LA FLEXIBILITÉ

LA FLEXIBILITÉ

Sylvain BEAULIEU

Mai 2013

La flexibilité :

Quelle que soit la pratique d'équitation que l'on ait, la recherche, la préservation et l'amélioration de la flexibilité forment l'objet de recherches constantes et toujours perfectibles. Y est associée la décontraction, encore que l'expression prête à confusion (au même titre que de nombreuses expressions propres à l'équitation d'ailleurs); en effet, à « décontraction » se superpose souvent la nonchalance... alors qu'il s'agit d'aucune contraction musculaire « inutile » au mouvement recherché.

La flexibilité naît de l'absence de contractions (résistances volontaires ou non) contradictoires, opposées au mouvement considéré. De là peut-être, l'utilisation de l'expression “décontraction” ...

Spontanément, en posant la question à des cavaliers sur leurs sensations liées à la flexibilité, viennent les mots suivants :

    • élasticité

    • souplesse

    • fluidité

    • absence de résistances

    • facilité

    • homogénéité

    • liant

    • souplesse du dos

La liste n'est pas exhaustive.

D'un point de vue littéral, la souplesse est associée à la flexibilité, que l'on trouve d'ailleurs dans la définition de l'encyclopédie Wikipédia sous cette forme :

...la flexibilité est la latitude de mouvement d'une articulation, qui peut être augmentée par des étirements (souplesse)...

Ce qui, contrairement à l'idée générale des cavaliers, n'est pas exclusivement associée au dos du cheval ! En effet, pour bon nombre de cavaliers, cette flexibilité est caractérisée par le fonctionnement souple et élastique du dos qui transmet la propulsion de l'arrière-main vers l'avant-main, occultant le fait que ce qu’ils ressentent dans le dos du cheval est plus de l’ordre d’une conséquence. Qu'en est-il alors des membres ainsi que de la tête et de l'encolure, bref, de toutes les autres parties du corps du cheval ? Je pense qu'à la flexibilité doit être associée la notion d’homogénéité, c'est à dire que sous les directives de son cavalier, le cheval puisse employer toutes ses articulations avec souplesse et sans oppositions, ni plus, ni moins.

S'ouvre ici une parenthèse concernant les mobilisations et les étirements qui permettent de renseigner le schéma corporel du cheval d'une part, et le cavalier sur les éventuelles “limitations d'amplitudes articulaires” d'autre part.

De culture bauchériste, il est logique que soient dissociées les différentes parties du corps du cheval en sorte d'isoler chaque “foyer de résistances” (manque d'amplitude voire pas d'amplitude du tout), c'est à dire de pratiquer des actions locales pour “détruire” chaque résistance (je ne reviens pas sur l'état d'esprit bauchériste quant à la destruction de résistances qui n'ont rien à voir avec un rapport de force!).

La flexibilité de l'encolure :

Évidemment, sous un aspect bauchériste, le sujet amène spontanément aux flexions ! Soit. Mais on risque de ne pas aller “au bout des choses” si l'on s'en tient exclusivement “à la méthode” dont la majorité des cavaliers appliquera en priorité l'élévation maximale de la tête et de l'encolure. Ce qui n’a rien “d’anormal” si ces flexions ont pour but de familiariser le cheval avec la main d’une part, et de lui faire adopter des postures dans le but d’une “reconstruction posturale” en vue de se rééquilibrer sous le poids de son cavalier d’autre part. Hors, dans cette posture, il est bien difficile voire impossible de solliciter le jeu latéral des cervicales basses, alors que cette zone de la colonne cervicale est souvent le foyer de résistances. Cela se traduit par une incurvation « incomplète » de l'encolure, celle-ci donnant l'impression de n'être articulée qu'à la sortie du garrot et dans les cervicales hautes.

