Mystères de la constellation triangulaire

L'Ancien Testament nous apprend que Moïse punissait l'adultère de la peine suprême. De nos jours, il est encore passible de lapidation ou autres sévices dans bien des pays du Tiers Monde. Ces réactions viscérales sont-elles en rapport avec les pulsions meurtrières que manifestent souvent les conjoints trompés ? La relativité de la morale apparaît au regard de la position actuelle des juridictions occidentales, plutôt enclines à protéger les cocufacteurs que les cocufiés...

L'adoucissement de la législation ne nous dispense pas d'une question fondamentale : quels sont les véritables mobiles qui ont amené la société judéo-chrétienne à considérer l'adultère comme un péché capital ? Trouve-t-on l'équivalent dans d'autres sociétés ?

Une analyse historique et ethnologique resterait purement descriptive. Il faut absolument la doubler d'une analyse psychanalytique, voire métapsychanalytique, afin de comprendre l'origine inconsciente des forces qui traversent ces réactions primitives contre une pulsion millénaire. La psychologie évolutive pourrait y voir un paradoxe entre ce que les lois de l'évolution laisseraient prévoir en matière d'harmonie du vivant et la persistance de tendances manifestement défavorables à la pérennité du couple, donc à la famille et à la reproduction de l'espèce.

Première question : est-ce que l'ensemble de pulsions qui porte l'un des partenaires d'un couple à s'éprendre d'un tiers appartient à nos structures pulsionnelles naturelles, ou est-ce la conséquence d'une structuration psychique contre nature ? Est-il naturel de ressentir un amour parfois incoercible pour une personne étrangère, au risque de détruire le couple et la famille ? Ou faut-il y voir une sorte de retour à l'animal, pour lequel la quête des meilleurs spermatozoïdes est l'enjeu principal du processus reproductionnel ? Lorsqu'on ne sait comment trancher, il faut envisager les deux branches de l'alternative et en examiner les tenants et aboutissants.

Si nous considérons l'adultère comme une anomalie : il porte effectivement préjudice à l'équilibre familial, les différends entre les parents nuisent à l'équilibre psychique des enfants et laissent souvent des traces indélébiles. La grande majorité des couples passent par ce genre de crises et ne s'en remettent qu'au prix d'un renoncement et d'une accumulation de reproches incompatibles avec un amour véritable. La présence de souffrances ferait donc pencher, au nom de l'heuristique de non-souffrance, pour l'hypothèse d'une cause liée à la culture et faisant surgir des pulsions étrangères à la nature humaine. Ceci contredit toutefois le caractère universel et transculturel de la pulsion adultère qui laisserait penser qu'elle appartient à la nature humaine. Cette branche de l'alternative nous conduit donc à une contradiction, à moins qu'une explication permette de comprendre pourquoi la même anomalie survient de manière systématique dans les différentes cultures.

A contrario, la pulsion adultère pourrait être vue comme une donnée naturelle du psychisme humain. Il serait alors préférable de parler plutôt de "pulsion centrifuge" ou de "pulsion tierce", afin d'éviter le poids d'une morale millénaire peu favorable au raisonnement. Il reste alors à lui trouver une fonction, sachant que tout instinct a en principe une finalité utile à l'individu ou à l'espèce. Il pourrait s'agir d'une caractéristique héritée du monde animal, favorisant la diffusion des meilleurs spermatozoïdes. Aucune conjoint ne devrait donc s'éprendre d'un tiers génétiquement défavorisé. Il existe effectivement une fascination de la femme pour un corps mâle puissant et bien musclé, et l'homme lui-même est sensible aux rondeurs des fesses et des cuisses féminines, réserve de protéines utile au développement du foetus. Cette explication se heurte pourtant à un obstacle majeur : chez l'animal, les pulsions d'accouplement qui entrent en lice dans ce genre de situations s'évanouissent rapidement après transmission des spermatozoïdes, alors que chez l'homme, elles se manifestent par un attachement durable et hautement chargé d'émotion.

Les deux explications restent peu satisfaisantes et nous renvoient à une autre hypothèse : plutôt que de spéculer sur le caractère naturel ou culturel de la pulsions adultère, nous pourrions nous demander si notre représentation des choses de l'amour n'est pas en soi défectueuse. La comparaison que l'on a tendance à faire entre sexualité humaine et sexualité animale, justifiée par l'hypothèse d'une filiation conduisant de l'animal à l'homme et condensée dans l'équation < sexe = procréation > n'est pas nécessairement pertinente. Elle semble vraie chez l'animal, qui n'a des pulsions sexuelles importantes qu'en période de rut, mais ne s'applique manifestement pas chez l'être humain. Selon Frans de Waal, les comportements sexuels des bonobos, les primates génétiquement les plus proches de nous, ne visent pas à la reproduction, mais à la réconciliation en cas de conflits. Il se pourrait, chez l'être humain, que la pulsion centrifuge fasse partie d'une fonction érotique indépendante de la reproduction et dépassant de loin la réconciliation ou la simple unification du couple ou du groupe (tout comme le langage humain dépasse de loin les cris de nos cousins poilus).

Or, une dizaine d'années d'observation de vie de groupe, dans des conditions de fonctionnement particulières de l'organisme assurées par une alimentation aussi proche que possible de l'alimentation primitive, a permis de formuler un postulat assez inattendu : le postulat "métasexuel", selon lequel les pulsions non reproductionnelles auraient pour but le développement de la perception extrasensorielle.

