Premiers principes
Mode d'emploi de la raison
Mode d'emploi de la raison
Dieu nous donne la vérité si nous faisons l'effort de bien travailler pour la connaître. Quand la vérité est le fruit d'un bon travail, on l'appelle la science, le savoir ou la raison. Or pour bien travailler, on a besoin de bons principes, qui ensemble sont comme un mode d'emploi de la raison.
Ce court traité présente les principes qui déterminent le bon usage de quelques uns des concepts les plus fondamentaux de la raison : l'être, la vérité, la possibilité, la nécessité, le concept, l'essence, la loi, le raisonnement, la matière, l'esprit, le bien, le savoir, la vertu intellectuelle, la preuve, le bon principe, l'explication, l'unité, la cause finale et Dieu.
Les sciences les plus fondamentales sont celles dont on a besoin pour fonder toutes les autres. Elles sont solidaires. Chacune est fondée sur les autres. Elles sont la métaphysique, la logique, les mathématiques, la physique, la biologie, la psychologie, l'éthique et l'épistémologie.
La métaphysique est la science de l'être. Elle est aussi la science de la vérité, parce qu'une vérité est toujours une vérité sur ce qui est, et parce que pour tout ce qui est, il y a une vérité qui dit qu'il est. La métaphysique est aussi la science de Dieu, la théologie, parce que Dieu révèle la vérité de tous les êtres et parce que tous les êtres révèlent la vérité de Dieu.
La logique est la science du raisonnement.
Les mathématiques sont la science de tous les mondes logiquement possibles. On peut aussi les appeler la science de tous les modèles, ou de toutes les structures, ou de tous les mondes.
Les sciences de la Nature sont les sciences des mondes naturellement possibles, y compris le monde actuel, parce qu'il est naturellement possible.
La physique est la science de la matière.
La biologie est la science de la vie.
La psychologie est la science de l'esprit.
L'éthique est la science du bien et du mal.
L'épistémologie est le savoir sur le savoir, ou la science de la science. Un vrai savoir est toujours une science. L'épistémologie est aussi la science de la vertu intellectuelle, parce que le savoir est toujours produit par la vertu intellectuelle.
Les principes fondamentaux sont ceux à partir desquels on explique et on justifie tous les principes. Ils forment ensemble une belle unité. Ils sont solidaires. Un principe fondamental est expliqué et justifié à partir d'autres principes fondamentaux ou à partir de lui-même.
Un concept est une propriété ou une relation. Un individu est un être qui n'est pas un concept. L'être d'un individu est d'avoir des propriétés et des relations. L'être d'un concept est d'être attribué à des individus, ou à des concepts, et d'avoir des propriétés et des relations.
La pensée est fondamentalement la révélation que les individus révèlent l'universel.
« Il est vrai que la neige est blanche si et seulement si la neige est blanche. » (Tarski 1933) On ne peut rien affirmer sans affirmer en même temps sa vérité.
Un énoncé élémentaire est vrai si et seulement si il attribue une propriété ou une relation aux êtres qui les ont.
En disant de la vérité qu'elle est de dire des êtres ce qu'ils sont, on dit ce qu'elle est, on dit donc la vérité sur la vérité.
Un monde logiquement possible est un ensemble de faits atomiques.
Un monde naturellement possible est un monde logiquement possible tel que les lois de la Nature y sont vraies.
Un énoncé atomique est vrai d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde.
Un énoncé est possible si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde possible.
Un énoncé est nécessaire si et seulement s'il est vrai de tous les mondes possibles.
S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas de vérité des attributions, il n'y aurait donc pas de concept. Pas de concept sans loi.
S'il n'y avait pas de concept, il n'y aurait pas d'être, parce que pour être, il faut avoir des propriétés et des relations. Pas d'être sans concept.
S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas d'être. Pas d'être sans loi.
Connaître les causes, c'est toujours connaître les lois, parce que les lois sont le fondement de l'être.
Quand on demande ce qu'est X, on demande l'essence de X. Dire de l'essence qu'elle est ce que c'est est dire est dire ce qu'est l'essence, donc l'essence de l'essence.
Si X est un concept, on dit son essence en donnant sa définition, s'il peut être défini à partir de concepts dont on connaît déjà l'essence, ou en donnant des axiomes, les lois fondamentales qui déterminent son attribution, s'il est un concept fondamental.
Tout se passe comme si la matière et l'esprit avaient été faits l'un pour l'autre, parce que la nature de la matière est d'obéir à des lois et que la nature de l'esprit est de connaître les lois.
La vérité des lois est une condition nécessaire de l'intelligibilité de la réalité.
La meilleure façon de penser est de mettre une vérité devant l'autre et de recommencer.
Les règles logiques font toujours passer du vrai au vrai. Si les prémisses sont vraies et si le raisonnement est logique, la conclusion ne peut pas être fausse.
La connaissance des lois donne au raisonnement sa puissance. On fait la science en apprenant par le raisonnement ce que les lois enseignent.
Un être est matériel si et seulement si il interagit avec d'autres êtres matériels.
L'être de la matière est de faire de l'effet sur la matière. C'est ainsi qu'elle apparaît. La matière apparaît telle qu'elle est parce que son être est d'apparaître.
Un esprit est un être qui perçoit, imagine, est ému, décide et agit.
Le cerveau d'un être conscient est donc comme une administration centralisée sans administrateur central. Les décisions imposées à la collectivité sont prises par la collectivité sans qu'elle ait un chef.
Je pense donc je ne suis pas, parce qu'il n'y a que des pensées et il n'y a rien qui pense.
Les biens fondamentaux sont la santé du corps, bien percevoir, bien imaginer, bien s'émouvoir, bien décider et bien agir.
Le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits.
L'intelligence est toujours de s'adapter à la réalité, extérieure et intérieure, pour faire le bien, autant qu'on peut et qu'il convient.
Un énoncé est un savoir si et seulement si il est le fruit d'un bon travail de recherche de la vérité.
La vertu intellectuelle est la puissance de trouver la vérité.
Un énoncé est un savoir si et seulement si il est produit par un acte de vertu intellectuelle.
Un système de fins et de règles est un programme. Lorsque ses fins sont nobles, un programme est un idéal.
L'idéal donne à l'esprit sa puissance. La puissance d'un esprit est la puissance de son idéal. En particulier, un idéal du savoir donne à un esprit la puissance d'atteindre la vérité, donc la vertu intellectuelle.
On est guidé par les Idées quand on obéit à leurs lois.
La bonne parole montre la fin et le chemin pour l'atteindre. J'entends la voix et je vois la voie.
Un savoir est une vérité bien prouvée. Un énoncé est un savoir si et seulement si il est bien prouvé.
Pour être un bonne preuve, une preuve doit être flagrante. Un savoir doit être reconnu comme un savoir pour être su. Un énoncé est un savoir si et seulement si l'observation qu'il est un savoir est un savoir.
Un dispositif producteur de vérité est bon s'il est élément d'un ensemble de dispositifs indépendants qui donnent des résultats cohérents la plupart du temps.
L'épistémologie est le savoir de tous les savoirs. Elle donne à tous les moyens de bien observer tous les savoirs. Elle est le dispositif universel d'observation de tous les savoirs, le Soleil qui éclaire tous les esprits.
On ne peut pas savoir sans savoir qu'on sait, mais on peut ne pas très bien le savoir.
Sans un esprit d'hospitalité, disposé à laisser venir toutes les formes de vérité, et à leur donner les moyens de nous révéler tout ce qu'elles peuvent révéler, on est incapable de reconnaître le savoir, et donc incapable de savoir.
Pas de science sans liberté critique.
Une théorie peut être considérée comme le programme d'un dispositif d'observation. On observe que des énoncés sont vrais en observant qu'ils sont des théorèmes, qu'ils sont logiquement prouvés à partir des axiomes et des définitions.
On reconnaît les bons principes à leurs fruits.
Les grands principes universels de la reconnaissance du savoir donnent les moyens de reconnaître tous les savoirs, y compris eux-mêmes.
Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, et de s'observer elle-même, est un dispositif universel d'observation du savoir. Elle a la puissance de reconnaître toutes les vérités, autant qu'elles nous sont accessibles.
Si on défend, si on enseigne ou si on illustre la raison, on fait le bien pour tous les esprits.
Il y a toujours des explications pour tout, parce qu'il n'y a pas d'être sans loi. Qu'il n'y a pas d'être sans loi est une loi qui explique l'existence de toute les explications de tous les êtres. On peut donc expliquer et comprendre pourquoi l'être peut toujours être expliqué et compris.
On explique tous les êtres de l'Univers et l'Univers lui-même si on est capable de les fabriquer en imagination, donc de faire des modèles.
Quand on connait les lois des lois, on est comme un législateur et un créateur de tous les mondes possibles.
Pour être vraiment un monde, pour être tout court, un monde doit avoir une unité, il doit être un. Tout est un. Hen kai pan. L'un et le tout.
Tout l'être d'un être est son être dans un tout ou d'être un tout ou les deux.
Une main séparée du corps n'est pas une main, mais seulement un morceau de cadavre (Aristote, Blaise Pascal). Dans un monde unifié, chacun de ses constituants est vivifié par la présence de tous les autres, un être ne peut pas être ce qu'il est sans les autres.
Toutes les parties d'un corps vivant rendent des services aux autres parties et en reçoivent. C'est l'essence de la vie. Un corps vivant est essentiellement un réseau autocatalytique (Stuart Kauffman).
Un système de molécules est un réseau autocatalytique si et seulement si la synthèse de chaque molécule est catalysée par d'autres molécules. Catalyser veut dire accélérer sans être consommé. Si une réaction est vraiment très lente, on peut considérer qu'elle est impossible, et catalyser veut dire faire exister.
Vouloir vouloir est le principe de l'unité d'un esprit, parce que toutes les composantes de l'esprit doivent respecter les décisions qu'elles ont prises en commun, comme une administration centralisée sans administrateur central.
Vivre pour le bien est le principe de l'unité de tous les esprits.
Toutes les vérités forment une totalité cohérente. Quand on cherche la vérité, toutes les vérités s'assemblent comme les pièces d'un puzzle. On les trouve chacune une par une et elles s'assemblent comme par magie.
Les mensonges et les fictions peuvent aussi être cohérents, mais ils n'ont pas la grandeur de la vérité. La vérité est la plus grande totalité cohérente.
La cohérence de toutes les vérités est le meilleur critère pour les reconnaître, parce qu'une vérité montre qu'elle est une vérité par son être dans la totalité cohérente des vérités. C'est le principe du cohérentisme : la cohérence de toutes les vérités révèle qu'elles sont des vérités.
L'exigence de cohérence est le principe de l'unité de toutes les vérités. Un ensemble de vérités doit toujours être cohérent. Si un ensemble d'énoncés n'est pas cohérent alors au moins un d'entre eux n'est pas une vérité.
Un ensemble d'énoncés est cohérent si et seulement il existe un monde logiquement possible tel qu'ils sont tous vrais de ce monde.
Une contradiction est la conjonction d'un énoncé et de sa négation. Un énoncé et sa négation ne peuvent jamais être vrais tous les deux en même temps. Si un ensemble d'énoncés contient un énoncé et sa négation alors il n'est pas cohérent.
L'exigence de cohérence est le principe de toutes les règles logiques. Elles interdisent toutes les incohérences mais autorisent tout le reste. Un énoncé est une conséquence logique des énoncés qui le précèdent si et seulement si sa négation n'est pas cohérente avec eux.
