Introduction
Opinion commune.
Le travail est le plus souvent perçu comme une pénible obligation.
Obligation ? ou plutôt nécessité. Il faut bien travailler. On n’a pas le choix. Le travail est notre moyen de subsistance. Fondamentalement, les hommes collectivement ont besoin de transformer leur environnement par un travail pour pouvoir y survivre (cf. mythe du Protagoras).
Pénible ? le travail est une activité qui suppose des efforts. Que ce soit sous une forme élémentaire (produire par soi même des moyens de subsistance) ou sous une forme socialement plus élaborée (exercer une profession), le travail n’est pas une activité agréablement spontanée ; il suppose
Soit un effort physique renouvelé et régulier et la soumission à des règles et à une forme de discipline
Soit le respect d’obligations nombreuses et contraignantes : obéir à un chef, se soumettre à une hiérarchie, avoir des horaires réguliers, faire des tâches qui ne nous plaisent pas, etc.
En ce sens le travail s’oppose bien à la liberté, qui supposerait la spontanéité d’activités que nous trouvons immédiatement agréables – et que nous arrêtons quand nous le voulons – et l’absence d’activités pénibles.
Remise en cause de l’opinion commune
Cependant, à la réflexion, il apparaît que le travail nous apporte aussi quelque chose.
En effet, ceux qui n’ont pas de travail en réclament. Ils ne veulent pas rester oisifs.
On fuit le travail comme qq ch de très pénible. Mais pire que le travail, il y a l’oisiveté (différente du loisir. On aime le loisir, mais pas l’oisiveté).
On déteste être dirigé et contraint par la nécessité. Mais pire : l’absence de toute contrainte et de toute direction.
Pourquoi n’aime-t-on pas l’oisiveté ? et en général l’absence de travail ?
Pas de salaire ?
Mais aussi pb de reconnaissance sociale
Pb d’identification
Angoisse de l’inactivité ;
ennui ; angoisse du vide : il nous faut une activité qui ait du sens. Il nous faut une activité par laquelle notre temps soit structuré, par laquelle nous réalisions qq chose, nous nous prouvons notre existence, notre pouvoir et notre valeur
ou angoisse de la liberté : désorientation ; choix totalement ouvert
Le travail alors ne serait pas seulement un mal nécessaire, mais il nous apporterait beaucoup : il serait une activité qui a du sens, qui structure notre temps, une activité par laquelle nous réalisions quelque chose. Or pour réaliser qq chose, il faut bien sans doute une certaine constance, une certaine régularité ; il faut se soumettre à des règles ! en vue de transformer une matière quelconque en un produit, en une œuvre. Bref, il faut travailler.
Paradoxe alors :
D’un côté, nous pensons que le travail est un mal nécessaire : pénible, mais on ne peut s’en passer ; mais la liberté est hors du travail.
D’un autre, nous avons besoin du travail pour réaliser des choses, pour réaliser à la limite n’importe quel projet : en ce sens le travail semble être en même temps une condition de la réalisation de notre liberté.
I. Le travail comme contrainte
Question directrice : Pourquoi avons-nous une vision si négative du travail ? et cette vision négative est-elle justifiée ?
Vision grecque antique : le travail et l’esclavage
Texte Arendt – texte 3 du poly
Thèse : pour les grecs anciens, le travail est méprisable. Pourquoi ? non pas parce que ce sont les esclaves, hommes méprisables, qui travaillent. Mais : le travail, c’est la nécessité de se soumettre à nos besoins naturels, que nous avons en commun avec les animaux. Le travail nous ramène à notre animalité. C’est pour cela qu’il faut confier le travail à des esclaves, qui ne sont pas aussi dignes que des hommes libres.
Arguments :
Aristote défend l’idée qu’il y a une hiérarchie naturelle des êtres vivants.
Au niveau le plus bas, les plantes, qui ont une âme végétative
Au second niveau, les animaux, qui ont une âme sensitive et motrice
Au troisième niveau, le plus élevé, les hommes, qui ont une âme intellective.
