Premiers principes

Résumé :

Dieu donne les moyens d'accomplir la raison. Il donne la vérité sur la vérité et la puissance de connaître toutes les vérités, ou presque toutes. Il enseigne les causes, les lois, la nécessité, et la possibilité. Il montre les chemins du savoir et invite à les suivre. Il donne les grands principes à partir desquels on peut trouver tous les autres bons principes et fonder ainsi toutes les sciences. Il nous éclaire sur la nature du bien et sur nos devoirs. Il enseigne la fin de la raison, le bien, et donne les moyens de l'atteindre.


Qu'est-ce que c'est qu'être ?

Les êtres ont des propriétés et des relations. 

Un concept est une propriété ou une relation. Une propriété, ou une qualité ou un trait, est attribuée à un être. Une relation est entre plusieurs êtres. Lorsqu'une relation est entre deux êtres, on peut considérer qu'elle est une propriété du couple. Une relation entre trois êtres est une propriété du triplet, et ainsi de suite pour les relations entre davantage d'êtres.

Les concepts sont des êtres. Eux aussi ont des propriétés et des relations. Les individus au sens strict sont les êtres qui ne sont pas des concepts. On leur attribue des propriétés et des relations mais ils ne peuvent pas être attribués. Les individus au sens large sont tous les êtres, y compris les concepts.

Tout l'être d'un individu (au sens strict) est d'avoir des propriétés et des relations. L'être d'un concept est d'être attribué à des individus et d'avoir des propriétés et des relations. 

Un individu révèle l'universel

« La Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. » (Platon, Parménide, 131b, traduit par Luc Brisson)

Les propriétés et les relations sont des universels. Une même propriété peut être partagée par de nombreux individus, elle n'est pas la propriété exclusive d'un seul individu. Une relation binaire peut être vraie de nombreux couples d'individus. De même pour les autres relations. Les propriétés, les relations et les conjonctions de propriétés et de relations sont des possibilités universelles. 

Les énoncés les plus élémentaires attribuent une propriété à un individu ou mettent en relation plusieurs individus. Ils affirment donc toujours qu'un individu révèle l'universel, ou que plusieurs individus ensemble le révèlent. L'attribution de l'universel aux individus est la forme fondamentale de la pensée. La pensée est fondamentalement la révélation que les individus révèlent l'universel.

Les individus et la liaison entre les concepts

On peut percevoir simultanément la chaleur et la douleur de deux façons très différentes. Dans le premier cas, ce qui est chaud est ce qui fait mal, la chaleur et la douleur sont liées. Dans le second cas, ce qui est chaud n’est pas ce qui fait mal, la chaleur et la douleur ne sont pas liées. Dans le premier cas, on suppose qu’il y a un individu qui lie deux propriétés, d’être chaud et de faire mal. Dans le second cas, on suppose qu’il y a deux individus, l’un qui est chaud et ne fait pas mal, l’autre qui fait mal et n’est pas chaud. Les liaisons entre les concepts (Quine 1992) sont déterminées par des individus, parce que l'être d'un individu est une conjonction de concepts.

La vérité sur la vérité

« Il est vrai que la neige est blanche si et seulement si la neige est blanche. » (Tarski 1933)

La vérité est de dire des êtres ce qu'ils sont.

En disant de la vérité qu'elle est de dire des êtres ce qu'ils sont, on dit ce qu'elle est, on dit donc la vérité sur la vérité.

Les êtres, leurs propriétés et leurs relations peuvent être nommés. On dit la vérité en nommant des êtres, des propriétés et des relations et en attribuant ces propriétés et ces relations aux êtres qui les ont.

Tous les êtres, toutes les propriétés et toutes les relations peuvent être nommées. Tout peut être dit. Rien ne peut échapper à la puissance de la vérité. La parole vraie est aussi grande que l'être. C'est un principe de panlogisme.

Une preuve de l'existence de Dieu : il faut une puissance divine pour que la vérité sur la vérité soit connue. Or la vérité sur la vérité peut être connue, et elle est connue. Donc il y a une puissance divine.

Cette preuve suppose que seul Dieu a vraiment la puissance de donner la vérité sur la vérité. Nous avons cette puissance seulement par délégation, parce qu'il nous l'a donnée.  

Un monde est un ensemble de faits atomiques

Un concept est fondamental lorsqu'il n'est pas défini à partir de concepts plus fondamentaux. Un fait atomique est l’attribution d’une propriété fondamentale à un individu ou d’une relation fondamentale à plusieurs individus.

Un fait atomique peut être désigné par un énoncé atomique. On forme un énoncé atomique en associant le nom d’une propriété fondamentale au nom de l’être auquel elle est attribuée, ou le nom d’une relation fondamentale aux noms des êtres qu’elle relie.

A partir des énoncés atomiques, on peut construire des énoncés composés avec les connecteurs logiques et formuler ainsi tous les énoncés sur un monde. La vérité des énoncés ainsi composés est complètement déterminée par celle des énoncés composants, donc finalement par la vérité des énoncés atomiques. Un monde est complètement déterminé par les faits atomiques qui le constituent. On peut le considérer comme un ensemble de faits atomiques. 

Si on définit un monde comme un ensemble de faits atomiques, un énoncé atomique est vrai à propos d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde. 

Un ensemble d’énoncés atomiques n’est jamais contradictoire, parce que les énoncés atomiques ne contiennent pas de négation. N'importe quel ensemble d'énoncés atomiques détermine donc toujours un monde logiquement possible, qu’on appelle aussi un modèle, ou parfois une structure.

Par exemple, l’ensemble des énoncés suivants définit le monde, ou la structure, des nombres naturels : 1 suit 0, 2 suit 1, 3 suit 2… Il faut entendre que cet ensemble contient toutes les vérités atomiques formées avec les noms des nombres naturels et la relation de succession. Un énoncé atomique qui n’est pas dans cet ensemble est par conséquent faux.

L'être d'un individu d'un monde est déterminé par toutes ses propriétés et ses relations avec les autres individus du même monde. L'être d'un monde est déterminé par l'être de tous les individus de ce monde, donc finalement par tous les faits atomiques qui le constituent. 

Les propriétés et les relations d'un individu du monde sont tout son être dans le monde. Tout l'être d'un être du monde est son être dans le monde. 

Un monde logiquement possible est absolument possible. C'est une possibilité éternelle parce qu'elle ne dépend d'aucune condition. 

Puisque tout l'être d'un individu du monde fait partie d'une possibilité éternelle, il est une possibilité éternelle. Même un individu transitoire, qui naît, vit et meurt, révèle par toute son existence une possibilité éternelle.

Remarques :

Le principe qu’un monde est un ensemble, ou une totalité, de faits atomiques est emprunté au Tractatus logico-philosophus de Ludwig Wittgenstein. Mais les définitions ici adoptées d’un fait et d’un énoncé atomiques ne sont pas dans le Tractatus. Elles viennent de la logique du premier ordre.

Le principe qu’un énoncé atomique est vrai à propos d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde est emprunté à Alfred Tarski et à la théorie des modèles. Dans le langage de la théorie des modèles, un monde est un modèle (Keisler 1977).

David Lewis craint qu'il y ait une circularité dans la définition du concept de possibilité logique, parce qu'un monde est logiquement possible lorsqu'il est impossible que sa définition implique une contradiction (Lewis 1986). En définissant un monde logiquement possible à partir d'un ensemble d'énoncés atomiques, on évite ce problème de circularité. La définition d'un monde logiquement possible ne peut pas être contradictoire parce que les énoncés atomiques ne contiennent jamais de négation. S'il n'y a pas de négation, il ne peut pas y avoir de contradiction.

Les lois

Un ensemble de vérités atomiques détermine complètement un univers, un monde, une totalité, mais il ne dit pas pour autant toute la vérité sur ce monde. Même si on connaissait toutes les vérités atomiques de l'Univers on ne le connaîtrait pas très bien, parce qu'un ensemble de vérités atomiques est comme un savoir désintégré, qu'on a réduit à ses plus simples éléments. On veut plus et mieux que ce savoir en miettes, sans rimes ni raison.

Quand on sait que c'est, on ne veut pas seulement savoir que c'est, on veut aussi savoir pourquoi c'est. Mais y a-t-il un pourquoi ? Pourquoi y aurait-il un pourquoi ? Et pourquoi vouloir le connaître ?

Dire pourquoi, c'est dire les causes. Le savant est celui qui connaît les causes. Comment connaît-on les causes ? Y a-t-il vraiment des causes à connaître ?

Si X est une cause de Y, l'affirmation que X est toujours une cause de Y est toujours une loi. Pour connaître les causes, il faut connaître les lois. 

L'ignorant ne sait pas que l'Univers est ordonné parce qu'il ne connaît pas ses lois. Le savant découvre l'ordre de l'Univers en découvrant ses lois.

La connaissance des lois fait toute la différence entre un savoir seulement superficiel et le véritable savoir. Pour connaître vraiment un être on veut des explications : de quoi est-il fait ? Comment est-il apparu ? Quels sont ses effets sur les autres êtres ? On veut aussi connaître les causes finales quand il y en a : quelles sont les fins qu'il doit atteindre ? Une explication est toujours un raisonnement fondé sur des lois. On a donc besoin de connaître les lois pour donner les explications qui font le véritable savoir.

Être possible, c'est être permis par les lois. Un système de lois détermine un espace de possibilités, l'espace de tout ce qu'elles permettent. Il y a autant de formes de possibilité qu'il y a de systèmes de lois.

