Tant de choses ont été dites autour de l’ego et du moi, par les philosophes, les psychologues, les spiritualistes, les métaphysiciens, qu’il vaut finalement mieux s’en tenir à la simple linguistique. La psychanalyse ne distingue guère les deux notions. La métapsychanalyse, quant à elle, met en cause des processus psychiques et métapsychiques que les autres approches ne prennent pas en compte. Nous tenterons donc de donner une définition de ces instances qui tienne compte à la fois du langage - donc du sens commun, de la psychanalyse, et des spécificités de la métapsychanalyse.
On dit par exemple : c’est « moi » qui parle, c’est « moi » qui fais, c'est « moi » qui souffre, etc. Nous appellerons donc « moi » l’instance psychique qui s’exprime en disant « je », ou « moi je ». A ce niveau, l’introspection suffit pour mettre tout le monde d’accord. Lorsque quelqu’un tient ce langage, nous savons exactement ce qu’il entend pour avoir vécu la même situation intérieure. Il est par ailleurs parfaitement normal et utile au groupe que l’individu s’exprime et se pense en disant « Je suis un tel », « je fais telle chose », « je sais ou j’ignore tel fait » etc.
La notion d’ego évoque en revanche celles d’égoïsme et d’égocentrisme. Nous utiliserons donc « ego » pour désigner un aspect du psychisme, sans doute très proche du « moi », mais caractérisant un fonctionnement psychique où l’individu s’oppose aux autres, agresse ou s'auto-détruit, se coupe de la communauté, se prend pour le centre du monde, exige plus qu’il ne mérite, s’approprie ce qui ne lui revient pas, ne partage pas, s’autorise ce qui nuit aux autres ou ce qui lui nuit à lui-même.
On constate immédiatement que deux personnes dont le moi obéit à la première formule peuvent s’entendre sans problème particulier, alors que deux personnes parlant ou agissant au nom de leur ego sont conduites à s’opposer, se dévaloriser, se spolier, se nuire mutuellement. L'ego engendre donc une forme de relation qui pénalise toute vie communautaire (à commencer par la relation de couple), et pénalise finalement l'individu lui-même.
En d’autres termes, le moi assure l’harmonie, alors que l’ego entraîne la souffrance. Il y a donc lieu, dans la ligne de l’heuristique « erreur ↔ souffrance », de se demander si l’ego ne relève pas d’une structuration psychique contre nature. Ce qui présuppose que les modalités de l’éducation ou de la période précoce de développement se sont écartées des lois naturelles et n’ont pas permis de structurer un moi conforme à ce que devrait être la nature humaine.
Bien sûr, les fatalistes diront que l’égoïsme ou l’égocentrisme sont innés, et que seule une éducation appropriée permet de les juguler. Le « philosophiquement correct » veut que l’on se moque d’un Jean-Jacques Rousseau lorsqu’il affirme que l’homme est bon par nature et que seule la société le rend mauvais. Une telle attitude exclut pourtant a priori la découverte de facteurs susceptibles d'expliquer les distorsions du fonctionnement psychique. Elle exclut la possibilité de corriger dans un second temps les principes d’éducation ou autres données de l’environnement précoce qui condamnent nos enfants à hériter les mêmes distorsions. Elle est donc fondamentalement stérile. Voyons quelles sont les perspectives que peut ouvrir la métapsychanalyse.
Un premier facteur, déterminant pour la structuration psychique, remonte à la toute petite enfance, à la période où se forme le moi. Comme l’enseigne la psychanalyse, cette instance naît à partir des différends qui peuvent survenir entre les pulsions du ça et les données de la réalité. L’enfant, par exemple, a envie d’un bonbon, ou d’un jouet, sa mère le lui refuse, il apprend ainsi à patienter, à reconnaître l’autorité, à restreindre ses désirs. De même si sa mère est d’accord mais la bonbonnière vide ou le jouet perdu. La manière dont se produit cet apprentissage s’inscrit progressivement dans son psychisme et déterminera son comportement futur chaque fois qu’un besoin se heurtera à des limites imposées par l’environnement social ou matériel.
On voit immédiatement qu’il faut un certain équilibre entre les situations où le désir se réalise et celles où il ne se réalise pas. Des privations excessives conduiront à un repli de l’enfant sur lui-même, il apprendra à sucer son pouce plutôt que d’aller vers les autres pour satisfaire ses besoins, quitte à se découvrir anormalement possessif le jour où il trouvera le moyen de les satisfaire. Des satisfactions systématiques l’installeront au contraire dans l’illusion d’avoir tous les droits, dans le mépris des autres et dans la tendance à l’agressivité en cas de frustration. Dans les deux cas, le moi ne se construit pas correctement et laisse place à ce qui apparaîtra plus tard sous forme d’ego, avec tendance soit à la fermeture soit à l’envahissement.
Or, cet apprentissage est influencé par la nature des aliments. La perception des saveurs varie avec les aliments consommés sous leur forme naturelle, alors qu’elle reste beaucoup plus constante avec les aliments préparés (cuits, assaisonnés, mélangés, etc.). L’enfant qui dispose de fruits et autres produits naturels se heurte donc plus souvent à des saveurs passant de l’agréable au désagréable. L’ananas dont il se délecte peut devenir piquant en cours de consommation ; la fraise qu’il réclame en se souvenant de l’arôme qu’elle avait la veille lui paraîtra soudain âcre et peu sucrée, la carotte un jour délicieuse se fera rébarbative, de sorte qu’il apprendra que sa recherche de plaisir n’aboutit pas forcément. Ces expériences gustatives sont très prégnantes du fait que la zone orale est particulièrement active dans la période précoce (l’enfant apprend à connaître le monde par la bouche), d’autre part parce que le plaisir alimentaire est en rapport avec l’instinct de survie, donc avec les angoisses de mort qui se situent au plus profond du psychisme.