Dès lors, les hommes doivent, pour être des hommes au sens le plus plein du terme, développer leur âme intellective. Ils ont aussi les deux premiers types d’âme ; mais les développer ne fait pas d’eux des hommes, mais les ramène à leur animalité.
Dans ce cadre, le travail, qui a pour but la satisfaction des besoins naturels, ceux du corps, n’est pas ce qui fait de nous des hommes.
Dès lors, l’homme libre doit se consacrer à la vie de l’intellect ; de préférence, l’homme libre est celui qui commande un autre qui est son esclave. L’esclave est doublement enchaîné : il est enchaîné socialement, et aussi enchaîné aux besoins naturels.
Bilan : selon la tradition grecque, le travail, étant ce qui nous relie à notre nature animale, doit être réservé aux esclaves ; devenir un homme, c’est au contraire se libérer du travail, se libérer des chaînes qui nous lient encore aux besoins naturels, pour développer d’autres activités. Cette tradition nous a marqués : nous pensons encore le travail comme une nécessité qui nous relie aux besoins, nécessité dont il faudrait s’affranchir pour être libres.
Transition : Mais il y a une autre tradition qui a déterminé notre vision du travail.
la vision chrétienne : le travail comme punition
récit : la Genèse. le péché originel.
Texte : « Il dit à Adam : « parce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas manger, ce sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu a été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras » Gn, 3 17-19
Thèse : le travail, pour les chrétiens, est d’abord une punition. Il résulte du péché originel. Les hommes doivent travailler péniblement pour pouvoir se nourrir, dans une nature plutôt hostile, pas généreuse, qu’il faut s’efforcer de cultiver et de transformer pour pouvoir survivre.
Arguments : pas d’argument ici : on a affaire à une tradition religieuse. Que vaut-elle alors sur le plan des idées ? ce qu’il faut comprendre, c’est que cette tradition se transmet ; elle marque les idées que nous avons aujourd’hui.
Bilan du I : deux traditions culturelles sont à l’origines de nos idées négatives sur le travail : la tradition grecque, pour qui le travail est ce qui nous relie encore à notre nature animale, et ce dont il faut se débarrasser si nous voulons devenir vraiment des hommes. Et la tradition chrétienne, selon laquelle le travail est tellement dur et pénible qu’il ne peut être qu’une punition ; il faut bien le faire, mais il ne peut nous épanouir ou nous rendre heureux, il faut le subir comme une peine pour espérer plus tard une récompense, et la valeur du travail ne peut que résider en-dehors de lui.
Transition : cpt, comme on l’a vu en introduction, le travail nous apporte peut-être en lui-même quelque chose. Non seulement par le salaire, fruit extérieur du travail, mais comme activité qui aurait en elle-même du sens. Est-ce vrai ? Est-ce que le travail nous apporte vraiment quelque chose ? Et si oui, quoi ?
II. Ce que le travail nous apporte
la satisfaction des besoins et des désirs
soit la production de biens utiles ou satisfaisants. Le nécessaire, le superflu.
Soit la gain d’un salaire qui permettra de survivre et de satisfaire certains désirs.
Mais dans ces deux cas, ces biens sont extrinsèques au travail. Ainsi le salaire : dans notre système social, le travail est souvent rémunéré. Mais pas toujours. On travaille aussi sans rémunération (bénévolat, bricolage…) ; c’est que cela nous apporte qq chose.
Question à traiter : le travail lui-même, indépendamment des résultats qu’il produit, ou de la récompense sociale qui lui est parfois attachée, qu’apporte-t-il ?
ce que produit le travail
analyse : essentiellement : le travail consiste à transformer une matière selon une idée pour arriver à une œuvre. C’est la réalisation d’une idée. Or, cette réalisation apporte, non pas un salaire d’abord, mais une certaine satisfaction. Pourquoi ?
Texte Kojève : la dialectique du maître et de l’esclave
Présentation du texte : Kojève commente ici un texte célèbre de Hegel, extrait de la Phénoménologie de l’esprit.