La possibilité logique est l'absolue possibilité. Sa loi fondamentale est la cohérence, c'est à dire l'absence de contradiction. Les lois de la Nature définissent la possibilité naturelle. Les lois éthiques définissent la possibilité éthique. Être éthiquement impossible, c'est être interdit par des lois éthiques.

Nécessité et possibilité sont des concepts complémentaires. Est nécessaire ce dont la négation n'est pas possible. Est possible ce dont la négation n'est pas nécessaire. Les lois et toutes leurs conséquences logiques sont nécessaires.

Tout ce qui est nécessaire est possible mais l'inverse n'est pas toujours vrai. Un énoncé est contingent si et seulement s'il est possible et si sa négation est possible. Un énoncé contingent est possible sans être nécessaire. Les vérités mathématiques ne sont jamais contingentes, elles sont toujours nécessairement vraies et c'est une absolue nécessité, la nécessité logique. En revanche les vérités sur les événements de notre monde sont en général contingentes. Ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver. Les lois de la Nature ne déterminent pas tout ce qui se passe, loin de là. A elles seules, elles ne suffisent pas pour déduire l'existence du moindre évènement.

Avec les lois, on peut expliquer toutes les possibilités et toutes les nécessités. La recherche des explications ne conduit pas à une régression à l'infini, parce qu'on s'arrête à des lois fondamentales, à partir desquelles on explique toutes les autres.

On explique une contingence de la même façon qu'on explique une nécessité, en cherchant des conditions dont elle est une conséquence, mais les conditions ne peuvent pas être toutes nécessaires, parce qu'une conséquence de conditions nécessaires est elle aussi nécessaire. Une au moins des conditions doit être contingente. On explique toujours les contingences à partir d'autres contingences. Quand on explique les contingences, il y a donc nécessairement une régression à l'infini dans la recherche des causes. Les lois expliquent la fatalité, l'enchaînement nécessaire des contingences, depuis la nuit jusqu'à la fin des temps.

Lorsqu'elles sont vraies, les lois le sont de toute éternité. Elles précèdent logiquement et chronologiquement tout ce qui apparaît actuellement. Tout se passe comme si la parole précédait l'être, parce que pour être actuel il faut être possible, il faut être permis par les lois. « Au commencement la Parole. » (Jean, 1,1)

La nécessité logique

Les lois logiques sont les énoncés logiquement nécessaires. Le principe qu'un monde est un ensemble de faits atomiques permet de trouver toutes les lois logiques, parce qu'il permet de définir la possibilité et la nécessité logiques. 

Un énoncé est logiquement possible si et seulement s'il est vrai dans au moins un monde.

Un énoncé est logiquement nécessaire si et seulement s'il est vrai dans tous les mondes.

"Tous les mondes" ci-dessus et ci-dessous veut dire "tous les mondes définis avec les concepts de l'énoncé".

Un énoncé est logiquement impossible si et seulement s'il est faux dans tous les mondes.

Un énoncé est logiquement contingent si et seulement s'il est vrai dans au moins un monde et faux dans un autre.

Une conjonction d'énoncés atomiques est toujours logiquement possible et contingente. Une contradiction (p et non p) est toujours logiquement impossible. La loi du tiers exclu (p ou non p) est logiquement nécessaire.

Un énoncé est logiquement nécessaire si et seulement si sa négation est logiquement impossible.

Un énoncé est logiquement possible si et seulement si sa négation n'est pas logiquement nécessaire.

La nécessité logique est absolue, sans conditions. La vérité des lois logiques ne dépend d'aucune hypothèse.

La conclusion d'un raisonnement peut ne dépendre d'aucune prémisse, parce qu'on peut supprimer la dépendance vis à vis des prémisses au cours du raisonnement. Par exemple, si on a tiré la conclusion B à partir de l'unique prémisse A, on peut ajouter comme nouvelle conclusion (si A alors B). Cette nouvelle conclusion ne dépend pas de la prémisse A. Elle est donc sans hypothèse. Les lois logiques sont les conclusions des raisonnements qui ne dépendent d'aucune hypothèse.

Les mondes naturellement possibles

Les mondes naturellement possibles sont les mondes tels que les lois de la Nature y sont vraies.

On fait une théorie de la Nature en postulant des lois fondamentales de la Nature. Un monde naturellement possible est un modèle d’une théorie de la Nature pourvu que les lois postulées soient vraies.

Si les lois de la Nature sont formulées avec un système d'équations différentielles, les mondes naturellement possibles sont les solutions du système. Les mouvements des planètes par exemple sont naturellement possibles parce qu'ils sont des solutions des équations différentielles de la physique newtonienne.

Nos modèles de la réalité observée ne sont jamais des modèles exacts. Leur vérité empirique, c'est à dire leur accord avec les observations, dépend toujours d'approximations. L'accord entre les modèles théoriques et la réalité observée doit être suffisamment bon pour qu'on puisse dire de nos modèles qu'ils sont des mondes naturellement possibles, et de nos lois qu'elles sont des lois de la Nature, mais il n'est pas nécessaire que la correspondance entre les modèles et la réalité soit exacte.

Un énoncé est naturellement nécessaire si et seulement s'il est vrai dans tous les mondes naturellement possibles.

Une énoncé est naturellement nécessaire si et et seulement s'il est une conséquence logique des lois fondamentales de la Nature.

La nécessité naturelle est relative, conditionnée par la vérité des lois fondamentales de la Nature.

A quoi bon raisonner ?

Un bon raisonnement part de bonnes prémisses pour arriver à une bonne conclusion par un cheminement clair et logique. Les bonnes prémisses sont des bons principes ou des bonnes observations, ou des bonnes conclusions déjà établies à partir de bons raisonnements.

Il semble assez évident qu'il faut raisonner, mais pourquoi

Les règles logiques font toujours passer du vrai au vrai. Si les prémisses sont vraies et si le raisonnement est logique, la conclusion ne peut pas être fausse. Une conclusion logique ne peut pas donner plus d'informations que celles qui sont déjà données dans les prémisses. C'est pourquoi les raisonnements logiques sont toujours tautologiques. La conclusion affirme ce qui est déjà affirmé par les prémisses. Mais alors pourquoi raisonner ? Il semble qu'un raisonnement ne peut rien nous apprendre, puisqu'une conclusion n'est qu'une reformulation de ce que nous savons déjà quand nous connaissons les prémisses.

Les lois sont comme un concentré de savoir, elles donnent une richesse illimitée d'informations. Appliquer une loi à un cas particulier est un raisonnement logique qui révèle ce que la loi enseigne dans ce cas. Toutes les conséquences particulières sont déterminées par les lois, mais il faut raisonner pour les découvrir. Un raisonnement révèle explicitement ce que ses prémisses déterminent implicitement, il développe ce qui est enveloppé, il déplie ce qui est plié, il dévoile ce qui est présent mais caché tant qu'on n'a pas raisonné.

Un exemple : considérons la loi "si le système S est dans l'état x à l'instant t alors il est dans l'état f(x) à l'instant t+1, pour tous les instants t et tous les états x" et l'observation que le système S est dans l'état a à l'instant 0. A partir de ces deux prémisses on peut déduire de nombreuses conséquences : S est dans l'état f(a) à l'instant 1, dans l'état f(f(a))=f^2(a) à l'instant 2, dans l'état f(f(f(a)))=f^3(a) à l'instant 3... Avec le principe du raisonnement par récurrence, on peut déduire que S est dans l'état f^n(a) à l'instant n pour tous les nombres naturels n. Avec une loi et une observation d'un état initial, on peut connaître la destinée du système pour l'éternité.

En général une loi peut être appliquée à de nombreux cas particuliers, elle est générale. On peut toujours formuler les généralités avec un 'pour tout x'. 'Toujours' est 'pour tout instant t'. 'Partout' est 'pour toute position x'. 'Jamais P' est 'pour tout instant t, il est faux que P'. 'Tous les esprits' est 'pour tout esprit x' ou 'pour tout x, si x est un esprit'. De même pour toutes les vérités : 'pour tout x, si x est une vérité', et même toutes les généralités : 'pour tout x, si x est une généralité'. 

Quand des êtres obéissent aux mêmes lois, on les connaît tous en connaissant leurs lois. C'est connaître en même temps une myriade d'êtres, comme si les généralités nous révélaient la totalité en un seul coup d’œil. On peut connaître ainsi de très vastes totalités : tous les êtres matériels, tous les esprits, tous les mondes, toutes les théories, tout ce qui naturellement ou logiquement possible...

La connaissance des lois donne au raisonnement sa puissance. On fait la science en apprenant par le raisonnement ce que les lois enseignent.

Rien de nouveau sous le Soleil

La lumière qui nous vient des étoiles éloignées est la même que celle du Soleil, ou que celle que nous produisons sur Terre. Elle se comporte toujours de la même façon. Partout dans l'Univers la lumière est toujours la même et obéit toujours aux mêmes lois. « Il n'y a rien de nouveau sous le Soleil. » (Écclésiaste) 

La lumière révèle les propriétés de la matière. Une substance naturelle peut toujours être identifiée par la spectroscopie, c'est à dire l'analyse de la lumière absorbée ou émise. Nous pouvons connaître la composition chimique des astres éloignés en analysant leur lumière. La lumière révèle que la matière obéit toujours aux mêmes lois partout dans l'Univers.

Une substance naturelle est pure si elle est constituée de molécules ou d'atomes tous identiques. Les substances naturelles se comportent toujours de la même façon dès qu'elles sont pures. L'eau pure a toujours les propriétés de l'eau pure. Elle obéit toujours aux mêmes lois. Pour elle aussi, rien de nouveau sous le Soleil. Plus généralement les particules élémentaires, les atomes et les molécules d'une même espèce sont tous identiques et obéissent aux mêmes lois.

