dit
je ne peux pas te guérir
mais je peux te donner un arbre chargé de pommes sucrées
pour t’abriter
quand montent les vents cireux de la tempête
d’où regarder la mort en riant
un moment.
Milliards d'années de solitude
S'il est d'autres havres dans la nuit du cosmos
ont-ils des feuillages où tintent les vents
des rivières à la voix de roche
des prés aux grands ressassements d'herbe
Connaissent-ils
l'odeur terrienne de l'été
le frisson de la pierre au soleil
les pentes douces de la lumière
lorsque tarit l'après-midi
Si d'autres planètes ont franchi
le pas hors de la mutité
ceux qui les peuplent trébuchent-ils aussi
sur des questions beaucoup trop grandes
Oh ont-ils trouvé comment vivre
avec l'infinie blessure
de se savoir mortel
Ou bien sommes-nous seuls
à nommer et à interroger
à pouvoir dire à l'univers
tout son effroi et sa beauté ?
Obscuration
Au cœur même du printemps, les fleurs parfois doivent mourir. Laisser arracher leurs pétales, se décharner sous le bercement du ciel et l’œil de silence de la brise. Consentir à chuter. Du faîte de la lumière, acquiescer à la nuit, pour, en douleur, féconder la terre.
Orphique
Car il est dit que ceux qui auront traversé la nuit d’un pas de cendre
ceux qui auront étreint la main de cire des morts
eux seuls, qui auront oublié jusqu’à leur nom
verront l’aube éclore dans le souffle des chevaux.
Dormance
L’arbre n’est pas moins vivant dans la stase de l’hiver
que dans la profusion torpide de l’été.
Ainsi parle au loin une voix très ancienne
lorsque la vague du temps semble se refermer sur nous
condamnant l’horizon
obturant les possibles.