Sur la départementale qui relie Mont-de-Marsan à Villeneuve se trouve à mi-chemin, blotti au fond d'une cuvette naturelle, le village de Bougue, semblable à tant de villages des alentours. Mais ce n'est qu'une apparence bien trompeuse car ses traits de modestie cachent en réalité une longue période historique très riche et mouvementée,
Faisons un bond prodigieux de 7000 ans en arrière.
Sur la rive droite du Midou, en face du plateau de Castets, qui domine le village de Bougue, nous trouvons de nombreux tessons de poteries très grossières et des silex remis au jour à l'occasion de labours : ainsi une très belle pointe de flèche à ailerons et pédoncules de la période chalcolithique (5000 à 3000 ans avant J.-C.) nous permet d'apprécier l'adresse des hommes qui vivaient dans ce secteur durant cette époque. La densité des trouvailles laisse d'ailleurs supposer leur installation prolongée sur plusieurs millénaires.
En face, sur la rive gauche du Midou, en bas du plateau de Castets, la grotte du loup, véritable abri sous roche, ne semble pas avoir été habitée : aucune trace de silex et de faune n'ayant été relevée à l'intérieur comme à l'extérieur. A l'époque du bronze, pour des besoins de sécurité, les habitants fortifièrent le site naturel de Castets : le premier village digne de ce nom était né, bien protégé sur le plateau qui forme un éperon barré au confluent du Midou et du Ludon. Il était défendu sur les trois côtés par des falaises escarpées qui dominent le Midou de près de quarante mètres et par un fossé profond et large d'une dizaine de mètres.
En effet, sur ce plateau ainsi défendu, se dresse à vingt mètres de hauteur, un très beau camp elliptique orienté nord-sud, d'une superficie d'un hectare, avec les fossés et les remblais encore bien dessinés : il s'agissait du camp principal qui devait servir de refuge ultime à la population. Du côté ouest, un poste avancé protégeait la pointe de l'éperon. D'après les informations recueillies en surface sur le terrain, et la position stratégique du plateau de Castets, on peut supposer, sans se tromper, que le site fut occupé continuellement.
Il semble que le nom de Bougue vienne du nom d'une tribu gauloise (les boïens) qui peupla le pays vers 800 ans avant J.-C. : quand on écrit que la racine Boïs signifie terrible, le doute n'est plus permis.
De l'époque romaine, la seule trace subsistante est celle d'un trésor monétaire trouvé à proximité du village à la suite de l'ouragan de 1976 : il était constitué de près de 12000 pièces datées de la deuxième moitié du 3ème siècle, frappées sous les empereurs, Tetricus (ex-préfet d'Aquitaine), Gallien, Claude II, Postume et Valérien. Il est probable que le propriétaire d'une villa gallo-romaine des alentours ait voulu préserver sa fortune lors de la première invasion Alamane et Franque en Aquitaine (vers 270 à 275 après J.C.)
Il existe bien la célèbre villa gallo-romaine de Saint-Cricq, à moins de 5 kilomètres du village de Bougue, mais il faut sûrement chercher plus près : en effet le hameau de Meignos, au sud de Bougue, tire peut-être son nom d'Arborius Magnus dont la famille vivait dans la région et qui fut un ami d'Eusèbe, évêque de Césarée en Palestine (267 à 340 après J.C.). D'ailleurs un lieu-dit "Meignos", près de Saint-Sever, révèle des traces d'habitation gallo-romaine.
Après une période d'obscurité relative aux différentes invasions, il faut attendre le 10ème ou le 11ème siècle pour voir apparaître les premiers donjons de bois et de terre souvent construits sur des mottes. Ainsi, au sud de Bougue, une colline fut avivée à mains d'hommes et on y dressa un donjon en bois pour l'habitation des premiers seigneurs. Tout autour s'étendait la basse-cour défendue par une enceinte composée d'un fossé, d'un talus et de palissades. Une partie des levées de terre a été détruite lors de la construction de la voie ferrée, vers la fin du 19ème siècle.
Le village durant les guerres de religion.
Après les périodes d'obscurité relatives aux différentes invasions, le village de Bougue va maintenant s'installer à son emplacement actuel.
En 1116, Guillaume VIII duc d'Aquitaine, accorde à l'abbé de la Sauve-Majeure, le droit de Sauveté au bourg de Bougue : il donne aux religieux de la Sauve-Majeure, Bougue et toutes ses dépendances, qui deviennent une Sauveté.
Lors des conflits entre seigneurs, qui devaient être très fréquents, toute personne qui avait la chance de se réfugier dans le périmètre de la Sauveté, délimitée par quatre bornes de pierre, avait la vie sauve ! La prospérité du village de Bougue était faite, et il est probable que le village s'installa à cette époque timidement à son emplacement actuel.
En 1234, Bougue fut pourvu d'un prieuré par Auger, évêque d'Aire, et l'abbé de Sainte-Quitterie du Mas : il portait le nom de Saint-Candide et étendait ses possessions sur les paroisses ou les terres de Réaux, Canenx, Artes, Muret, Maillères, Bélis etc... Il était célèbre pour les reliques de Saint-Candide.