Les règles logiques conduisent toujours du vrai au vrai. Elles nous montrent les chemins de la vérité, comment avancer et vivre dans la vérité.
Grâce aux règles logiques, chaque vérité peut servir à justifier et expliquer d'autres vérités, et elle peut être justifiée et expliquée par d'autres vérités. Les règles logiques montrent donc l'unité de toutes les vérités.
Les principes fondamentaux forment une unité, parce que chacun peut être expliqué et justifié à partir des autres.
Une cause finale est une fin à atteindre, un but, un objectif.
Une cause finale est une cause motrice parce qu'elle nous met en mouvement si nous avons choisi de l'atteindre.
La physique théorique et toutes les autres sciences fondamentales confirment qu'une théorie doit être belle pour être vraie.
Si le bien est la cause finale de l'Univers, pourquoi y a-t-il autant de mal ? Le mal n'est pas là pour demeurer. Le bien est de le faire disparaître, ou au moins de le réduire.
Dieu est le plus généreux. C'est ainsi qu'il est le plus grand, le meilleur et le plus puissant.
Être le meilleur et ne pas nous en faire profiter est de la faiblesse ou de l'égoïsme et ne peut donc pas être le meilleur. Dieu a créé le monde parce qu'il est généreux. Il ne serait pas le meilleur sans cette générosité.
L'existence des preuves est une preuve de l'existence de Dieu, parce que c'est Dieu qui révèle les preuves.
La raison est nécessaire. Elle ne peut pas ne pas être ce qu'elle est. Elle ne dépend pas de nos décisions arbitraires ou de notre bon plaisir. Nous n'inventons pas la raison, nous la découvrons. Elle est ce qu'elle est de toute éternité. Quand nous faisons la science, nous découvrons une possibilité éternelle.
Il est faux de dire que nous faisons la raison, la vérité est que c'est elle qui nous fait. Sans la raison, nous sommes sans force. Avec la raison, nous trouvons la force et la force de nous donner la force, mais nous ne choisissons pas ce qu'est cette force.
Christ veut dire le oint, le béni, le plus aimé de Dieu. Dieu n'abandonne jamais personne, sinon il ne serait pas Dieu. Donc nous sommes tous aimés et bénis par Dieu. L'intolérance est une faute. Or Dieu est sans faute. Donc nous sommes tous également aimés par Dieu. Donc nous sommes tous potentiellement le Christ. Quand nous nions que nous sommes potentiellement le Christ, nous renions l'amour de Dieu pour nous, comme si nous voulions que Dieu ne nous aime pas. Le problème n'est pas que Dieu ne nous aime pas, mais seulement que nous ne l'aimons pas.
Si on enseigne bien ce que sont vraiment la vérité, le savoir, le bien et le mal, on peut espérer passer à l'âge des lumières, et accomplir ainsi la volonté de Dieu.
La métaphysique est la science de l'être en tant qu'être (Aristote, Métaphysique), ou la science de l'être, tout court. Elle enseigne les vérités les plus générales, les vérités sur tous les êtres, donc les vérité sur l'être.
Un être a toujours des propriétés et des relations. Un être qui n'aurait ni propriétés, ni relations, ne serait rien, il ne pourrait pas être. Être, c'est toujours avoir des propriétés et des relations, ou être une propriété ou une relation.
Un concept est une propriété ou une relation. Une propriété, ou une qualité ou un trait, est attribuée à un être. Une relation est entre plusieurs êtres. Lorsqu'une relation est entre deux êtres, on peut considérer qu'elle est une propriété du couple. Une relation entre trois êtres est une propriété du triplet, et ainsi de suite pour les relations entre davantage d'êtres.
Les concepts sont des êtres. Eux aussi ont des propriétés et des relations. Les individus au sens strict sont les êtres qui ne sont pas des concepts. On leur attribue des propriétés et des relations mais ils ne peuvent pas être attribués. Les individus au sens large sont tous les êtres, y compris les concepts.
Tout l'être d'un individu (au sens strict) est d'avoir des propriétés et des relations. L'être d'un concept est d'être attribué à des êtres et d'avoir des propriétés et des relations.
« La Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. » (Platon, Parménide, 131b, traduit par Luc Brisson)
Les propriétés et les relations sont des universels. Une même propriété peut être partagée par de nombreux individus, elle n'est pas la propriété exclusive d'un seul individu. Une relation binaire peut être vraie de nombreux couples d'individus. De même pour les autres relations. Les propriétés, les relations et les conjonctions de propriétés et de relations sont des possibilités universelles.
Les énoncés les plus élémentaires attribuent une propriété à un individu ou mettent en relation plusieurs individus. Ils affirment donc toujours qu'un individu révèle l'universel, ou que plusieurs individus ensemble le révèlent. L'attribution de l'universel aux individus est la forme fondamentale de la pensée.
La pensée est fondamentalement la révélation que les individus révèlent l'universel.
On peut percevoir simultanément la chaleur et la douleur de deux façons très différentes. Dans le premier cas, ce qui est chaud est ce qui fait mal, la chaleur et la douleur sont liées. Dans le second cas, ce qui est chaud n’est pas ce qui fait mal, la chaleur et la douleur ne sont pas liées. Dans le premier cas, on suppose qu’il y a un individu qui lie deux propriétés, d’être chaud et de faire mal. Dans le second cas, on suppose qu’il y a deux individus, l’un qui est chaud et ne fait pas mal, l’autre qui fait mal et n’est pas chaud. Les liaisons entre les concepts (Quine 1992) sont déterminées par des individus, parce que l'être d'un individu est une conjonction de concepts.
« Il est vrai que la neige est blanche si et seulement si la neige est blanche. » (Tarski 1933)
On ne peut rien affirmer sans affirmer en même temps sa vérité.
Les êtres, leurs propriétés et leurs relations peuvent être nommés. On dit la vérité en nommant des êtres, des propriétés et des relations et en attribuant ces propriétés et ces relations aux êtres qui les ont. On dit la vérité en disant des êtres ce qu'ils sont.
Tous les êtres, toutes les propriétés et toutes les relations peuvent être nommés. Tout peut être dit. Rien ne peut échapper à la vérité. La vérité est aussi grande que l'être. C'est un principe de panlogisme. Puisque l'être et la vérité sont coextensifs, la métaphysique peut être définie comme la science de la vérité. Elle enseigne les vérités sur toutes les vérités, donc la vérité sur la vérité.
Une affirmation est un énoncé qui peut être élémentaire ou composé. Un énoncé élémentaire attribue une propriété à un être ou une relation à plusieurs êtres.
Un énoncé élémentaire est vrai si et seulement si il attribue une propriété ou une relation aux êtres qui les ont.
Les énoncés composés sont obtenus à partir des énoncés élémentaires avec des connecteurs logiques :
non A est la négation de A.
A et B est la conjonction de A et B.
A ou B est la disjonction de A et B.
Si A alors B est l'implication de B par A. Si ... alors est le conditionnel.
Pour tout x, A est une généralisation de A. Pour tout x est le quantificateur universel pour la variable x.
Il existe un x tel que A est obtenu en appliquant à A le quantificateur existentiel Il existe un x tel que.
La vérité des énoncés composés est déterminée à partir de la vérité des énoncés qui les constituent. Par exemple, Si A alors B est faux si A est vrai et B est faux, mais il est vrai sans tous les autres cas. Si A alors B veut dire que A ne peut pas être vrai sans que B le soit.
N'importe quelle vérité dit d'un monde qu'elle y est vraie, elle dit donc d'un monde ce qu'il est.
En disant de la vérité qu'elle est de dire des êtres ce qu'ils sont, on dit ce qu'elle est, on dit donc la vérité sur la vérité.
Être possible, c'est être permis par les lois. Un système de lois détermine un espace de possibilités, l'espace de tout ce qu'elles permettent. Il y a autant de formes de possibilité qu'il y a de systèmes de lois.
La possibilité logique est l'absolue possibilité. Sa loi fondamentale est la cohérence, c'est à dire l'absence de contradiction. Les lois de la Nature définissent la possibilité naturelle. Les lois éthiques définissent la possibilité éthique. Être éthiquement impossible, c'est être interdit par des lois éthiques.
Les mathématiques sont la science de tous les mondes logiquement possibles. On peut aussi les appeler la science de tous les modèles, ou de toutes les structures, ou de tous les mondes.
Un concept est fondamental lorsqu'il n'est pas défini à partir de concepts plus fondamentaux. Un fait atomique est l’attribution d’une propriété fondamentale à un individu ou d’une relation fondamentale à plusieurs individus.
Un monde est un ensemble de faits atomiques.
Un fait atomique peut être désigné par un énoncé atomique. On forme un énoncé atomique en associant le nom d’une propriété fondamentale au nom de l’être auquel elle est attribuée, ou le nom d’une relation fondamentale aux noms des êtres qu’elle relie.
Un énoncé atomique est vrai d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde.
Un ensemble d’énoncés atomiques n’est jamais contradictoire, parce que les énoncés atomiques ne contiennent pas de négation. N'importe quel ensemble d'énoncés atomiques détermine donc toujours un monde logiquement possible.
Un monde logiquement possible est absolument possible. C'est une possibilité éternelle parce qu'elle ne dépend d'aucune condition.
A partir des énoncés atomiques, on peut construire des énoncés composés avec les connecteurs logiques et formuler ainsi tous les énoncés sur un monde. La vérité des énoncés ainsi composés est complètement déterminée par celle des énoncés composants, donc finalement par la vérité des énoncés atomiques. Un monde est complètement déterminé par les faits atomiques qui le constituent.
Un énoncé est logiquement possible si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde.
Un monde est aussi appelé un modèle, ou une structure. Par exemple, l’ensemble des énoncés suivants définit le monde, ou la structure, des nombres naturels : 1 suit 0, 2 suit 1, 3 suit 2… Il faut entendre que cet ensemble contient toutes les vérités atomiques formées avec les noms des nombres naturels et la relation de succession. Un énoncé atomique qui n’est pas dans cet ensemble est par conséquent faux.
L'être d'un individu d'un monde est déterminé par toutes ses propriétés et ses relations avec les autres individus du même monde. L'être d'un monde est déterminé par l'être de tous les individus de ce monde, donc finalement par tous les faits atomiques qui le constituent.
Les propriétés et les relations d'un individu du monde sont tout son être dans le monde. Tout l'être d'un être du monde est son être dans le monde.
Puisque tout l'être d'un individu du monde fait partie d'une possibilité éternelle, il est une possibilité éternelle. Même un individu transitoire, qui naît, vit et meurt, révèle par toute son existence une possibilité éternelle.
Remarques :
Le principe qu’un monde est un ensemble, ou une totalité, de faits atomiques est emprunté au Tractatus logico-philosophus de Wittgenstein. Mais les définitions ici adoptées d’un fait et d’un énoncé atomiques ne sont pas dans le Tractatus. Elles viennent de la logique du premier ordre.
Le principe qu’un énoncé atomique est vrai d'un monde si et seulement si le fait atomique qu’il désigne est élément de ce monde est emprunté au Tractatus de Wittgenstein, à Tarski et à la théorie des modèles. Dans le langage de la théorie des modèles, un monde est un modèle (Keisler 1977).
David Lewis craint qu'il y ait une circularité dans la définition du concept de possibilité logique, parce qu'un monde est logiquement possible lorsqu'il est impossible que sa définition implique une contradiction (Lewis 1986). En définissant un monde logiquement possible à partir d'un ensemble d'énoncés atomiques, on évite ce problème de circularité. La définition d'un monde logiquement possible ne peut pas être contradictoire parce que les énoncés atomiques ne contiennent jamais de négation. S'il n'y a pas de négation, il ne peut pas y avoir de contradiction.
