La notion d’objectif est centrale dans la pédagogie de l‘Apprentissage du français (ADF). Dans les centres de formations, il est demandé aux formateurs de décliner leur cours en objectifs. Ainsi chaque cours se forme autour d’un ou plusieurs objectifs, transcrits en compétences à acquérir. Celles-ci seront annoncées, transmises puis vérifiées. La nature de ces objectifs définira l’approche pédagogique.
Bien que ce texte ne s’adresse pas à des professionnels, nous avons choisi d’utiliser quelques termes et concepts de la formation FLE, car ils nous aideront à comprendre les méthodes que nous utilisons.
La quasi-totalité des méthodes se base sur le CECRL (le cadre européen commun de référence des langues)*, un référentiel européen qui définit six niveaux d’acquisition d’une langue en listant les compétences à acquérir pour chacun d’entre eux. L’approche la plus répandue aujourd’hui est l’approche communicative.
Nous trouverons par exemple au premier niveau A1 :
Se présenter, parler de ce qu’on aime, inviter quelqu’un etc.
Au niveau A2 :
Evoquer des souvenirs/des expériences vécues, exprimer la difficulté, le besoin et l’envie, etc.
Au niveau B1 :
Participer à un débat, émettre une opinion, un doute, une crainte, exprimer une conséquence, etc.
©: Christophe Hargoues/Secours Catholique
©: Elodie Perriot / Secours Catholique
Ainsi le rôle du formateur est de faire acquérir l’une après l’autre ces compétences aux apprenants. La particularité de ces compétences est de ne pas être des compétences grammaticales le verbe être ou lexicales les pièces de la maison mais des compétences dites communicatives qui visent à la production d’un acte de parole parler de ce que l‘on aime. Les compétences grammaticales, phonétiques* et lexicales viennent servir l’objectif communicatif, cœur de la séquence.
Si nous prenons l’exemple de parler de ce que l’on aime, il faudra transmettre par exemple :
Quatre expressions : J’aime, je n’aime pas, j’adore et je déteste
Il n’est pas besoin de le faire à tous les temps à toutes les personnes.
Une liste de verbes des activités de loisir et du quotidien :
Autour de dix verbes c’est raisonnable. (Exemple faire le ménage, aller au marché, chanter, danser, boire, etc. Cette liste émergera de la classe en fonction de leur goût.)
Evoquer la notion d’infinitif :
Sans faire une leçon sur les différentes occurrences de l’infinitif, mais simplement transmettre les mécanismes pour que l’apprenant puisse le retrouver (où est-il écrit dans les tableaux de conjugaison ? Repérer le « R », etc.)
Ainsi, les formateurs utiliseront ce type de tableau pour construire leur progression et communiquer avec leurs collègues (tableau que l’on retrouve au début ou à la fin de toutes les méthodes) :
A la fin de la séquence les apprenants devront être capables de décliner ces outils* de façon autonome pour avoir la compétence « parler de ce que l’on aime ». Cette approche peut être complétée par l’approche actionnelle, le principe qui régit les ASL*. Ainsi, les objectifs de cours ne sont plus des actes de parole mais des actions, appelées des tâches.
Par exemple :
Remplir un dossier AME*. Lire un plan. Passer le permis. Prendre un rendez-vous.
Nous sommes toujours dans la même trilogie : annoncer, transmettre, vérifier.
Enfin, l’approche dite traditionnelle, méthode avec laquelle nous avons, pour la plupart, appris l’anglais, l’espagnol ou l’allemand. Elle se construit autour d’objectifs grammaticaux et lexicaux détachés de tout contexte. Cette approche suit une pédagogie alternant lecture et/ou traduction de textes, listes de vocabulaire et théories grammaticales. Elle fait de nous des spécialistes mais pas des locuteurs. Cette méthode n’est pas recommandée pour les FLE débutants.
