Une autre perception du temps

L'une des grandes questions de la métaphysique est celle de la nature du temps. Qu'est-ce donc que le temps ? Faut-il distinguer un temps biologique et un temps matériel ? Un temps subjectif et un temps objectif ? Pourquoi notre existence s'inscrit-elle dans le temps et, subsidiairement, se trouve-t-elle limitée par le temps ? Ce qui nous renvoie au problème de la mort et de la futilité des choses de ce monde...

Nous devons accepter l'idée que le temps existe, aussi bien que l'espace, dans la mesure où nous pouvons décrire les phénomènes en fonction de leur emplacement et de leur instant. Quels que soient les discours des métaphysiciens, deux horloges à quartz situées à des endroits différents indiquent les mêmes durées avec une précision extrême. Une exception à cette règle apparaît pourtant lorsqu'une de ces horloges se déplace à très grande vitesse : lorsqu'elle revient à son point de départ, elle est en retard sur les horloges restées immobiles, conformément à la théorie de la relativité d'Einstein. Prévu bien avant le règne des fusées, ce phénomène s'est aujourd'hui abondamment vérifié.

0n est donc en droit de parler d'un temps objectif dans lequel s'inscrivent les phénomènes matériels. Le nier rendrait simplement impossible la description de ces phénomènes.

La perception que nous avons du temps est en revanche un phénomène subjectif. Un même nombre de minutes s'écoulant à l'horloge peut être ressenti comme beaucoup plus court ou plus long suivant l'état psychique de l'individu. Cinq minutes passées à attendre un bus qui ne vient pas paraissent plus longues que le même nombre de minutes passées dans le bus pendant qu'il roule. S'il tombe en panne, le temps se rallonge à nouveau. Lire un journal fait que les même cinq minutes passent comme l'éclair. Un mois de prison pendant lequel on ne fait qu'attendre de retrouver la liberté est interminable, alors que le même mois passé à étudier un sujet passionnant laisse l'impression de n'avoir duré que quelques jours. On peut définir une position psychique d'attente, et une position psychique d'activité, dans lesquelles le ressenti du temps matériel n'est pas le même.

La perception du temps dépend donc de l'état de conscience. Mais les choses vont beaucoup plus loin. Dans l'état de conscience ordinaire, par exemple pendant qu'on pense à une action, à ce qu'on fait sur le moment, à ce qu'on fera le lendemain, ou à ce qu'on a fait par le passé, on se sent effectivement tributaire du temps qui s'écoule. De même lorsqu'on cherche la solution d'un problème, ou l'explication d'un phénomène : chaque fois qu'on se place dans une position où le mental dirige l'esprit, avec à la clé la relation de cause à effet (fondamentale pour toute explication), qui s'inscrit elle-même dans le temps (la cause devant précéder l'effet), nous éprouvons une sensation du temps qui s'écoule, d'un temps qui sous-tend aussi bien l'attente de l'explication souhaitée, que l'explication du phénomène lui-même et la description de ses manifestations.

Il existe pourtant une autre perception possible du temps : à condition de centrer la conscience non pas sur le mental et l'analyse comme il est coutume de le faire, mais au niveau de ce que l'on pourrait appeler le centre de la respiration, ou le plexus solaire dans un langage plus ésotérique. Ce positionnement, moins habituel dans notre forme de culture où l'on enseigne la position analytique aux enfants dès le plus jeune âge, exige des conditions plus difficiles à réaliser : il faut désinvestir le mental, laisser tomber les angoisses et les regrets, accepter sa propre existence et ses aléas sans invoquer ni les causes ni les remèdes. Le centre de gravité de la conscience doit abandonner le cortex et ses intellectualisations, même le cœur et ses sentiments, pour s'épanouir dans une sorte d'abandon caractéristique de la position métapsychique. L'électroencéphalogramme passe du rythme bêta au rythme alpha, caractéristique des états de méditation. Gageons que les animaux, notamment les primates, jouissent de cet type de perception du temps : ils ne se préoccupent pas de chercher des explications, mais vivent vraisemblablement dans le présent. On pourrait donc poser que cet état est a priori l'état naturel, et que certains facteurs, que le métapsychanalyse tente d'identifier, le font perdre au profit d'un état plus mental, qui ne devrait pas forcément occuper une place dominante.

C'est précisément dans cet état de conscience plus subtil que l'amour et son expression physique parviennent à atteindre ce que la métapsychanalyse postule comme étant leur but naturel, à savoir le développement des facultés métapsychiques. Ces facultés permettent de transcender l'espace et le temps, par exemple par les visions et les précognitions. L'état de conscience qui leur est favorable transforme la perception du temps : l'allégeance à l'axe "passé-présent-futur" fait place à une sorte d'expansion dans un "présent-éternité" qui efface immédiatement les soucis, les angoisses, les regrets, les reproches, les ressentiments, les attentes, les impatiences, les ennuis (et l'ennui en soi), le sentiment du vide de l'existence, la peur de la mort. La vie est soudain pleine, une sorte de béatitude efface toutes les aspérités. Aux tensions et aux conflits se substituent spontanément la tolérance, l'ouverture, la quiétude, la confiance dans l'avenir ou dans le devenir, une sensation de vie éternelle transcendant les lois de la biologie et les aléas du quotidien. L'esclavage de l'avoir fait place à la plénitude de l'être. Afin d'illustrer cette réalité, voyez la pièce jointe extraite d'un roman inédit "Terriens d'Outre-espace".