S'ouvre ici une nouvelle parenthèse : tant pis pour les utilisateurs scolaires de la méthode (dont j'ai fait partie d'ailleurs); s'il me semble plus important de s'attacher au fond qu'à la forme, c'est donc à la recherche de la souplesse et de la mobilité de toutes les parties du cheval qu'il faille s'attacher. Et concernant l’encolure, on en vient à chercher à ce que toute résistance de celle-ci ait disparu. Les directives du texte de Faverot de Kerbrech donnent des axes, mais ils ne doivent pas être figés ! À chacun d'emprunter des contre-allées pour peu qu'elles conduisent au même endroit... Ce qui fait sourire quelques interlocuteurs quand dans mes propos j'expose que je ne suis pas bauchériste deuxième manière, mais bauchériste à ma manière ! Seul le fond m'intéresse, la forme est propre à chacun et doit être le fruit de l'expérience et de la recherche des uns et des autres, pour peu qu'elle soit fidèle au courant de pensée !

Donc, contrairement ou plutôt en complément des directives de Faverot de Kerbrech, les flexions seront pratiquées encolure haute, mais aussi encolure basse ! Et ce en sorte d'acquérir une souplesse telle qu'elles permettent d'obtenir une mise en jeu de toutes les cervicales. Pour y parvenir, les flexions vont aller jusqu'à ce que le cheval en vienne à mettre son nez sur son flanc, sans aucune retenue. Cela me conduit à (re)mettre en évidence que quelle que soit la demande faite, il faut obtenir du cheval qu'il “suive la main” et ce dans toutes les directions d'une part, ainsi qu’à la plus faible incitation de la main d'autre part. Avec toutefois une limite qui consiste à ne pas prendre le risque d'assouplir “à outrance” cette partie au détriment des autres! Les flexions d'encolure, si elles sont utiles, ne sont pas une fin en soi... Pratiquées abusivement, c'est prendre le risque de “dissocier” l'encolure du corps du cheval, ce qui n'est absolument pas l'objectif ! Sans oublier, bien sûr, que le cheval “fin et léger” à la main, doit l’être aussi aux jambes!

Pour conclure sur la flexibilité latérale de l'encolure, il reste à aborder ce qui se passe encolure haute. Dans cette position, les cervicales basses n'ont que peu ou pas de jeu latéralement, voire elles s'apparentent à un pivot sur lequel s'articule la partie haute de l'encolure. Donc à proscrire l'oscillation de la base de l'encolure vers la droite ou la gauche selon la flexion demandée. Il est intéressant de noter que les flexions abordées ainsi permettent, quand la tête prend sa place “la plus commode”, c'est à dire se rapproche du ramener à l’initiative du cheval, que les parotides ne sont comprimées que l'une après l'autre ce qui, pour un cheval dont les ganaches sont fortement développées, est nettement moins contraignant... Il suffit alors de redresser l'encolure progressivement en sorte que le cheval ne quitte pas son ramener pour qu'il se familiarise à cette position qui peut le mettre dans un inconfort certain en fonction d'une tête plus ou moins bien cravatée ! À noter aussi que la suppression de la flexion “encolure basse” favorise la posture du ramener outré (tout du moins son apprentissage d’un point de vue postural), ce qui a pour conséquence de se mettre en hyper-flexion, donc d'améliorer l'élasticité, la souplesse du ligament supérieur ; d'autre part, le cheval maintenant cette posture de lui-même, si on lui demande de suivre la main vers le haut sans quitter le ramener, se fixe de lui-même dans une attitude “caractéristique” du cheval bauchérisé dans la reconstruction posturale de son avant-main. L'important est que le cheval suive la main sans aucune opposition tout en mâchant son mors. Il y a lieu de mettre en évidence ici que dans ces manipulations, il est bien difficile de savoir si c'est le contact de la main avec la bouche qui lui donne ce liant ou si ce sont les flexions qui donnent la mobilité de la mâchoire... Toujours est-il que de tous les chevaux manipulés ainsi, il se produit systématiquement des manifestations de détente, et l'expression de leur regard traduit bien une forme de “bien-être” encore que ces constats n'engagent que moi... et au fait que je me fie plus volontiers aux sensations que me renvoient mes chevaux...

