la forêt en détresse


Visite pastorale en Médoc

La forêt en détresse

19 février 2005, suite de la visite pastorale de Mgr Ricard en Médoc

Sainte Hélène, dernière étape de sa visite pastorale en Médoc.

Des représentants de la sylviculture et de la forêt recevaient Mgr Ricard

venu à leur rencontre, pour lui exposer la situation actuelle

et aborder les questions de l’avenir de la Forêt en Médoc.

 

 

La forêt du Médoc est une forêt artificielle née au XVIIème siècle du besoin de fixer les dunes et de la nécessité de faire disparaître les zones marécageuses. En 1786, Nicolas Brémontier commence la plantation du Pin maritime, l’essence la mieux adaptée au sol, en bordure des dunes. En 1801, le Consulat soutient ses travaux et encourage les plantations. Dans les années 1850, Jules Chambrelent initie l’assainissement de ces marécages, malgré les inerties, par la construction d’un réseau d’écoulement des eaux. Une loi est présentée l’année suivante qui oblige les communes à poursuivre l’irrigation et la plantation sur leur territoire. Aujourd’hui la forêt médocaine, essentiellement privée, représente 140 000 hectares.

  

L’Arbre d’Or

Naguère “l’arbre d’or” assurait encore des revenus stables aux propriétaires : vente de jeunes pins coupés lors des éclaircies comme poteaux de mines ou piquets pour les parcs à huîtres. Puis devenus adultes, les pins pouvaient être résinés pendant de longues années et assurer de ce fait des revenus réguliers. Après cette période de gemmage, le pin est coupé puis vendu à des scieries. L’exploitation de la forêt se fait à l’échelle de plusieurs générations… 60 ans sont nécessaires pour donner un pin adulte. Si le gemmage a eu son âge d’or, il a disparu il y a une vingtaine d’années par une politique d’ouverture des marchés non contrôlée et une course à la baisse des prix. La résine de pin est aujourd’hui un lointain souvenir…

  

La tempête de 1999

Ce milieu très fragile, adossé à l’océan, est largement exposé aux caprices de la nature (tempêtes, incendies, parasites…). Les dégâts causés par les feux de 1990 et surtout la tempête de 1999 sont considérables et viennent complètement bouleverser l’équilibre économique de la région. La tempête a détruit en une seule passe 150 à 200 ans de travail et ce bel équilibre !

27 millions de m3 de bois se sont retrouvés à terre en Aquitaine dont 10 millions pour le seul Médoc. Ce qui représente des chablis sur près de 80 % de la superficie plantée. Et ce sont les propriétaires privés qui ont été essentiellement touchés. Il faut aujourd’hui reconsidérer de nombreux aspects de cette vie autour de la forêt et du Pin : culture, exploitation, débouchés commerciaux, diversification, vie des habitants, engagement des collectivités et de l’Etat, de l’Europe. Comment vivre encore de cette forêt ?

  

Après la tempête

Il semble, qu’en plus de la tempête, la profession ait eut à subir les aléas de la gestion de cette crise grave dont notamment les délais d’administration des dossiers et de paiement des subventions et les inerties diverses. Le dispositif d’aide mis en place par l’Etat, jugé insuffisant par la profession, est limité dans le temps et produit des effets pervers. Comment se lancer, par exemple, dans la reconstitution de parcelles quand il faut attendre plusieurs mois, voire 2 ans, les subventions dues au titre de l’étape précédente de nettoyage ? De plus, le montage de dossiers de demande d’aides n’est pas facilité par le morcellement de la forêt et le nombre élevé de petits propriétaires (22 000 en Médoc). De même, ce fractionnement ne facilite ni l’évacuation des chablis ni le nettoyage. Quand le propriétaire est sylviculteur il peut effectuer les travaux par lui-même. Mais la plupart des propriétaires, possédant moins de 4 hectares, doivent faire appel aux entreprises de travaux forestiers qui ne peuvent que difficilement intervenir sur les petites surfaces… De plus ils n’ont souvent pas les fonds nécessaires pour faire l’avance du prix des travaux et doivent attendre les improbables aides. Ainsi, de proche en proche, toute la filière est touchée. Plusieurs projets de regroupement et de remembrement existent pour tenter de résoudre ces difficultés. Par ailleurs, pendant la période de rachat des bois abattus, l’éloignement n’a pas joué en faveur des Médocains, derniers à bénéficier ensuite des aides… Aujourd’hui sur les 80 000 hectares sinistrés, seulement un quart a été nettoyé et moins de dix pour cent ont été reboisés. L’ensemble de la profession reconnaît que l’échéance de 2010

