L'évolution de l'emploi
L'évolution de l'emploi
La France vient-elle de mettre fin à la plus importante période de création d’emplois depuis la fin du XXe siècle ?
Selon l’URSSAF, entre 1998 et 2025, le nombre d’emplois salariés privés en France est passé de 15,5 à 20,2 millions, soit une hausse de 30,3 % en 27 ans.
Cette augmentation s’est effectuée en plusieurs phases :
- entre 1998 et fin 2001 : une phase d’augmentation de 1,7 million d’emplois salariés (le nombre total passant de 15,5 à 17,2 millions) ;
- entre 2002 et mi-2004 : une phase de stagnation ;
- entre mi-2004 et début 2008 : une nouvelle phase d’augmentation correspondant à 1,1 million d’emplois salariés supplémentaires (le total passant de 17,2 à 18,3 millions) ;
- entre le 1er trimestre 2008 et le 3ème trimestre 2009 : une baisse de 500 000 emplois, au cours d'une phase correspondant à la crise des subprimes aux États-Unis ;
- entre 2009 et fin 2016 : une longue phase de stagnation aux alentours 17,8 million d’emplois ;
- entre 2017 et la fin de l’année 2023 : une augmentation de 2,5 millions d’emplois salariés (avec un pic à 20,3 millions d’emplois salariés à la fin de l’année 2023), phase d’augmentation que le choc du COVID n’a pas brisée ;
- entre 2024 et la mi-2025 : l'amorce d'un nouveau plateau, voire d'une légère baisse de 50 000 emplois en 18 mois.
Chacun pourra interpréter cette alternance de phases de croissance et de plateaux à l’aune de ses propres convictions politiques pour expliquer l’influence et le bien fondé des politiques économiques sur les dynamiques de l’emploi privé.
Quoi qu’il en soit, les données de l’URSSAF laissent entendre que, après une forte croissance entre 2017 et 2023, l’économie française pourrait être entrée dans un nouveau plateau dont la durée est imprévisible en raison de l’instabilité générale.
Si elle était vérifiée, une telle stagnation (voire régression) compliquerait plusieurs des défis auxquels notre pays est confronté (les dépenses liées au vieillissement, la relocalisation des activités et la souveraineté économique, le comblement de la balance commerciale, le partage des efforts pour financer la transition, etc.).
En France, les inégalités régionales en matière d’emplois continuent à se creuser, démontrant l’injustice territoriale de l’actuel régime d’économie politique
Entre 1998 et 2023, le nombre d’emplois salariés dans le secteur privé est passé de 15,6 à 20,3 millions (emplois intérimaires inclus), soit une croissance de 29,8 % en un quart de siècle*.
Cette augmentation d’ensemble masque des inégalités importantes entre quatre ensembles régionaux :
les DROM (+94 %) et la Corse (+74 %), dont la croissance est très forte, plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale ;
les régions de la moitié sud-ouest dont la croissance dépasse la moyenne nationale : Bretagne (+43 %), Nouvelle-Aquitaine (+36,7 %), Occitanie (+54 %), Pays-de-la-Loire (+44,1 %) et PACA (+46 %)
l’Île-de-France (+30,6 %) et Auvergne-Rhône-Alpes (+32 %) dont les taux de croissance sont égaux à la moyenne nationale ;
les cinq régions du nord-est et du pourtour de l’Île-de-France en situation de croissance faible, voire de quasi-stagnation : Bourgogne Franche-Comté (+ 4%), Centre-Val-de-Loire (+10,5 %), Grand-Est (+6,6 %), Hauts-de-France (+15,5 %) et Normandie (+13,6 %).
Ces inégalités perpétuent les dynamiques régionales héritées de la transition post-fordiste des années 1970, opposant un ensemble Nord-Est fragilisé et les territoires du Sud-Ouest plus dynamiques, les régions parisienne et lyonnaise se positionnant en situation intermédiaire.
De tels écarts tiennent en particulier à deux facteurs conjoints :
les processus de désindustrialisation et de métropolisation induits, au sein des vieux pays développés, par la mondialisation néolibérale ;
l’effacement de la politique d’aménagement du territoire national, conduisant à une insuffisance et à une incohérence des moyens mis en œuvre pour promouvoir un développement équitable, c’est-à-dire offrant aux régions peu attractives et peu compétitives des moyens majorés pour surmonter leurs difficultés.