La pulsion adultère pourrait alors appartenir soit à la fonction reproductionnelle et appartiendrait alors à cette fonction non reproductionnelle et s'expliquerait par le besoin ressenti de trouver une source extérieure d'énergie métapsychique au moment où le couple bat de l'aile. Les pulsions agressives qu'elle génère dans les conditions ordinaires proviendrait du fait qu'au lieu de la vivre sur le plan subtil de cette forme d'amour, elle "dérape" au niveau reproductionnel, exacerbant les pulsions de rivalité et de possessivité appartenant à la sexualité animale et provoquant une explosion de pulsions excalibur. Ce glissement explique d'ailleurs non seulement le caractère conflictuel des pulsions centrifuges, mais de nombreux comportements sexuels, comme tente de le décrire l'analyse transpulsionnelle, exposée dans l'opuscule "Essai sur la métapsychanalyse au regard de Freud, Jung, Reich et Lacan".

Reste à voir comment les différentes pulsions amoureuses s'organisent dans la constellation triangulaire. Quelles sont les lois naturelles qui permettent à ce type de relation complexe de se dérouler dans l'harmonie, condition nécessaire si l'on veut qu'elle assure sa fonction subtile de source d'énergie métapsychique ?

La plus grande surprise que me réservait ma propre expérience, c'est la capacité de la pulsion de Jalousie de basculer dans ce que l'on peut considérer comme son inverse : l'amour de l'amour. La première réaction, lorsqu'une personne aimée tombe amoureuse d'un tiers, c'est bien sûr un grosse douleur dans la poitrine, faite de peur de la perdre, de sentiments d'injustice, de méfiance face au tiers, voire de fantasmes de meurtre visant à faire disparaître le rival. Il y a peu de douleurs aussi prégnantes que celle de la jalousie, et celle-ci figure à la panoplie des sentiments réputés humains. La légalisation des crimes passionnels témoigne de sa pérennité dans les cultures judéo-chrétiennes. Il était normal, il y a encore peu, et c'est encore le cas dans certains pays islamiques, de lapider la femme adultère.

Or, l'expérience, vérifiée maintenant de nombreuses fois et sur de nombreux individus, a montré que la jalousie est une sorte de pulsion basculante, prête à s'inverser sous réserve des conditions suivantes :

  • absence d'accrochage, c'est-à-dire le niveau naturel d'excitabilité des différentes pulsions, tel qu'on peut le retrouver en évitant les substances excitantes présentes dans l'alimentation traditionnelle et ses à-côtés.
  • moi normalement constitué, non parasité par les hypertrophies de l'ego caractéristiques de notre type de culture.
  • capacité d'empathie naturelle, permettant de se mettre spontanément à la place des autres
  • vécu amoureux assez riche afin d'éviter tout sentiment latent de frustration et toute forme de compulsion
  • accès naturel au métapsychique assurant d'une part un niveau suffisamment élevé de la vie sexuelle et la disponibilité des facultés extrasensorielles (éventuellement par l'intermédiaire d'un sensitif extérieur).
  • respect de l'ancienne relation et patience face à la réalisation physique dans la nouvelle relation, de manière que le "tiers lésé" parvienne à la porter, c'est-à-dire à la ressentir comme à la fois un don et une source d'énergie.

Lorsque ces conditions sont réalisées, la douleur inhérente à la jalousie se commue assez facilement en "amour de l'amour", c'est-à-dire en un sentiment de bonheur incommensurable face à la relation nouvelle, caractéristique de la fonction sexuelle non reproductionnelle (ou PIM). Il faut le plus souvent, surtout dans la période de découverte, un certain travail intérieur afin de dépasser les sentiments d'abandon, de frustration, de rivalité, d'agressivité. Il faut se libérer des schémas de comportement propres à notre culture et retrouver les expressions naturelles des pulsions innées. Lorsque cela se réalise, le partenaire qui pourrait se sentir abandonné finit par ressentir de l'amour pour le tiers, puis découvre que cet amour a pour objet non pas une nouvelle personne, mais l'amour qui circule entre les deux autres protagonistes. Le tiers en ressent de même pour celui dont il pourrait se sentir le rival, et finalement, les trois partenaires "s'aiment les uns les autres", ils sont transportés par l'amour qui circule à l'intérieur de la constellation triangulaire et finit par rayonner à l'extérieur.

Les faits montrent que c'est parfaitement possible, au moins dans un contexte alimentaire évitant un excès d'excitabilité des pulsions "inférieures", telles la possessivité, la rivalité, la haine. Celles-ci font place à une sorte de félicité liée à l'amour du prochain. Au lieu d’aimer l’autre en tant que personne et d’investir dans l’attachement, avec ses corollaires de blessures et de souffrances potentielles, l’amour est perçu comme une forme d’accès à une dimension transcendante. Tout se passe comme s’il constituait une source d’énergie métapsychique permettant de transformer l’être en profondeur et de dépasser les contingences égotiques liées aux exigences du contexte matériel et social ordinaire. Le tiers est dès lors ressenti comme une source d’énergie supplémentaire, de sorte que la notion même de jalousie perd sa substance.

L’hypothèse de l’énergie métapsychique a été confirmée par de nombreuses observations : les facultés extrasensorielles se développent le plus souvent au sein ou au contact de constellations triangulaires bien épanouies, parfois au moment où surviennent certaines difficultés demandant à être dépassées. Les archétypes qui sont alors mis à disposition permettent de dépasser l’ego, de comprendre les causes des souffrances potentielles et d’éviter de cristalliser des blessures irréversibles. Au bout du compte, il semble que la constellation triangulaire peut être considérée comme la clé de cette forme d’amour transcendante, ou fonction métasexuelle, voie naturelle vers le développement métapsychique et l’accomplissement spirituel authentique.