Tous les points de l'espace sont identiques. Quand on en connaît un, on les connaît tous. Il en va de même pour les points de l'espace-temps. Nous connaissons les espaces infinis dans leur totalité simplement en connaissant leurs lois.

Tous les nombres naturels sont obtenus en additionnant des unités toutes identiques les unes aux autres. On connaît la constitution de tous les nombres naturels, aussi grands soient-ils, simplement en connaissant le un. De même les constituants élémentaires de tous les êtres matériels sont identiques quand ils sont de la même espèce. En connaissant un petit nombre d'espèces élémentaires, on connaît du même coup la constitution de tous les systèmes matériels, même très vastes et très complexes.

Chaque nombre est unique mais ils obéissent tous aux mêmes lois du calcul. Quand des êtres sont tous différents, ils peuvent aussi être très semblables en obéissant aux mêmes lois.

Toutes les sciences rangent les êtres dans des catégories. Les êtres d'une même catégorie ont des propriétés communes et obéissent aux mêmes lois. Mais en dehors de la physique fondamentale, les êtres d'une même catégorie ne sont pas identiques. Les êtres d'une même catégorie peuvent être très semblables les uns aux autres, mais aussi très différents. Chaque être peut avoir des propriétés qui le distinguent de tous les autres.

On fait toujours des théories en imposant des lois à des êtres d'une même catégorie. Si des êtres n'obéissent pas aux mêmes lois, on ne peut pas faire de théorie. Qu'il n'y ait rien de nouveau sous le Soleil, hormis quelques variations individuelles, est une condition nécessaire de l'intelligibilité de la réalité. 

L'apparition d'un être unique est une nouveauté. Il y a donc quand même parfois du nouveau sous le Soleil. Mais ce n'est jamais complètement nouveau. Les lois et les concepts ne sont pas nouveaux. Une existence n'est jamais vraiment nouvelle parce qu'un individu révèle toujours une possibilité éternelle. Tout ce qui est nouveau existait déjà de façon potentielle. Ainsi entendu, on n'invente jamais rien, on ne fait que découvrir des possibilités.

Qu'est-ce que le savoir ?

Le savoir est la vérité autant qu'elle nous est accessible, autant que Dieu veut nous la donner.

Une vérité dite par hasard n'est pas un savoir. Ce n'est pas ainsi que Dieu donne la vérité. Si nous devions compter sur le seul hasard pour connaître la vérité, nous ne serions que des âmes égarées, nous ne connaîtrions jamais vraiment la vérité, puisque même si nous la disons par hasard, nous ne savons pas reconnaître qu'elle est la vérité. Pour qu'une vérité soit sue, il faut qu'elle apparaisse clairement comme une vérité, il faut que le chemin qui mène à elle montre qu'elle est une vérité. Un tel chemin fait apparaître la vérité comme un savoir, parce qu'il montre qu'elle est une vérité à notre portée, une vérité que Dieu a voulu nous donner. Nous devons donc avoir les moyens de produire des vérités de façon fiable pour les reconnaître comme un savoir. Il faut de bonnes méthodes, des bons instruments, de l'honnêteté et du bon travail. La devise du savant : tu gagneras la vérité à la sueur de ton front et tu l'enfanteras dans la douleur.

Pour qu'une vérité soit un savoir, il faut qu'elle soit bien produite. Nous devons être de bons producteurs de vérité. Ceci conduit à une définition du savoir

Un énoncé est un savoir si et seulement s'il peut être produit par un bon producteur de vérité qui a bien travaillé en la produisant.

Cette définition ressemble à une lapalissade. Un savoir est ce qui est produit par un savant, quand il a bien travaillé. Et il semble qu'elle met les choses à l'envers. Il ne faut pas définir le savoir à partir du savant, il faut plutôt définir le savant à partir du savoir. Un savant est un esprit capable de produire du savoir. Mais la présente théorie met bien les choses à l'endroit. Le savoir y est défini à partir de la compétence à produire des vérités, parce qu'il est la vérité autant qu'elle nous est accessible. Ce n'est pas seulement la vérité, mais aussi la capacité à bien la produire qui fait le savoir. C'est pourquoi il est naturel de définir le savoir à partir de la compétence des savants.

Un instrument ou un dispositif d'observation est un moyen de production de la vérité. Pour bien travailler on a besoin de bons outils. On en conclut :

Une observation est un savoir si si seulement si elle peut être produite par un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant.

Un énoncé est toujours équivalent à l'observation qu'il est un énoncé vrai. Un dispositif producteur de vérité peut donc toujours être considéré comme un dispositif d'observation.

Dans Warrant and Proper Function (1993) Plantinga définit le savoir à partir du bon fonctionnement des mécanismes cognitifs. Le présente définition du savoir est empruntée à sa théorie, mais sa formulation est différente.

Un producteur de vérité peut être un esprit, une communauté d'esprits (Goldman 1999) ou un instrument d'observation, mais les esprits sont les producteurs de vérité les plus fondamentaux. Une communauté produit des vérités par la coopération d'esprits qui produisent des vérités. Un instrument d'observation produit des vérités quand il est bien utilisé par un esprit. 

Un esprit n'est pas en général fiable dans tous les domaines où il essaie de produire des vérités. Ses compétences sont différenciées. C'est pourquoi un producteur de vérités doit être déterminé avec un domaine de compétences, pas seulement avec un esprit, une communauté ou un instrument d'observation.

Un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible. Il est bon si et seulement si il fonctionne bien la plupart du temps, pas forcément toujours (Goldman 1986). Même si un bon producteur de vérité a produit un énoncé vrai, celui-ci n'est pas forcément un savoir. Du fait de circonstances inconnues, une succession d'erreurs qui se compensent par exemple, un bon producteur de vérité peut produire un énoncé vrai même s'il n'a pas bien travaillé. Dans un tel cas l'énoncé produit n'est pas un savoir, seulement une vérité obtenue par hasard. Il faut que la vérité d'un énoncé résulte du bon travail d'un producteur de vérité pour que cet énoncé soit un savoir (Zagzebski 2017).

Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est-il nécessaire pour qu'un producteur de vérité soit bon ? Zagzebski (1996 p. 182) propose le contre-exemple suivant. Une savante est très créative et apporte une fois sur vingt une contribution importante à la science, mais elle se trompe lourdement le reste du temps. Il semble qu'elle est une très bonne productrice de savoir malgré son taux d'erreur très élevé. Elle peut même être l'un de ceux qui font le plus progresser la science. Mais il faut que ses erreurs soient corrigées pour arriver au savoir. Quand on a dix-neuf chances sur vingt de s'être trompé, on ne sait pas. Pour faire un bon producteur de vérité, la créativité doit être accompagnée d'un dispositif qui réduit son taux d'erreur.

Un énoncé est un savoir si et seulement si il peut être su, mais un énoncé peut être un savoir sans être su. Couramment on suppose qu'un savoir est su par au moins un esprit, mais on peut aussi dire du savoir potentiel qui n'est su par personne, mais qui pourrait être su, qu'il est un déjà un savoir en attente d'être découvert. Ainsi entendus, "est un savoir" et "peut être su" sont synonymes. "peut" doit être entendu ici au sens de la possibilité naturelle, pas seulement de la possibilité logique.

Quand est-ce qu'un savoir est su ? Il n'y a pas de réponse précise, parce qu'un savoir peut être su de diverses façons, et parce qu'il peut être plus ou moins bien su. Un physicien qui se sert de formules mathématiques sans connaître leurs preuves a un savoir, mais il n'est pas aussi bien su que par un mathématicien qui connaît les preuves. La question "quand est-ce qu'un énoncé est un savoir ?" peut cependant recevoir des réponses précises. Chacune des cinq conditions suivantes est nécessaire et suffisante pour qu'un énoncé soit un savoir. Il peut être produit par un bon producteur de vérité qui a bien travaillé en le produisant. Il peut être produit par un acte de vertu intellectuelle. Il est un bon principe, une bonne observation ou la conclusion d'un raisonnement logique dont les prémisses sont des bons principes ou des bonnes observations. Il peut être reconnu comme un savoir. Il peut être bien prouvé.

Les vertus intellectuelles

Une vertu est intellectuelle si elle est motivée par la recherche de la vérité. Un esprit devient un bon producteur de vérité en développant et en exerçant ses vertus intellectuelles. Honnêteté, impartialité, cohérence, respect de la vérité, ouverture d'esprit, courage, persévérance, et beaucoup d'autres, font que nous pouvons devenir de bons producteurs de vérité.  Un producteur de vérité peut être bon au sens où il fournit des résultats fiables parce que son taux d'erreur est faible, ou au sens où il met en pratique les vertus intellectuelles. Il n'est pas nécessaire de séparer ces deux significations. Une vertu intellectuelle doit conduire à des résultats fiables, sinon elle ne serait pas une vertu. Inversement on  ne peut pas produire de résultats fiables sans vertu. Le simple usage d'un instrument d'observation requiert le respect de la vérité pour produire des résultats fiables. On ne peut rien faire ou presque sans les vertus. Même les criminels ont besoin de mettre en pratique les vertus, au moins parfois, sinon ils ne pourraient pas vivre. Il n'y a pas d'opposition entre l'efficacité ou la puissance d'une part et la vertu d'autre part, parce que rien n'est plus puissant que la vertu. Elle est la première source de la puissance et la seule source de la véritable puissance, si on admet que la véritable puissance est toujours la puissance de faire le bien.

