Un nouveau modèle d'explication de la sexualité humaine...
Freud distingue deux fonctions sexuelles indépendantes : l'une apparaissant à la puberté avec pour but la reproduction ; l'autre survenant dès la naissance, consistant à "obtenir un gain de plaisir à partir de différentes zones du corps", qu'il appelle parfois "fonction polymorphe" vu la multiplicité des zones érogènes et de ses manifestations pulsionnelles.Une partie importante de la sexualité humaine aurait donc pour finalité le plaisir. Ce postulat, qui est à la base de la psychanalyse et de tout l'actuel "dispositif de sexualité" (terme de Michel Foucault), entre en contradiction avec ce que l'on sait de tout instinct.
L'instinct alimentaire, par exemple, s'accompagne d'un plaisir, qui fonctionne comme une forme d'auto-stimulation ou d'auto-apprentissage. Mais son but se situe au-delà du plaisir et consiste à nourrir le corps. Étudier l'alimentation sous l'angle du seul plaisir conduit à un art : la gastronomie, et non à une science. Il faut en effet savoir quelle est la finalité d'un instinct pour construire un système d'explication pertinent, par exemple pour définir ce qui est sa réalisation correcte et ce qui n'en serait qu'une déviation. Vu sous cet angle, le freudisme apparaît comme une "gastronomie de la sexualité"... Voilà qui expliquerait fondamentalement pourquoi la psychanalyse s'est vu refuser le statut de science.
Le schéma "pulsion > plaisir > finalité", valable pour tout instinct, serait donc ramené, pour la fonction sexuelle non reproductionnelle, au schéma paradoxal "pulsion > plaisir > plaisir". L'évolution aurait doté l'espèce humaine d'une fonction détournant l'appareil reproducteur de son but biologique pour l’affecter à une finalité purement hédonique. Cette éventualité ne peut être écartée a priori : elle refléterait une sorte de supériorité de l'homme sur l'animal, l'être humain ayant évolué vers un accès au plaisir devenu indépendant des contraintes de survie de l'espèce.
Toutefois, les lois de l'évolution excluent l'inscription au génome d'un comportement dont l'enjeu en termes de reproduction n'induit pas une pression de sélection suffisante. Il est peu probable qu'une fonction de recherche du plaisir pour le plaisir, qui représente en soi une perte d'énergie et une exposition inutile au danger, ait été retenue par la mémoire génétique. L'argument selon lequel les plaisirs polymorphes favoriseraient indirectement la procréation est sujet à caution, sachant que la masturbation et l'homosexualité en font partie. Les faits ne confirment pas non plus l'idée d'une consolidation du couple par la jouissance, la sexualité conjugale conduisant assez systématiquement à l'adultère et à la rupture.
Quoi qu'il en soit, la question d'une finalité qui échapperait à notre forme de culture ne peut être rejetée a priori. Le schéma ci-dessus s'écrirait alors : "pulsion > plaisir > ?? ". C'est-à-dire que l'importante activité érotique qui accompagne l'ensemble de la vie humaine aurait un but indépendant de la fécondation, but qui n'aurait pas été formulé jusque-là, ou serait tombé dans l'oubli au cours des millénaires.
On trouve effectivement aux prémices de notre culture, une oeuvre philosophique riche en enseignements, qui apporte une réponse à cette question : les dialogues de Platon. Deux de ces dialogues, Le Banquet et Le Phèdre, sont consacrés au problème de l'Eros, c'est-à-dire de l'amour et de la sexualité (bien que ce dernier concept n'existait pas à l'époque en tant qu'entité spécifique). Platon nous explique qu'il existerait deux Eros : un Eros pandémien (ou vulgaire) dont le but serait le plaisir et la reproduction, et un Eros uranien (ou céleste), visant à "faire pousser les ailes de l'âme" afin qu'elle puisse accéder aux "Essences", nourriture divine devenue inacessible aux hommes depuis qu'ils ont été chassés de l'Olympe. Cette métaphore rappelle par ailleurs la Genèse : Adam et Eve sont chassés du paradis pour s'être emparés du fruit de l'arbre de la connaisance, péché dont la teneur est manifestement sexuelle (connaître signifiait aussi "avoir des relations sexuelles" : Adam "connut" sa femme).
Il est possible que Platon et la Bible nous content des balivernes (bien qu'il faille savoir les déchiffrer en termes de métaphores). Si l'amour fonctionnait de manière satisfaisante dans notre forme de culture, on pourrait s'arrêter là et se dire que "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles". Toutefois, une prise en considération objective du statut général de la sexualité, des amours adolescentes, des avortements, du mariage, de l'ennui conjugal, des divorces, des enfants déchirés, du vide relationnel au troisième âge, de la névrose (issue du refoulement sexuel), de la pornographie, de la morale répressive, du statut de l'homosexualité, des crimes commis au nom de la normalité (meurtres ou condamnations d'homosexuels), de la pédophilie, des viols, des meurtres d'enfants, inciterait plutôt Candide à affirmer que "tout est pour le plus mal dans le pire des mondes possibles".
