Le 30 mars 1882 le cadavre d’un chanteur ambulant, Joseph Ruis, est repêché dans le canal, sous Rougemont. Joseph Ruis est né le 03 février 1842 à Strasbourg et il est le fils de François Ruis, scieur de long originaire du Tarn-et-Garonne et de Barbe Bruder, alsacienne. Devenu allemand à la guerre de 1870, Joseph Ruis opte pour la nationalité française le 24 juillet 1872. Il vit alors à Bordeaux.
En ce 28 mars 1882, avec un compère, artiste lui aussi, il va de village en village, chantant pour gagner quelques sous. Le duo s’arrête à Buffon où personne ne sera sensible à leur talent. Les deux compères décident d’aller au cabaret pour se consoler de leur déveine. Ivres, ils en viennent aux mains et Joseph finit par tomber dans le canal et se noyer.
Deux jours plus tard, en fin d’après-midi, le corps de Joseph est repêché et transporté au presbytère mais le curé d’Aisy, Jean-Baptiste Renaud, qui dessert aussi la paroisse de Rougemont, sans curé depuis quelques années, refuse que le corps de ce malheureux ne soit mis au presbytère et le fait transporter dans l’écurie.
Quelques jours plus tard la justice et le médecin viennent pour l’autopsie et on décide de mettre le corps dans la salle à manger afin de pratiquer l’examen. Le curé est repart à Aisy furieux refusant même de dire les vêpres et bien sûr d’enterrer chrétiennement Joseph Ruis.
En effet, selon la coutume religieuse ancienne, les artistes se voient refuser les obsèques religieuses sous prétexte qu’ils mèneraient une vie dissolue. Ce fut le cas pour Molière, enterré en catimini le 21 février 1673 mais aussi, bien plus récemment, le 14 octobre 1963, pour Edith Piaf qui bien qu’ayant eu des obsèques nationales, ne fut pas enterrée chrétiennement.
La population de Rougemont, avec Pierre Charmot, son maire, va conduire le brave chanteur à sa dernière demeure. Ce sera donc le premier enterrement civil de Rougemont.
Jean-Baptiste Renaud, curé d’Aisy de 1874 à 1888, pensait-il, sans doute, que le presbytère allait être souillé d’héberger pendant quelques jours le corps d’un homme qui ne menait pas une vie de bon chrétien.