Un acte d'un bon producteur de vérité  qui a mis en pratique les vertus intellectuelles peut être appelé un acte de vertu intellectuelle. La définition précédente  du savoir est donc équivalente à la suivante :

Un énoncé est un savoir si et seulement si il peut être produit par un acte de vertu intellectuelle. 

Cette définition est très proche de celle présentée par Zagzebski dans Virtues of the mind (1996).

Les savants produisent du savoir parce qu'ils ont une vertu productrice de savoir, une vertu intellectuelle. Avec cette lapalissade on n'a évidemment encore rien expliqué, on a seulement nommé ce qu'on doit expliquer, l'existence de la vertu intellectuelle, de la capacité à produire des vérités de façon fiable.

Des règles pour la direction de l'esprit

Il est dans la nature de l'esprit de se donner des fins, qu'il poursuit, et des règles, qu'il applique, pas toujours. Une règle peut être considérée comme une fin, la fin étant d'obéir à la règle. C'est une fin qu'on n'a jamais complètement atteinte, sauf si on meurt, parce qu'on peut toujours désobéir tant qu'on est vivant. Un système de fins et de règles est un programme. Lorsque ses fins sont nobles, un programme est un idéal. Pour être de bons producteurs de vérité, il faut se donner un idéal de la raison, un système de fins et de règles pour la direction de l'esprit, et le réaliser. Comme la raison nous invite à nous servir de la raison, l'idéal de la raison est un mode d'emploi de la raison.

Pourquoi se donner des règles ? En se donnant comme règle de faire tous ses pas dans la même direction, on va beaucoup plus loin qu'en marchant comme un ivrogne qui change de direction à chaque pas. Il en va de même pour tous les bons programmes. Ils nous rendent plus compétents, plus puissants, plus capables d'atteindre des objectifs éloignés.

Sans éthique pas de science, parce qu'il faut bien travailler pour produire du savoir et parce qu'on ne peut pas bien travailler sans éthique.

Les programmes que nous nous donnons évoluent tout au long de la vie. Nous modifions et complétons continuellement ceux que nous avons déjà adoptés. Nous pouvons aussi nous donner un programme de recherche de programmes, en nous donnant des règles pour trouver des programmes. Un mode d'emploi de la raison est justement un programme de recherches de bons programmes, dignes de la raison.

Un idéal n'est pas toujours bon. Il peut être mauvais parce qu'il mêle de nobles fins avec d'autres qui le sont moins, ou parce qu'il est irréalisable et nous condamne alors à la frustration. Pour être réalisable, un programme doit toujours être adapté à la réalité, à la fois la réalité extérieure et la réalité intérieure, ce que nous sommes pour nous-mêmes. Pour nous donner de bons programmes, nous devons à la fois connaître des lois éthiques et des lois de la réalité. Les lois éthiques enseignent les devoirs et les fins qui méritent d'être poursuivies. Les lois de la réalité enseignent comment s'adapter.

L'idéal donne à l'esprit sa puissance. La puissance d'un esprit est la puissance de son idéal. En particulier, un idéal du savoir donne à un esprit la puissance de produire du savoir, donc la vertu intellectuelle

On reconnaît les bons principes à leurs fruits

On développe le savoir en faisant des théories et en les confrontant aux observations. Une théorie est un système de principes. Un principe est un axiome ou une définition. Les théorèmes de la théorie sont les conclusions des raisonnements logiques dont les prémisses sont des axiomes ou des définitions. 

Sans les principes nos moyens naturels d'observation seraient les seules sources de savoir. Les principes nous rendent capables d'aller beaucoup plus loin. Les théories nous font connaître tous les mondes possibles et le monde actuel avant même qu'il soit actuellement observé, elles augmentent nos capacités d'observation du monde actuel, elles nous enseignent les fins qui méritent vraiment d'être poursuivies, comment acquérir du savoir et faire de bonnes théories. Les bons principes sont toujours des sources inépuisables de savoir. On peut aussi les voir comme des moteurs ou des fusées, parce qu'ils nous donnent de la puissance et qu'ils nous transportent jusqu'aux sommets les plus élevés du savoir.

Un même énoncé peut être un principe d'une théorie et un théorème d'une autre théorie, parce qu'un principe peut être prouvé à partir d'autres principes. Un même énoncé peut être une observation et la conclusion d'un raisonnement parce qu'un raisonnement peut faire partie d'un dispositif d'observation. On peut raisonner pour interpréter des observations et produire ainsi de nouvelles observations.

Un énoncé est un savoir si et seulement s'il est un bon principe, une bonne observation ou la conclusion d'un raisonnement logique dont les prémisses sont des bons principes ou des bonnes observations. Ce principe n'est pas une définition du savoir. Les concepts de bonne observation et de bon principe sont définis à partir du concept de savoir. Un énoncé est une bonne observation si et seulement s'il est à la fois une observation et un savoir. Un énoncé est un bon principe si et seulement s'il est à la fois un principe et un savoir. 

Puisqu'un énoncé faux n'est jamais un savoir, les bons principes et les bonnes observations doivent être vrais. Si un raisonnement est logique, la conclusion ne peut pas être fausse quand les prémisses sont vraies. Un raisonnement logique dont toutes les prémisses sont vraies est une preuve concluante.

Une théorie peut être considérée comme le programme d'un dispositif d'observation. On observe que des énoncés sont vrais en observant qu'ils sont des théorèmes, qu'ils sont logiquement prouvés à partir des axiomes et des définitions. « Les yeux de l'âme, par lesquels elle voit et observe les choses, ne sont rien d'autre que les preuves. » (Spinoza, Éthique, Livre V, prop. 23, Scolie). Nos dispositifs d'observation sont en général faillibles, mais les bonnes théories font exception, parce qu'elles sont infaillibles si leurs axiomes sont vrais.

« Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » (Matthieu, 7:20)

« On y verra de ces sortes de démonstrations, qui ne produisent pas une certitude aussi grande que celles de Géométrie, et qui même en diffèrent beaucoup, puisque au lieu que les Géomètres prouvent leurs Propositions par des Principes certains et incontestables, ici les Principes se vérifient par les conclusions qu'on en tire; la nature de ces choses ne souffrant pas que cela se fasse autrement. Il est possible toutefois d'y arriver à un degré de vraisemblance, qui bien souvent ne cède guère à une évidence entière. Savoir lorsque les choses, qu'on a démontrées par ces Principes supposés, se raportent parfaitement aux phénomènes que l'expérience a fait remarquer; surtout quand il y en a grand nombre, et encore principalement quand on se forme et prévoit des phénomènes nouveaux, qui doivent suivre des hypothèses qu'on employe, et qu'on trouve qu'en cela l'effet répond à notre attente. Que si toutes ces preuves de la vraisemblance se rencontrent dans ce que je me suis proposé de traiter, comme il me semble qu'elles font, ce doit être une bien grande confirmation du succès de ma recherche, et il se peut malaisément que les choses ne soient à peu près comme je les représente. » (Christian Huyghens, Traité de la lumière, p.2)

Un principe est bon si et seulement s'il peut servir à bien produire la vérité. On reconnaît les bons principes à leurs fruits, le bon savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre. Les fruits peuvent être considérés comme des preuves que les principes sont bons, mais ils ne sont pas des preuves concluantes, parce que même des principe faux peuvent parfois porter des fruits. La reconnaissance des bons principes à partir de leurs fruits n'est pas infaillible, mais elle est quand même une bonne façon de reconnaître le savoir.

On reconnaît le savoir à partir des bons principes avec lesquels il est produit. On reconnaît les bons principes à partir du savoir qui peut être produit avec eux. Cette approche est circulaire. Pour reconnaître les bons principes, il faut reconnaître le savoir, mais pour reconnaître le savoir il faut reconnaître les bons principes. Ce cercle ne nous enferme pas parce que les bons principes ne sont pas les seuls critères du savoir. On reconnaît les bons principes quand ils nous aident à devenir de bons producteurs de vérités dans un ensemble cohérent de producteurs de vérité, une communauté d'esprits qui veulent un savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre, à devenir des esprits accomplis. Cette reconnaissance de l'accomplissement de l'esprit est plus fondamentale que la reconnaissance des bons principes, parce qu'on reconnaît les bons principes en reconnaissant qu'ils aident à notre accomplissement.

Comme l'éthique est le savoir sur le bien de l'esprit, elle est le savoir qui reconnaît les fruits de la raison, elle est par conséquent nécessaire pour reconnaître tous les principes des sciences. L'éthique est fondamentale pour toutes les sciences parce qu'elle nous apprend à la fois à bien travailler et à évaluer les fruits de nos travaux.

La meilleure façon de penser est de mettre une vérité devant l'autre et de recommencer. C'est l'idéal cartésien du savoir. Il faut partir de vérités déjà connues et passer de vérité en vérité en respectant les règles du raisonnement logique. Les règles logiques garantissent qu'on passe toujours du vrai au vrai. Mais pour procéder ainsi il faut savoir que nos prémisses, les observations et les principes qu'on met au commencement de nos raisonnements, sont vraies. Or on ne sait pas toujours dès le commencement si nos principes sont bons. On ne sait parfois même pas si nos observations sont bonnes, parce qu'il faut de bons principes pour établir leur vérité. Puisqu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits, il faut attendre la fin du travail pour reconnaître qu'ils sont vraiment bons. Au commencement ils sont seulement hypothétiques. La reconnaissance des bons principes n'est pas instantanée, elle résulte d'un long cheminement, parce qu'il faut laisser le temps aux principes de nous révéler leur vérité. 