Les sciences de la Nature sont les sciences des mondes naturellement possibles, y compris le monde actuel, parce qu'il est naturellement possible.
Un monde naturellement possible est un monde tel que les lois de la Nature y sont vraies.
On fait une théorie de la Nature en postulant des lois fondamentales de la Nature. Un monde naturellement possible est un modèle d’une théorie de la Nature pourvu qu'elle soit vraie du monde actuel.
Si les lois de la Nature sont formulées avec un système d'équations différentielles, les mondes naturellement possibles sont les solutions du système. Les mouvements des planètes par exemple sont naturellement possibles parce qu'ils sont des solutions des équations différentielles de la physique newtonienne.
Nos modèles de la réalité observée ne sont jamais des modèles exacts. Leur vérité empirique, c'est à dire leur accord avec les observations, dépend toujours d'approximations. L'accord entre les modèles théoriques et la réalité observée doit être suffisamment bon pour qu'on puisse dire de nos modèles qu'ils sont des mondes naturellement possibles, et de nos lois qu'elles sont des lois de la Nature, mais il n'est pas nécessaire que la correspondance entre les modèles et la réalité soit exacte.
Un énoncé est naturellement possible si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde naturellement possible.
Nécessité et possibilité sont des concepts complémentaires :
Un énoncé est nécessaire si et seulement si sa négation n'est pas possible.
Un énoncé est possible si et seulement si sa négation n'est pas nécessaire.
Un énoncé est nécessaire si et seulement s'il est vrai de tous les mondes possibles.
"Tous les mondes possibles" ci-dessus et ci-dessous veut dire "tous les mondes possibles définis avec les concepts de l'énoncé".
Les lois sont nécessaires, parce qu'elles sont vraies de tous les mondes possibles, puisqu'être possible c'est être permis par les lois.
Un énoncé est impossible si et seulement s'il est faux de tous les mondes possibles.
Un énoncé est contingent si et seulement s'il est vrai d'au moins un monde possible et faux d'un autre.
Tout ce qui est nécessaire est possible mais l'inverse n'est pas toujours vrai. Un énoncé est contingent si et seulement s'il est possible et si sa négation est possible. Un énoncé contingent est possible sans être nécessaire. Les vérités mathématiques ne sont jamais contingentes, elles sont toujours nécessairement vraies et c'est une absolue nécessité, la nécessité logique. En revanche les vérités sur les événements de notre monde sont en général contingentes. Ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver. Les lois de la Nature ne déterminent pas tout ce qui se passe, loin de là. A elles seules, elles ne suffisent pas pour déduire l'existence du moindre évènement.
Les lois logiques sont les énoncés logiquement nécessaires. Le principe qu'un monde est un ensemble de faits atomiques permet de trouver toutes les lois logiques, parce qu'il permet de définir la possibilité et la nécessité logiques.
Une conjonction d'énoncés atomiques est toujours logiquement possible et contingente. Une contradiction (p et non p) est toujours logiquement impossible. La loi du tiers exclu (p ou non p) est logiquement nécessaire.
La nécessité logique est absolue, sans conditions. La vérité des lois logiques ne dépend d'aucune hypothèse.
La conclusion d'un raisonnement peut ne dépendre d'aucune prémisse, parce qu'on peut supprimer la dépendance vis à vis des prémisses au cours du raisonnement. Par exemple, si on a tiré la conclusion B à partir de l'unique prémisse A, on peut ajouter comme nouvelle conclusion (si A alors B). Cette nouvelle conclusion ne dépend pas de la prémisse A. Elle est donc sans hypothèse. Les lois logiques sont les conclusions des raisonnements qui ne dépendent d'aucune hypothèse.
Un énoncé est naturellement nécessaire si et seulement s'il est vrai de tous les mondes naturellement possibles.
Une énoncé est naturellement nécessaire si et et seulement s'il est une conséquence logique des lois fondamentales de la Nature.
La nécessité naturelle est relative, conditionnée par la vérité des lois fondamentales de la Nature.
Un concept est une propriété ou une relation. Sa façon d'être un concept est d'être attribué.
Les concepts (les propriétés et les relations) sont les significations des mots et des expressions qui nomment des concepts. Par exemple la propriété d'être un arbre est la signification du mot arbre. Sans les concepts nos paroles ne pourraient pas avoir de signification.
Pour que la vérité d'un énoncé soit déterminée il faut que sa signification soit déterminée. Un même énoncé peut être tantôt vrai, tantôt faux, selon les diverses façons de l'interpréter. On ne peut rien savoir tant qu'on n'a pas déterminé clairement les concepts qu'on emploie. Pour produire la vérité il faut s'en donner les moyens, il faut avoir déterminé clairement les concepts.
Comment les concepts sont-ils définis, ou déterminés ?
L'être d'un concept est déterminé seulement si toutes ses possibilités d'attribution sont déterminées. On connaît un concept quand on sait l'attribuer.
Pour que l'attribution d'un concept soit vraie, il faut qu'il y ait des lois qui déterminent cette attribution.
L'attribution des concepts observés est déterminée par les lois de l'observation.
L'attribution des concepts d'une théorie est déterminée par les lois fondamentales de cette théorie.
S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas de vérité des attributions, il n'y aurait donc pas de concept. Pas de concept sans loi.
S'il n'y avait pas de concept, il n'y aurait pas d'être, parce que pour être, il faut avoir des propriétés et des relations. Pas d'être sans concept.
On a donc prouvé :
S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas d'être. Pas d'être sans loi.
Il y a toujours des explications pour tout, parce qu'on donne des explications à partir des lois et parce que rien ne peut être sans loi.
Lorsqu'elles sont vraies, les lois le sont de toute éternité. Elles précèdent logiquement et chronologiquement tout ce qui apparaît actuellement. Tout se passe comme si la parole précédait l'être, parce que pour être actuel il faut être possible, il faut être permis par les lois. « Au commencement la Parole. » (Jean, 1,1)
Le savant est celui qui connaît les causes, mais connaître les causes, c'est toujours connaître les lois, parce que les lois sont le fondement de l'être. La connaissance des lois fait toute la différence entre un savoir seulement superficiel et le véritable savoir. L'ignorant ne sait pas que l'Univers est ordonné parce qu'il ne connaît pas ses lois. Le savant découvre l'ordre de l'Univers en découvrant ses lois.
Un énoncé d'observation attribue une propriété observée à un individu observé, ou une relation observée entre plusieurs individus observés, en les nommant. Percevoir est toujours percevoir en même temps un concept et un ou plusieurs êtres auxquels on attribue ce concept.
Un individu dans un monde est toujours observé à partir de ses propriétés et de ses relations. Quand on observe une propriété, on observe en même temps l'individu qui a cette propriété. Quand on observe une relation, on observe en même temps les individus qui ont cette relation. Mais on n'observe jamais d'individu sans observer ses propriétés ou ses relations. Un individu nu, sans propriétés ni relations, ne peut pas être observé, il ne peut pas exister pour un observateur. L'observation des concepts est plus fondamentale que l'observation des individus, parce qu'un individu n'est jamais observé sans qu'on lui attribue des concepts.
Les dispositifs de perception sensorielle sont des producteurs d'observations sur le monde dans lequel nous vivons. Ils sont donc des producteurs de vérité fondamentaux, parce que sans eux on ne pourrait pas connaître le monde actuel. Pour observer le monde actuel, nous ne nous contentons pas de la perception sensorielle, nous la complétons avec des instruments d'observations et des théories. Une théorie peut servir à produire de nouvelles observations à partir d'observations déjà faites, parce que la conclusion d'un raisonnement fondé sur des observations peut être elle aussi une observation.
Un concept peut être attribué non seulement aux êtres du monde actuel, mais aussi aux êtres de mondes possibles. Les mondes sont possibles relativement à un système de lois. Les mondes possibles sont ceux qui respectent les lois. Par exemple les mondes naturellement possibles sont les mondes qui respectent les lois de la Nature. Une théorie est un système de lois. Elle est déterminée avec des principes : des axiomes et des définitions. Les axiomes sont les lois fondamentales qui déterminent les concepts fondamentaux. Les définitions déterminent les concepts définis à partir des concepts fondamentaux. Les théorèmes sont les conséquences logiques des principes. Les concepts sont attribués à des êtres possibles si et seulement si cette attribution est un théorème.
Les théories servent à observer le monde actuel, mais elles donnent aussi les moyens d'aller beaucoup plus loin, parce qu'elles donnent la puissance de connaître tous les possibles, tout ce qui peut être imaginé et pensé. Les théories ouvrent les portes de la connaissance de tous les mondes possibles.
On détermine des concepts de façon empirique en donnant des dispositifs d'observation du monde actuel. On détermine des concepts de façon purement théorique en donnant des principes qui permettent de raisonner avec eux. Par exemple, le concept de distance peut être identifié à la relation ternaire entre deux points x et y d'un espace et un nombre réel positif z : d(x, y) = z. Tous les instruments de mesure des distances déterminent de façon empirique ce concept. Des axiomes qui fondent une géométrie le déterminent de façon théorique.
Dans les sciences empiriques, on veut que nos concepts soient déterminés à la fois d’une façon empirique et d’une façon théorique, parce qu’on veut des théories qui expliquent le monde actuel.
Un concept est précisément déterminé lorsque la vérité de son attribution est déterminée dans tous les cas. Une telle précision est rarement atteinte et n'est pas forcément souhaitable. Le flou conceptuel, l'indétermination partielle, peut rendre l'usage des concepts plus souple et mieux adapté à la réalité. Il faut seulement rechercher la précision qui convient, celle qui suffit pour établir la vérité des observations ou des conclusions.
Quand on demande ce qu'est X, on demande l'essence de X. Dire de l'essence qu'elle est ce que c'est est dire est dire ce qu'est l'essence, donc l'essence de l'essence.
Une propriété ou une relation d'un être X est essentielle si et seulement si X ne peut pas être sans avoir cette propriété ou cettte relation. L'essence d'un individu est l'ensemble de ses propriétés et de ses relations essentielles.
Une propriété ou une relation est accidentelle si et seulement si elle n'est pas essentielle.
Si X est un concept, on dit son essence en donnant sa définition, s'il peut être défini à partir de concepts dont on connaît déjà l'essence, ou en donnant des axiomes, les lois fondamentales qui déterminent son attribution, s'il est un concept fondamental.
N'importe quel énoncé peut être appelé une loi, mais on attend en général des lois qu'elles soient universelles, ou générales.
Une loi générale peut être appliquée à de nombreux cas particuliers. On peut toujours la formuler avec un 'pour tout x'. 'Toujours' est 'pour tout instant t'. 'Partout' est 'pour toute position x'. 'Jamais P' est 'pour tout instant t, il est faux que P'. 'Tous les esprits' est 'pour tout esprit x' ou 'pour tout x, si x est un esprit'. De même pour toutes les vérités : 'pour tout x, si x est une vérité', et même toutes les généralités : 'pour tout x, si x est une généralité'.
Quand des êtres obéissent aux mêmes lois, on les connaît tous en connaissant leurs lois. C'est connaître en même temps une myriade d'êtres, comme si les lois nous révélaient la totalité en un seul coup d’œil. On peut connaître ainsi de très vastes totalités : tous les êtres matériels, tous les esprits, tous les mondes, toutes les théories, tout ce qui naturellement ou logiquement possible...
