La guérison de l'âme

Le gouvernement de soi-même

Une communauté est centralisée lorsqu'elle a un centre de décisions, lorsque des décisions sont prises pour toute la communauté. Une communauté peut être centralisée sans avoir un chef, il suffit que ses membres prennent ensemble des décisions qui doivent ensuite être respectées par tous.

L'individu humain n'est pas autarcique. Il a besoin d'une communauté pour développer ses capacités.

Les êtres humains sont en général beaucoup plus forts et compétents en étant unis qu'en étant désunis. Ce principe de création de valeur par composition est très général : le composé a plus de valeur que les composants séparés. Si le composé a moins de valeur que la somme des valeurs des composants séparés, il vaut mieux les séparer.

Les ressources psychiques d'un individu obéissent aussi au principe de création de valeur par composition. On augmente nos facultés en les faisant travailler ensemble.

La volonté ressemble à un centre de décisions. Toutes les ressources psychiques peuvent contribuer à la décision et elles doivent toutes respecter les décisions qui ont été prises.

La perception, l'imagination, les émotions, la pensée (l'imagination de la parole) et la volonté résultent de la coopération entre toutes nos ressources psychiques. Il y a une communauté de ressources qui pense, mais elle n'a pas de chef. Puisqu'il n'y a pas de chef des pensées, on peut dire 'je pense donc je ne suis pas'. Mais on peut aussi dire que le moi est justement cette communauté centralisée sans chef. Une volonté cohérente fait l'unité de la communauté, donc l'unité du moi.

La puissance de la parole

On perçoit toujours les êtres en percevant leurs propriétés et leurs relations, donc en percevant des concepts.

L'imagination est une simulation de la perception. Elle attribue des concepts à des êtres absents, comme s'ils étaient présents et perçus.

Avec la parole, nous pouvons dire ce que nous percevons et imaginer ce que nous disons. Nous pouvons dire ce que nous percevons parce que nous pouvons nommer les concepts. Nous pouvons imaginer ce que nous disons parce que nous pouvons simuler la perception des concepts que nous nommons. Le nom d'un concept est comme une note sur une partition. La simulation de la perception de ce concept est comme entendre cette note. Les paroles sont comme les partitions de nos rêves.

Nous nous servons de l'imagination pour agir. Les buts, les chemins pour les atteindre et les conséquences sont imaginés avant qu'on se décide pour eux. En nous donnant le contrôle de l'imagination, la parole nous donne en même temps le contrôle de l'action.  

Le feu des émotions

Nos émotions sont équilibrées lorsqu'elles nous aident à prendre à prendre de bonnes décisions adaptées à la réalité. L'équilibre émotionnel est une condition nécessaire du bon usage de la volonté.

L'équilibre émotionnel ressemble à une société apaisée où toutes les ressources psychiques travaillent ensemble pour leur bien commun. Le déséquilibre émotionnel est comme une folie collective, ou une guerre civile.

Lorsqu'un effet renforce la cause qui l'a produit, on est en présence d'une boucle de rétroaction positive : un écart même minime à la position d'équilibre d'un crayon posé sur sa pointe impose au crayon une force de pesanteur qui l'écarte davantage de sa position d'équilibre. Dans une bombe nucléaire, les neutrons libres cassent les noyaux lourds qui libèrent alors davantage de neutrons. Une étincelle dans une vapeur inflammable libère de la chaleur qui déclenche des réactions chimiques qui libèrent à leur tour davantage de chaleur...

On ressent une angoisse qui nous oppresse et nous fait peur parce qu'on croit qu'elle va nous tuer, comme si le cœur ou la poitrine allait exploser. Croire qu'on va en mourir nous fait davantage angoisser, on est davantage oppressé et on est confirmé dans sa conviction qu'on va en mourir. Dans la crise de panique, l'angoisse elle-même est terriblement angoissante.

On se sent triste et on se dit que cette tristesse nous empêche de vivre et nous empêchera toujours de vivre. Jamais on ne trouvera le bonheur ou la tranquillité parce qu'on est seulement capable d'être triste. Dès le matin on anticipe une journée de tristesse et de penser ainsi rend démesurément triste. Dans la dépression, la tristesse elle-même est attristante.

Pour une fois on est de bonne humeur, on se sent bien, comme si on était guéri de la dépression, comme si c'était une renaissance. Cette illusion de guérison renforce la joie que l'on ressent. L'exaltation elle-même est exaltante.