Un savoir peut toujours être reconnu comme un savoir

Faut-il savoir qu'on sait pour savoir ? Si on a un bon dispositif producteur de vérité, si on croit aux énoncés qu'il produit et si on ne sait pas qu'il est un bon dispositif producteur de vérité, on a un savoir sans savoir qu'il est un savoir. On sait mais on est crédule vis à vis de son propre savoir. Un énoncé est beaucoup mieux su si on sait qu'il est un savoir. Un savoir peut être plus ou moins bien su parce que le dispositif qui le produit peut être plus ou moins bon, mais il peut aussi être plus ou moins bien su parce qu'on sait plus ou moins bien qu'il est produit par un bon dispositif producteur de vérité, parce que nos dispositifs d'observation du savoir peuvent être plus ou moins bons. 

Un énoncé est un savoir si et seulement s'il peut être su. Il faut entendre qu'un savoir peut être vraiment bien su, qu'on peut l'avoir en sachant qu'on l'a. Un énoncé qui ne pourrait jamais être reconnu comme un savoir ne pourrait pas être un savoir, parce qu'il ne pourrait pas être vraiment bien su. 

Un énoncé est un savoir si et seulement s'il peut être reconnu comme un savoir. 

On peut donner plusieurs formulations équivalentes de ce principe. Un énoncé est un savoir si et seulement si l'observation qu'il est un savoir est un savoir. Un énoncé est un savoir si et seulement si l'énoncé qu'il est un savoir est une bonne observation. Un énoncé est un savoir si et seulement s'il peut exister un bon dispositif d'observation du savoir qui fonctionne bien quand il le reconnaît comme un savoir.  

Les bons dispositifs d'observation du savoir sont fondamentaux pour l'acquisition du savoir parce qu'ils font que le savoir est vraiment bien su quand il est su.

Pour savoir il faut savoir qu'on sait, il faut donc savoir qu'on sait qu'on sait, et ainsi de suite à l'infini. On pourrait croire que cette suite infinie de savoirs est une régression qui nous empêche de toujours savoir qu'on sait, parce que des énoncés en nombre infini ne peuvent pas être tous sus en même temps par un esprit fini. Mais c'est se tromper sur la puissance d'un esprit fini. N'importe quelle généralité est équivalente au savoir d'un nombre infini d'énoncés. Connaître des énoncés en nombre infini n'est pas hors de notre portée, c'est ce que nous faisons tous les jours dès que nous énonçons une généralité.

'X peut être su à l'ordre 0' égale par définition 'X peut être su'. 'X peut être su à l'ordre n+1' égale par définition 'Que X peut être su à l'ordre n peut être su', pour tout nombre naturel n. Avec ces définitions, on peut affirmer que pour tout nombre naturel n, X peut être su à l'ordre n. Pour le savoir, il suffit de le prouver. Peut-on le prouver ?

Un dispositif universel d'observation du savoir est un dispositif d'observation de tous les savoirs. Il doit observer pour tous les producteurs de vérité, ou les dispositifs producteurs de vérité, si oui ou non ils sont de bons producteurs, et s'ils ont bien travaillé, ou bien fonctionné, en produisant ce qu'ils proposent comme des vérités. Un tel dispositif peut-il exister ?

S'il existe, il est comme un soleil pour tous les esprits,  qui éclaire toutes les vérités qui nous sont accessibles. Il révèle tous les savoirs. Il montre en pleine lumière tout ce qui peut être su.

Une bonne observation qu'un savoir est un savoir est elle aussi un savoir. Un dispositif universel d'observation du savoir doit donc être capable de s'observer lui-même et de reconnaître si les observations qu'il produit sont bien produites. Est-ce possible ? Un bon dispositif universel d'observation du savoir qui observe qu'il est un bon dispositif universel d'observation du savoir peut-il exister ? 

Supposons qu'un bon dispositif d'observation du savoir soit capable de s'observer lui-même, de reconnaître qu'il produit bien un bon savoir, et d'observer que X est un savoir. Alors ce dispositif peut reconnaître que X peut être su à l'ordre 0. De plus, s'il peut reconnaître que X peut être su à l'ordre n, il peut aussi reconnaître qu'il peut être su à l'ordre n+1, puisqu'il est capable de s'observer lui-même et donc de reconnaître qu'il peut reconnaître que X peut être su à l'ordre n. On peut alors conclure, avec le principe du raisonnement par récurrence, que pour tout nombre naturel n, ce dispositif peut reconnaître que X peut être su à l'ordre n.

Les dispositifs d'observation du savoir sont des dispositifs d'observation des dispositifs producteurs de vérité. Pour observer qu'un dispositif producteur de vérité est bon, on doit observer qu'il ne fait pas trop d'erreurs. Pour observer si oui ou non il fait des erreurs, on le confronte à un ou plusieurs autres dispositifs producteurs de vérité, parce qu'une même vérité peut être produite de nombreuses façons. Bien sûr on a besoin de bons dispositifs producteurs de vérité pour observer si un dispositif producteur de vérités est bon. Mais il n'y a pas pour autant de régression à l'infini, parce que la cohérence des résultats fournis par des dispositifs producteurs de vérité indépendants suffit pour établir qu'ils sont bons. Si on a observé que de nombreux dispositifs producteurs de vérité indépendants donnent la plupart du temps des résultats cohérents, il y a une chance infime que cette cohérence résulte du fonctionnement de mauvais dispositifs, on peut donc conclure que tous les dispositifs sont bons.  Un dispositif producteur de vérités est bon si et seulement s'il est élément d'un ensemble de dispositifs indépendants qui donnent des résultats cohérents la plupart du temps. Ce principe est un critère d'observation des bons dispositifs producteurs de vérité. 

Des producteurs indépendants peuvent observer la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants. La cohérence des observations de la cohérence peut alors être observée. Le critère de la cohérence des producteurs indépendants peut ainsi être appliqué à lui même et il conduit alors à l'observation qu'il est un bon principe, donc un savoir.

Le principe qu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits est un critère d'observation des bons principes. Il porte des fruits à chaque fois qu'il nous aide à reconnaître les bons principes. Quand il est ainsi appliqué à lui-même, il conduit à l'observation qu'il est lui-même un bon principe.

Les grands principes universels de la reconnaissance du savoir donnent les moyens de reconnaître tous les savoirs, y compris eux-mêmes. En donnant de tels principes, Dieu  a donné la puissance d'acquérir tous les savoirs.

Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, et de s'observer elle-même, est un dispositif universel d'observation du savoir. Elle a la puissance de reconnaître toutes les vérités, autant qu'elles nous sont accessibles. 

L'observation des bons fruits et de la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants ne conduisent pas toujours à la certitude, mais ce n'est pas nécessaire, parce qu'un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible.

Qu'est-ce qu'une preuve ?

Pour savoir, il faut donner des preuves. Si on ne sait pas prouver ce qu'on avance, on ne sait pas, tout court. Mais qu'est-ce qu'une preuve ?

L'usage courant ne nous aide pas parce que plus ou moins n'importe quoi peut être appelé une preuve.

Un raisonnement est une preuve de sa conclusion. Mais les prémisses aussi sont des preuves de la conclusion. Même une seule des prémisses peut être appelée une preuve.

Une observation est une preuve. Le processus d'observation prouve la vérité de ce qui est observé. 

L'observation d'une observation, l'observation d'un témoignage par exemple, est une preuve de l'existence à la fois de l'observation et du fait observés.

Un fait peut être considéré comme une preuve de ses causes ou de ses conséquences.

Un être peut être une preuve. Par exemple, l'arme du crime est une preuve du crime.

Une preuve doit-elle être infaillible pour être une preuve ? Un argument solide mais qui ne suffit pas pour établir sa conclusion est-il une preuve ? Une mauvaise preuve, un argument faux, un sophisme, sont-ils des preuves ?

En mathématiques on sait toujours reconnaître si les raisonnements sont des bonnes preuves parce qu'il suffit de vérifier que les prémisses sont des axiomes ou des définitions et que les règles logiques ont été respectées. Plus généralement, une preuve qui ne montre pas clairement qu'elle est une preuve ne peut pas être une bonne preuve. Un théorème ne porte pas de marques visibles qu'il est un théorème, parce que le lire ne suffit pas pour savoir si oui ou non il est une conséquence des axiomes et des définitions. En revanche une preuve porte toujours des marques visibles qu'elle est une preuve, il faut qu'elle puisse être reconnue comme une preuve. 

Le chemin qui mène au savoir doit montrer qu'il est la vérité. Le processus de production du savoir est donc toujours une preuve qu'il est un savoir. Si un savant a bien travaillé en produisant la vérité, son travail est une bonne preuve de son résultat. On peut donc conclure :

Un énoncé est un savoir si et seulement s'il peut être bien prouvé.

Un bon travail de production de la vérité doit toujours porter des marques apparentes qu'il est un bon travail. S'il ne peut pas être reconnu comme un bon travail, alors il n'est pas un bon travail. Cela fait partie du travail de montrer qu'il est un bon travail. Un tel travail ne peut pas être bon sans le montrer. 

Un dispositif d'observation ne peut pas être bon sans montrer qu'il est bon. Si on ne peut pas observer qu'un dispositif d'observation est bon, alors il n'est pas bon.

Une bonne observation qu'un énoncé est un savoir est toujours aussi une bonne preuve qu'il est un savoir. L'observation qu'un travail de production de la vérité est un bon travail est une preuve de la conclusion du travail. On donne des preuves non seulement par le bon travail mais aussi en observant qu'il s'agit d'un bon travail. 