D’un point de vue longitudinal, l’extension, l’abaissement et l’élévation sont recherchés avec pour but, au final, que le cheval se soutienne encolure haute, rouée, nuque point le plus haut dans la posture du ramener. Le ramener outré étant une posture particulière visant un complément d’assouplissements gymnastiques (donc en mouvement) du dos (entre autre), il faut se rendre compte que cette posture n’a rien, mais alors rien du tout à voir avec la pratique du rollkür ! Cette attitude avec cession de mâchoire, une fois obtenues, perdurent dans la descente de main : pas de risque et aucun lien avec les chevaux la langue bleuie, en compression sous la main et les jambes du cavalier ! Par cet extrême, il faut rappeler que dans le travail du cheval tel qu’il est abordé ici, la recherche d’annulation de toute résistance (volontaire ou non) est l’idée de fond ; quant à la forme, s’il y a la moindre opposition du cheval, elle s’oriente vers le fait de chercher à ce que le cheval n’emploie que la musculature concernée au mouvement considéré, en supprimant la mise en jeu des muscles antagonistes. Je replace ci dessous la définition issue de Wikipédia (encyclopédie libre) :

En anatomie et myologie, un antagoniste est un muscle ou un groupe de muscles qui s'opposent au mouvement créé par les agonistes. Lorsqu'un muscle travaille, le muscle opposé ne travaille pas, sinon il empêcherait le mouvement de se produire, car les deux muscles se compenseraient. Lors d'un effort musculaire, le muscle agoniste est celui qui se contracte, le muscle antagoniste est celui qui s'étire en réaction à cette contraction. Ainsi, chaque muscle possède son muscle antagoniste.

Par ce principe, connaissant la force musculaire du cheval, il devient aisé de comprendre l’intérêt du bauchérisme à isoler chaque foyer de résistances et de les annuler les unes après les autres par le biais d’actions locales, et ce quitte à le faire cheval à l’arrêt; contrairement à ce qui se produit dans un concept de mise sur la main où le cheval est mis dans le mouvement jusqu’à ce que les “résistances se brisent sur l’acier”..., parfois avec résignation...et rarement avec la souplesse recherchée (illusoire dans ce cas) sans parler de l’équilibre ainsi obtenu d’un cheval fermement pris dans les jambes et plaqué sur la main.

La flexibilité de l’arrière-main:

Concrètement, c’est la propension à fléchir toutes les articulations de cette partie, et le rassembler en est (devrait en être) une illustration; ceci dit, si le rassembler consiste à ralentir d’un point de vue “vitesse” sans perte d’énergie voire en augmentant l’énergie dépensée (ralentir en activant), cela n’a de sens que s’il est aussi facile d’étendre l’allure. Ce qui met en évidence l’importance des transitions entre et dans les allures, et non de se focaliser exclusivement sur un travail latéral comme c’est souvent le cas, quand ce n’est pas, au final, d’obtenir un “trépignement” plus ou moins sur place...

Cette flexibilité concerne non seulement les membres postérieurs, mais aussi le rein et son attache. D’un point de vue “gymnastique”, il est logique de s’orienter vers les exercices qui vont privilégier l’engagement, la détente et le croisement des postérieurs, ainsi que l’abaissement des hanches, sans négliger, quitte à se répéter, le jeu des transitions.

D’un point de vue bauchériste, le travail d’assouplissement de l’arrière-main est abordé, comme pour chaque partie de son corps, isolément des autres. Les pas de pirouette renversée dans le pli naturel (à l’opposé du déplacement des hanches) puis dans le pli inverse, donnent, par paliers, la mobilité et la flexibilité “primaires” de l’arrière-main dans le sens latéral, tout en éduquant le cheval “léger à la main” à devenir aussi “léger aux jambes”! Le jeu longitudinal du rein (entre autres) est recherché par le reculer (en condamnant bien évidemment toute amorce d’acculement). D’autre part, au fil des progrès physiques du cheval, les temps de reculer vont s’allonger de même que les trajectoires rectilignes sont entremêlées de trajectoires circulaires, bref, le reculer va se marier en alternance avec la marche en avant, se combiner sur toutes les trajectoires suivant les assouplissements recherchés, etc...

La flexibilité des épaules:

Comme pour l’arrière-main, les assouplissements sont d’ordres latéral et longitudinal.

Latéralement, les pas de pirouettes ordinaires vont y contribuer, de même que les pas de côté, et ce à toutes les allures (je pense ici au déplacement latéral au passage par exemple).