Après le traumatisme initial, on se sent cassé à l'intérieur, on ne se reconnaît plus, on a perdu sa vie d'avant. Prendre conscience de ce désastre intérieur est à son tour traumatisant. Être traumatisé est traumatisant.

Un désir intense et inassouvi fait souffrir. Plus on souffre de la frustration, plus l'accomplissement du désir est désirable, pour se délivrer de la souffrance. Un désir intense est lui-même une cause d'augmentation du désir.

Plus un souvenir éveille des émotions, mieux et plus souvent on s'en souvient, parce que les émotions signalent ce qui est important. Mais cela peut avoir un effet pervers : il est douloureux de se souvenir d'un passé douloureux. Plus souvent on s'en souvient, plus c'est douloureux. Plus c'est douloureux, plus souvent on s'en souvient.

La haine empêche de profiter de la vie. On n'est même plus capable d'apprécier un bon moment. Cette incapacité permanente est le principal tort infligé par ceux qui nous ont agressé. Même quand ils ne sont plus là pour nous provoquer, la haine est toujours là et elle nous ronge de l'intérieur. On a davantage la haine justement parce qu'on a la haine, parce qu'on a perdu sa vie d'avant. Lorsque la haine est tenace, elle est elle-même une cause d'augmentation de la haine. Le plus enrageant dans la haine est qu'elle nous fait enrager.

Si on rougit en public, on se sent ridicule et on rougit davantage, au point qu'on songe à partir en courant. La honte elle-même peut être une cause d'augmentation de la honte.

Le détachement

Le Bouddha (l'éveillé) :

« Il m'a insulté, il m'a battu, il m'a vaincu, il m'a volé ». S'attachent-ils à ces reproches : point d'apaisement pour leur haine !

« Il m'a insulté, il m'a battu, il m'a vaincu, il m'a volé ». Ne s'attachent-ils pas à ces reproches : apaisement pour leur haine !

Assurément, en ce monde jamais haine n'apaisa haine, mais absence de haine le fait : loi éternelle.

(Dhammapada 3-5, traduit par Jean-Pierre Osier)

On peut être pris au piège d'une émotion obsédante, on est comme happé, mais on est pris parce qu'on s'est laissé prendre. Les émotions nous tiennent parce que nous nous tenons à elles. Elles nous lâchent quand nous les lâchons. Pour se délivrer de l'emprise d'une émotion, il faut lâcher prise, il faut la laisser passer et s'en aller, il faut se détacher.

Laisse venir, laisse passer, laisse s'en aller.

L'esprit peut être enflammé par une émotion. Le détachement le rend réfractaire, capable de résister à de très hautes températures.

Faut-il supprimer tous les attachements ? S'il fallait se détacher de tout, il faudrait ne même pas se soucier de sa propre vie. Même le Bouddha prenait soin de sa santé.

S'attacher au détachement est paradoxal. Faut-il s'énerver parce qu'on n'est pas détaché ? Faut-il se détacher de son attachement au détachement ? Il y a de bons et de mauvais attachements. Se détacher des mauvais attachements est un bon principe auquel on peut s'attacher. 

Comment fait-on la différence entre les bons et les mauvais attachements ? Quand on se rend compte qu'on vit très bien avec les premiers, et qu'on se passe très bien des seconds.

La colère est la réaction naturelle en face de l'injustice, et on devient parfois fou de rage. Faut-il renoncer à l'attachement à la justice ? La sagesse est-elle d'être détaché devant toutes les injustices et les horreurs du monde ?

Il est bon d'être attaché à la justice. Quand l'indignation est légitime, il faut s'indigner, mais il ne faut pas enrager. Quand on est enragé, ce n'est pas seulement à cause de l'injustice, c'est aussi et surtout à cause de nos attachements aux vanités. Il faut se détacher des vanités, mais pas de la justice. Et si l'indignation légitime ne laisse pas de place pour le pardon, elle devient à son tour une injustice.

La guérison par la pensée

L'interprétation fait partie de la perception. La perception de la réalité dépend donc de nos décisions. Comme la réalité existe pour nous seulement à partir de sa perception, nous faisons notre propre réalité quand nous choisissons nos interprétations.

Le Bouddha s'est éveillé quand il a compris qu'il était le créateur de sa perception de la réalité, comme un rêveur qui se réveille en se rendant compte qu'il a rêvé.