Une loi vraiment universelle n'a aucune exception. Il suffit d'une seule exception pour qu'elle soit réfutée. Pourtant de nombreuses règles ont des exceptions sans être pour autant de mauvaises règles. Ce sont des règles incomplètes, qui ne mentionnent pas des conditions rarement rencontrées, ou des règles probabilistes, qui donnent une forte probabilité à leur conclusion sans garantir leur certitude.
Nous croyons que la Nature obéit à des lois, mais est-ce vraiment une croyance justifiée ? N'est-ce pas plutôt prendre son désir pour une réalité ? Il se pourrait que toutes les lois de la Nature auxquelles aujourd'hui nous croyons soient toutes réfutées par des observations à venir. Et la Nature ne pourrait-elle pas être sans loi ?
La matière ne serait pas la matière si elle n'obéissait pas à des lois. La matière est nécessairement détectable, elle doit donc obéir à des lois de détection, qui résultent des lois fondamentales d'interaction. Une matière qui n'obéirait à aucune loi ne serait pas détectable, et il n'y aurait pas de raison de l'appeler matière. Nous ne savons pas du tout ce que ce pourrait être, cela semble inconcevable.
Tout se passe comme si la matière et l'esprit avaient été faits l'un pour l'autre, parce que la nature de la matière est d'obéir à des lois et que la nature de l'esprit est de connaître les lois.
Ni la matière, ni a fortiori la vie et la conscience, ne pourraient exister et se développer si la Nature n'obéissait pas à des lois. Nous ne serions pas là pour en parler.
Nous n'avons pas à attendre de nos expériences qu'elles prouvent définitivement que la Nature obéit à des lois, ce qu'elles ne peuvent pas faire, puisque toute loi vérifiée aujourd'hui pourrait être réfutée demain, mais seulement qu'elles nous aident à trouver les lois de la Nature. Nous savons d'avance que la Nature obéit à des lois mais nous ne savons pas lesquelles. Comme la Nature ne semble pas être malicieuse, mais plutôt généreuse, il semble qu'un travail honnête et des expériences bien contrôlées suffisent pour trouver et prouver les lois auxquelles elle obéit.
Toutes les sciences rangent les êtres dans des catégories. Les êtres d'une même catégorie ont des propriétés communes et obéissent aux mêmes lois. On fait toujours des théories en imposant des lois à des êtres d'une même catégorie. Si des êtres n'obéissent pas aux mêmes lois, on ne peut pas faire de théorie. La vérité des lois est une condition nécessaire de l'intelligibilité de la réalité.
La lumière qui nous vient des étoiles éloignées est la même que celle du Soleil, ou que celle que nous produisons sur Terre. Elle se comporte toujours de la même façon. Partout dans l'Univers la lumière est toujours la même et obéit toujours aux mêmes lois. « Il n'y a rien de nouveau sous le Soleil. » (Écclésiaste)
La lumière révèle les propriétés de la matière. Une substance naturelle peut toujours être identifiée par la spectroscopie, c'est à dire l'analyse de la lumière absorbée ou émise. Nous pouvons connaître la composition chimique des astres éloignés en analysant leur lumière. La lumière révèle que la matière obéit toujours aux mêmes lois partout dans l'Univers.
Une substance naturelle est pure si elle est constituée de molécules ou d'atomes tous identiques. Les substances naturelles se comportent toujours de la même façon dès qu'elles sont pures. L'eau pure a toujours les propriétés de l'eau pure. Elle obéit toujours aux mêmes lois. Pour elle aussi, rien de nouveau sous le Soleil. Plus généralement les particules élémentaires, les atomes et les molécules d'une même espèce sont tous identiques et obéissent aux mêmes lois.
Tous les points de l'espace sont identiques. Quand on en connaît un, on les connaît tous. Il en va de même pour les points de l'espace-temps. Nous connaissons les espaces infinis dans leur totalité simplement en connaissant leurs lois.
Tous les nombres naturels sont obtenus en additionnant des unités toutes identiques les unes aux autres. On connaît la constitution de tous les nombres naturels, aussi grands soient-ils, simplement en connaissant le un. De même les constituants élémentaires de tous les êtres matériels sont identiques quand ils sont de la même espèce. En connaissant un petit nombre d'espèces élémentaires, on connaît du même coup la constitution de tous les systèmes matériels, même très vastes et très complexes.
La logique est la science du raisonnement.
La meilleure façon de penser est de mettre une vérité devant l'autre et de recommencer.
Un raisonnement est une suite d'énoncés. Les énoncés sont les prémisses, la conclusion, éventuellement des hypothèses provisoires, et des étapes intermédiaires. Les prémisses sont des axiomes, des définitions, des hypothèses ou des conditions. Pour qu'un raisonnement soit logiquement correct, il faut et il suffit que toutes les étapes intermédiaires et la conclusion soient des conséquences logiques évidentes des étapes précédentes, des prémisses et des hypothèses provisoires dont elles dépendent. La conclusion ne doit dépendre que des prémisses, pas des hypothèses provisoires.
Une conséquence logique d'une liste de prémisses ne peut jamais être fausse si les prémisses sont vraies. Si un raisonnement est logiquement correct, toutes les étapes intermédiaires jusqu'à la conclusion sont vraies, pourvu que les conditions dont elles dépendent soient vraies. La logique conduit toujours du vrai au vrai, jamais du vrai au faux.
Les douze règles fondamentales de la déduction donnent toutes les conséquences logiques évidentes qui suffisent pour faire tous les raisonnements logiquement corrects :
La règle de détachement : B est une conséquence logique des deux prémisses A et Si A alors B.
Si B est une conséquence logique des prémisses P et A alors Si A alors B est une conséquence logique des prémisses P.
Les prémisses P sont n'importe quelle liste finie de prémisses, y compris la liste nulle : pas de prémisse.
Le raisonnement par l'absurde : Si B et la négation de B sont toutes les deux des conséquences logiques des prémisses P et A alors la négation de A est une conséquence logique des prémisses P.
A est une conséquence logique de la négation de la négation de A.
A et B est une conséquence logique des deux prémisses A et B.
A et B sont toutes les deux des conséquences logiques de l'unique prémisse A et B.
A ou B et B ou A sont toutes les deux des conséquences logiques de A.
C est une conséquence logique des trois prémisses A ou B, si A alors C et si B alors C.
L'application d'une loi générale à un cas particulier : A(a) est une conséquence logique de Pour tout x, A(x).
a est une constante ou une variable. A(a) est obtenu en substituant a à toutes les occurrences libres de x dans A(x).
La généralisation à partir d'un exemple sans condition : Si A(x) est une conséquence logique de prémisses P dans lesquelles la variable x n'a pas d'occurrence libre alors Pour tout x, A(x) est une conséquence logique des prémisses P.
La preuve d'existence par l'exemple : Il existe un x tel que A(x) est une conséquence logique de A(a).
a est une constante ou une variable. x est une variable qui n'a pas d'occurrence libre dans A(a). A(x) est obtenu en substituant x à une ou plusieurs occurrences de a dans A(a), pas forcément toutes.
A(a) est une conséquence logique de Il existe un x tel que A(x).
a est une nouvelle constante. Elle ne doit pas être mentionnée dans les étapes antérieures du raisonnement. A(a) est obtenu en substituant a à toutes les occurrences libres de x dans A(x).
Attention à faire la différence entre Si A alors B et sa réciproque Si B alors A. A n'est pas une conséquence logique de B et Si A alors B. Croire le contraire est une faute logique très courante. La différence entre un énoncé et sa réciproque est la différence entre si et seulement si. Si A alors B équivaut à A seulement si B pas à A si B.
La règle de généralisation à partir d'un exemple sans condition permet de généraliser à partir d'un exemple hypothétique : soient C(x) des conditions sur un être hypothétique x. Si A(x) est une conséquence logique des prémisses P et C(x) alors Si C(x) alors A(x) est une conséquence logique des prémisses P. Si x n'a pas d'occurrence libre dans les prémisses P alors Pour tout x, si C(x) alors A(x) est une conséquence logique des prémisses P.
Les règles logiques font toujours passer du vrai au vrai. Si les prémisses sont vraies et si le raisonnement est logique, la conclusion ne peut pas être fausse. Une conclusion logique ne peut donc pas donner plus d'informations que celles qui sont déjà données dans les prémisses. C'est pourquoi les raisonnements logiques sont toujours tautologiques. La conclusion affirme ce qui est déjà affirmé par les prémisses. Mais alors à quoi bon raisonner ? Il semble qu'un raisonnement ne peut rien nous apprendre, puisqu'une conclusion n'est qu'une reformulation de ce que nous savons déjà quand nous connaissons les prémisses.
Les lois sont comme un concentré de savoir, elles donnent une richesse illimitée d'informations. Appliquer une loi à un cas particulier est un raisonnement logique qui révèle ce que la loi enseigne dans ce cas. Toutes les conséquences particulières sont déterminées par les lois, mais il faut raisonner pour les découvrir. Un raisonnement révèle explicitement ce que ses prémisses déterminent implicitement, il développe ce qui est enveloppé, il déplie ce qui est plié, il dévoile ce qui est présent mais caché tant qu'on n'a pas raisonné.
Un exemple : considérons la loi "si le système S est dans l'état x à l'instant t alors il est dans l'état f(x) à l'instant t+1, pour tous les instants t et tous les états x" et l'observation que le système S est dans l'état a à l'instant 0. A partir de ces deux prémisses on peut déduire de nombreuses conséquences : S est dans l'état f(a) à l'instant 1, dans l'état f(f(a))=f^2(a) à l'instant 2, dans l'état f(f(f(a)))=f^3(a) à l'instant 3... Avec le principe du raisonnement par récurrence, on peut déduire que S est dans l'état f^n(a) à l'instant n pour tous les nombres naturels n. Avec une loi et une observation d'un état initial, on peut connaître la destinée du système pour l'éternité.
La connaissance des lois donne au raisonnement sa puissance. On fait la science en apprenant par le raisonnement ce que les lois enseignent.
Je dis que ce qui possède une puissance, quelle qu'elle soit, soit d'agir sur n'importe quelle chose naturellement pareille, soit de pâtir - même dans un degré minime, par l'action de l'agent le plus faible, et même si cela n'arrive qu'une seule fois - tout cela, je dis, existe réellement. Et, par conséquent, je pose par définition qui définit les êtres que ceux-ci ne sont autre chose que puissance. (Platon, Le Sophiste ou De l'Être, 247e, traduit par Nestor L. Cordero)
Un être matériel doit être détectable. Si aucun détecteur ne permet de le détecter alors il n'est pas matériel.
La détection des êtres matériels dépend de leurs interactions.
Si A agit sur B, A agit et B pâtit.
Un être détecté agit sur le détecteur. Donc un être qui n'agit sur aucun être matériel ne peut pas être matériel. Les lois de la physique imposent en outre qu'un être qui agit doit aussi pâtir. Pour être matériel, un être doit donc interagir avec d'autres êtres matériels. Est-ce une condition suffisante ?
Descartes a supposé qu'une âme est une substance immatérielle qui interagit avec le corps. Mais la physique n'a jamais trouvé une telle substance immatérielle et ses lois d'interaction avec la matière. Autant qu'on sache, la matière interagit seulement avec la matière. On peut donc adopter comme principe :
Un être est matériel si et seulement si il interagit avec d'autres êtres matériels.
