Défendre une théorie qui remet la vie sexuelle en question, qui ébranle les tabous dominants, qui rend à chacun son libre arbitre face aux contraintes morales du système, n'était évidemment pas fait pour arranger tout le monde. J'en ai chèrement payé le prix, déjà en Suisse dans les années 70, et plus récemment en France par le biais d'une douzaine d'années derrière les barreaux et d'une démolition en règle de tout ce que j'avais laborieusement construit pour faire avancer la réflexion et la diffusion des idées.
- Oui, me direz-vous, mais vous avez été condamné pour viol sur mineurs, ce n'est pas une affaire de théorie. De toute manière, il n'y a pas de fumée sans feu. Si la justice condamne quelqu'un, ce n'est pas par hasard...
Les choses ne sont pas si simples : c'est parce que j'ai développé cette approche radicalement nouvelle du phénomène amour et sexe, bousculant toutes sortes de croyances et d'attachements, que certaines personnes ont décidé de me réduire au silence. Des personnes qui avaient d'ailleurs de bonnes raisons de m'en vouloir, par exemple un psychopathe venu se soigner dans mon centre d'accueil, J.K., qui n'a rien compris à la théorie en question ; il commençait à répandre auprès des autres pensionnaires l'idée que la métapsychanalyse était une apologie de toutes les perversions, adultère, homosexualité, pédophilie... Je l'ai alors mis à la porte. Il m'a promis la guerre et a gagné la première bataille.
L'actualité faisait à l'époque pleins feux sur l'affaire Dutroux, les médias surchauffés allaient évidemment sauter sur l'occasion que leur offrait un détracteur aussi zélé. Mon ex-pensionnaire est allé trouver une journaliste, Anne-Marie Casteret, connue pour la dénonciation de différents scandales. C'est elle qui avait mis en route, sans doute à raison, la grande affaire du sang contaminé. C'est elle aussi qui, certainement à tort, clamait que la Justice se trompait ou trompait le monde dans l'affaire AZF, l'explosion étant selon elle le fait de dangereux terroristes. La suite a démontré l'inanité de ces spéculations, qui ont d'ailleurs mis fin à sa carrière journalistique. A noter qu'Anne-Marie Casteret m'avait déjà attaqué et partiellement démoli en 1989, à travers un article choc (Le gourou qui prétend guérir le sida en mangeant cru, dans l'Événement du Jeudi) en suite de quoi l'instinctothérapie allait être inscrite à la liste des sectes. Condamnée à payer une lourde indemnité aux parents de deux petits sidéens dont elle avait publiquement révélé la maladie, elle avait de quoi m'en vouloir.
Fin 96, Anne-Marie Casteret et J.K. allaient ensemble démarcher systématiquement toutes les familles qui avaient séjourné à Montramé avec leurs enfants. J'ai pu savoir, notamment grâce au témoignage d'une diététicienne allemande, quelles ont été les pressions exercées pour obtenir de soi-disant témoignages. Il fallait absolument éliminer le dangereux gourou de la pédophilie, cet individu malfaisant, dangereux pour la société tout entière à travers ses théorisations perverses, quitte à mentir si c'était nécessaire. Les gendarmes chargés de l'enquête se sont également laissés convaincre, et comme c'est le cas chaque fois qu'une affaire est médiatisée, ont fait le maximum pour arriver à leurs fins.
Deux parmi les perles que l'on retrouvait au dossier : un enfant du village a été si bien "interrogé" qu'il déclarait avoir vu jusqu'à 100 nudistes se baigner dans la piscine du Centre. La réalité : 2 Allemands, frais arrivés un chaud jour d'été, se sont crus en terre germanique, beaucoup plus tolérante à cet égard, et se sont effectivement baignés nus ; ils étaient immédiatement repris par la surveillance, mais les méthodes d'interrogatoire réussissaient à multiplier le score par 50 ; les brigadiers de service y ont eux-mêmes cru dur comme fer, si j'en juge par leur attitude à la barre quatre ans plus tard. L'autre perle : cette fois un enfant de huit ans à qui les spécialistes réussissaient à faire dire qu'il avait vu 27 chevaliers dans la cour du château, tous sur leurs chevaux, en habit vert avec une croix noire sur la poitrine, défendant l'enceinte de la secte...