La perception de la réalité ne dépend pas que de nos décisions. Nous ne sommes pas libres d'inventer la réalité perçue de la même façon que nous sommes libres d'inventer n'importe quel fantasme. Il faut bien tenir compte du témoignage des sens et de l'introspection. La perception de la réalité peut être plus ou moins adaptée à ce qui ne dépend pas de nous, à la réalité extérieure ou intérieure que nous n'avons pas décidée.

Quand on souffre de troubles psychiques, ce n'est pas la réalité à elle seule mais la perception de la réalité, qui fait souffrir. Comme on choisit sa perception, on est soi-même une des causes de ses propres souffrances. Mais on n'est pas pour autant condamné à s'infliger un perpétuel tourment. En remplaçant une perception qui déséquilibre par une autre qui équilibre, on peut espérer guérir la plupart des troubles psychiques.

Les troubles émotionnels font qu'on se sent submergé par ses émotions. Comme on ne contrôle pas leur déclenchement on se sent envahi par des forces intérieures contre lesquelles on croit ne rien pouvoir faire. Mais c'est une illusion. Les émotions dépendent de nos interprétations. En contrôlant volontairement nos interprétations, nous pouvons acquérir la maîtrise de nos émotions. Grâce à la pensée, la conscience de soi est assez puissante pour apaiser ou éteindre le feu des émotions.

La maladie par la pensée

Le monde n'est rien d'autre qu'un jeu pour les puissances du mal. Ou bien il est livré au hasard, il est insensé et ne mène nulle part, sauf à l'horreur.

Tout ce qui prétend être beau et honorable n'est qu'hypocrisie et mensonge.

Il n'y a pas d'espoir. Les justes sont écrasés, les injustes triomphent, toujours.

La faim rend fou, puis elle tue. Dieu ne se soucie pas des affamés. Il faut se battre pour ne pas mourir.

Il m'a humilié. Jamais je ne l'accepterai. Il va payer. Plutôt mourir que ne pas me venger.

Nous sommes là pour servir le mal. Toute résistance est inutile.

La guérison par la prière

Notre père qui êtes aux cieux

Que ton nom soit sanctifié

Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés

Ne nous laisse pas entrer en tentation et délivre-nous du mal

Amen

Le maître de l'être est comme un bon parent, notre père, qui veut le bien de ses enfants, tous les êtres. Il est aux cieux, parce que sa puissance est éternelle, parce qu'il n'est pas corruptible.

Il nous enseigne comment l'aimer, parce qu'il n'y a rien de meilleur que l'aimer. Que son nom soit sanctifié.

Il faut espérer, parce que dans le désespoir on ne peut trouver que le malheur. Or sans Dieu nous ne pouvons rien, parce que tout ce que nous pouvons vient de lui. Il faut espérer que son règne vienne, que sa volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel, parce qu'il n'y a rien de meilleur à espérer.

Les fruits de la Terre sont pour tous. Dieu nous a donné le pain, le lait, le miel et les dattes pour que nous en profitions tous, pour que nous les partagions ensemble dans la gratitude. Merci de nous donner notre pain de ce jour.

La haine asservit. Le pardon délivre. L'obsession de la vengeance rend incapable de profiter de l'instant présent, d'accueillir le bonheur quand il vient, d'aimer, de vivre paisiblement. Sans la force de pardonner, nous serions condamnés au malheur et à la folie. Il faut remercier Dieu pour nous avoir donné cette force. Et le pardon délivre aussi du sentiment de culpabilité, parce qu'en pardonnant, nous méritons d'être pardonnés à notre tour. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

Les puissances du mal veulent faire croire qu'il ne sert à rien de résister à leurs tentations, que le refus de les servir nous condamne fatalement et que les croyances sur le bien ou la justice ne sont que des illusions.  La voix du mal : il n'y a pas d'autre puissance que moi. Mais c'est une duperie. La puissance du mal repose sur ce mensonge. On renonce à résister seulement si on se laisse duper. La prière révèle qu'il y a une puissance supérieure, parce que le mal ne peut pas anéantir la force de prier, tant qu'on est encore en vie.  En disant « ne nous laisse pas entrer en tentation et délivre-nous du mal » nous révélons une force supérieure à celle du mal. 