fixée par l’Etat pour le plan chablis, est difficile, voire impossible à tenir.

  

Vivre de la forêt

Si aujourd’hui nombreux sont ceux qui, découragés par l’avenir sombre, pensent vendre leur terres, il semble que seuls les grandes banques et groupes industriels de la filière bois puissent se lancer dans l’aventure. Si avec moins de 200 hectares une famille ne peut plus vivre du Pin, comment continuer à espérer ? Mais tel ou tel sylviculteur se rappelle aussi que ses grands-parents, sylviculteurs eux-mêmes, assuraient quand même leur subsistance avec un troupeau de moutons et exploitaient à coté, plus de deux cents ruches ! Çà et là, des exemples montrent aujourd’hui que des solutions existent pour ceux qui cherchent à vivre de la forêt. On cite l’exemple d’une famille engagée dans un GAEC : les parents travaillent le bois, les enfants exploitent un troupeau de moutons et un élevage de volailles. Telle autre famille s’est endettée pour investir dans la remise en état de la propriété des grands-parents. Le mari exploite la forêt, la jeune femme travaille à l’extérieur pour trouver un revenu plus sûr. Dans tel autre cas, la jeune femme reprend la propriété de ses parents – forêt et bovins – le mari exploite quelque vignes et gère un hôtel. Malgré ces initiatives, l’ensemble de la profession n’est pas optimiste pour l’avenir.

  

L’avenir de la forêt, devant ou derrière nous ?

L’avenir n’est que questions. L’exaspération des sylviculteurs est grande : beaucoup ne savent plus comment s’en sortir. On parle à nouveau de manifestation. Mais plus solidaire que la précédente… Si l’Etat s’est engagé, il lui faut tenir ses promesses. Quelles sont les pistes à suivre pour l’avenir ? Quelles sont les solidarités existantes, à mettre en place ? Quelles motivations ? Quelles incitations ? Aujourd’hui seule une poignée de jeunes reste sur les exploitations : la profession peut-elle intéresser et encourager les autres à entreprendre ? Quels sont les débouchés commerciaux aujourd’hui pour la forêt ? La forêt a-t-elle tout donné de sa richesse ? Les hommes ont-il fait suffisamment preuve d’imagination pour lui trouver des marchés et exploiter ses qualités et les avantages propres au Pin du Médoc ? La résine, aujourd’hui importée, a-t-elle rempli son dernier pot ? Les forêts doivent-elles devenir seulement “pour les randonneurs, les VTTistes, les chercheurs de champignons, les propriétaires de 4X4 de vastes parcs d’attractions gratuits… et exclusivement coûteux pour les propriétaires” ? Devenir un complément de revenu et non plus le revenu principal ? Voulue par l’homme, à de simples fins d’assainissement et de protection des dunes, la forêt du Médoc, au fil du temps, est devenue source de richesse et a construit son équilibre économique sur le long terme. Une fois pansées les plaies les plus vives, il reste aux Médocains à reconstruire avec beaucoup de courage un nouvel avenir sur un autre modèle économique fait d’imagination, de solidarité, voire de fraternité, et d’espérance.

  

Patrice Branche  >  l’Aquitaine 4 mars 2005

bimensuel de l'archidiocèse de Bordeaux et de Bazas