Hegel analyse l’Histoire, et explique comment, par quelle logique, les rapports économiques et hiérarchiques ont évolué ; comment, en l’occurrence, on est passé d’une société de maîtres et d’esclaves à une société où le pouvoir économique devient dominant.
Ce qui nous intéresse ici ce sont les rapports maître / esclave ; au sens où celui qui travaille c’est l’esclave, celui qui commande c’est le maître ; il fait la guerre, éventuellement, mais il ne travaille pas, c’est par le travail de l’esclave que ses besoins naturels sont satisfaits.
Le terme de dialectique désigne ici l’idée d’un dépassement, avec une transformation d’une chose en une autre : un certain processus de transformation. Hegel va montrer comment une situation contient en elle les germes de sa propre contradiction.
Première étape du texte : comment on devient esclave. L. 2-4
Dans l’antiquité, on peut devenir esclave de deux façons :
soit par la naissance
soit esclave de guerre.
On est vaincu dans une bataille. Mais on a toujours le choix : quand on est vaincu, on peut choisir la servitude, ou choisir la mort. Si on choisit de rester en vie, cela veut dire qu’on sera esclave. On aurait pu ne pas être esclave, c’est-à-dire rester un homme libre : en préférant la mort. Mais si on est devenu esclave, cela veut dire qu’on préfère la vie à la liberté ; On est plus attaché à son instinct de survie qu’à sa liberté. (l 2 à 4) L’esclave n’est soumis à son maître que parce qu’il est d’abord soumis à son propre instinct de conservation : s’il pouvait s’en affranchir, il s’affranchirait aussi du maître. Mais il est dominé par la nature. l’esclave, c’est, comme le disait Arendt, celui qui est attaché à la partie animale de l’homme. Alors qu’être un homme vraiment n’est possible que si on est libre. L’esclave est alors moins qu’un homme, en un sens.
L’homme libre, par contre, est celui qui a gagné la bataille : c’est l’homme qui combat jusqu’au bout au risque de sa vie. Il a mis sa vie en péril pour la liberté, parce qu’il préfère la liberté à la vie.
Le rapport maître esclave est alors simple.
L’esclave travaille pour le maître.
Il est soumis à ses instincts et est donc dominé.
Le maître est un homme libre qui se consacre à une activité d’homme : pas de travail, mais faire la guerre pour la liberté. Il n’a pas besoin de travailler, il échappe à la punition divine.
Deuxième étape du texte : retournement dialectique.
Mais par le fait qu’il travaille, il va chez l’esclave se produire un changement qui va amener un renversement du rapport maître / esclave.
Quel est ce changement ?
Le travail va le libérer. Comment cela ?
Par une forme de maîtrise qu’il acquiert. La maîtrise technique.
il maîtrise la nature au sens où il est capable d’obtenir, de produire, ce qu’il veut à partir de donné brut ou de matières premières. Emancipation de la nature. le maître survit grâce à l’esclave qui lui fait du feu ; l’esclave maîtrise le feu. C’est la soumission première à la nature qui permet ensuite la domination de la nature par l’esclave.
Il maîtrise, dit le texte, « sa propre nature » : l’esclave n’est plus alors soumis à son propre instinct de conservation qui avait fait de lui un esclave.
Le travail transforme le monde :
L’esclave devient capable de transformer le monde.
Mais aussi : ces transformations du monde transforment aussi l’homme. En travaillant, l’esclave dvlpe ses facultés et devient plus que ce qu’il était.
Alors que le maître reste identique à lui-même.
Le travail donne alors à l’esclave une supériorité : par la maîtrise du monde qui est autour d’eux ; par le dvlpt de ce qu’il est, par le changement que le travail produit en lui.
Bilan du II.2 : Le travail produit alors deux choses essentielles :
il permet la domination de la nature, de s’affranchir de la nécessité en s’y soumettant.
Il permet la transformation de l’homme : de l’homme soumis à l’homme libre, et de l’homme incapable à l’homme qui a développé ses potentialités.