Ceux qui ne connaissent pas la prière croient qu'elle est fondée sur la superstition : comme s'il y avait un bon Dieu qui allait exaucer nos vœux, comme si on croyait au Père Noël. Ceux qui la connaissent savent qu'elle peut être très efficace, parce qu'elle est une façon d'agir sur soi-même. En priant on arrive à supporter ce qui autrement serait insupportable. Un croyant rationaliste ne renonce pas à la raison quand il prie parce qu'il ne demande pas l'impossible. Penser « Seigneur, aide-moi à ne pas sombrer » aide à ne pas sombrer. La prière restaure l'équilibre intérieur.

L'éthique

Les émotions et les décisions marchent ensemble. Des émotions équilibrées conduisent à des décisions équilibrées qui protègent l'équilibre émotionnel.

Les émotions et les décisions dégringolent ensemble. Des émotions déséquilibrées conduisent à des décisions déséquilibrées qui aggravent le déséquilibre émotionnel.

Toutes nos décisions sont évaluées avec des règles éthiques. Est-ce bien ou mal ? Est-ce indispensable, souhaitable, supportable, intolérable ? 

Les règles éthiques sont parmi les plus fondamentales parce qu'elles nous servent à évaluer toutes les règles. Si on approuve une règle éthique, on prend une décision qui engage toutes les décisions à venir.

Un ordinateur est une machine programmable, une machine construite pour obéir, aveuglément, à la virgule près, à des programmes. Un programme est une parole écrite par un programmeur, qui en général est un esprit humain, mais qui peut  être aussi une machine. Une machine convenablement programmée est capable d'écrire elle-même des programmes auxquels elle peut obéir.

Un système d'exploitation est le programme fondamental qui exploite les ressources d'un ordinateur (microprocesseur, mémoire et périphériques). Il est fondamental parce qu'il commande l'exécution de tous les autres programmes, les applications. Sa fonction est de faire tourner toutes les applications tout en préservant l'intégrité de la machine. Si une application est mal faite, un bon système d'exploitation doit protéger la machine contre les méfaits qu'elle pourrait causer. Si une application se plante, et si le système d'exploitation est mauvais, la machine se plante aussi, mais il suffit en général de la relancer, et il n'y a pas de dommage, sauf le temps perdu. Un système d'exploitation vraiment bon ne laisse jamais une application, quelle qu'elle soit, faire planter la machine. Mais un système d'exploitation vraiment très mauvais peut laisser une application détruire la machine, la laisser brûler, par excès de puissance, ou d'autres formes d'autodestruction. 

Un bon système d'exploitation protège l'intégrité de la machine tout en lui donnant les moyens de faire tourner toutes les applications. Une bonne éthique protège l'intégrité de tous les esprits tout en leur donnant les moyens d'exercer pleinement leurs libertés.

Une éthique peut être mauvaise parce qu'elle recommande des fins mauvaises, dangereuses pour les esprits, ou parce qu'elle n'est pas adaptée à la réalité et conduit à désirer l'impossible.

Une bonne éthique est une condition nécessaire de l'équilibre émotionnel. Pas d'éthique, pas de guérison de l'âme.

La bonne société

Un individu a toujours intérêt à se donner de bonnes règles. Avec de bons principes, il se gouverne bien lui-même et protège son équilibre intérieur. Avec de mauvais principes, il se rend malade.

Les individus ont toujours intérêt à se donner de bonnes règles pour faire ensemble une bonne communauté. Avec de bons principes, ils travaillent pour vivre bien tous ensemble. Avec de mauvais principes, ils se rendent malades les uns les autres.

En travaillant pour le bien des autres, un esprit travaille en même temps pour son bien. Un esprit qui ne travaille jamais pour autrui est comme un passager clandestin qui se condamne à une vie misérable, parce qu'il n'apprend jamais à développer son intelligence et ses compétences.

Le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits. Mais nous ne pouvons pas faire le bien des esprits contre leur gré. Sans une bonne société, sans une communauté d'esprits qui veulent ensemble le bien de tous les esprits, un esprit ne peut pas s'accomplir, parce qu'il est privé des moyens de faire le bien. Pas de bonne société, pas ou peu de bien, pas de véritable accomplissement.

Que devons-nous faire pour donner une bonne éducation à nos enfants ? Donnons-leur une bonne société. Parce qu'une mauvaise société les rend malades et les prive des moyens de faire le bien.