Dans toute relation sexuelle, il y Moi et il y a l'Autre. L'ego et l'empathie sont automatiquement engagés, avec les dysfonctionnements qu'ils ont pu hériter d'une éducation ou d'un environnement contraires aux lois naturelles.
Du point de vue du déterminisme génétique, et malgré toute la latitude d'adaptabilité propre à un être complexe comme l'être humain, on peut donc s'attendre à ce qu'une structuration non naturelle du moi (parasité par l'ego), tout comme un mauvais apprentissage de l'empathie (suite aux frustrations œdipiennes) placent le psychisme dans des conditions telles que les pulsions naturelles appartenant à l'instinct sexuel, notamment les plus complexes, ne pourront pas fonctionner correctement. Par correctement, il faut entendre ici : "conformément à ce qui est prévu par nos données génétiques et leur marge d'adaptabilité", ou encore : "conformément aux lois naturelles de l'amour et de la sexualité".
Exemple : admettons que la pulsion de donner l'orgasme soit prévue pour être plus importante que la pulsion de l'atteindre soi-même. Si tel est le cas, le comportement érotique doit être orienté prioritairement vers l'autre. Son échec orgastique éventuel doit être ressenti comme un échec global de la relation. L'échec orgastique personnel ne devrait quant à lui pas compter au-delà d'un certain manque (dans la mesure où la situation ne se prolonge pas excessivement). La poursuite individuelle de l'orgasme aux dépens de l'Autre doit en revanche être ressentie comme contraire à la nature.
Il est clair qu'un ego démesuré désorganisera la dynamique de la relation. La composante paranoïde induira des réactions excessives, le surinvestissement de la quête d'orgasme faussera le subtil équilibre qui devrait assurer la synchronisation. La volonté d'aboutir troublera l'autre partenaire, la déception en cas d'échec prendra trop de place et fera naître des reproches qui dégraderont de confiance réciproque. La relation dégénérera rapidement, sans que les partenaires, enfermés dans leurs egos réciproques, ne comprennent le pourquoi de la dégradation. À la limite, la relation se muera en viol (par exemple le "viol conjugal", si commun qu'il étrait autrefois assimilé au devoir conjugal...).
Les pulsions appartenant à l'instinct de reproduction s'accommodent plus ou moins d'une situation de ce type. L'orgasme féminin n'est pas nécessaire à la fécondation. Chez l'animal, le viol est plutôt favorable à la reproduction. On peut comprendre que le surdimensionnement de l'ego ne bloque guère l'ensemble des pulsions reproductionnelles (ou PIR). Il en sera tout autrement des pulsions infiniment plus subtiles liées à la fonction métasexuelle (PIM).
Or, chaque individu est porteur d'une structuration psychique plus ou moins marquée par l'échec de l'apprentissage alliesthésique (composante paranoïde) et par l'oedipe refoulé (composante névrotique). On en déduit immédiatement que la sexualité ne peut que difficilement se vivre sur le plan métasexuel, et qu'elle aura généralement tendance à glisser sur le plan reproductionnel. Le déséquilibre est encore accentué par le fait que les pulsions biologiques propres au PIR sont beaucoup plus réactives à l'accrochage, alors que les pulsions de type PIM sont au contraire inhibées dès que certaines composantes biologiques sont exacerbées. Tout semble donc converger vers une inhibition générale du PIM dans le contexte alimentaire et social actuellement en vigueur.
Cette petite démonstration est fondée sur l'hypothèse de l'existence d'une pulsion consistant à donner prioritairement l'orgasme à la personne aimée. Tel semble bien être le cas : même dans les conditions de fonctionnement ordinaires, de nombreux individus (notamment homosexuels) ressentent l'importance de cette forme d'expression de l'amour. Dans des conditions plus proches de la nature, telles que les définit l'instinctonutrition et la métapsychanalyse, la priorité du don sur la quête s'observe plus systématiquement. Il y a donc lieu de penser qu'elle est naturelle. La question qui se pose est alors de savoir quelle est la fonction de cette priorité.