La paroisse était alors partagée entre deux seigneuries : celle d'Agos où l'on trouve encore des vestiges d'un ancien château médiéval et celle de Meignos.
La maison forte d'Agos, aujourd'hui ruinée, fut bâtie par Arnaud Loup de la Broquère (13ème siècle), sur la rive droite du Midou. Sur le devant et faisant façade, un mur épais et plat protégeait l'édifice et le dominait. Sur le côté nord s'élevait une tour avec des meurtrières.
L'église d'Agos, aujourd'hui disparue, dédiée à Saint-Martin est signalée sur une carte du 17ème siècle. Vers le milieu du 19ème, on a découvert une fosse, où se trouvaient entassés des ossements humains, et qui ne devait pas être très éloignée de l'église, dont l'emplacement a été repéré récemment. En 1275, sur ordre d'Edouard roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, le Sénéchal de Gascogne Luc de Tanney, entreprend l'édification de la bastide fortifiée de Castetcrabe.
L'ancienne seigneurie de Meignos, située au sud du village, appartenait à l'illustre famille de Ferbaux. On trouve en 1572 Imberton de Ferbaux enrôlé dans les troupes catholiques sous Montluc.
Lors des guerres de religion et particulièrement en 1569, Bougue a beaucoup souffert : pillages, meurtres de prêtres se sont succédés. Durant cette période, des habitants de la commune ont été contraints de se rendre à Eauze et Manciet pour y combler les fossés et démolir les fortifications. Leur retour dans le village donna le nom à un quartier toujours dénommé Eauze et Manciet.
Ces périodes de troubles amenèrent leur cortège de famine et d'épidémies : une épidémie particulièrement dure décima les deux communes voisines de Bougue et de Laglorieuse. Le clergé de l'époque organisa une procession à l'occasion des fêtes des saints patrons du village (Saint-Candide officier de la légion thébaine et Saint-Clair évêque martyr) afin d'attirer la bénédiction du ciel. Cette cérémonie religieuse qui faisait se rejoindre les fidèles des deux paroisses, s'est perpétuée jusqu'au milieu du 20ème siècle.
Au début du 19ème siècle, il y avait six moulins en activité. Le moulin d'Agos appartenait à Jean Lague dont les héritiers ont assuré longtemps l'exploitation. Dernièrement le dernier moulin en activité, celui de M. Fondeviole, s'est à son tour arrêté. Fondé en 1844, de type artisanal, il utilisait encore partiellement la force hydraulique du ruisseau de Garbey. Sa capacité était de 50 quintaux de blé par jour.
A l'entrée du village coule la fontaine de Saint Clair. Jusqu'au début du 20ème siècle, le premier dimanche de juin qui coïncidait avec la fête patronale du village, les visiteurs affluaient venant de l'extrémité du département pour boire l'eau qui, entre autres vertus, passait pour soulager les maux des yeux.
La commune possédait, en 1830, une superficie de 200 hectares, mais elle fut obligée de vendre la totalité de ses biens pour agrandir l'église devenue trop petite pour une population de 700 habitants. Son clocher fortifié date de l'église primitive du début du 11ème dédié à St Candide. Les murs, à leur base et dans les angles, atteignent une épaisseur d'environ 3 mètres ; sur la façade d'entrée, à mi-hauteur, on peut également voir une série de modillons en pierre, ainsi qu'un cadran solaire très original. Un escalier à vis conduit sur la voûte du clocher. Comme la vieille église ne formait qu'un corps de bâtiment avec le presbytère, il est probable que cet escalier servait aux religieux pour se rendre aux offices.
Dans le clocher sont installées deux cloches du milieu du 19ème siècle ; elles n'ont pour toutes inscription que leurs noms de baptême avec celui du parrain et de la marraine, du curé de la paroisse et de l'ouvrier qui les a réalisées.
Des colonnes torses jadis dorées, issues du vieux retable de l'église primitive soutiennent la porte d'entrée latérale. (Le clocher et les colonnes ont été classés en Mai 1997 par les monuments historiques).
Fin 19ème, Bougue connaît une mini révolution avec la construction du chemin de fer et la création d'une gare. La voie ferrée est aujourd'hui transformée en une belle piste cyclable, très agréable au printemps et à l'automne.
Lors du début du conflit de 1939/1945, Bougue et la région ont recueilli de nombreux réfugiés Alsaciens qui gardent toujours très cher, à leur cœur, l'accueil qui leur a été réservé. Pour rappeler ce souvenir, Bougue et Rosenau sont villes jumelées.
Avec l'amélioration de la productivité dans le domaine de l'agriculture et de l'industrialisation, Bougue s'est dépeuplé jusqu'à arriver à 350 habitants environ. Mais actuellement l'hémorragie de la population s'arrête et le mouvement s'inverse : les moyens de locomotion permettent de mieux s'affranchir des distances, et les familles n'hésitent plus à s'installer loin des villes pour goûter le charme de la commune et de la campagne. Il est probable que Bougue aura retrouvé bien avant l'an 2000 sa population d'autrefois.