Depuis cinquante ans, du fait d’une croissance de l’emploi privé très inégale selon les régions, les acteurs du développement territorial, privés comme publics, ont été confrontés à des contraintes et des situations profondément hétérogènes. Hormis dans les outre-mers et en Corse, on a ainsi demandé aux Régions (les collectivités territoriales) d’engager d’ambitieuses politiques de développement économique sans tenir compte de leurs handicaps respectifs. Cette situation pose un problème d’équité interrégionale que l’État central a progressivement renoncé à tenter de résoudre, préférant se contenter d’une injonction généralisée en faveur du développement local, de l’attractivité et de la compétitivité des territoires, objectifs qui, pour le tiers nord-est du pays, se sont bien souvent révélés inatteignables : ces cinq régions en difficulté (dont le poids a baissé de 30 à 26 % de l’emploi salarié national) n’ont pas été abandonnées mais les instruments de cohésion destinés à les aider spécifiquement ont à la fois été insuffisants et, trop souvent, contrecarrés par des politiques d’investissement contribuant à accroître les inégalités régionales (dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche pour ne citer ici qu’un seul exemple), faute de stratégie cohérente et proportionnée de la part de l’État central.
La croissance de la masse salariale bénéficie-t-elle à une minorité de métropoles ?
Alors que le PIB ne permet pas de connaître le partage entre la rémunération du travail et du capital (notamment étranger), il est possible d'approximer la façon dont une population tire profit des activités marchandes présentes dans son territoire par la prise en compte de la masse salariale*.
Dans un contexte de réprobation croissante à l’égard du processus de mondialisation néolibérale, les données publiées par l’URSSAF concernant la masse salariale montrent que celle-ci a augmenté de 34 % en France métropolitaine entre 2000 et 2023, soit un rythme semblable à la croissance du PIB.
Rapportée à l’échelle des zones d’emploi, il apparaît que :
6,4 % des salariés habitent dans une des 43 ZE en décroissance, c’est-à-dire dans lesquelles la masse salariale a diminué depuis 2000 (ces ZE étant situées aux marges du B. Parisien et dans le Nord-est) ;
36,3 % habitent dans fune des 141 ZE où la masse salariale a augmenté moins vite que celle de l’ensemble du pays (au Nord, à l’Est et dans la “diagonale du vide”) ;
57,4 % travaillent, au contraire, dans une des 103 ZE dans laquelle la masse salariale augmente plus fortement qu’à l’échelle de la France métropolitaine (le long de la façade atlantique, dans le Midi Méditerranéen, la Corse et la vallée du Rhône).
Ces évolutions sont liées à la fois à celle du nombre de postes et aux montants des salaires versés.
Plusieurs constats peuvent être faits :
1 - La croissance de la masse salariale privée démontre la capacité du régime néolibéral à produire une richesse qui profite à une écrasante majorité de territoires ;
2 - Les territoires perdants sont très minoritaires et ne pèsent manifestement pas assez pour justifier un renoncement au régime ;
3 - Les critiques reprochant aux métropoles d’être les bénéficiaires principales, sinon exclusives, des nouvelles formes d’accumulation économique sont contredites par la géographie des salaires privés : de nombreuses zones d’emploi dépourvues de métropoles (la plupart des ZE situées en Corse mais aussi Brignoles, Saint-Maxime, Les Sables-d’Olonne, La Teste-de-Buch ou Lamballe) présentent des taux de croissance plus élevés que les métropoles ;
4 - Les inégalités de développement sont principalement organisées à l’échelle régionale et reflètent, comme en matière de PIB, un clivage structurel entre la moitié Nord-Est du territoire (Paris et Lille exceptées), en voie de stagnation, voire de déclin, et la moitié Sud et Ouest (hormis les Alpes du Sud et les Pyrénées intérieures), affectée par une croissance beaucoup plus forte.
Rapportée à l’échelle des EPCI, cette croissance est hétérogène. Les métropoles présentent bien des taux de croissance élevés, notamment Toulouse (+98 %), Montpellier (93), Nantes (80), Rennes (69), Bordeaux (+65 %), Lyon (+64 %) et Marseille (+60). La croissance de Lille (36), Strasbourg (24), Nice (38) et Grenoble (27) est en revanche inférieure à la moyenne nationale.
