Un mot sur la méthode de recherche

Le domaine de l’amour et de l’extrasensoriel est sans doute l'un des plus difficiles à explorer de manière rationnelle. Il est pourtant possible de définir une méthode d’approche parfaitement claire, à commencer par une axiomatique comprenant les définitions des grandeurs prises en considération, l’inventaire des connaissances considérées comme acquises, des propositions que l’on pose sans pouvoir les démontrer (les axiomes), des hypothèses qu’il s’agit d’infirmer ou de confirmer, l’examen systématique de la pertinence et de la validité des raisonnements, les contraintes épistémologiques, etc.

Il faut aussi définir le champ d’observation ou d’expérimentation : la difficulté est que l’on ne peut a priori pas expérimenter délibérément lorsqu’il s’agit des choses de l’amour. On ne peut en principe que regrouper des observations et tenter d’en extraire des invariants. Toutefois, les comportements dépendent en partie des schémas de normalité imposés par la morale. Ces schémas peuvent être modifiés dans une certaine mesure ou perdre leur prégnance sous l’effet d’une nouvelle théorie de la sexualité, ici la métapsychanalyse. Une comparaison est dès lors possible entre le développement des relations amoureuses dans des conditions différentes (par exemple grâce au remplacement de la conception ordinaire de l’adultère par la théorie de la constellation triangulaire). Les comparaisons permettent finalement d’isoler des facteurs de causalité qui passaient inaperçus dans les conditions ordinaires.

Lorsqu’un domaine est particulièrement complexe et que l’on ne sait pas trop par quel bout le prendre, on peut utiliser ce que l’on appelle une « heuristique » , c’est-à-dire un principe que l’on postule sans avoir l’intention d’en démontrer la validité, mais simplement dans le but de faire avancer la recherche. Il n’est pas toujours facile de se dégager des croyances induites par la culture ou par des observations biaisées. La solution consiste à tout remettre en question, et c’est là qu’une heuristique peut s’avérer extrêmement féconde.

Dans l’espoir de démêler une fois pour toutes le nœud gordien que constitue le mystère de l’amour et de la transcendance, je me suis appuyé sur le principe naïf selon lequel toute cause de souffrance découlerait de certaines erreurs face aux lois naturelles. Une telle idée n'est bien sûr qu'une heuristique, et vise uniquement à multiplier les interrogations, à l'inverse d'une hypothèse qu'il s'agirait de démontrer pour en faire une loi.

J'ai ainsi été amené à m'interroger dans de multiples circonstances sur les causes premières de souffrances généralement considérées comme inévitables, fatales, intrinsèquement liées à la nature humaine ou à la nature des choses. Les causes qui se sont dégagées m’ont obligé à reconsidérer de nombreux stéréotypes de la morale judéo-chrétienne. La fameuse équation des Lumières : « sexe = reproduction » a volé en éclats. Il a fallu remplacer l’actuel « dispositif de sexualité » (expression de Michel Foucauld) par un modèle beaucoup plus complexe et subtil, très éloigné de ce qui est généralement admis dans les sociétés occidentales.

Le postulat le plus inattendu est sans doute celui qui attribue à la partie non reproductionnelle de la sexualité humaine le développement des facultés métapsychiques. Une telle idée est difficile à accepter, car elle remet en cause deux tabous propres à notre forme de culture : la sexualité non génitale, et le métapsychique. Comment peut-on alors la vérifier ?

Il faut passer en revue tout le matériel dont on dispose : d’abord toutes les observations empiriques susceptibles soit de le confirmer soit de l’infirmer. Ensuite l’ensemble des connaissances existantes, partant des enseignements de l'Antiquité (notamment des dialogues de Platon) jusqu’aux données de la science moderne, cela sans négliger la psychanalyse qui est en fait la seule discipline qui ait pris sérieusement dans le collimateur la question sexuelle.

Si le postulat est pertinent, il devrait par ailleurs permettre de lever les contradictions entre les différentes approches, ou à l’intérieur de chaque système de pensée. C’est effectivement le cas pour la psychanalyse : les points obscurs ou contradictoires relevés par Freud ou par ses opposants se voient résolus d’une manière tout à fait inattendue. Par exemple la contradiction entre l’approche de Freud, attribuant la névrose au refoulement de l’oedipe et celle de Jung qui la mettait sur le compte du refoulement de l’énergie métapsychique, le postulat métasexuel faisant de la sexualité non reproductionnelle la source première de cette énergie.

Une autre heuristique consiste à considérer que les pulsions propres à l’être humain, parfois très complexes, sont programmées génétiquement (sans nous soucier de la pertinence de cette hypothèse en soi). Ce postulat conduit à se poser de nombreuses questions sur les tabous sexuels : sont-ils ou non en accord avec les exigences pulsionnelles innées, quelles sont ces exigences, et pour quelle raison se heurtent-elles aux exigences de la culture et de la morale ? La morale elle-même serait-elle, en partie ou dans certaines grandes lignes, déterminée génétiquement ?

Le déterminisme génétique dont il s’agit ici n’a rien à voir avec une conception mécanique du psychisme : il s’agit de reconnaître certaines tendances innées, pouvant ou non se concrétiser suivant les données de l’environnement social ou matériel. De telles tendances, refoulées dans le contexte existant, voire ignorées, peuvent expliquer des comportements apparemment incohérents et leur assigner une fonction.

Autre méthode à laquelle j’ai recouru chaque fois qu’une hypothèse nécessaire se heurtait aux sens commun : dresser un tableau avec dans la colonne de gauche toutes les raisons de rejeter cette hypothèse, et dans la colonne de droite celles de la légitimer. La comparaison des deux listes permet alors de se faire une idée plus claire du pour et du contre, et soit de rejeter l’idée si elle ne trouve pas de caution suffisante, soit à l’explorer plus avant dans le cas contraire.

L’ensemble de ces modes d’investigation a permis de formuler et de vérifier le postulat métasexuel, et de fournir une base solide à toute la théorie qui en découle.