Pourquoi "gourou de la pédophilie" ? Parce que le simple fait d'attribuer une finalité métapsychique à la sexualité non reproductionnelle pose inévitablement la question de la sexualité infantile. Quelle peut être la fonction des pulsions précoces du petit enfant, pulsions qui ne se comparent en rien aux pulsions génitales de l'adulte : certainement pas d'exercer le programme instinctif lié à la reproduction. D'où l'idée que ces pulsions précoces auraient pour fonction de structurer non pas l'œdipe, comme le veut la psychanalyse, mais le métapsychisme, notamment les facultés extrasensorielles. Ce qui explique que ces facultés soient extrêmement rares dans une société fondée sur l'œdipe refoulé. Sachant que les pulsions précoces sont dirigées (selon Freud) vers l'adulte, leur attribuer une fonction naturelle revient, pour ceux qui ne distinguent pas sexualité génitale et sexualité infantile, à faire l'apologie de la pédophilie... Le raccourci était trop tentant, médias et Justice ne manquèrent pas de s'y engouffrer, experts psychiatres en tête.
Sur les quelque 70 victimes listées par J.K. et Anne-Marie Casteret (plus qu'à Outreau !), seules deux accusatrices fragilisées par un dépit amoureux restèrent dans l'escarcelle : l'une apparemment sensible à la perspective d'indemnités substantielles ; elle reçut effectivement une avance de 150 000 FF de la Commission d'indemnisation quelques mois avant le procès, de quoi l'installer irréversiblement dans son faux témoignage. Une autre qui, au contraire, se rétractait un an après avoir cédé aux pressions policières et racontait comment elle avait été contrainte de parler d'un viol qui n'avait jamais existé ; sa rétractation n'y fit rien, le PV de ses premières déclarations accompagna le dossier jusqu'au bout. De même pour une accusation fantaisiste de J.K. qui avait porté plainte pour menaces de mort réitérées, afin de stimuler des enquêteurs trop passifs à son goût : cette accusation, qu'il démentait formellement au bout d'une année, figure encore aujourd'hui en tête de dossier et polarise d'emblée tout expert psychiatre, juge ou journaliste.
Ce que je retire de cette épopée, c'est qu'on court aujourd'hui le même risque à remettre en question les dogmes en vigueur, par exemple le tabou de l'œdipe, qu'en mettant en doute les dogmes de l'Église du temps de l'Inquisition. Que l'absence d'actes condamnables ne garantit aucunement contre une erreur judiciaire, vu qu'il suffit qu'un paranoïaque et une journaliste inspirent quelques faux témoignages sur base de vocation justicière pour faire éliminer l'hérétique. Que les moyens de défense censés être garantis par une justice démocratique sont totalement illusoires dans ce types d'affaires, tels la présomption d'innocence, l'enquête à charge et à décharge, le secret de l'instruction, la liberté d'expression. Que le pouvoir est en définitive détenu par les médias, car quelques scoops bien torchés suffisent à emporter l'adhésion des enquêteurs, experts, juges et jurés. Que nous vivons sans nous en apercevoir, en matière de morale sexuelle, dans un monde totalitaire où il est aussi dangereux de développer une pensée dissidente qu'en URSS sous Staline ou aux USA du temps de McCarthy.
Mon tort a certainement été d'avoir formulé publiquement et continué à défendre coûte que coûte une théorie trop éloignée du sens commun, dans l'illusion que la logique et l'honnêteté intellectuelle finiraient par l'emporter... On en verra un exemple dans le livre "Au-delà de l'oedipe ou l'erreur sexuelle de l'Occident", écrit en plein dans la tourmente médiatique et judiciaire, donné ici en pièce jointe. Ceci non pas pour faire part de ce que je pense maintenant, mais pour montrer ce que je disais haut et fort à l'époque et qui peut expliquer les réactions dont j'ai été l'objet...
Pièces jointes (1)