Les souffrances et les frustrations sont intrinsèquement liées à l'état de conscience ordinaire. Elles s'effacent comme par miracle dans cet état de conscience métapsychique. En fait, plusieurs mécanismes sont à l'œuvre :

  1. Toute souffrance ou toute frustration induit une recherche de ses causes. Cette position de recherche active le mental et l'état de conscience dans lequel se ressent la souffrance. Cet automatisme est cohérent, vu que le maintien de l'état de souffrance stimule la recherche de ses causes. Il existe pourtant une autre voie pour découvrir les causes d'une souffrance : la voie métapsychique, qui passe par l'intuition ou par l'extrasensoriel (notamment par les rêves ou les visions). Passer par cette voie permet de se libérer de la souffrance avant d'avoir formulé ses causes, tout en les découvrant plus rapidement que par la voie purement intellectuelle. La question est dès lors de savoir pourquoi cette voie est barrée pour la majorité des individus : la métapsychanalyse permet de l'expliquer à partir des dysfonctionnements de la sexualité caractéristiques de notre forme de culture.
  2. Un facteur actuellement inconnu de la science aggrave singulièrement cette situation : la tendance paranoïde qui s'installe sous l'effet de l'échec des expériences précoces de l'alliesthésie alimentaire incite l'individu à surinvestir la représentation de ses désirs, projetés dans le futur, ou de ses regrets, rapportés au passé. Ces surinvestissements, permanents car liés aux structures psychiques, ont pour conséquence un assujettissement anormalement important à l'axe passé-présent-futur et, par contrecoup, une difficulté majeure à investir l'axe présent-éternité. Au point que ce dernier est devenu la chasse gardée de toutes sortes d'ésotérismes ou de techniques de méditation. Il constitue en réalité la position psychique normale, qui ne devrait être interrompue qu'occasionnellement lorsqu'une difficulté demande un investigation de type intellectuel.
  3. L'accrochage joue aussi un rôle majeur. Aujourd'hui repris sous le nom d'automatismes mentaux, la tendance à tourner en rond dans les pensées donne au mental une place prédominante qui n'a rien de naturel. Les pensées liées à des souffrances ou des frustrations envahissent le champ de conscience et font constamment glisser l'esprit dans le mental et du même coup la perception du temps dans le mode passé-présent-futur. Il est extrêmement difficile, aussi longtemps que l'accrochage dépasse certaines limites (comme il le fait sous l'effet de l'alimentation courante, notamment à cause du gluten des céréales) de retrouver l'ouverture de la conscience au métapsychique.
  4. Un quatrième facteur rend cette ouverture encore plus improbable : la répression du PIM dès la petite enfance cristallise dans les structures psychiques un taux d'angoisse et de frustration à la hauteur de ce que représente l'échec métapsychique dont elle est la cause. Ces angoisses une fois cristallisées induisent en permanence une position de recherche des causes de frustration qui active sans relâche la perception du temps sur le mode passé-présent-futur.

Il est donc possible de considérer la perception ordinaire du temps comme le symptôme d'un cercle vicieux à plusieurs étages, dont les points de départ sont l'art culinaire et la morale sexuelle.

De manière plus générale, toute dérogation aux lois naturelles du comportement induit un cercle vicieux : déroger aux lois naturelles a par définition pour conséquence une souffrance (sachant que ces lois décrivent les comportements qui assurent l'harmonie du vivant). La souffrance déclenche un réflexe de recherche des causes qui active le mental. Normalement, le mental devrait servir à simplement formuler les intuitions fournées par le métapsychique (intuition et facultés extrasensorielles). Lorsque le métapsychique ne fonctionne pas comme le voudrait la nature, le positionnement dans le mental se prolonge tout en activant la perception du temps sur le mode passé-présent-futur. On peut donc dire que toute dérogation aux lois naturelles a pour conséquence la perte de la perception naturelle du temps sur le mode présent-éternité, et avec cette perte, le souci de l'avenir et la peur de la mort.

L'expérience montre qu'il est possible de désamorcer ce cercle vicieux en obéissant aux lois naturelles, notamment sur le plan alimentaire et sur celui de la relation amoureuse, moyennant un minimum de travail sur soi. Ce qui revient à dire qu'il faut commencer par préférer la nature à la culture, ou définir une culture qui soit respectueuse de la nature. Il est vrai que notre culture, largement contraire à la nature, s'inscrit profondément dans le temps, à travers la science (recherche d'explications), les frustrations, les promesses de bonheur matériel, les regrets, les insatisfactions, la consommation et autres manifestations de la névrose et de la psychose ambiantes. Elle n'est toutefois qu'un moment de l'histoire (un mauvais moment par surcroît) alors que les lois naturelles sont éternelles...