Une bonne preuve n'apporte pas toujours la certitude, parce qu'elle peut être bonne sans que nous soyons certains qu'elle est bonne. Par exemple une observation peut être bonne, parce qu'elle est produite par un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant, mais le savoir ainsi produit n'est pas su avec certitude, parce que le dispositif d'observation est bon sans être infaillible.

Donner des preuves, c'est toujours inviter un esprit à prendre conscience qu'il est capable de savoir par lui-même. La preuve, si elle est vraiment bonne, est un chemin universel, un chemin qui montre à tous les esprits comment leurs propres ressources leur donnent les moyens de rejoindre la vérité. Donner des preuves est une forme de respect pour tous les esprits, c'est une façon d'honorer leur capacité à connaître la vérité.

Savoir sans être certain qu'on sait

Peut-on savoir sans savoir qu'on sait ?

Si on a un bon dispositif producteur de vérités, si on croit aux vérités qu'il produit, et si on ne sait pas qu'il est un bon dispositif producteur de vérités, est-ce qu'on sait ou est-ce qu'on ne sait pas ?

Nous avons des organes sensoriels et un cerveau avec lesquels nous produisons des observations vraies. Mais il faut être savant pour savoir que la perception sensorielle produit la vérité. Si on croit que nos perceptions produisent la vérité sans le savoir, avons-nous un savoir ?

Si nous croyons que des vérités bien produites sont des vérités sans savoir qu'elles ont été bien produites, nous ne sommes pas différents d'un crédule qui croit n'importe quelle sottise débitée par un menteur, un escroc ou un charlatan, donc nous ne savons pas. Pour savoir, il faut savoir qu'on sait.

On peut savoir plus ou moins bien qu'on sait, parce que nos dispositifs d'observation du savoir peuvent être plus ou moins bons.

Si je crois que je sais parce que j'ai vu et bien vu, alors je sais et je sais que je sais, parce que ma capacité à reconnaître que j'ai bien vu, que de bonnes conditions d'observation ont été réunies, est un bon dispositif d'observation du savoir, même s'il n'est pas infaillible.

On ne peut pas savoir sans savoir qu'on sait, mais on peut ne pas très bien le savoir. 

Si j'ai un bon dispositif D producteur de vérité, s'il a bien fonctionné en produisant la vérité, si j'ai en plus un bon dispositif D' producteur de vérité sur les producteurs de vérité, capable de reconnaître que D est un bon producteur de vérité, et capable de se reconnaître lui-même comme un bon dispositif producteur de vérité, alors je sais en sachant que je sais, mais si D' n'est pas infaillible, alors je sais sans être certain que je sais. On peut donc savoir sans être certain qu'on sait.

Dieu nous a donné la vérité, mais pas toujours la certitude.

La certitude donne un sentiment de puissance, comme si nous n'avions besoin de personne d'autre que nous-mêmes pour savoir, comme si nous n'avions pas besoin de Dieu pour être puissant.

La certitude conduit à l'intolérance. Si j'ai un bon dispositif d'observation du savoir qui fournit des résultats certains alors je peux exclure tout ce qui ne respecte pas mes règles, tout ce qui ne passe pas mon test d'observation du savoir. Tout candidat au savoir que je ne reconnais pas comme un bon candidat est automatiquement exclu : va-t-en, tu n'as pas ta place dans le champ du savoir.

Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, est un dispositif universel d'observation du savoir, mais elle ne conduit pas à la certitude et à l'intolérance. Au contraire, elle impose la loi de l'hospitalité : nous ne connaissons pas par avance tous les bons principes et toutes les bonnes méthodes d'observation, et nous ne pouvons pas les connaître. La science est nécessairement imprévisible. Nous ne pouvons pas savoir avance ce qu'elle deviendra et comment nous la reconnaîtrons. Nos principes d'observation du savoir sont universels mais en général, ils ne donnent pas de réponse rapide et certaine. Il faut laisser le temps aux principes, aux hypothèses, aux théories et même aux dispositifs d'observation, pour qu'ils portent leurs possibles fruits. En face d'une nouvelle hypothèse, nous avons le devoir de l'accueillir. Un candidat au savoir n'est pas exclu, il est invité à montrer ses preuves. La certitude et l'intolérance conduisent à l'ignorance parce qu'elles nous empêchent d'observer correctement le savoir. Sans un esprit d'hospitalité, disposé à laisser venir toutes les formes de vérité, et à leur donner les moyens de nous révéler tout ce qu'elles peuvent révéler, on est incapable de reconnaître le savoir, et donc incapable de savoir.

Comment connaît-on les concepts ?

Les concepts (les propriétés et les relations) sont les significations des mots et des expressions qui nomment des concepts. Par exemple la propriété d'être un arbre est la signification du mot arbre. Sans les concepts nos paroles ne pourraient pas avoir de signification. 

Pour que la vérité d'un énoncé soit déterminée il faut que sa signification soit déterminée. Un même énoncé peut être tantôt vrai, tantôt faux, selon les diverses façons de l'interpréter. On ne peut rien savoir tant qu'on n'a pas déterminé clairement les concepts qu'on emploie. Pour produire la vérité il faut s'en donner les moyens, il faut avoir déterminé clairement les concepts. 

Comment les concepts sont-ils définis, ou déterminés ?

On connaît un concept quand on sait l'attribuer.

Un fait est toujours déterminé par l'attribution d'une propriété à un individu, ou d'une relation entre plusieurs individus, donc par l'attribution d'un concept.

Un énoncé d'observation attribue une propriété observée à un individu observé, ou une relation observée entre plusieurs individus observés, en les nommant. Un énoncé d'observation est toujours l'observation d'un fait.

Attribuer des concepts c'est observer les faits.

Les dispositifs de perception sensorielle sont des producteurs d'observations sur le monde dans lequel nous vivons. Ils sont donc des producteurs de vérité fondamentaux, parce que sans eux on ne pourrait pas connaître le monde actuel. 

Percevoir est toujours percevoir en même temps un concept et un ou plusieurs êtres auxquels on attribue ce concept. On perçoit toujours un être en lui attribuant une propriété perçue, ou une relation perçue avec d'autres êtres. La perception des êtres est toujours la perception des faits.

Un individu dans un monde est toujours observé à partir de ses propriétés et de ses relations. Quand on observe une propriété, on observe en même temps l'individu qui a cette propriété. Quand on observe une relation, on observe en même temps les individus qui ont cette relation. Mais on n'observe jamais d'individu sans observer ses propriétés ou ses relations. Un individu nu, sans propriétés ni relations, ne peut pas être observé, il ne peut pas exister pour un observateur. L'observation des concepts est plus fondamentale que l'observation des individus, parce qu'un individu n'est jamais observé sans qu'on lui attribue des concepts.

Pour observer le monde actuel, nous ne nous contentons pas de la perception sensorielle, nous la complétons avec des instruments d'observations et des théories. Une théorie peut servir à produire de nouvelles observations à partir d'observations déjà faites, parce que la conclusion d'un raisonnement fondé sur des observations peut être elle aussi une observation.

Un concept peut être attribué non seulement aux êtres du monde actuel, mais aussi aux êtres de mondes possibles. C'est pourquoi les concepts sont déterminés avec des lois. Les mondes sont possibles relativement à un système de lois. Les mondes possibles sont ceux qui respectent les lois. Par exemple les mondes naturellement possibles sont les mondes qui respectent les lois de la Nature. Une théorie est un système de lois. Elle est déterminée avec des principes : des axiomes et des définitions. Les axiomes sont les lois fondamentales qui déterminent les concepts fondamentaux. Les définitions déterminent les concepts définis à partir des concepts fondamentaux. Les théorèmes sont les conséquences logiques des principes. Les concepts sont attribués à des êtres possibles si et seulement si cette attribution est un théorème. 

Les théories servent à observer le monde actuel, mais elles donnent aussi les moyens d'aller beaucoup plus loin, parce qu'elles donnent la puissance de connaître tous les possibles, tout ce qui peut être imaginé et pensé. Les théories ouvrent les portes de la perception de tous les mondes possibles. 

L'univers de tous les univers possibles est comme un espace dont chaque point est lui-même un espace.

On détermine des concepts de façon empirique en donnant des dispositifs d'observation du monde actuel. On détermine des concepts de façon purement théorique en donnant des principes qui permettent de raisonner avec eux. Par exemple, le concept de distance peut être identifié à la relation ternaire entre deux points x et y d'un espace et un nombre réel positif z : d(x, y) = z. Tous les instruments de mesure des distances déterminent de façon empirique ce concept. Des axiomes qui fondent une géométrie le déterminent de façon théorique. 

Dans les sciences empiriques, on veut que nos concepts soient déterminés à la fois d’une façon empirique et d’une façon théorique, parce qu’on veut des théories qui expliquent le monde actuel. 

Un concept est précisément déterminé lorsque la vérité de son attribution est déterminée dans tous les cas. Une telle précision est rarement atteinte et n'est pas forcément souhaitable. Le flou conceptuel, l'indétermination partielle, peut rendre l'usage des concepts plus souple et mieux adapté à la réalité. Il faut seulement rechercher la précision qui convient, celle qui suffit pour établir la vérité des observations ou des conclusions.