La nature de la matière est d'interagir avec la matière. Les propriétés d'un morceau de matière (particule élémentaire, atome, molécule, matériau solide, liquide ou gazeux...) sont toujours déterminées par ses façons d'interagir avec les autres morceaux de matière. La matière fait toujours ça, interagir avec la matière, et rien d'autre. Il n'y a rien de plus à connaître sur la matière que ses interactions. Quand on sait comment des êtres matériels interagissent, on sait tout ce qu'il y a à savoir sur eux.
On est sensible à un être quand il agit sur nos sens. Nos organes sensoriels sont spécialisés pour subir l'action des objets extérieurs. Ils ne suffisent pas pour connaître tous les êtres matériels et toutes leurs interactions, mais ils apportent tout de même beaucoup d'informations. Les instruments d'observation et de mesure, et tous les systèmes de détection que nous pouvons construire, sont comme des prothèses sensorielles. Ils étendent le champ de la perception. Ils nous font connaître des êtres matériels auxquels les sens ne sont pas directement sensibles. Ils nous révèlent d'autres formes d'action et de sensibilité.
La matière peut toujours être détectée parce que sa nature est d'interagir. Dès qu'elle agit sur un autre morceau de matière, celui-ci est un détecteur. Nos sens, complétés par tous les systèmes de détection concevables, nous permettent donc en principe de connaître tous les êtres matériels et toutes leurs propriétés. Rien ne peut rester caché. Tout peut être perçu, parce que la nature de la matière est d'être perceptible.
Lorsque nous percevons un objet avec nos sens nous croyons le connaître ainsi. Par exemple, si nous voyons que le mur est blanc, nous croyons naturellement qu'il est vraiment blanc. Mais n'est-ce pas une erreur ? Tout ce que nous savons c'est que nos yeux nous donnent une sensation de blanc. Le blanc semble être sur le mur mais il est surtout sur nos yeux. Il se pourrait même que le mur n'existe pas, que nous ayons seulement l'illusion d'un mur blanc. Faut-il en conclure que nous ne connaissons jamais le monde extérieur, que nous pouvons seulement connaître nos sensations et nous-mêmes, que la perception est toujours introspective ?
Le mur est vraiment blanc parce qu'il est capable de faire de l'effet sur tous les êtres sensibles à la lumière blanche, et en particulier parce qu'il est capable d'exciter la sensation de blanc sur nos yeux . Plus généralement toutes les propriétés et toutes les relations qui déterminent l'existence d'un être matériel sont détectables par d'autres êtres matériels. Nous n'avons donc pas à craindre que la perception nous prive malicieusement de ce qu'elle semble nous donner, des représentations vraies des êtres perçus.
Mais cet argument en faveur de la vérité des perceptions semble prouver beaucoup trop, puisqu'il suggère que toutes les perceptions devraient être vraies. Si la propriété détectée est toujours la propriété d'être détectable ainsi, il s'ensuit que toute détection est vraie, puisque ce qui est détecté est nécessairement détectable ainsi. Comment les fausses perceptions peuvent-elles alors exister ?
La possibilité de la fausseté vient de l'existence d'une norme de vérité. Si un instrument de mesure n'a pas été correctement étalonné, il fournit un résultat faux. Le résultat est faux seulement par référence à l'étalon de mesure. Il en va de même pour la perception. Elles ne peuvent être fausses que s'il y a une norme qui détermine ce qui doit être perçu. En l'absence de norme, elles sont toujours vraies, parce qu'elles révèlent toujours l'effet de l'objet sur nos sens. Même une perception fausse révèle une vérité sur l'objet, parce qu'il est vrai qu'il peut être ainsi perçu.
L'être de la matière est de faire de l'effet sur la matière. C'est ainsi qu'elle apparaît. La matière apparaît telle qu'elle est parce que son être est d'apparaître.
La psychologie est la science de l'esprit.
Un esprit est un être qui perçoit, imagine, est ému, décide et agit.
La volonté est la capacité de décider et de se tenir à ses décisions. La parole est une action. La pensée est l'imagination de la parole. L'attention est une forme de perception dirigée ou non par la volonté.
L'imagination est comme une perception de l'absent, du passé, de l'avenir ou du seulement imaginaire. La perception est comme une imagination du présent, dirigée par les sensations.
Un esprit est conscient de soi. Il a conscience qu'il perçoit, qu'il imagine, qu'il est ému, qu'il décide et qu'il agit, comme s'il se percevait lui-même.
Pour agir sur le monde et sur lui-même, un esprit doit s'adapter à la réalité extérieure et intérieure.
Pour percevoir le monde extérieur et agir sur lui, un esprit doit interagir avec lui. Un esprit doit donc avoir un corps.
Le système nerveux, y compris le cerveau, est un réseau de neurones qui relie les organes sensoriels aux organes effecteurs, tout particulièrement les muscles. Il nous rend capable de percevoir et d'agir sur la réalité extérieure et intérieure.
Nous ne savons pas comment la conscience apparaît à partir de la vie du corps. Qu'est-ce qui fait la différence entre un réseau de neurones avec une conscience et un réseau de neurones sans conscience ? (Chalmers, The Conscious Mind, 1995)
Toutes les parties du cerveau dévouées à la perception, l'imagination et l'émotion peuvent contribuer à la décision. Toutes les parties du cerveau dévouées à l'action, la perception, l'imagination et l'émotion doivent obéir aux décisions qui ont été prises, même l'émotion, parce que nous sommes capables de la maîtriser. Mais il n'y a pas de chef qui prendrait des décisions comme un dictateur. La décision est le résultat d'une délibération collégiale à laquelle toutes les formes de la perception, de l'imagination et de l'émotion peuvent participer. Le cerveau d'un être conscient est comme une administration centralisée sans administrateur central (Shallice, Baars, Changeux, Dehaene...). Les décisions imposées à la collectivité sont prises par la collectivité sans qu'elle ait un chef.
Je ne peux pas penser que je pense sans penser que je suis, parce que je suis ceci qui pense. Je pense donc je suis. Mais cet argument de Descartes n'est pas vraiment concluant. Il vaudrait mieux dire je pense donc je ne suis pas, parce qu'il n'y a que des pensées et il n'y a rien qui pense.
Un esprit n'est rien de plus qu'un flot de perceptions, de rêves, de pensées, de souvenirs, d'émotions, de décisions et d'actions. L'être d'un esprit est d'être ce flot, ou cette réunion. La distinction des personnes est semblable à la distinction des rivières. Elles sont séparées mais elles sont toutes faites de la même eau, et elles ne sont rien de plus que cette eau.
En enseignant que le soi n'existe pas, le Bouddha enseigne en même temps comment être délivré de la haine. On a la haine quand on croit qu'on a un soi qui est attaqué. Mais s'il n'y a pas de soi, il n'y a personne qui est attaqué, et la haine disparaît.
C'est le royaume qui fait le roi
De même la pensée fait le moi
A tout moment je me construis
En me disant ce que je suis
Mais si je désire vivre libre
Je dois faire mien ce qui est bien
Afin qu'en moi vibre la fibre
Du divin tendu vers l'humain
Alors mes actes sont l'apparence
Comme les caresses pour la tendresse
La danse et la vie de l'Essence
L'éthique est la science du bien et du mal.
Il est toujours sot de faire le mal ou de ne pas le faire le bien alors qu'il faut le faire. L'intelligence est toujours de s'adapter à la réalité, extérieure et intérieure, pour faire le bien, autant qu'on peut et qu'il convient.
Le bien fondamental est d'avoir un esprit sain dans un corps sain. Les biens fondamentaux sont la santé du corps, bien percevoir, bien imaginer, bien s'émouvoir, bien décider et bien agir.
Cette liste des six biens fondamentaux est semblable à celle des huit biens fondamentaux donnée par le Bouddha
comme la voie octuple.
Les biens dérivés sont des moyens d'atteindre les biens fondamentaux.
Bien agir est toujours agir pour le bien. Bien décider est toujours décider de bien agir.
Bien s'émouvoir 'est toujours s'émouvoir pour s'adapter à la réalité, ce n'est pas se sentir toujours bien. Même les souffrances peuvent être de bonnes émotions si elles nous aident à nous adapter à la réalité. Bien s'émouvoir est toujours s'émouvoir pour bien décider et bien agir.
Bien imaginer est toujours imaginer pour bien décider, bien agir, bien percevoir et bien s'émouvoir.
Bien percevoir est toujours percevoir pour bien décider, bien agir, bien imaginer et bien s'émouvoir.
Les maux fondamentaux sont la mauvaise santé du corps, mal percevoir, mal imaginer, mal s'émouvoir, mal décider et mal agir.
Un esprit doit vouloir son propre bien, mais cela ne suffit pas. Ne pas vouloir le bien des autres esprits est un mal, parce que c'est faire un mauvais usage de sa volonté. On reconnaît ainsi le principe fondamental de l'éthique :
Le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits.
Ce principe n'impose pas de renoncer complètement à son propre intérêt. Faire son propre bien est un bien. Mais un esprit qui ne se sert pas de sa puissance pour le bien des autres est un esprit faible, un esprit qui ne s’accomplit pas. Une main séparée du corps n'est pas une main, mais seulement un morceau de cadavre (Aristote, Pascal). L'égoïsme est un rabougrissement de l'esprit.
Quand on sait vraiment rendre service, on fait son propre bien en même temps que celui d’autrui, et on révèle qu’on est vraiment compétent, vraiment fort, vraiment puissant, vraiment bien.
Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits peut entendu comme un principe communiste, ou socialiste : le bien, c'est la bonne communauté. Il n'y a pas de bien sans une bonne société. Mais il peut aussi être adopté par une droite conservatrice, qui peut affirmer par exemple que le meilleur pour tous est la protection des intérêts privés.
Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits, a une conséquence immédiate : pour vouloir le bien d'un esprit il faut vouloir qu'il veuille le bien, puisque son bien est de vivre pour le bien, et donc de le vouloir. Par exemple, les parents veulent le bien de leurs enfants en voulant qu'il deviennent d'honnêtes citoyens. Mais comment fait-on ? Et sommes-nous capables de le faire ? N'est-ce pas demander l'impossible ?
L'épistémologie est le savoir sur le savoir, ou la science de la science. Un vrai savoir est toujours une science.
Un énoncé n'est jamais un savoir s'il est faux. Un savoir est toujours un énoncé vrai. Mais un énoncé vrai n'est pas toujours un savoir. Que faut-il pour qu'une vérité soit sue ?
Entre un énoncé et sa négation, on ne sait pas toujours lequel est vrai. Une vérité ne montre pas toujours qu'elle est une vérité. Mais un savoir doit toujours montrer qu'il est un savoir. Un savoir qui n'est pas accompagné de marques apparentes qu'il est un savoir, qui ne peut pas être reconnu comme un savoir, n'est pas vraiment un savoir.
Une vérité dite par hasard n'est pas un savoir. Si nous devions compter sur le seul hasard pour connaître la vérité, nous ne serions que des âmes égarées, nous ne connaîtrions jamais vraiment la vérité, puisque même si nous la disons, nous ne savons pas reconnaître qu'elle est la vérité.
Pour qu'une vérité soit sue, il faut qu'elle apparaisse clairement comme une vérité. Comment une vérité peut -elle montrer qu'elle est une vérité ?
Le chemin qui mène à la vérité doit montrer qu'elle est la vérité. La façon d'obtenir un énoncé vrai doit porter des marques apparentes qu'elle est une bonne façon d'atteindre la vérité. Il faut de bonnes méthodes, des bons instruments, de l'honnêteté et du bon travail. La devise du savant : tu gagneras la vérité à la sueur de ton front et tu l'enfanteras dans la douleur. Un savoir est une vérité qui est le fruit d'un bon travail.
