Au contraire, les territoires dont la médiane du revenu est plus faible reçoivent plus de prestations qu’ils ne sont prélevés. C’est le cas dans le Nord, le Bas-Rhône, le Languedoc, la vallée de la Garonne et de nombreuses villes petites et moyennes de l’Ouest de la France. Dans la communauté d’agglomération de Creil Sud Oise, l’écart entre le revenu déclaré (15390 €) et le revenu disponible (17560 €) représente un gain de 2170 € (+14,1 % du revenu déclaré). 42,7 millions de personnes habitent dans un des 986 EPCI tirant bénéfice de la redistribution socio-spatiale des revenus.
Les montants redistribués ne suppriment évidemment pas l’intégralité des inégalités, les revenus disponibles médians demeurant très contrastés selon les territoires : les EPCI dont la population a les revenus déclarés les plus élevés sont aussi ceux dont les revenus disponibles surpassent les autres (carte 2). Cette redistribution permet malgré tout de réduire l’écart entre l’EPCI le plus riche (CC du Genevois) et le plus pauvre (CC de Creil Sud Oise) de 2,6 à 2,01. L’écart moyen entre le revenu médian des EPCI et le revenu médian national passe de 2129 € pour les revenus déclarés à 1761 € pour les revenus disponibles après impôts et prestations, soit une réduction de 20 % des inégalités moyennes. Les politiques fiscales et sociales contribuent ainsi à opérer une redistribution spatiale des richesses souvent sous-estimée dans le débat public (Davezies, 2008) et contredisent l’hypothèse d’un abandon des périphéries par les centres économiques les plus puissants. Il existe bien, en France, une politique de solidarité socio-économique mise en œuvre par l’État central qui permet d’atténuer les inégalités territoriales induites par les logiques marchandes, sans pour autant faire disparaître les inconvénients qu’il y a à résider dans un territoire plutôt riche (la difficulté à se loger dans le parc privé par exemple) ou plutôt pauvre (des opportunités moindres de valorisation du cadre de vie).
Selon l’importance qu’on accorde aux inégalités, on pourra trouver cette politique de redistribution spatiale des revenus, pour les uns, excessive et, pour les autres, insuffisante. Au cours des dernières années, la fragilisation des impôts sélectifs (ISF, taxe d’habitation) au profit d'impôts à taux uniques (TVA, TICPE, prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital) et l’évasion fiscale ont compromis ces mécanismes redistributifs et la cohésion sociale et territoriale qui en découle. Or, en votant fortement pour le RN, les citoyens habitant les territoires les moins riches (Nord, Nord-Est, Languedoc) font le choix d’une politique anti-fiscale qui, si elle était appliquée, reviendrait à réduire les mécanismes redistributifs dont ils sont pourtant parmi les principaux bénéficiaires, exposant leurs bassins de vie à un régime de concurrence qui les fragiliserait encore plus qu’ils ne le sont déjà. Seule une ambitieuse politique d’aménagement du territoire serait à même de répondre à leurs attentes mais celle-ci ne figure ni dans le programme du RN, ni dans la réorientation idéologique en cours des forces d’extrême-droites, désormais ouvertement favorables à la dérégulation et à l’individualisme.