La générosité divine

« Il n'est pas possible que la divinité soit envieuse. » (Aristote, Métaphysique, livre A, 983a) 

« Seul ce qui est enfin parfaitement déterminé est à la fois exotérique, concevable, susceptible d'être appris et d'être la propriété de tous. La forme intelligible de la science est la voie vers elle qui est ouverte et offerte à tous et rendue la même pour tous, et parvenir par l'entendement au savoir raisonnable est la juste exigence de la conscience qui vient rejoindre la science. » (Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Préface, p.XV, traduit par Jean-Pierre Lefebvre)

Dès que des bons principes sont reconnus, ils sont adoptés par tous ceux qui comprennent qu'ils rendent plus compétents, plus forts, plus lucides. S'ils sont vraiment bons, vraiment utiles, ils s'imposent naturellement à tous ceux à qui ils rendent service. En inventant ou en développant de bonnes théories avec de bons principes, on peut se rendre utile pour tous les esprits. Les fruits de la raison sont universels. Les bonnes observations, les bons principes et les bons raisonnements sont toujours bons pour tous les esprits. Si un esprit peut récolter les fruits de bons principes, alors tous les esprits peuvent récolter les mêmes fruits. Quand on cherche des bons principes, on cherche un bien pour tous les esprits, on met en pratique le grand principe de l'éthique, que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits.

Les grands principes nous révèlent la puissance de la raison. Ils donnent à tous les esprits les moyens d'acquérir tous les savoirs, de comprendre tous les esprits et de révéler tous les bienfaits de la raison. En apprenant ce que les grands principes nous enseignent, nous apprenons du même coup que nous pouvons penser pour le bien de tous les esprits. Être bon pour tous les esprits n'est pas un idéal inaccessible. C'est la réalité de la pensée rationnelle.

Le bien d'un esprit, le meilleur pour un esprit, est de vivre pour le bien de tous les esprits, pour le meilleur, pour tous les esprits.

Ce principe n'impose pas de renoncer complètement à son propre intérêt. Faire son propre bien est un bien. Mais un esprit qui ne se sert pas de sa puissance pour le bien des autres est un esprit faible, un esprit qui ne s’accomplit pas. Quand on sait vraiment rendre service, on fait son propre bien en même temps que celui d’autrui, et on révèle qu’on est vraiment compétent, vraiment fort, vraiment puissant, vraiment bien.  

Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits peut entendu comme un principe communiste, ou socialiste : le bien, c'est la bonne communauté. Il n'y a pas de bien sans une bonne société. Mais il peut aussi être adopté par une droite conservatrice, qui peut affirmer par exemple que le meilleur pour tous est la protection des intérêts privés.

Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits, a une conséquence immédiate : pour vouloir le bien d'un esprit il faut vouloir qu'il veuille le bien, puisque son bien est de vivre pour le bien, et donc de le vouloir. Par exemple, les parents veulent le bien de leurs enfants en voulant qu'il deviennent d'honnêtes citoyens. Mais comment fait-on ? Et sommes-nous capables de le faire ? N'est-ce pas demander l'impossible ? 

Nous voulons la puissance de connaître le bien et de le faire, et nous voulons donner cette puissance, puisque la donner est un bien. Mais est-ce possible ? Ne faut-il pas être Dieu pour avoir la puissance de de connaître le bien, de le faire et de donner cette puissance ? 

Garder le meilleur pour soi, ne pas le donner, n'est pas le meilleur mais le pire : priver les autres du meilleur. Le meilleur n'est pas de garder pour soi le meilleur mais de le donner. La puissance de donner le meilleur est le meilleur.  Donc la puissance de donner la puissance de donner le meilleur est aussi le meilleur.

Tout se passe comme si la raison était une divinité généreuse, qui donne sa sagesse à tous ceux qui veulent vraiment la connaître. La première vérité sur la raison est qu'elle est généreuse. Elle n'est pas envieuse, elle ne nous prive pas du meilleur. Elle ne serait pas la meilleure si elle privait un seul d'entre nous du meilleur. 

La plus grande bonté de Dieu est de nous enseigner comment être bon. Et en enseignant la bonté, il nous enseigne en même temps comment enseigner la bonté, parce que la puissance d'enseigner la bonté fait partie de la bonté.

Nous avons la puissance de donner la puissance par délégation. La première source de la puissance est toujours Dieu. Il n'y a que Dieu qui a vraiment la puissance de donner la puissance. Nous avons la puissance de donner la puissance seulement si Dieu le veut.

Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous esprits conduit à un critère de reconnaissance de tous les savoirs, parce qu'une science ne peut pas être une science sans être un bien pour tous les esprits. En sachant que le savoir rationnel doit être un bien pour tous les esprits, nous avons le savoir fondamental qui donne les moyens de reconnaître tous les savoirs.

Le principe que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits est lui-même un bien pour tous les esprits, donc une manifestation de la générosité divine.

La raison est un bien pour tous les esprits. Si on défend, si on enseigne ou si on illustre la raison, on fait le bien pour tous les esprits.

Que la raison est un bien pour tous les esprits a comme conséquence l'universalité de la critique. Quand on prétend offrir un savoir, toutes les objections doivent être accueillies. Un esprit est toujours en droit de faire partager son insatisfaction, parce qu'il est lui-même un critère de reconnaissance du bon savoir, parce que le bon savoir doit l'aider à bien penser et à bien vivre pour être vraiment bon. Une prétention à la science qui n'offre pas son hospitalité à toutes les critiques renie la science et la raison. Pas de science sans liberté critique. C'est une des règles les plus fondamentales du développement des sciences.

Pour qu'un savoir puisse être partagé, il faut qu'il puise seulement dans des ressources communes, accessibles à tous. On pourrait croire que c'est une limite très restrictive, qu'en se privant de ressources privées, on se prive du même coup du meilleur du savoir, mais c'est l'exact contraire qui est vrai. Nos intelligences sont les plus puissantes justement quand elles se limitent aux ressources communes. C'est en nous entraidant que nous découvrons le mieux le pouvoir de nos intelligences, que nous développons les meilleurs savoirs et que nous faisons vivre la raison.

La raison est-elle divine ?

Pourquoi dire de la raison qu'elle nous est donnée par Dieu ? Pourquoi ne pas dire que nous nous la donnons à nous-mêmes ?

Nous faisons la science, nous faisons exister tous les savoirs quand nous les développons, les enseignons et les discutons. Sans nos travaux de producteurs de vérité, la raison n'existerait pas. Elle est notre invention et notre œuvre.

"Dieu a fait les êtres humains à son image et ils le lui ont bien rendu." La sagesse et la générosité que nous attribuons à Dieu sont-elles des projections d'une sagesse et d'une générosité seulement humaines ?

La raison est nécessaire. Elle ne peut pas ne pas être ce qu'elle est. Nous ne décidons pas de ce qu'elle est. Elle ne dépend pas de nos décisions arbitraires ou de notre bon plaisir.

Nous n'inventons pas la raison, nous la découvrons. Elle est ce qu'elle est de toute éternité. Quand nous faisons la science, nous découvrons une possibilité éternelle.

Quand nous découvrons la raison, nous découvrons en même temps que nous sommes capables de la découvrir, mais nous ne décidons pas comment la découvrir. C'est la raison qui nous montre comment découvrir la raison. Il est donc faux de dire que nous faisons la raison, la vérité est que c'est elle qui nous fait.

Si on croit que la puissance de faire le bien est la seule véritable force, et que seule la raison donne cette puissance, alors la raison est la première source de toute force. Sans la raison, nous sommes sans force. Avec la raison, nous trouvons la force et la force de nous donner la force, mais nous ne choisissons pas ce qu'est cette force.

Puisque la première source de toute force, la raison, nous destine au bien, il est naturel de l'identifier à la puissance divine.

Notre force est seulement de recevoir toute la force que Dieu nous donne, de laisser cette puissance agir en nous. Dieu donne la force mais nous ne pouvons pas l'exiger, seulement l'espérer, la laisser venir, et parfois l'exercer. Nous n'avons pas la force de nous donner la force, sauf si Dieu nous donne cette force, et nous n'avons pas non plus la force de choisir ce qu'elle est.

Complément : les théories indécidables

Un dispositif d'observation du savoir ne peut pas être universel, infaillible et répondre à toutes les questions qui exigent une réponse par oui ou non. Si un tel dispositif existait, on pourrait lui demander "vas-tu répondre non à la présente question ?" Il ne peut donner qu'une réponse fausse.

Une théorie du savoir peut être universelle et infaillible. La logique du premier ordre est une telle théorie. Mais une théorie du savoir universelle et infaillible ne peut pas répondre à toutes les questions qui se posent à propos d'elle-même. C'est une conséquence d'un théorème de Tarski : une théorie vraie ne peut pas contenir un prédicat universel de vérité pour elle-même.

La preuve du théorème de Tarski est par l'absurde : supposons que T est une théorie vraie telle que tous les énoncés de T sont dans le domaine de variation des variables de T et que est vrai est un prédicat universel de vérité qu'on peut définir dans  T. Pour un énoncé de T à une variable libre A(x), on peut se demander s'il est vrai ou non de lui-même. Par exemple, x est un énoncé est vrai de lui-même, puisque x est un énoncé est un énoncé. x n'est pas un énoncé n'est pas vrai de lui-même, puisque x n'est pas un énoncé est un énoncé. Si un prédicat universel de vérité est vrai peut être défini dans T, un énoncé A(x) équivalent à x n'est pas vrai de lui-même peut être défini dans T. Est-il vrai de lui-même ? A(A(x)) est-il vrai ? Il résulte de la définition de A(x) qu'il est vrai de lui-même si et seulement s'il n'est pas vrai de lui-même. Cela conduit à une contradiction : A(A(x)) et non A(A(x)) est un théorème de T mais est faux. L'hypothèse initiale de l'existence d'une théorie T vraie dans laquelle on peut définir un prédicat universel de vérité pour elle même est donc fausse.