Ainsi, l’approche traditionnelle ne peut constituer l’approche principale mais elle peut trouver ponctuellement sa place dans les cours. Par exemple, après avoir travaillé sur « parler de ce que l’on a fait le week-end dernier », si l’on veut travailler de façon plus approfondie sur le passé composé, nous pourrons utiliser des exercices de grammaire détachés de tout contexte. Mais attention, nous ne pouvons pas utiliser pour cela les outils pour public francophone (Bescherelle, Bled, manuel scolaire de nos enfants, petits-enfants etc.) car les mécanismes d’apprentissage ne sont pas les mêmes pour la grammaire langue étrangère. Il est important d’utiliser des outils* adaptés : la grammaire progressive du français chez CLE, la grammaire en dialogue chez CLE et la grammaire des premiers temps chez PUG sont trois exemples d’outils de grammaire FLE de qualité.
(cf. en annexe, le schéma d’une séance qui donne un exemple de bonne pratique pour équilibrer les exercices et donner un bon rythme au cours)
Catalogue de manuels et de méthodes
Fiche Comment structurer une séance ?
Exemple de programme du Manuel Intro
Présentation des niveaux du Cadre européen commun des références des langues
Le public
En majorité, les migrants non-scolarisés sont francophones et se présentent en disant qu’ils veulent apprendre à lire et à écrire.
Mais certains « alphas » ne sont pas francophones. Ce public doit donc apprendre à parler avant d’apprendre à écrire. Il est donc important de proposer à ces apprenants une pédagogie adaptée et bien sûr de ne pas vouloir leur apprendre d’abord à écrire une langue qu’ils ne parlent pas. S’il y a assez de personnes pour constituer un groupe, il est important de le faire.
La pédagogie : des objectifs à court terme
Un adulte n’apprend pas à lire et à écrire en trois mois
Pour parler de la pédagogie « alpha-francophone », il est très important de déconstruire un mythe qui mène beaucoup de bénévoles et d’apprenants au découragement : un adulte n’apprend pas à lire en trois mois, il faut plusieurs années : selon l’UNESCO, il faut 1500 heures à un adulte pour apprendre à écrire. La connaissance de cette réalité a deux effets sur le monde de la formation.
Premièrement, elle rassure les formateurs qui viennent de passer trois mois sur M + A = MA, et voient que les apprenants l’ont oublié pendant les vacances. C’est normal ! Apprendre à lire, c’est laborieux. Et c’est pour cela qu’un nombre important de formateurs dans des structures où l’on n’apprend que la syllabique se décourage et passe au FLE.
Deuxièmement, cela nous mène à un peu de pragmatisme. Peu de nos apprenants auront la possibilité de rester plusieurs années. Donc si nous choisissons de ne pas renoncer à la syllabique, il est important que la maîtrise de l’écrit ne soit pas le seul objectif de la classe, qu’il y ait dans chaque séquence pédagogique des objectifs à court terme, des outils réutilisables dès la sortie du cours.
Il y a des centaines de compétences qui peuvent être acquises avant la maîtrise de l‘écrit, exemples :
À l’écrit : Lire un plan- un calendrier- remplir un formulaire d‘identité- comprendre une carte postale- lire les horaires d’ouverture d’un magasin- acheter quelque chose à un distributeur- lire des horaires de trains etc.
À l’oral : parler de son travail - de ses compétences - comprendre les jours fériés - le système scolaire français - des sujets d’actualité - savoir prendre un rendez-vous - comprendre le langage des administrations - comprendre les démarches que l‘on peut faire à la mairie/à la préfecture - savoir comment s’inscrire à la MJC du quartier - à la bibliothèque - aux sorties de la mairie etc.
Pour le groupe des alphas non francophones : on pourra reprendre la pédagogie et les objectifs FLE. Il existe des manuels spécifiques pour ce public (ex : Bagages chez COALLIA ou Ma Clé Alpha de Marion Aguilar).
Il nous reste à évoquer un dernier type d’enseignement, destiné aux apprenants, peu scolarisés, qui peuvent lire à haute voix ce qui est écrit mais ne comprennent pas ou seulement partiellement ce qu’ils lisent. La variété des parcours et les causes de cette incapacité sont très larges et parfois mystérieuses. L’entrée des apprenants dans l’écrit, c’est-à-dire dans la compréhension de l’écrit, se fait souvent comme un déclic alors que nous les suivons parfois depuis longtemps, et demeure tout aussi mystérieuse.