Première réponse : entre deux partenaires qui tendent chacun naturellement à donner l'orgasme à l'autre, la relation amoureuse se déroule de manière beaucoup plus harmonieuse que dans le cas inverse où chacun ne pense qu'à soi (ou se donne délibérément de la peine afin de faire plaisir à l'autre). Il suffit que l'un des partenaires poursuive sa satisfaction personnelle en négligeant celle de l'autre (ou qu'il calcule l'avantage qu'il peut avoir à donner le plaisir à l'autre), pour qu'une relation finisse par dégénérer, comme c'est bien souvent le cas dans les couples : madame en vient à compter le temps pendant que monsieur recherche sa satisfaction. Le fait même que de nombreuses relations dégénèrent à partir du manque d'empathie et de la quête égoïste du plaisir, génèrant des frustrations ou des souffrances, laisse penser, à partir de l'heuristique de non souffrance, que la dose moyenne de tendance paranoïde et névrotique est contraire à notre programmation génétique.
Cet exemple montre que l'empathie joue un rôle clé dans la relation sexuelle. Elle est encore essentielle à un autre niveau : la représentation de ce qu'éprouve l'autre stimule la sensibilité érotique beaucoup mieux que toute forme d'auto-excitation. C'est en se mettant à la place de l'être aimé que l'on peut vivre soi-même la plénitude sexuelle. Dans le cas contraire, les pulsions partielles peuvent fonctionner et produire une certaine satisfaction, mais l'émotion profonde, la "magie amoureuse", seule capable d'alimenter la perception extrasensorielle, n'est pas au rendez-vous. Une excitation égocentrique, même si elle rend possible un fonctionnement sexuel "normal", libérant l'individu du besoin physiologique et de la frustration affective, laisse toujours un vide derrière elle, que l'on peut interpréter comme un manque au niveau de l'énergie métapsychique.
Le malaise et l'inhibition qui surviennent lorsque l'autre poursuit sa jouissance de manière égoïste peuvent s'interpréter en tant que pulsions excalibur visant à mettre en garde contre l'échec du PIM. Celui-ci est incompatible avec un érotisme égotique, sans doute parce la dimension métapsychique est fondamentalement associée à l'empathie et incompatible avec l'ego. On comprend que les pulsions excalibur aient pour but d'éviter les échecs amoureux et les fixations égotiques qui pourraient compromettre la mise en oeuvre du PIM. Un tel échec, bien que généralisé dans notre forme de culture, a des conséquences graves sur le destin de l'individu et de la collectivité, et cette gravité explique la programmation génétique de pulsions excalibur importantes.
Pour que l'énergie métapsychique puisse circuler et alimenter les parties nobles de l'être, il faut que l'ego reste au second plan. Sinon, l'énergie mise à disposition investit les composantes égotiques du psychisme et aggrave la fermeture de l'individu sur lui-même. La remise en oeuvre du PIM exige donc un travail sur soi, visant à rétablir autant que possible le fonctionnement naturel du psychisme. Il s'agit de s'observer, de profiter de chaque situation conflictuelle pour apprendre à "dissoudre" les motions égotiques, c'est-à-dire de reconnaître les tendances paranoïdes et névrotiques cristallisées dans nos automatismes et de les désinvestir en prenant le recul nécessaire.
Faute d'avoir fait ce travail contre l'ego, le repli, la déception, les regrets, l'agressivité ont tendance à prendre de plus en plus de force au fur et à mesure des échecs du PIM. Ces attitudes ont pour conséquence de compromettre encore davantage toute relation subtile, et de cristalliser des pulsions excalibur à l'intérieur du PIR. Ainsi s'installe un cercle vicieux qui aboutit à la forme de virilité de type macho, associant dépendance et mépris de la partenaire, et pour la femme à une féminité alliant la séductrice et la mégère. Voir à ce propos l'analyse transpulsionnelle présentée dans l'Essai sur la métapsychanalyse, page 85 et suivantes.
Les pulsions excalibur ont pour fonction d'éviter l'amorçage de ce cercle vicieux. Elles interviennent dès que les premières manifestations égotiques (paranoïdes ou névrotiques) s'immiscent dans la relation. Elles l'interrompent parfois brutalement, comme pour amener les partenaires à prendre du recul, à démêler les situations, à cerner la cause profonde de leur échec. Toutefois, ces pulsions ne peuvent être émises et reçues correctement que moyennant une capacité suffisante d'empathie et de maîtrise de l'ego. Ces deux qualités restent donc les préalables indispensables de toute expérience métasexuelle.