C'est pourquoi l'on est en droit, si ce n'est en devoir, de s'interroger sur l'approche du phénomène amoureux et sexuel que nous impose notre culture rationnelle (ou qu’imposait déjà la culture judéo-chrétienne). Chacun sait que l'équation "sexualité = reproduction" ne représente qu'une petite partie de l'activité sexuelle propre à l'être humain. La clé de l'énigme pourrait se cacher précisément dans la formule lacunaire "pulsion > plaisir > ?? " propre aux pulsions dites polymorphes. Quelle pourrait donc être cette finalité mystérieuse ? Un ordre de phénomènes auquel nous aspirons sans savoir le définir ? Certainement quelque chose qui n'est pas flagrant dans notre système de valeurs, sinon, il y a longtemps que la connexion aurait été faite. Si cette finalité existe, on devrait la retrouver dans d'autres cultures, et l'on peut même s'attendre à en retrouver quelques traces dans la nôtre. Or, quelles différences majeures peut-on constater entre les cultures traditionnelles et notre culture moderne ?
Une lecture plus approfondie des textes de Platon nous apprend que les "ailes de l'âme" et les "Essences" correspondent, dans le langage plus prosaïque de Carl Gustav Jung, respectivement aux facultés métapsychiques et aux Archétypes. Nombreux sont les malentendus qui sévissent à ce propos, car les phénomènes dont il s'agit sont difficilement accessibles à l'analyse rationnelle et à l'expérimentation scientifique. Pourtant, ils faisaient partie de la vie quotidienne dans la majorité des cultures qui nous ont précédés, les cultures animistes, chamaniques, égyptienne, et même grecque. Ils représentaient une forme de communication avec la divinité (comme en témoigne le caducée du demi-dieu Hermès). Nous en retrouvons les traces dans notre monde moderne, sous forme d'expériences télépathiques, de voyance, de rêves prémonitoires, aux confins de la superstition et du charlatanisme. L'Eglise s'est efforcée de les récupérer sous l'étiquette de miracles, monopolisés par ses Saints. La parapsychologie peine à les inventorier, car ils sont inexplicables et difficilement reproductibles. Ils subissent un rejet systématique de la part des sciences et philosophies matérialistes, toutes puissantes dans notre monde de consommation.
Le rationalisme, le doute méthodique, les règles de l'objectivité représentent sans doute un énorme progrès par rapport à la scolastique, à la superstition, à la religion. Toutefois, le doute doit s'appliquer également aux valeurs admises, notamment aux dogmes positivistes et au déni généralement opposé à tout phénomène qui ne relève pas de la matière. La physique a au contraire montré à quel point le modèle matérialiste ramenant l'univers à un ensemble de particules est fragile et révisable en fonction des échelles d'observation. Certaines expériences ont établi qu'il existe un transport d'information par des voies non explicables par la physique (paradoxe EPR), de sorte qu'il serait irrationnel de nier a priori l'existence de phénomènes dépassant notre représentation du réel.
Il ne s’agit pas ici de s'appuyer sur des textes anciens pour justifier une théorie. Seule l'observation des faits et le raisonnement logique peuvent guider la réflexion et cautionner les hypothèses. Or, la comparaison entre le vécu amoureux et sexuel dans des conditions d’alimentation courante et ce qu’ils deviennent avec une alimentation « originelle » (telle que les définit l'instinctonutrition), montre que le comportement sexuel réputé normal est modifié par l'effet excitant de différentes substances psychotropes présentes dans les aliments courants. L'évitement de ces facteurs d'excitation favorise effectivement la remise en œuvre d’un "équilibre psychodynamique originel", reconnaissable à l'absence de conflits et de souffrances, et conduisant fréquemment au développement de facultés extrasensorielles.
Il est dès lors légitime de formuler le postulat suivant : la fonction amoureuse et sexuelle non reproductionnelle aurait pour finalité le développement métapsychique. Ou, plus précisément : de rendre accessible une forme d'énergie métapsychique nécessaire à la structuration métapsychique.
Quelles sont les vérifications possibles d'un tel postulat ?
1. Il doit être en accord avec toutes les données scientifiques reconnues.
2. Les idées admises qu'il contredit doivent s'avérer erronées.
3. Il doit contribuer à lever les contradictions de l'approche actuelle de la sexualité humaine (expliquer notamment le rapport entre morale répressive et névrose).
4. Il doit apporter des explications logiques aux situations de conflit ou de souffrance et aider à y remédier.
5. Il doit expliquer la rareté des manifestations extrasensorielles dans le système de valeurs actuel.
6. L'anthropologie devrait vérifier la corrélation entre la répression sexuelle et la fréquence des manifestations extrasensorielles (entre les différents types de société, et entre les différents individus).
7. Les phénomènes extrasensoriels devraient se multiplier chez les personnes qui réviseraient leur vie amoureuse en tenant compte du postulat métasexuel et des règles de comportement qui en découlent.
Mener les expériences susceptibles de confirmer ou d'infirmer ces différents points est évidemment très difficile. Les êtres humains ne se laissent pas manipuler comme des animaux de laboratoire ; la pudeur et le respect de la vie privée rendent le recueil des données particulièrement scabreux ; la morale et la législation, notamment là où elle s'opposent aux comportements naturels, constituent des obstacles difficilement surmontables.
Les observations faites au cours des trente dernières années m'ont toutefois permis d'observer de manière suffisamment régulière le rapport entre vécu amoureux polymorphe et développement métapsychique pour proposer le postulat métasexuel à une réflexion plus approfondie, en particulier dans le monde de la psychiatrie et de la psychanalyse.
Pour en savoir plus sur la structure théorique qui se met en place sur la base de ce postulat, voir en pièce jointe mon Essai sur la métapsychanalyse au regard de Freud, Jung, Reich et Lacan.
Pièces jointes (1)