Transition : Mais le travail produit encore autre chose…
L’objectivation
On a vu la déf du travail : il s’agit de transformer une matière brute en un produit ou une œuvre utile.
L’utilité de cette œuvre est évidemment capitale.
Ensuite, le travail donne des compétences qui permettent de dominer la nature : affranchissement, libération, dvlpt de soi.
Mais aussi : cette œuvre est une sorte de preuve, de confirmation extérieure, d’objectivation de moi-même, de ma propre existence.
C’est-à-dire : le résultat de mon travail est la matérialisation de ma volonté. L’œuvre est la manifestation concrète, matérielle, de ma liberté.
On peut en effet dire ou prétendre qu’on est libre. mais là : j’avais une idée ; j’ai désiré la mettre en œuvre ; j’ai trouvé les moyens pour le faire ; j’ai fait exister cette idée de façon concrète. C’est la liberté réalisée.
On voit que le travail est bien un moyen, en ce sens, de la réalisation de la liberté, de même qu’une objectivation de soi. il manifeste ma puissance effective.
Il est aussi humanisation du monde. Là où le monde au départ était étranger, peut-être hostile, inhospitalier, en tout cas non-humain, je peux créer un monde d’objets et d’œuvres humaines, qui sont un reflet de ma pensée et de mes idées.
Bilan du II :
Le travail produit
non seulement des résultats extrinsèques
mais des œuvres
mais aussi des changements dans le travailleur :
il se libère de la nécessité naturelle
il se libère de sa nature
il dvlpe ses facultés
il est aussi objectivation de la liberté : je prends conscience de moi comme liberté en contemplant cette liberté dans l’œuvre.
Humanisation du monde.
Transition :
Cependant, nous ne vivons pas aujourd’hui le travail de cette façon. Il n’est pas si fréquent de vivre son travail comme une libération, comme le moyen privilégié de réaliser sa liberté et ses projets propres, ou de dvlper ses facultés pour se dépasser soi-même.
Comment expliquer cela ? c’est lié à l’organisation sociale du travail.
L’organisation sociale du travail suppose une division des tâches, avec une spécialisation.
La spécialisation paraît d’abord positive :
elle permet une plus grande efficacité dans la tâche en question, et une meilleure satisfaction des besoins au niveau collectif
elle permet à chacun de se singulariser, d’acquérir des compétences spécifiques par opposition à une trop grande normalisation.
Mais elle posera un certain nombre de problèmes : en particulier, il y a risque d’aliénation.
III. Le travail comme aliénation
Approche : les Temps modernes de Chaplin (1936)
Voyez ou revoyez cette scène célèbre des temps modernes, où le héros est embauché dans une usine et rencontre quelques petites difficultés. La scène est au début du film
Voyez par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=tfw0KapQ3qw
En quoi y a-t-il aliénation ?
le geste répétitif, mécanique
La machine impose le rythme au corps, et le corps devient machine. La machine s’empare symboliquement du corps du travailleur.
Le geste continue après : le corps est devenu machine ; et on voit l’absurdité du geste.
qui n’a pas de sens. Le sens est perdu : on ne sait pas à quoi ça sert, le travailleur ne fait plus d’œuvre. Il y participe, mais ne décide de rien et ne crée rien. Ce n’est pas le projet du travailleur ; ses idées n’ont plus d’importance, il n’a pas à avoir d’idées. le travail ne consiste plus à réaliser une idée.
Au lieu de développer les facultés du travailleur, le travail le mécanise, voire le détruit, abîme son corps ; puis le rend fou.
Mais il nous faut aussi une assise philosophique pour mieux comprendre l’aliénation liée au travail.
Marx : travail et aliénation.
Marx met en évidence que non pas le travail en général, mais le travail tel qu’il est pratiqué en particulier dans le système capitaliste, est aliénant.