Un énoncé est un savoir si et seulement si il est le fruit d'un bon travail de recherche de la vérité.
Cette définition ressemble à une lapalissade. Un savoir est ce qui est produit par un savant, quand il a bien travaillé. Et il semble qu'elle met les choses à l'envers. Il ne faut pas définir le savoir à partir du savant, il faut plutôt définir le savant à partir du savoir. Un savant est un esprit capable de produire du savoir. Mais la présente théorie met bien les choses à l'endroit. Le savoir y est défini à partir de la compétence à produire des vérités, parce que ce n'est pas seulement la vérité, mais aussi la capacité à bien la produire qui fait le savoir. C'est pourquoi il est naturel de définir le savoir à partir de la compétence des savants.
Un bon travail de recherche de la vérité est un acte de vertu intellectuelle (Zagzebski, Virtues of the Mind, 1996), un bon fonctionnement des mécanismes cognitifs (Plantinga, Warrant and Proper Function, 1993) ou d'un dispositif fiable de production de vérités (Goldman, Epistemology and Cognition, 1986).
Un instrument ou un dispositif d'observation est un moyen de production de la vérité. Pour bien travailler on a besoin de bons outils. On en conclut :
Une observation est un savoir si si seulement si elle peut être produite avec un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant.
Un énoncé est toujours équivalent à l'observation qu'il est un énoncé vrai. Un dispositif producteur de vérité peut donc toujours être considéré comme un dispositif d'observation.
Un énoncé est un savoir si et seule
Un producteur de vérité peut être un esprit, une communauté d'esprits (Goldman 1999) ou un instrument d'observation, mais les esprits sont les producteurs de vérité les plus fondamentaux. Une communauté produit des vérités par la coopération d'esprits qui produisent des vérités. Un instrument d'observation produit des vérités quand il est bien utilisé par un esprit.
Un esprit n'est pas en général fiable dans tous les domaines où il essaie de produire des vérités. Ses compétences sont différenciées. C'est pourquoi un producteur de vérité doit être déterminé avec un domaine de compétences, pas seulement avec un esprit, une communauté ou un instrument d'observation.
Un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible. Il est bon si et seulement si il fonctionne bien la plupart du temps, pas forcément toujours (Goldman 1986). Même si un bon producteur de vérité a produit un énoncé vrai, celui-ci n'est pas forcément un savoir. Du fait de circonstances inconnues, une succession d'erreurs qui se compensent par exemple, un bon producteur de vérité peut produire un énoncé vrai même s'il n'a pas bien travaillé. Dans un tel cas l'énoncé produit n'est pas un savoir, seulement une vérité obtenue par hasard. Il faut que la vérité d'un énoncé résulte du bon travail d'un bon producteur de vérité pour que cet énoncé soit un savoir (Zagzebski 2017).
Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est-il nécessaire pour qu'un producteur de vérité soit bon ? Zagzebski (1996 p. 182) propose le contre-exemple suivant. Une savante est très créative et apporte une fois sur vingt une contribution importante à la science, mais elle se trompe lourdement le reste du temps. Il semble qu'elle est une très bonne productrice de savoir malgré son taux d'erreur très élevé. Elle peut même être l'un de ceux qui font le plus progresser la science. Mais il faut que ses erreurs soient corrigées pour arriver au savoir. Quand on a dix-neuf chances sur vingt de s'être trompé, on ne sait pas. Pour faire un bon producteur de vérité, la créativité doit être accompagnée d'une méthode qui réduit son taux d'erreur.
Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est-il suffisant pour qu'un producteur de vérité soit bon ? Si on peut vérifier qu'une méthode de recherche de la vérité a un taux d'erreur faible alors cette méthode est nécessairement un bon travail de production de la vérité (Goldman 1986). Un taux d'erreur faible obtenu régulièrement ne peut pas être le fruit du hasard. Le critère de la faiblesse du taux d'erreur est donc nécessaire et suffisant pour identifier les bons producteurs de vérité.
Un savoir peut être plus ou moins bien su, parce qu'un travail de recherche de la vérité peut être plus ou moins bon. Un travail de recherche de la vérité peut être plus ou moins bon, parce que son taux d'erreur peut plus ou moins petit, et parce que cette petitesse peut être plus ou moins bien sue.
La vertu intellectuelle est la puissance de trouver la vérité.
Honnêteté, impartialité, cohérence, respect de la vérité, ouverture d'esprit, courage, persévérance, et beaucoup d'autres, font que nous pouvons devenir de bons chercheurs de vérité. Un chercheur de vérité peut être bon au sens où il fournit des résultats fiables parce que son taux d'erreur est faible, ou au sens où il met en pratique sa vertu intellectuelle. Il n'est pas nécessaire de séparer ces deux significations. La vertu intellectuelle doit conduire à des résultats fiables, sinon elle ne serait pas une vertu. Inversement on ne peut pas produire de résultats fiables sans vertu. Le simple usage d'un instrument d'observation requiert le respect de la vérité pour produire des résultats fiables. On ne peut rien faire ou presque sans la vertu. Il n'y a pas d'opposition entre l'efficacité ou la puissance d'une part et la vertu d'autre part, parce que rien n'est plus puissant que la vertu. Elle est la première source de la puissance et la seule source de la véritable puissance, si on admet que la véritable puissance est toujours la puissance de faire le bien.
Sans éthique pas de science, parce qu'il faut bien travailler pour produire du savoir et parce qu'on ne peut pas bien travailler sans éthique.
Un bon travail d'un chercheur de vérité peut être appelé un acte de vertu intellectuelle.
Un énoncé est un savoir si et seulement si il est produit par un acte de vertu intellectuelle.
Cette définition est présentée par Zagzebski dans Virtues of the mind (1996).
Les savants produisent du savoir parce qu'ils ont une vertu productrice de savoir, la vertu intellectuelle. Avec cette lapalissade on n'a évidemment encore rien expliqué, on a seulement nommé ce qu'on doit expliquer, l'existence de la vertu intellectuelle, de la capacité à trouver la vérité de façon fiable. Toute l'épistémologie est d'expliquer la vertu intellectuelle, dans toutes ses manifestations. L'épistémologie est la science de la vertu intellectuelle.
Il est dans la nature de l'esprit de se donner des fins, qu'il poursuit, et des règles, qu'il applique, ou qu'il transgresse. Une règle peut être considérée comme une fin, la fin étant d'obéir à la règle. C'est une fin qu'on n'a jamais complètement atteinte, sauf si on meurt, parce qu'on peut toujours désobéir tant qu'on est vivant. Inversement, se donner une fin est une règle, la règle de poursuivre toujours la fin, tant qu'elle n'est pas atteinte. Un système de fins et de règles est un programme. Lorsque ses fins sont nobles, un programme est un idéal. Pour être de bons chercheurs de vérité, il faut se donner un idéal de la raison, un système de fins et de règles pour la direction de l'esprit, et le réaliser. Comme la raison nous demande de nous servir de la raison, l'idéal de la raison est un mode d'emploi de la raison.
Pourquoi se donner des règles ? En se donnant comme règle de faire tous ses pas dans la même direction, on va beaucoup plus loin qu'en marchant comme un ivrogne qui change de direction à chaque pas. Il en va de même pour tous les bons programmes. Ils nous rendent plus compétents, plus puissants, plus capables d'atteindre des objectifs éloignés.
La capacité à atteindre des fins dépend des règles que appliquons, parce que ces règles déterminent les chemins que nous suivons.
Nous pouvons nous donner un programme de recherche de programmes, en nous donnant des règles pour trouver des programmes. Un mode d'emploi de la raison est justement un programme de recherches de bons programmes, dignes de la raison.
Un idéal n'est pas toujours bon. Il peut être mauvais parce qu'il mêle de nobles fins avec d'autres qui le sont moins, ou parce qu'il est irréalisable et nous condamne alors à la frustration. Pour être réalisable, un programme doit toujours être adapté à la réalité, à la fois la réalité extérieure et la réalité intérieure, ce que nous sommes pour nous-mêmes. Pour nous donner de bons programmes, nous devons à la fois connaître les lois éthiques et les lois de la Nature. Les lois éthiques enseignent les devoirs et les fins qui méritent d'être poursuivies. Les lois de la Nature enseignent comment s'adapter à la réalité.
L'idéal donne à l'esprit sa puissance. La puissance d'un esprit est la puissance de son idéal. En particulier, un idéal du savoir donne à un esprit la puissance d'atteindre la vérité, donc la vertu intellectuelle.
Les Idées sont les grands concepts : la vérité, le bien, la beauté, la justice... Après Platon, on les appelle aussi les Formes. Comme tous les concepts, elles sont déterminées avec des lois. Une loi est comme un guide qui nous prescrit les chemins permis. On est guidé par les Idées quand on obéit à leurs lois.
La bonne parole montre la fin et le chemin pour l'atteindre. J'entends la voix et je vois la voie.
Pour savoir, il faut donner des preuves. Si on ne sait pas prouver ce qu'on avance, on ne sait pas, tout court. Un bon travail qui conduit à la vérité doit être en même temps une bonne preuve qu'elle est la vérité. Le chemin qui mène au savoir doit montrer qu'il est la vérité. Le processus de production du savoir est donc toujours une preuve qu'il est un savoir. Si un savant a bien travaillé en produisant la vérité, son travail est une bonne preuve de son résultat.
Un savoir est une vérité bien prouvée. Un énoncé est un savoir si et seulement si il est bien prouvé.
Une bonne observation est une bonne preuve. Le processus d'observation prouve la vérité de ce qui est observé. Inversement une bonne preuve est une bonne observation de la vérité de ce qui est prouvé.
Un énoncé est un savoir si et seulement si il est une bonne observation.
Un raisonnement est une preuve de la vérité de sa conclusion. Or une preuve est une observation de la vérité de qui est prouvé. Donc un raisonnement est une observation de la vérité de sa conclusion. Le raisonnement fait partie des techniques d'observation. « Les yeux de l'âme, par lesquels elle voit et observe les choses, ne sont rien d'autre que les preuves. » (Spinoza, Éthique, Livre V, prop. 23, Scolie). Une observation peut être la conclusion d'un raisonnement parce qu'un raisonnement peut faire partie d'un dispositif d'observation : on peut raisonner pour interpréter des observations et produire ainsi de nouvelles observations.
Une bonne preuve n'apporte pas toujours la certitude, parce qu'elle peut être bonne sans que nous soyons certains qu'elle est bonne. Par exemple une observation peut être bonne, parce qu'elle est produite par un bon dispositif d'observation qui a bien fonctionné en la produisant, mais le savoir ainsi produit n'est pas su avec certitude, parce que le dispositif d'observation est bon sans être infaillible.
Donner des preuves, c'est toujours inviter un esprit à prendre conscience qu'il est capable de savoir par lui-même. La preuve, si elle est vraiment bonne, est un chemin universel, un chemin qui montre à tous les esprits comment leurs propres ressources leur donnent les moyens de rejoindre la vérité. Donner des preuves est une forme de respect pour tous les esprits, c'est une façon d'honorer leur capacité à connaître la vérité.