En dehors des métropoles, l’intensité de la croissance est elle aussi très variable et ceci indépendamment de la position des EPCI dans la hiérarchie urbaine. Cette hétérogénéité laisse plutôt transparaître des logiques régionales :
beaucoup d’EPCI du Sud-Ouest ont des croissances fortes (le littoral Atlantique, les côtes méditerranéennes, la vallée du Rhône, les Alpes du Nord) ou moyennes (le Grand Ouest, le Bassin aquitain, le sud du Massif Central). Rares sont les EPCI à connaître une croissance faible (Limoges, Saint-Etienne) et presqu’aucun ne décline.
les EPCI du Nord-Est de la ligne Saint-Malo-Lyon ont en revanche une croissance faible ou déclinent, hormis quelques exceptions (le Cotentin, les périphéries de l’agglomération lilloise, la vallée du Rhin, les petits EPCI de la vallée de la Seine et, bien entendu, la mégapole parisienne).
* Cet indicateur présente malgré tout l’inconvénient de ne pas tenir compte des revenus d’activité des indépendants (agriculteurs, commerçants, professions libérales).
Des emplois de plus en plus nombreux mais spatialement sélectifs
Depuis vingt ans, 60 % des bassins de vie ont vu le nombre de leurs emplois “productifs” diminuer
En France métropolitaine, entre 1999 et 2020, le nombre d’emplois dans les fonctions dites “productives” (produisant des biens agricoles, industriels et des services de back office destinés à de larges bassins de consommation, y compris à l’étranger) sont passés de 8,7 à 9,2 millions, soit une augmentation de 6,7 % (contre 21,7 % pour les fonctions présentielles).
Cette hausse d’ensemble s’accompagne d’importantes inégalités territoriales :
- 711 bassins de vie, rassemblant 20,3 millions d’actifs, ont gagné 1 139 000 emplois productifs. On y trouve Paris, la plupart des métropoles régionales, la Bretagne orientale, la Vendée, le Languedoc, la Provence, la Corse, la vallée du Rhône, les sillon alpin et rhénan mais aussi plusieurs villes moyennes (Agen, Albi, Amiens, Pau, Rodez, Quimper) plus dynamiques que leur entourage ;
- dans le même temps, 969 bassins d’emplois accueillant 9,9 millions d’actifs ont perdu 559 000 emplois productifs. Cela concerne la plupart des bassins ruraux, beaucoup de villes moyennes mais aussi divers ensembles régionaux (le Bassin parisien, les Vosges, les anciens bassins miniers, le Jura, le Massif central).
La balance nationale est donc positive mais au prix d’une contraction spatiale des nouveaux emplois productifs. Un tiers des actifs habite aujourd’hui dans un bassin de vie dans lequel ces emplois déclinent. Dans ces territoires :
- les efforts menés localement depuis plusieurs décennies pour développer les emplois productifs n’ont pas permis de compenser les pertes liés à la mondialisation économique ;
- les possibilités pour les agriculteurs, ouvriers, techniciens, ingénieurs, informaticiens, commerciaux, transporteurs... d'y trouver des emplois diminuent (même si les taux de chômage n’y sont pas plus élevés qu’ailleurs) ;
- la baisse de ces emplois n’implique pas nécessairement la baisse de la production, de la valeur ajoutée ou des investissements, notamment là où des gains de productivité sont réalisés ;
- la baisse des emplois productifs est parfois compensée, notamment dans le Sud, par l’essor des fonctions présentielles liées aux dynamiques démographiques (et touristiques) ;
- les revenus disponibles ne baissent généralement pas, du fait de l’essor de la productivité, de l’économie présentielle et de l’importance de la redistribution sociale (cotisations, impôts, retraites, allocations sociales).
Ce développement géographiquement sélectif ne signifie pas que deux tiers des territoires seraient sacrifiés, inutiles ou voués au déclin mais que leur contribution économique ne repose plus sur une mobilisation croissante de main-d’œuvre spécialisée et intégrée dans le jeu de la concurrence néolibérale. Dans certains territoires, des solutions alternatives sont expérimentées avec succès. Restent ceux, minoritaires mais non négligeables, qui demeurent piégés dans des trappes de déclin systémique.
Évolution du nombre d’emplois « productifs » entre 1999 et 2020 à l’échelle des bassins de vie