Manolo Mylonas / au-delà de la z

Photographies de Manolo Mylonas

Exposition présentée du 18 octobre au 29 décembre 2018

La génération Z, c’est la génération des jeunes gens nés depuis le début du 21ème siècle. Les plus vieux fêtent, cette année, leur dix-huitième anniversaire. Que fait-on, quand on a 18 ans, aujourd’hui, dans le Grand Paris et que l’on veut célébrer sa jeunesse, en dehors des clous, au delà des zébras ?

Dans la continuité de sa série Tous les jours dimanche !, Manolo Mylonas propose, avec Au-delà de la Z, des photographies de jeunes adultes, arrachant leur liberté au béton, à Paris et en banlieue nord, avec l’aisance tranquille, la gourmandise, l’insouciance et la fantaisie propres au Bel Âge.

Éloge de l’oisiveté au temps du management agressif et du chômage de masse, Au-delà de la Z, c’est l’échappée belle d’une génération, libre et fantasque, que le photographe est allé saisir dans de drôles de décors, dans les interstices de la ville, au-delà des Zones où urbanistes et sociologues voudraient la contraindre.

Déconstruisant avec jubilation les représentations caricaturales de « la jeunesse des banlieues », le photographe s’attache à montrer des individus singuliers, particuliers, faisant exploser avec malice l’idée, réelle ou fantasmée, d’une jeunesse urbaine clonée, « uniformatée », sans imagination, qui ne sortirait que dans les mall centers et les fast food.

Que ce soit au cœur de « sites de rencontres urbaines » (comme il aime à les appeler lui-même) où ils dansent furieusement, célébrant la vie et la sensualité, ou dans des friches péri urbaines, ou au bord du canal, ou dans la circulation, ou dans la rue, ou sous les arbres, le photographe saisit ces petits moments de bonheur, d’intimité urbaine, volés à la ville, dans la vie de ces « presque adultes mais pas tout à fait ». Il nous les montre, croquant la vie, bravant les interdits, faisant la grisante expérience initiatique de l’autonomie, dans les marges du Grand Paris.


Zébra : Les zébras sont matérialisés au sol par des hachures de couleur blanche, qui sont elles-mêmes délimitées par une ligne continue. Avant de s’arrêter, de chevaucher, de franchir ou encore de stationner sur un zébra, il est important d’en connaître toutes les conséquences.

Comment êtes-vous devenu photographe ?

Autodidacte, biberonnant à la photographie de rue, j’ai reçu mon premier appareil photo à l’âge de 13 ans. C’est le début des années 80. J’écume mon quartier, mon terrain de jeu favori, autour de la gare Montparnasse à Paris, dont je dresse inlassablement le portait photographique. Puis je pars, adolescent, photographier le quotidien, « derrière le mur », à l’est de l’Europe. Ensuite, je suis un cursus de scénographie à l'Ecole des Arts Déco de Paris pour devenir décorateur de cinéma. J’en fais mon métier avant de revenir à la photographie. Mes premières commandes presse sont aussi des carnets de dessins, récits de voyage, portraits, évoquant les relations qui unissent l’homme à son habitat.

Quels sont les thèmes qui vous inspirent en tant que photographe ?

Les paysages urbains, l’errance, la solitude, les terrains vagues, l’oisiveté, la danse. Mes derniers projets s’inscrivent dans la continuité d’une approche photographique documentaire dans le Grand Paris.

Comment s’est faite votre rencontre avec les jeunes ?

J’alterne les allées venues au « Cent Quatre » devenu depuis 10 ans, « l’Agora » où converge une génération inspirée, danseurs en herbe venus des 4 coins du Grand Paris et d’ailleurs. Je reviens sous la nouvelle Canopée aux Halles, j’aborde les jeunes à l’écart de ce temple du consumérisme parisien, sécurisé par des vigiles refoulant poliment les petits groupes. Les beaux jours du printemps arrivant, j’agrandis le périmètre de mes balades en trajectoires aléatoires en Seine-Saint-Denis et ses alentours, toujours en quête de nouvelles rencontres.

L’approche photo varie en fonction de la distance au sujet. Je déclenche sur le vif ou alors j’attends l’acquiescement du regard ou j’explique ma démarche. J’essuie peu de refus et un doigt d’honneur. Mobile, en scooter, je capte, au hasard de mes balades, les rencontres inattendues et singulières. Je déclenche l’appareil au feu rouge. L’instant est fugace. Les jeunes démarrent en trombe. La bagnole est toujours le symbole de la « liberté sur la départementale ». Le bitume défile toute la journée sous les roues de mon scoot’. J’alterne les paysages et je rejoins les berges des canaux de Saint-Denis et de l’Ourq. Coté canal, à Pantin, c’est devenu l’endroit branché qui attire les curieux en goguette. On y croise des péniche techno en safari jusqu’à Bobigny. Certains viendraient du bout de monde pour la vente privée d’une création de luxe vintage située dans une usine désaffectée, s’extasiant des murs en briques toujours dans leur jus d’époque.

Je file, de friche en friche. Les décibels résonnent le long la nationale 2 en face de la déchetterie. J’arrive dans une soirée bondée pour un « little Burning Man », en lieu et place d’un campement de gitan récemment expulsé où de jolies hôtesses m’accueillent, façon hyppie new age. Une sculpture géante en bois attend sur son socle pour s’enflammer. Un peu plus loin, vers Noisy-le-Sec, les familles gitanes éparpillées tentent de restaurer un semblant de dignité, le long du canal, entre les parcelles du futur éco quartier « south canal ».

En panne d’inspiration, lassé par trop de béton, je rejoins souvent le Parc Forestier du Bois de l’Étoile. Tout y est noyé dans le vert, des grenouilles coassent. A en croire la présence de chasseurs, d’autres espèces sauvages trainent dans ce coin culminant où la vue est imprenable sur toute la vallée de Montfermeil, paysage urbain alternant HLM et pavillons, coupé au loin par la voie ferrée du RER. Là-haut, j’y retourne plusieurs fois, sous la neige, dans le brouillard, en juillet pour le feu d’artifice. Une autre fois, des groupes font la grisante expérience d’une sortie dans les carrières de gypse interdites au public. J’y croise des âmes solitaires, des amoureux, à l’abri des regards, venus graver leurs initiales sur les roches en grès, pour l’éternité.

Comment s’est construit votre projet ?

J’ai réalisé deux ateliers photo consécutifs au cours de l’année 2017-2018 aux côtés de jeunes, issus de la génération « Z », nés à l’ère du portable. Le premier avec les jeunes de banlieue Sud dans le cadre d’un atelier avec la Protection judiciaire de la jeunesse à Arcueil et le second dans le cadre de ma résidence avec des élèves de seconde du lycée Germaine Tillon au Bourget. Ces 2 expériences ont naturellement influencé et motivé la conduite de mon projet sur la jeunesse, conscient aussi que cette oisiveté retrouvée dans les interstices urbains est aussi la recherche d’un écho à ma propre adolescence.

Avez-vous d’autres projets en lien avec cette thématique ?

Je poursuis une série sur le culte des idoles, les héros de la jeunesse.