Quand on se sert de la logique du premier ordre pour raisonner sur la vérité de la logique du premier ordre, on se sert d'un prédicat de vérité qui n'est pas universel. Le domaine des énoncés auxquels il peut être attribué est un domaine limité, il n'est pas le domaine de tous les énoncés de la théorie dont on se sert pour raisonner.

Une théorie du savoir peut être universelle en étant une théorie de tous les savoirs, mais jamais en étant tout le savoir sur tous les savoirs. L'omniscience n'est pas à notre portée. 

Une théorie vraie ne peut pas prouver qu'elle est vraie parce qu'elle ne peut pas l'énoncer, parce qu'elle ne contient pas de prédicat de vérité pour tous ses énoncés. Mais la vérité d'une théorie vraie T peut être prouvée dans une théorie T+, plus puissante que T, qui contient un prédicat de vérité pour T : x est un énoncé vrai défini avec les concepts de T. Si T+ est vraie x est un énoncé vrai défini avec les concepts de T+  ne peut pas être un prédicat de T+ mais seulement d'une théorie plus puissante T++, et ainsi de suite.

Un modèle M d'une théorie T est un ensemble de faits atomiques définis avec les concepts fondamentaux de T pour lequel tous les axiomes de T sont vrais. Tous les théorèmes de T sont également vrais pour le modèle M. Une théorie vraie ne permet jamais de prouver l'existence d'un modèle d'elle-même. Si elle le faisait elle aurait un prédicat de vérité pour elle même : x est vrai pour le modèle et d'après de le théorème de Tarski elle serait fausse. Le théorème de complétude de la logique du premier ordre affirme qu'une théorie cohérente a toujours un modèle. Si une théorie permet de prouver sa propre cohérence et si elle permet de prouver l'existence d'un modèle pour toute théorie cohérente alors elle est fausse. Gödel a prouvé qu'on peut se passer de la deuxième condition : une théorie vraie ne permet jamais de prouver sa propre cohérence. C'est le deuxième théorème d'incomplétude de Gödel.

Si une théorie T est assez puissante pour être une théorie des nombres naturels, on peut toujours définir dans T un prédicat universel de prouvabilité. x peut être prouvé dans T peut être défini dans T en numérotant les formules de T ou en les nommant d'une façon ou d'une autre, parce que l'ensemble des théorèmes d'une théorie est toujours récursivement énumérable. Or un prédicat universel de vérité dans T ne peut pas être défini dans T si elle est vraie. Donc le prédicat universel de prouvabilité dans T n'est pas un prédicat universel de vérité dans T. On obtient ainsi à partir du théorème de Tarski le premier théorème d'incomplétude de Gödel (les deux théorèmes ont été découverts indépendamment en 1931) : une théorie vraie et assez puissante pour être une théorie des nombres naturels permet toujours d'énoncer des vérités qu'elle ne peut pas prouver. Mais on aurait tort d'en conclure qu'il y a des vérités qu'on ne peut absolument pas prouver, parce qu'une vérité qu'une théorie T ne permet pas de prouver peut être prouvée dans une théorie T+ plus puissante que T. T+ à son tour permet d'énoncer des vérités qu'elle ne peut pas prouver.

La preuve du premier théorème d'incomplétude de Gödel est semblable à celle de Tarski. A partir du prédicat x peut être prouvé dans T on peut définir dans T un prédicat G(x) équivalent à  que x est vrai de lui-même ne peut pas être prouvé dans T. Peut-on prouver dans T G(G(x)) ? Par définition de G(x), G(G(x)) est vrai si et seulement s'il ne peut pas être prouvé dans T. S'il pouvait être prouvé dans T alors il serait faux. Si T est vraie, tous les énoncés qui peuvent être prouvés dans T sont vrais, donc G(G(x)) ne peut pas être prouvé dans T. Donc il est vrai. On prouve ainsi que G(G(x)) est vrai et ne peut pas être prouvé dans T sous l'hypothèse que T est vraie.

La preuve de Gödel de G(G(x)) peut être énoncée dans une théorie T+ qui contient le prédicat : x est un énoncé vrai défini avec les concepts de T. T+ peut prouver la vérité de T, mais pas la vérité de T+. La preuve de G(G(x)) ne peut pas être énoncée dans la théorie T, parce que T ne peut pas prouver la vérité de T.

Les théorèmes de Gödel et de Tarski prouvent que l'omniscience n'est pas à notre portée, parce qu'aucune théorie ne suffit pour prouver toutes les vérités. Mais si on en conclut qu'il y a des vérités qu'aucune théorie ne peut prouver, on commet une faute de logique. pour toute théorie T, il existe une vérité V telle que V ne peut pas être prouvée dans T n'est pas équivalent à il existe une vérité V telle que pour toute théorie T, V ne peut pas être prouvée dans T, parce que pour tout x il existe un y tel que n'est pas équivalent à il existe un y tel que pour tout x. Personne ne peut connaître toutes les vérités n'implique pas qu'il y a des vérités que personne ne peut connaître.

Prouver que l'ensemble des théorèmes d'une théorie est récursivement énumérable est la partie laborieuse de la preuve donnée par Gödel. C'est laborieux mais c'est évident. L'énumérabilité récursive de l'ensemble des théorèmes est une conséquence du principe qu'une preuve peut toujours être reconnue comme une preuve :

Un ensemble E est récursivement énumérable si et seulement s'il peut exister un dispositif d'observation infaillible qui répond toujours oui quand on lui demande si un élément de E est élément de E.

Un ensemble E est décidable si et seulement s'il peut exister un dispositif d'observation infaillible qui répond toujours oui quand on lui demande si un élément de E est élément de E et toujours non quand on lui demande si un être qui n'est pas élément de E est élément de E.

Un ensemble est décidable si et seulement si lui-même et son complémentaire sont récursivement énumérables. 

Si un ensemble récursivement énumérable est un ensemble de nombres naturels, on considère son complémentaire dans l'ensemble de tous les nombres naturels pour savoir s'il est décidable. S'il est un ensemble d'énoncés, on considère son complémentaire dans l'ensemble de tous les énoncés formulés avec les mêmes lettres.

L'ensemble de toutes les preuves dans une théorie est décidable, parce qu'une preuve peut toujours être reconnue comme une preuve.

Un théorème d'une théorie est la conclusion d'une preuve dans cette théorie. L'ensemble de tous les théorèmes d'une théorie est toujours récursivement énumérable, parce que l'ensemble de toutes les preuves dans une théorie est décidable. Il suffit de faire un dispositif d'observation qui observe toutes les suites d'énoncés de la théorie pour décider si elles sont des preuves, en commençant par les suites d'énoncés les plus courtes. Un tel dispositif d'observation finit toujours par trouver une preuve s'il en existe au moins une, mais s'il n'existe pas de preuve, il continue éternellement à chercher une preuve qui n'existe pas, il ne répond jamais, il n'est pas capable de répondre qu'il n'existe pas de preuve.

Si une théorie vraie est assez puissante pour être une théorie des nombres naturels, alors l'ensemble de tous ses théorèmes n'est pas décidable. La théorie est indécidable. On peut le prouver à partir de la preuve du  premier théorème d'incomplétude de Gödel. Si une théorie T est décidable et si elle est assez puissante pour être une théorie des nombres naturels alors tous les énoncés vrais qui affirment qu'un énoncé ne peut pas être prouvé dans T peuvent être prouvés dans T, parce que l'ensemble des énoncés qui ne peuvent pas être prouvés dans T est récursivement énumérable. Mais alors l'énoncé G(G(x)) pourrait être prouvé dans T alors qu'il est faux. Donc T ne peut pas être vraie. Une théorie décidable et assez puissante pour être une théorie des nombres naturels est donc toujours fausse.

Il suffit de raisonner sur tous les noms formés avec une seule lettre : I, II, III, ... pour raisonner sur tous les nombres naturels. Une théorie vraie est donc toujours indécidable si elle donne les moyens de raisonner sur les vérités les plus élémentaires. 

Il faut distinguer deux concepts d'indécidabilité : l'indécidabilité d'une théorie et l'indécidabilité d'un énoncé dans une théorie. Un énoncé est indécidable dans une théorie si et seulement si ni lui-même ni sa négation ne peuvent être prouvés dans cette théorie. Une théorie est indécidable si et seulement si l'ensemble de tous ses théorèmes n'est pas décidable.

Si tous les énoncés qu'on peut formuler avec les concepts d'une théorie sont décidables dans la théorie alors la théorie est décidable, parce qu'on peut toujours prouver qu'un énoncé n'est pas un théorème en prouvant que sa négation est un théorème. En revanche, si une théorie est décidable, il n'est pas toujours vrai que tous les énoncés qu'on peut formuler avec les concepts de la théorie sont toujours décidables dans cette théorie. Il suffit qu'on puisse toujours décider si oui ou non un énoncé est un théorème pour qu'une théorie soit décidable, il n'est pas nécessaire qu'un énoncé ou sa négation soit toujours un théorème.

Dans la preuve de Gödel, on prouve que G(G(x)) est vrai et indécidable dans la théorie T mais cela ne suffit pas pour prouver que T est indécidable. Pour cela, il faut prouver que l'ensemble des non-théorèmes (les énoncés qui ne peuvent pas être prouvés dans T) n'est pas récursivement énumérable.

La théorie de l'énumérabilité récursive et de l'indécidabilité est présentée dans de nombreux livres. La thèse de doctorat de Smullyan, Theory of formal systems (1961), est une excellente présentation.