L’aliénation prend deux sens dans le texte :
l’aliénation = le fait que dans le travail l’ouvrier se nie au lieu de s’affirmer. (L.1-11)
Le travail devrait nous permettre de nous affirmer, de devenir plus que ce que nous sommes. Mais dans les faits, c’est le contraire qui se passe : le travail détruit le corps et ruine l’esprit. Détruit le corps : répétition, caractère mécanique blesse le corps. Ruine l’esprit : le travailleur ne développe pas ses idées propres, mais doit seulement utiliser une partie de son corps ou une partie minime de son intellect. Il lui faudra trouver d’autres façons de devenir lui-même, s’il en a la force.
De plus : le travail ne satisfait aucun besoin. Dans le travail même, dans l’activité même de travailler, le travailleur ne satisfait aucun besoin, de développe aucune partie de lui-même.
Or, on voit déjà que Marx laisse entendre que le travail est fait pour ça, qu’il devrait nous permettre de dvlper notre humanité.
L’aliénation = le fait que le travail est dérobé au travailleur. (l.11-17)
L’ouvrier n’est pas propriétaire des moyens de production.
Il n’est alors pas propriétaire non plus du produit de son travail.
De son travail non plus.
On lui donne un salaire, mais le salaire n’a pas une valeur égale au produit du travail ; c’est comme si on lui volait ce qu’il produisait.
C’est le salarié lui-même qui apartient à un autre en tant qu’il travaille ; il abandonne ses propres projets, sa propre existence, pour consacrer ses forces au projet d’un autre.
Résultat de l’aliénation (l.18-24)
Le travailleur est aliéné dans son travail, càd dans ce qui est proprement humain (comme Hegl Marx pense justement que le travail = non pas un truc d’esclave, mais une tâche authentiquement humaine qui doit nous libérer)
On lui laisse sa liberté dans ses fonctions de base, dans ses fonctions animales.
C’est une inversion totale de l’humain et de l’animal.
l’aliénation comme trahison du sens du travail (fin du texte)
Or, le vrai sens du travail, c’est justement l’affirmation par l’homme de son humanité.
Que veut dire Marx ici ?
Qu’en transformant la nature de façon infiniment diverse selon ses idées originales, l’homme devient homme : il transforme la nature, mais aussi se transforme lui-même, par son travail, et par là il dépasse l’animal, va au-delà de son animalité. Par le travail l’homme devrait créer un monde qui lui ressemble et où il puisse contempler sa liberté à l’œuvre, qui est de dépasser le donné naturel.
Conclusion :
OC : le travail semble pénible, contraignant. L’homme se réalise dans ses loisirs. Le travail est un mal nécessaire. On ne peut pas y échapper, mais il faut s’en débarrasser vite pour faire autre chose, parce que le vrai sens est hors du travail.
RCOC : Cependant, le travail est une activité qui a du sens. C’est même peut-être la seule façon de réaliser sa liberté : pour réaliser ce qu’on veut, il faut en effet mettre en œuvre une série de moyens réglés. Le travailleur l’emporte même sur celui qui ne travaille pas, car non seulement il apprend à maîtriser vraiment la nature et à la transformer comme cela lui convient, mais en plus il se transforme lui-même, c’est-à-dire qu’il progresse.
Cependant, ce n’est pas si simple. Dans la forme concrète que le travail a prise dans l’histoire, il est devenu, pour beaucoup, aliénation. Le travailleur effectue pour d’autres une tâche qui ne lui permet pas de s’affirmer, mais au contraire le détruit ou au moins menace son équilibre. C’est que la spécialisation morcelle le travail, lui faisant perdre son sens ; et qu’il n’y a pas forcément d’harmonie entre les aspirations individuelles, les compétences individuelles, et les besoins sociaux. Dès lors est-il inévitable que le travail existe seulement et toujours sous la forme d’un travail aliéné ?
Sans doute pas : car le travail n’est pas par essence aliénant. Mais il ne peut être un moyen de libération que s’il a du sens pour celui qui le fait, c’est-à-dire que s’il est production d’œuvre dans laquelle le sujet qui travaille se reconnaît.