1.7 La consommation foncière

En France, l’artificialisation des sols est inégalement utile selon les régions, posant une question d’aménagement du territoire non résolue à ce jour

Entre 2009 et 2023, les données publiées par le CEREMA montrent que 3 296 km² supplémentaires ont été artificialisés, c’est-à-dire 0,6 % du territoire de la France métropolitaine. Ce rythme d’artificialisation, en baisse par rapport aux décennies précédentes, est cependant très hétérogène selon les territoires. On constate que :

l’artificialisation a continué à augmenter à un rythme soutenu dans l’agglomération parisienne, la vallée de la Seine, le Nord, l’Alsace, le Grand Ouest, les régions attractives de la façade atlantique, l’agglomération toulousaine, la vallée du Rhône. la région lyonnaise, le sillon alpin et le littoral méditerranéen ;
le rythme d’artificialisation est en revanche plus faible dans les marges du Bassin parisien, la diagonale du vide, les massifs alpin, pyrénéen et vosgien et la Corse (hormis la pointe sud de l’île).

Ces écarts sont partiellement corrélés aux dynamiques démographiques, comme le montre la carte du nombre d’habitants supplémentaires par hectare artificialisé pour l’accueil de logements. On constate cependant que l’utilité résidentielle de l’artificialisation est la plus forte dans les grandes agglomérations, aussi bien dans les coeurs que dans les premières couronnes périurbaines, ainsi que dans plusieurs espaces régionaux (l’Alsace, la région nantaise et le sud de la Bretagne, le littoral méditerranéen, la région lyonnaise et le nord de la Corse). Dans ces territoires, l’utilité résidentielle de l’artificialisation est maximale. Au contraire, elle est beaucoup plus faible dans les espaces intermédiaires, en stagnation ou en faible croissance démographique de l’estuaire de la Seine, du Nord (Lille exceptée), dans l’Ouest de la Normandie et au Nord de la Bretagne, le Bassin aquitain (hors des aires urbaines de Bordeaux, Toulouse et Bayonne), dans la vallée de la Saône et la partie centrale de la vallée de la Loire.

Par ailleurs, dans 657 bassins de vie en déclin démographique, couvrant 47 % de la superficie de la France métropolitaine (!), l’artificialisation a continué à progresser. Dans ces territoires, la valeur et la vétusté des logements anciens ne permettent pas de reconstruire sur le bâti préexistant. La construction en extension étant moins onéreuse, la rénovation du parc résidentiel se traduit par une poursuite de l’artificialisation, malgré le déclin démographique. Cette situation illustre l’ampleur des freins à la transition écologique que pose la dévalorisation économique des territoires et souligne la nécessité d’engager des politiques d’investissement plus volontaires dans ces territoires, sauf à “oser” leur désertification et décider le blocage des constructions.

Les variations géographiques de l’utilité résidentielle de l’artificialisation n’ont malheureusement jamais été intégrées dans les discussions politiques relatives à la lutte contre l’artificialisation évitable, l’absence de stratégie nationale d’aménagement du territoire empêchant de définir des critères adaptés aux différentes trajectoires régionales (de déclin, de stagnation ou de croissance). A la place, l’opposition des pouvoirs locaux a montré combien le manque de clarté de l’État central sur l’avenir souhaitable des différents types de territoires pouvait se traduire par l’émergence d’un nimbisme large et décomplexé, conduisant à des aberrations aussi invraisemblables que la “garantie communale” octroyant un droit généralisé à artificialiser.

Où sont situés les projets d’artificialisation “d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur” sélectionnés par l’État ?

Le 31 mai 2024 le gouvernement a publié un décret précisant une liste de grands projets d’ “envergure nationale et européenne” justifiant l’artificialisation de sols pour la période 2021-2031. Ce décret permet aux collectivités territoriales d’ôter ces projets de leur propre comptabilité en matière de droit à artificialiser :

https://lnkd.in/e57Y9cP5

En creux, cette liste de grands projets laisse entrevoir les priorités que se donne l’État en matière d’équipement du territoire national, à défaut d’avoir une politique générale explicite. Au total, 168 projets ont été sélectionnés, couvrant 13 550 ha cumulés (selon les données mises à disposition par le CEREMA) : https://lnkd.in/e4TCV2UZ).

Ces 135 km² correspondent à une augmentation des étendues urbanisées de 4 % d’ici 2031.

Ces projets concernent des infrastructures aux finalités hétérogènes :

- 7 équipements destinés à la défense (217 ha)

- 26 établissements pénitentiaires (258 ha)

- 4 sites de stockage de déchets (390 ha), dont celui prévu à Bure pour l’enfouissement des déchets nucléaires ultimes (330 ha)

- 10 opérations d’intérêt national correspondant à des aménagements urbains, concentrés pour beaucoup en Ile-de-France (1356 ha)

- 37 établissements industriels (1137 ha) dont 3 zones d’activité

- 7 infrastructures ferroviaires (1280 ha), dont la LGV Bordeaux-Toulouse (mais pas la Ligne Nouvelle Paris-Normandie reportée au-delà de 2031)

- 28 sites électriques dont 3 pour accueillir des EPR2 (1662 ha)

- 12 projets d’aménagement au sein des établissements portuaires (2758 ha)

- 27 projets routiers (3328 ha), dont 353 ha prévus pour l’A69 aujourd’hui suspendue

S’ajoutent divers projets plus atypiques (le Centre spatial de Kourou, les aéroports de Nantes et de Saint-Denis-de-la-Réunion).

Le plus vaste de ces projets est le canal à grand gabarit Seine Nord Europe reliant les canaux du Nord et la vallée de la Seine via l’Oise (855 ha). Comme lui, beaucoup de ces projets sont soumis à de contraintes de localisation justifiant leur intégration dans une stratégie nationale.

Certaines régions concentrant d’ores et déjà des fonctions logistiques et industrielles sont particulièrement concernées : le littoral de la mer du Nord, la vallée de la Seine, le Midi méditerranéen entre Marseille et Narbonne.

Ces prévisions d’artificialisation ne préjugent pas de la perception que pourra en avoir la population, certains d’entre eux suscitant des désapprobations (Bure, le Contournement Est de Rouen, la ligne Bordeaux-Toulouse, etc.).

Cette liste témoigne de la capacité de l’État à déployer une stratégie territoriale à l’échelle nationale, en complément de celles que les pouvoirs locaux et régionaux pourront mettre en place. Il ne reste plus qu’à l’assumer publiquement et l’asseoir sur une doctrine d’ensemble pour que le peuple puisse en évaluer la pertinence globale.