En mathématiques on sait toujours reconnaître si les raisonnements sont des bonnes preuves parce qu'il suffit de vérifier que les prémisses sont des axiomes ou des définitions et que les règles logiques ont été respectées. Plus généralement, une preuve qui ne montre pas clairement qu'elle est une preuve ne peut pas être une bonne preuve. Un théorème ne porte pas de marques visibles qu'il est un théorème, parce que le lire ne suffit pas pour savoir si oui ou non il est une conséquence des axiomes et des définitions. En revanche une preuve porte toujours des marques visibles qu'elle est une preuve, il faut qu'elle puisse être reconnue comme une preuve.
Un bon travail de production de la vérité doit toujours porter des marques apparentes qu'il est un bon travail. S'il ne peut pas être reconnu comme un bon travail, alors il n'est pas un bon travail. Cela fait partie du travail de montrer qu'il est un bon travail. Un tel travail ne peut pas être bon sans le montrer.
Pour être un bonne preuve, une preuve doit être flagrante. Un raisonnement qui ne montre pas qu'il est un bon raisonnement n'est pas un bon raisonnement. Un dispositif d'observation ne peut pas être bon sans montrer qu'il est bon. Si on ne peut pas observer qu'un dispositif d'observation est bon, alors il n'est pas bon. Une preuve qui n'est pas reconnue comme une bonne preuve n'est pas une bonne preuve. On a donc prouvé :
Un savoir doit être reconnu comme un savoir pour être su.
On peut donner plusieurs formulations équivalentes de ce principe : si on ne sait pas qu'on sait, alors on ne sait pas. Pour savoir, il faut savoir qu'on sait. Un énoncé est un savoir si et seulement s'il est reconnu comme un savoir. Un énoncé est un savoir si et seulement si l'observation qu'il est un savoir est un savoir. Une preuve est bonne si et seulement on a bien prouvé qu'elle est une bonne preuve. Un raisonnement est bon si et seulement si on a un raisonnement qui prouve qu'il est bon. Le savoir sur le savoir est une condition nécessaire du savoir. Mais ce principe est en général nié pour deux raisons :
Il exclut les formes irrationnelles du savoir. Pour répondre à cette objection, il suffit de préciser que le principe ne vaut que pour le savoir rationnel.
Il conduit à une régression à l'infini : pour savoir il faut savoir qu'on sait, il faut donc savoir qu'on sait qu'on sait, et ainsi de suite à l'infini. On croit souvent que cette suite infinie de savoirs est une régression qui nous empêche de toujours savoir qu'on sait, parce qu'on croit que des énoncés en nombre infini ne peuvent pas être tous sus en même temps par un esprit fini. Mais c'est se tromper sur la puissance d'un esprit fini.
Des énoncés en nombre infini ne peuvent pas être tous sus en même temps par un esprit fini. N'importe quelle loi générale est équivalente à un nombre infini d'énoncés. Connaître des énoncés en nombre infini n'est pas hors de notre portée, c'est ce que nous faisons tous les jours dès que nous énonçons une généralité.
'X est su à l'ordre 0' égale par définition 'X est su'. 'X est su à l'ordre n+1' égale par définition 'Que X est su à l'ordre n est su', pour tout nombre naturel n. Avec ces définitions, on peut affirmer que pour tout nombre naturel n, X est su à l'ordre n. Pour le savoir, il suffit de le prouver. Peut-on le prouver ?
- Comment le sais-tu ?
- Je l'ai bien vu.
- Comment sais-tu que tu sais parce que tu l'as bien vu ?
- C'est vrai par définition d'une bonne observation : pour tout X, si X est une bonne observation, alors X.
- Comment sais-tu que tu as bien vu ?
- J'ai conscience d'avoir bien vu. J'ai bien observé que j'ai bien vu.
- As-tu bien observé que tu as bien observé que tu as bien vu ?
- Oui, parce que la conscience de soi fait qu'une bonne observation est en même temps une bonne observation qu'elle est une bonne observation.
Puisque la conscience de soi fait qu'une bonne observation est équivalente à la bonne observation qu'elle est une bonne observation, X est su à l'ordre n si et seulement si X est su à l'ordre n+1, pour tout X et tout nombre naturel n. Pour prouver que X est su à l'ordre n pour tout nombre naturel n, il reste à prouver qu'il est su à l'ordre 0, donc qu'on a bien observé la vérité de X.
Pour qu'une observation soit une bonne observation, il faut avoir bien observé qu'elle est une bonne observation. Comment observe-t-on que nos observations sont bonnes ? Comment reconnaît-on le savoir ?
Un dispositif universel d'observation du savoir est un dispositif d'observation de tous les savoirs. Il doit observer pour tous les producteurs de vérité, ou les dispositifs producteurs de vérité, si oui ou non ils sont de bons producteurs, et s'ils ont bien travaillé, ou bien fonctionné, en produisant ce qu'ils proposent comme des vérités. Un tel dispositif peut-il exister ?
S'il existe, il est comme un soleil pour tous les esprits, qui éclaire toutes les vérités qui nous sont accessibles. Il révèle tous les savoirs. Il montre en pleine lumière tout ce qui peut être su.
Une bonne observation qu'un savoir est un savoir est elle aussi un savoir. Un dispositif universel d'observation du savoir doit donc être capable de s'observer lui-même et de reconnaître si les observations qu'il produit sont bien produites. Est-ce possible ? Un bon dispositif universel d'observation du savoir qui observe qu'il est un bon dispositif universel d'observation du savoir peut-il exister ?
Supposons qu'un bon dispositif d'observation du savoir soit capable de s'observer lui-même, de reconnaître qu'il produit bien un bon savoir, et d'observer que X est un savoir. Alors ce dispositif peut reconnaître que X est su à l'ordre 0. De plus, s'il peut reconnaître que X est su à l'ordre n, il peut aussi reconnaître qu'il est su à l'ordre n+1, puisqu'il est capable de s'observer lui-même et donc de reconnaître qu'il reconnaît que X est su à l'ordre n. On peut alors conclure, avec le principe du raisonnement par récurrence, que pour tout nombre naturel n, ce dispositif peut reconnaître que X est su à l'ordre n.
Pour savoir si un instrument d'observation est bon, on confronte ses résultats avec ceux d'un autre instrument d'observation qu'on suppose bon. Pour observer la qualité de nos observations, nous avons besoin d'observations de qualité. Faut-il en conclure que les bonnes observations sont impossibles ? Pour savoir qu'une observation est bonne, on a besoin de bonnes observations mais une observation ne peut pas être bonne si on ne sait pas qu'elle est bonne. Il semble que le processus de reconnaissance du savoir ne peut même pas démarrer.
Les dispositifs d'observation du savoir sont des dispositifs d'observation des dispositifs producteurs de vérité. Pour observer qu'un dispositif producteur de vérité est bon, on doit observer qu'il ne fait pas trop d'erreurs. Pour observer si oui ou non il fait des erreurs, on le confronte à un ou plusieurs autres dispositifs producteurs de vérité, parce qu'une même vérité peut être produite de nombreuses façons. Bien sûr on a besoin de bons dispositifs producteurs de vérité pour observer si un dispositif producteur de vérités est bon. Mais il n'y a pas pour autant de régression à l'infini, parce que la cohérence des résultats fournis par des dispositifs producteurs de vérité indépendants suffit pour établir qu'ils sont bons. Si on a observé que de nombreux dispositifs producteurs de vérité indépendants donnent la plupart du temps des résultats cohérents, il y a une chance infime que cette cohérence résulte du fonctionnement de mauvais dispositifs, on peut donc conclure que tous les dispositifs sont bons. On obtient ainsi un critère d'observation des bons dispositifs producteurs de vérité :
Un dispositif producteur de vérité est bon s'il est élément d'un ensemble de dispositifs indépendants qui donnent des résultats cohérents la plupart du temps.
Des producteurs indépendants peuvent observer la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants. La cohérence des observations de la cohérence peut alors être observée. Le critère de la cohérence des producteurs indépendants peut ainsi être appliqué à lui même et il conduit alors à l'observation qu'il est un savoir.
L'épistémologie est le savoir de tous les savoirs. Elle donne à tous les moyens de bien observer tous les savoirs. Elle est le dispositif universel d'observation de tous les savoirs, le Soleil qui éclaire tous les esprits.
L'épistémologie est un savoir, donc un savoir d'elle-même, puisqu'elle est le savoir de tous les savoirs. Si une théorie du savoir n'est pas capable de se reconnaître elle-même comme un savoir, alors elle n'est pas un savoir de tous les savoirs.
Une bonne preuve peut toujours être mise sous la forme d'un bon raisonnement, parce que si elle est vraiment une bonne preuve, il doit y avoir un bon raisonnement qui prouve qu'elle est une bonne preuve.
Si on a un bon dispositif producteur de vérités, si on croit aux vérités qu'il produit, et si on ne sait pas qu'il est un bon dispositif producteur de vérités, est-ce qu'on sait ou est-ce qu'on ne sait pas ?
Nous avons des organes sensoriels et un cerveau avec lesquels nous produisons des observations vraies. Mais il faut être savant pour savoir que la perception sensorielle produit la vérité. Si on croit que nos perceptions produisent la vérité sans le savoir, avons-nous un savoir ?
Si nous croyons que des vérités bien produites sont des vérités sans savoir qu'elles ont été bien produites, nous ne sommes pas différents d'un crédule qui croit n'importe quelle sottise débitée par un menteur, un escroc ou un charlatan, donc nous ne savons pas. Pour savoir, il faut savoir qu'on sait.
On peut savoir plus ou moins bien qu'on sait, parce que nos dispositifs d'observation du savoir peuvent être plus ou moins bons.
Si je crois que je sais parce que j'ai vu et bien vu, alors je sais et je sais que je sais, parce que ma capacité à reconnaître que j'ai bien vu, que de bonnes conditions d'observation ont été réunies, est un bon dispositif d'observation du savoir, même s'il n'est pas infaillible.
On ne peut pas savoir sans savoir qu'on sait, mais on peut ne pas très bien le savoir.
Si j'ai un bon dispositif D producteur de vérité, s'il a bien fonctionné en produisant la vérité, si j'ai en plus un bon dispositif D' producteur de vérité sur les producteurs de vérité, capable de reconnaître que D est un bon producteur de vérité, et capable de se reconnaître lui-même comme un bon dispositif producteur de vérité, alors je sais en sachant que je sais, mais si D' n'est pas infaillible, alors je sais sans être certain que je sais. On peut donc savoir sans être certain qu'on sait.
La certitude donne un sentiment de puissance, comme si nous n'avions besoin de personne d'autre que nous-mêmes pour savoir, comme si nous n'avions pas besoin de Dieu pour être puissant.
La certitude conduit à l'intolérance. Si j'ai un bon dispositif d'observation du savoir qui fournit des résultats certains alors je peux exclure tout ce qui ne respecte pas mes règles, tout ce qui ne passe pas mon test d'observation du savoir. Tout candidat au savoir que je ne reconnais pas comme un bon candidat est automatiquement exclu : va-t-en, tu n'as pas ta place dans le champ du savoir.
Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, est un dispositif universel d'observation du savoir, mais elle ne conduit pas à la certitude et à l'intolérance. Au contraire, elle impose la loi de l'hospitalité : nous ne connaissons pas par avance tous les bons principes et toutes les bonnes méthodes d'observation, et nous ne pouvons pas les connaître. La science est nécessairement imprévisible. Nous ne pouvons pas savoir avance ce qu'elle deviendra et comment nous la reconnaîtrons. Nos principes d'observation du savoir sont universels mais en général, ils ne donnent pas de réponse rapide et certaine. Il faut laisser le temps aux principes, aux hypothèses, aux théories et même aux dispositifs d'observation, pour qu'ils portent leurs possibles fruits. En face d'une nouvelle hypothèse, nous avons le devoir de l'accueillir. Un candidat au savoir n'est pas exclu, il est invité à montrer ses preuves. La certitude et l'intolérance conduisent à l'ignorance parce qu'elles nous empêchent d'observer correctement le savoir. Sans un esprit d'hospitalité, disposé à laisser venir toutes les formes de vérité, et à leur donner les moyens de nous révéler tout ce qu'elles peuvent révéler, on est incapable de reconnaître le savoir, et donc incapable de savoir.