L’équilibre naturel des expériences de plaisir et de déplaisir est pour ainsi dire renversé si l’on donne à l’enfant des aliments préparés : sa bouillie agréablement sucrée ne devient jamais âcre ou piquante, de sorte que l’enfant apprend à lui coller l’étiquette « goût de bouillie ». Le bonbon à la fraise a toujours le goût de bonbon à la fraise, jamais il ne vire au désagréable : le goût du bonbon peut donc devenir un concept inconditionnel. De même s’il déteste la saveur des épinards, elle lui paraîtra toujours aussi détestable. De manière plus générale, c’est la représentation du plaisir en tant que prolongement garanti du désir qui s’installe dans le moi. On peut y voir l’origine des tendances paranoïdes, caractéristiques de l’ego, inexistantes dans le contexte naturel.
Pour approfondir cette brève démonstration, vous pouvez visiter la page « Alliesthésie et paranoïa » du site « INSTINCTOTHERAPIE ».
Une deuxième période sensible joue un rôle clé dans l'organisation des structures psychiques : celle que les psychanalystes appellent l’œdipe. L’enfant semble éprouver des pulsions amoureuses, plus ou moins sexualisées, dirigées d’abord vers sa mère. Il souffre alors de voir la mère refuser ses avances au profit de celles du père, qu’il perçoit comme un rival. Cette rivalité conditionne sa structuration psychique sur un mode ambivalent de possessivité et de haine du tiers, déterminant ses comportements une fois arrivé à l’âge adulte. Ce schéma simplifié, calqué sur le freudisme, est remis en cause par la métapsychanalyse, car il ne tient pas compte de la finalité métapsychique des pulsions amoureuses et sexuelles non reproductionnelles.
Toujours est-il qu’un manque affectif précoce et un apprentissage de la rivalité conduisent vers une structuration psychique dominée par l’ego : s’opposer à l’autre, souffrir de ses succès, vouloir posséder l’objet d’amour pour compenser la frustration, ou se replier sur soi, ce sont là des caractéristiques qui perturberont la relation au tiers et jetteront les bases d’un isolement social, d’une incompréhension réciproque, d'une distorsion de la perception du don et de la propriété, d’un manque d’empathie et autres causes de conflits et de souffrances.
Une remarque s’impose : la situation précoce de l’œdipe, découlant directement de notre morale judéo-chrétienne, n’est vraisemblablement pas une situation naturelle. Dans de nombreuses sociétés primitives, l’enfant était extrêmement libre, rien ne l’empêchait de s’approcher de l’adulte de son choix, de sorte qu’il n’éprouvait pas les mêmes frustrations. C'était encore assez largement le cas en France jusqu'au XVIIIe siècle (voir par exemple la Chronique d'Heroard, médecin de la cour qui décrivait heure par heure l'enfance de Louis XIII). Même au-delà des origines de l’humanité, chez les bonobos, primates génétiquement les plus proches de l’homme, les relations « érotiques » sont étonnamment fréquentes et dénuées de complexes, qu’elles soient hétérosexuelles, homosexuelles ou intergénérationnelles. Pour en savoir plus, voir l'Essai sur la métapsychanalyse au regard de Freud, Jung, Reich et Lacan.
On peut donc supposer, en dehors de toute considération morale, que les schémas de comportement propres à notre société, aussi bien sur le plan alimentaire que sexuel, génèrent des situations d’apprentissage contre nature, expliquant la production d’un ego démesuré marqué par des tendances à la fois paranoïaques et névrotiques, avec les souffrances qui en résultent. Notons que l'ego apparaît à cet égard comme un moyen de défense contre des contraintes environnementales trop éloignées des exigences pulsionnelles telles qu'elles sont programmées génétiquement : la tendance paranoïaque est une manière d'interroger la réalité ou de la fantasmer telle qu'elle devrait être ; la tendance névrotique représente un tentative de vivre les pulsions refoulées par le biais de divers expédients. Les deux aspects ont malheureusement ceci de commun qu'ils compromettent le fonctionnement subtil des pulsions amoureuses et sexuelles non reproductionnelles et les font échouer quant à leur but métapsychique. De sorte que la "lutte contre l'ego" apparaît comme un préalable à la réhabilitation de cette fonction primordiale.
La métapsychanalyse permet de corriger au moins partiellement les structures psychiques de l’adulte, notamment en réhabilitant des situations relationnelles plus proches de la nature. La situation œdipienne est triangulaire, de sorte qu’en traitant les pulsions adultères, inévitables dans toute histoire d’amour, non pas sur le mode de l’exclusion du tiers, mais sur un mode inclusif, il est possible de revivre entre adultes le modèle relationnel qui aurait permis une structuration correcte du moi. D’où résorption spontanée du traumatisme œdipien, et développement des facultés métapsychiques.
Une hygiène alimentaire elle aussi plus proche de la nature assure par ailleurs un apprentissage a posteriori de l’alliesthésie gustative, amenant l’individu à ressentir la position de désir comme incertaine, et le plaisir comme une récompense à une position d’interrogation et d’ouverture, à l’opposé du fonctionnement paranoïde.
En d’autres termes, la métapsychanalyse est une forme de thérapie du moi, voire : le traitement naturel par excellence contre l’ego…