Longitudinalement, l’extension des bras par les jambettes, le pas espagnol, le trot espagnol, le trot à extension, etc... permettent de développer considérablement le jeu des épaules. Dans tous ces “exercices”, et ce quelle que soit la partie du cheval concernée, le fond est toujours “l’absence de résistances” volontaires ou non...causes de la plupart des ralentissements du dressage quand ce ne sont pas des échecs.

La flexibilité du dos:

La première caractéristique qui me vienne à l’esprit est le fait que le cheval flexible est confortable! Et son dos, tonique sans être rigide, transmet avec souplesse les mouvements de l’arrière-main vers l’avant-main, donnant la sensation d’être assis sur une masse vivante, élastique, fluide. Donc à l’opposé de ce que nous avons tous connu d’un dos rigide, dur, renvoyant des à-coups dans l’assiette.

En fait, ce tonus, cette élasticité musculaire, dépendent de la qualité musculaire de la ceinture abdominale. Pour faire bref, pas d’abdos, pas de dos, ou pas de ligne du dessous, pas de ligne du dessus! Tout ça pour mettre en avant que la flexibilité du dos tient étroitement au développement musculaire de l’arrière-main, et ce tant d’un point de vue du travail latéral (d’une piste comme de deux pistes) que du point de vue longitudinal par le biais du développement des allures. Ce qui ne me fait pas dire que l’allongement de l’allure suffit à ce développement; c’est la facilité de passer d’une amplitude courte à une amplitude étendue et inversement qui améliore, qui donne cette flexibilité. Rien à voir avec une amplitude augmentée à grand renfort de jambes pour finir en déséquilibre en pesant sur la main, de même que le retour à une amplitude normale ou raccourcie en en ayant plein les bras avec des jarrets “à la traîne”!

Donc, le dos flexible s’apparente au fait que les masses musculaires dorsales (et abdominales) puissent s’allonger et se raccourcir aisément, sans que ce soit au détriment des autres parties du corps du cheval, cela va sans dire!

Une parenthèse s’ouvre ici pour mettre en avant l’importance d’une sellerie adaptée en priorité à la morphologie du cheval avant de privilégier le confort de son cavalier. Moi le premier, combien de fois ai-je été dans l’embarras pour seller correctement un cheval, gêné par un arçon inadapté à sa conformation, et j’en passe...mais il s’agit là d’un autre sujet.

La flexibilité:

D’expérience, je ne crois pas que l’on puisse obtenir une flexibilité homogène avec un cheval en compression entre les jambes et la main. Ce qui me fait rejeter la caricature du concept de mise sur la main, à plus forte raison sous des aides fermes et continues.

D’autre part, avec un cheval léger à la main ainsi qu’aux jambes, familiarisé à la descente des aides, il y a tout intérêt à le laisser faire, à le laisser se prendre en charge plutôt que de lui imposer des contraintes souvent contradictoires sous des aides plus ou moins précises...et ainsi redonner aux aides leur sens premier qui consiste simplement à ...aider! Devrait devenir évident que le cheval flexible, souple, permet par le confort qu’il procure à son cavalier, d’être conduit avec plus de précision dans l’emploi de sa main et de ses jambes, n’étant plus gêné par sa propre mise en selle et son équilibre rendus précaires sur le dos “raide”, dur, verrouillé du cheval qu’il monte. Du coup, avec un cheval dont on développe la flexibilité, se retrouve ici la formule “bien demander et laisser faire” qui me paraît pleine de bon sens et au moins à la portée de n’importe quel cavalier! En effet, n’est-il pas plus simple, dans les prémices tout du moins, que de laisser faire le cheval, l’arrêter si le moindre désordre ou la moindre résistance apparaît, rétablir le calme moral et physique, puis de redemander le mouvement interrompu? Tous les chevaux ainsi manipulés ont montré qu’ils comprenaient et faisaient aisément ce que l’on attendait d’eux, et gardaient une fraîcheur que je n’ai jamais vue avec des chevaux “fermement employés”! Et quand ils ne faisaient pas ce qui leur était demandé, le fait qu’ils ne pouvaient tout simplement pas le faire en était majoritairement la cause, cette impossibilité ou ce refus n’étant qu’à l’incohérence du cavalier …

À chacun de choisir entre le cheval dressé ou le cheval dompté, le funambule ou le tour de force...

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