Remarques sur l'introduction et rappel du problème
Tout le monde se souvient de l'histoire de Friedmann, je ne la rapelle pas... Si vous voulez en savoir plus là-dessus, sachez que le livre est disponible sous le titre "Tonio Kröger. Suivi de Le petit Monsieur Friedmann".
L'histoire me servait, vous vous rappelez, à poser le problème du bonheur.
Friedmann emploie en effet deux stratégies différentes pour essayer d'être heureux :
1. Il essaie de limiter ses désirs, d'apprendre à se satisfaire de ce qu'il a déjà ou de ce qui est facile à atteindre. Il apprend à jouir de promenades, de spectacles, de dîners quotidiens... plutôt que de désirer des choses inaccessibles, et d'essayer de transformer le monde autour de lui, il se dit qu'il est plus facile et plus raisonnable d'apprendre à se réjouir de ce qui est là, tout près. Thomas Mann décrit alors M. Friedmann comme un "épicurien" - même si on ne peut pas dire que Friedmann applique à la lettre la doctrine d'Epicure, philosophe antique (IV- siècle) fondateur de l'épicurisme.
2. Mais il essaie aussi, que ce soit dans la première période de sa vie (l'adolescence) ou à la fin (l'amour passion) de réaliser ses désirs, de transformer le monde pour qu'il corresponde à ce qu'il désire. Vous savez comment et pourquoi cette tentative échoue.
Cette double stratégie nous montre qu'il y a (au moins) deux voies possibles du bonheur :
si on veut être heureux, faut-il limiter ses désirs (donc agir sur soi) pour être satisfait de ce qui est ?
ou bien faut-il essayer de transformer le monde pour réaliser ses désirs ?
Faut-il agir sur soi, ou agir sur le monde ? limiter ou réaliser ses désirs ?
Ce qui est à la fois cruel (pour le personnage) et intéressant (pour nous), c'est que Friedmann échoue dans les deux stratégies.
il n'arrive pas à réaliser ses désirs, parce qu'il n'en a pas la force, ou parce que les autres le rendent impossible. cela nous permet de constater que nous n'avons pas un pouvoir infini sur le monde : c'est peut-être bien un des facteurs qui rend le bonheur difficile à atteindre.
Mais il n'arrive pas non plus totalement à limiter ses désirs. il est vrai qu'il parvient, pendant une assez longue période, à se satisfaire de ce qu'il a, à jouir d'activités simples et qui sont en son pouvoir. Mais au final, il a tellement réprimé ses émotions les plus fondamentales (l'amour et le désir!) qu'elles sont ressorties de façon encore plus violentes : il n'a pas été maître de ses émotions.
Si nous avons du mal à être heureux, si ce n'est pas simple, c'est donc peut-être bien pour cela : c'est parce que nous ne sommes ni maîtres du monde, ni maître des autres, qui nous empêchent parfois d'avoir ce que nous désirons (c'est qu'ils peuvent être parfois des rivaux, mais aussi des objets d'amour ou de désir, cf. plus loin le cours sur autrui).
Et d'autre part, si nous n'arrivons pas à être heureux facilement, c'est aussi parce que nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes, que nous ne sommes pas capables de décider de nos propres émotions, mais qu'elles arrivent de façon plus ou moins incontrôlée.
d'où deux idéaux possibles pour penser le bonheur.
pour certains, le bonheur suppose de maîtriser les circonstances extérieures, de maîtriser le monde. il suppose donc d'avoir le plus de pouvoir possible.
pour d'autres, le bonheur est d'abord, voire seulement, une question de maîtrise de soi : c'est l'idée que défendent, par exemple, les stoïciens.
résumé du problème : pour être heureux, faut-il agir sur le monde pour parvenir à réaliser tous ses désirs ? Mais alors il faudrait avoir un pouvoir infini sur le monde et sur les autres, ce qui semble impossible. ou bien faut-il agir sur soi pour maîtriser ses désirs ? mais alors il faudrait un pouvoir infini sur soi, comment est-il possible ?
(on voit que le pb est ici posé sous la forme d'un dilemme).
Le cours est développé dans les sous-pages :
II. Maîtriser ses désirs
III.