Ce type de cours peut se construire autour de trois objectifs.
Celui qui demande le plus d’imagination : leur faire aimer l’écrit, leur donner envie de lire et d’écrire, les convaincre qu’ils sont eux aussi destinataires d’écrits
Les accompagner dans la maîtrise de compétences socioculturelles (cf. le public Alpha pages précédentes).
Ce que l’on fait le plus spontanément mais qui ne doit pas écraser les deux autres objectifs : l’acquisition des compétences grammaticales du niveau FLE A1
Exemple d’activité pour donner envie de lire ou d’écrire.
Nous pouvons imaginer un cours où les apprenants écriraient leur adresse sur une enveloppe (compétence socioculturelle) et le formateur pourrait y glisser une lettre personnalisée avec des questions que l’apprenant ne découvrirait qu’à la réception de la lettre (travail sur l’envie de lire).
Nous pouvons aussi imaginer des exercices d’écriture
Petit atelier d’écriture (envie d’écrire) : demander d’écrire à la manière de
Poème dont il faut s'inspirer :
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amis.
Paul Eluard
Exemple de production d’un apprenant :
Il y a des mots qui font du bien comme le mot ami et le mot doliprane.
Il y a des mots qui font mal comme le mot racisme et le mot malade.
Il y a des mots qui font peur comme le mot chien et le mot mort
De quoi parle-t-on ?
L’atelier sociolinguistique* (ASL) est une approche pédagogique formalisée entre les années 2004-2009. Elle vise le gain en autonomie sociale. On pourrait résumer en disant « C’est le français pour agir ». Cette démarche est préconisée pour des personnes qui ont une connaissance insuffisante du fonctionnement de certains espaces sociaux ; la non-maîtrise des actes de langage inhérents à ces espaces ; la connaissance partielle des codes socioculturels attendus dans ces espaces en entravant l’usage et la fréquentation autonome.
Ainsi, les ASL s’articulent autour de trois axes :
L’usage autonome des espaces sociaux (mairie, bureau de poste, école, travail, …)
La compréhension des principes / valeurs de la société d’accueil
La connaissance des temps forts / événements de la société d’accueil
Comment s’y prendre ?
Il s’agit d’interroger le rôle social attendu en tant qu’usager d’un centre social, en tant qu’allocataire de la CAF, en tant que parent d’élève, en tant que visiteur d’un musée, etc.
Ces situations quotidiennes seront analysées par les formateurs en vue de les transformer en objectifs, puis en activités pédagogiques. La démarche articule des objectifs pédagogiques croisant le traitement des informations relatives à l’espace social visé, les compétences langagières requises et la connaissance des codes sociaux.
PRENONS L’EXEMPLE DE « LA POSTE », il sera travaillé :
La connaissance du fonctionnement de la Poste / l’identification des interlocuteurs…
Les documents à connaître/ les informations clés à identifier / à renseigner…
La zone de circulation dans un bureau de poste / le registre de langue à utiliser…
Il ne peut donc pas y avoir d’ASL sans déplacement sur le site et/ou rencontres avec des professionnels de l’espace social visé. La mise en situation sont un élément déterminant de la méthode.
Ainsi, voici la méthodologie des ASL en quelques points :
La démarche pédagogique est contextualisée : il s’agit de travailler des actes de parole dans des situations concrètes et réelles.
La démarche est calendaire, elle tient compte des temps forts et évènements de la société française. (soldes – impôts – rentrée - évènement politique …) ou des évènements du quartier (festival- projet de rénovation urbaine…).
La progression pédagogique est en spirale. La démarche se décline selon les trois « phases » : découverte – exploration – appropriation.
Fiche retour d’expérience ASL St Pierre de Montrouge en annexe
Site de l'association Radya : www.aslweb.fr