Un idéal de vérité est un programme de recherche de la vérité, un système de fins et de règles pour trouver la vérité, autant qu'on peut, qu'il faut et qu'il convient. Mais comment savoir qu'un idéal de vérité est un bon idéal, qu'il nous donne vraiment les moyens de connaître la vérité ?
Une théorie est un système de principes. Un principe est un axiome ou une définition. Les théorèmes de la théorie sont les conséquences logiques des axiomes et des définitions.
Un même énoncé peut être un principe d'une théorie et un théorème d'une autre théorie, parce qu'un principe peut être prouvé à partir d'autres principes.
Sans les principes, nos moyens naturels d'observation seraient les seules sources du savoir. Les principes nous rendent capables d'aller beaucoup plus loin. Les théories nous font connaître tous les mondes possibles et le monde actuel avant même qu'il soit actuellement observé, elles augmentent nos capacités d'observation du monde actuel, elles nous enseignent les fins qui méritent vraiment d'être poursuivies, comment acquérir du savoir et faire de bonnes théories. Les bons principes sont toujours des sources inépuisables de savoir. On peut aussi les voir comme des moteurs ou des fusées, parce qu'ils nous donnent de la puissance et qu'ils nous transportent jusqu'aux sommets les plus élevés du savoir.
Une théorie peut être considérée comme le programme d'un dispositif d'observation. On observe que des énoncés sont vrais en observant qu'ils sont des théorèmes, qu'ils sont logiquement prouvés à partir des axiomes et des définitions. Nos dispositifs d'observation sont en général faillibles, mais les bonnes théories font exception, parce qu'elles sont infaillibles si leurs axiomes sont vrais.
L'épistémologie est un idéal de vérité, une théorie qui est en même temps un programme d'observation de toutes les vérités, autant qu'on peut les connaître.
La conclusion d'un raisonnement est toujours vraie si les prémisses sont vraies. Les prémisses sont des principes ou des observations déjà faites. Pour que les théories et les raisonnements donnent du savoir, il faut donc que les principes soient vrais. Comment reconnaît-on la vérité des principes ?
La vérité sur un monde logiquement possible est déterminée par sa définition. Nous savons ce qu'il sont parce qu'ils ne sont rien de plus que ce que nous disons qu'ils sont, comme si la parole précédait l'être. On n'a pas besoin d'observer le monde actuel pour connaître la vérité mathématique. Les axiomes et les définitions sont vrais par définition ou par construction des mondes logiquement possibles qu'ils nous font connaître.
Les principes d'une science de la Nature sont des lois fondamentales de la Nature, qu'on énonce avec des axiomes et des définitions. Les définitions sont vraies par définition, mais pas les axiomes. Comment reconnaît-on la vérité des lois fondamentales de la Nature ?
Les principes éthiques sont les lois fondamentales à partir desquelles on peut prouver toutes les lois que nous devons respecter pour vivre bien. Comment reconnaît-on la vérité des lois éthiques fondamentales ?
« Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » (Matthieu, 7:20)
« On y verra de ces sortes de démonstrations, qui ne produisent pas une certitude aussi grande que celles de Géométrie, et qui même en diffèrent beaucoup, puisque au lieu que les Géomètres prouvent leurs Propositions par des Principes certains et incontestables, ici les Principes se vérifient par les conclusions qu'on en tire; la nature de ces choses ne souffrant pas que cela se fasse autrement. Il est possible toutefois d'y arriver à un degré de vraisemblance, qui bien souvent ne cède guère à une évidence entière. Savoir lorsque les choses, qu'on a démontrées par ces Principes supposés, se raportent parfaitement aux phénomènes que l'expérience a fait remarquer; surtout quand il y en a grand nombre, et encore principalement quand on se forme et prévoit des phénomènes nouveaux, qui doivent suivre des hypothèses qu'on employe, et qu'on trouve qu'en cela l'effet répond à notre attente. Que si toutes ces preuves de la vraisemblance se rencontrent dans ce que je me suis proposé de traiter, comme il me semble qu'elles font, ce doit être une bien grande confirmation du succès de ma recherche, et il se peut malaisément que les choses ne soient à peu près comme je les représente. » (Christian Huyghens, Traité de la lumière, p.2)
Un principe doit porter des fruits pour être bon, il doit nous conduire à des vérités que nous n'atteindrions pas sans lui. Un principe est bon seulement s'il peut servir à bien produire la vérité. On reconnaît les bons principes à leurs fruits, le bon savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre.
La vérité des conséquences d'un principe ou d'un système de principes ne prouve pas la vérité des principes. A partir de B et Si A alors B on n'a pas le droit de déduire A. Mais si les conséquences d'un principe sont très régulièrement vérifiées, il est raisonnable de supposer que le principe est vrai et qu'il est la raison de la vérité de ses conséquences.
Les fruits peuvent être considérés comme des preuves que les principes sont bons, mais ils ne sont pas des preuves concluantes, parce que même des principe faux peuvent parfois porter des fruits. La reconnaissance des bons principes à partir de leurs fruits n'est pas infaillible, mais elle est quand même une bonne façon de reconnaître le savoir.
On reconnaît le savoir à partir des bons principes avec lesquels il est produit. On reconnaît les bons principes à partir du savoir qui peut être produit avec eux. Cette approche est circulaire. Pour reconnaître les bons principes, il faut reconnaître le savoir, mais pour reconnaître le savoir il faut reconnaître les bons principes. Ce cercle ne nous enferme pas parce que les bons principes ne sont pas les seuls critères du savoir. On reconnaît les bons principes quand ils nous aident à devenir de bons producteurs de vérités dans un ensemble cohérent de producteurs de vérité, une communauté d'esprits qui veulent un savoir qui nous aide à nous adapter à la réalité, à bien penser et à bien vivre, à devenir des esprits accomplis. Cette reconnaissance de l'accomplissement de l'esprit est plus fondamentale que la reconnaissance des bons principes, parce qu'on reconnaît les bons principes en reconnaissant qu'ils aident à notre accomplissement.
Comme l'éthique est le savoir sur le bien de l'esprit, elle est le savoir qui reconnaît les fruits de la raison, elle est par conséquent nécessaire pour reconnaître tous les principes des sciences. L'éthique est fondamentale pour toutes les sciences parce qu'elle nous apprend à la fois à bien travailler et à évaluer les fruits de nos travaux.
Le principe qu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits est un critère d'observation des bons principes. Il porte des fruits à chaque fois qu'il nous aide à reconnaître les bons principes. Quand il est ainsi appliqué à lui-même, il conduit à l'observation qu'il est lui-même un bon principe. Les grands principes universels de la reconnaissance du savoir donnent les moyens de reconnaître tous les savoirs, y compris eux-mêmes.
Une communauté de producteurs de vérité, indépendants, qui se donnent les moyens de reconnaître les bons principes et les bons dispositifs d'observation, et de s'observer elle-même, est un dispositif universel d'observation du savoir. Elle a la puissance de reconnaître toutes les vérités, autant qu'elles nous sont accessibles.
L'observation des bons fruits et de la cohérence des résultats obtenus par des producteurs indépendants ne conduisent pas toujours à la certitude, mais ce n'est pas nécessaire, parce qu'un producteur de vérité peut être bon sans être infaillible.
La meilleure façon de penser est de mettre une vérité devant l'autre et de recommencer. C'est l'idéal cartésien du savoir. Il faut partir de vérités déjà connues et passer de vérité en vérité en respectant les règles du raisonnement logique. Les règles logiques garantissent qu'on passe toujours du vrai au vrai. Mais pour procéder ainsi il faut savoir que nos prémisses, les observations et les principes qu'on met au commencement de nos raisonnements, sont vraies. Or on ne sait pas toujours dès le commencement si nos principes sont bons. On ne sait parfois même pas si nos observations sont bonnes, parce qu'il faut de bons principes pour établir leur vérité. Puisqu'on reconnaît les bons principes à leurs fruits, il faut attendre la fin du travail pour reconnaître qu'ils sont vraiment bons. Au commencement ils sont seulement hypothétiques. La reconnaissance des bons principes n'est pas instantanée, elle résulte d'un long cheminement, parce qu'il faut laisser le temps aux principes de nous révéler leur vérité.
« Seul ce qui est enfin parfaitement déterminé est à la fois exotérique, concevable, susceptible d'être appris et d'être la propriété de tous. La forme intelligible de la science est la voie vers elle qui est ouverte et offerte à tous et rendue la même pour tous, et parvenir par l'entendement au savoir raisonnable est la juste exigence de la conscience qui vient rejoindre la science. » (Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Préface, p.XV, traduit par Jean-Pierre Lefebvre)
Dès que des bons principes sont reconnus, ils sont adoptés par tous ceux qui comprennent qu'ils rendent plus compétents, plus forts, plus lucides. S'ils sont vraiment bons, vraiment utiles, ils s'imposent naturellement à tous ceux à qui ils rendent service. En inventant ou en développant de bonnes théories avec de bons principes, on peut se rendre utile pour tous les esprits. Les fruits de la raison sont universels. Les bonnes observations, les bons principes et les bons raisonnements sont toujours bons pour tous les esprits. Si un esprit peut récolter les fruits de bons principes, alors tous les esprits peuvent récolter les mêmes fruits. Quand on cherche des bons principes, on cherche un bien pour tous les esprits, on met en pratique le grand principe de l'éthique, que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits. La raison est un bien pour tous les esprits. Si on défend, si on enseigne ou si on illustre la raison, on fait le bien pour tous les esprits.
Les grands principes nous révèlent la puissance de la raison. Ils donnent à tous les esprits les moyens d'acquérir tous les savoirs, de comprendre tous les esprits et de révéler tous les bienfaits de la raison. En apprenant ce que les grands principes nous enseignent, nous apprenons du même coup que nous pouvons penser pour le bien de tous les esprits. Être bon pour tous les esprits n'est pas un idéal inaccessible. C'est la réalité de la pensée rationnelle.
Que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous esprits conduit à un critère de reconnaissance de tous les savoirs, parce qu'une science ne peut pas être une science sans être un bien pour tous les esprits. En sachant que le savoir rationnel doit être un bien pour tous les esprits, nous avons le savoir fondamental qui donne les moyens de reconnaître tous les savoirs.
Que la raison est un bien pour tous les esprits a comme conséquence l'universalité de la critique. Quand on prétend offrir un savoir, toutes les objections doivent être accueillies. Un esprit est toujours en droit de faire partager son insatisfaction, parce qu'il est lui-même un critère de reconnaissance du bon savoir, parce que le bon savoir doit l'aider à bien penser et à bien vivre pour être vraiment bon. Une prétention à la science qui n'offre pas son hospitalité à toutes les critiques renie la science et la raison. Pas de science sans liberté critique. C'est une des règles les plus fondamentales du développement des sciences.
Pour qu'un savoir puisse être partagé, il faut qu'il puise seulement dans des ressources communes, accessibles à tous. On pourrait croire que c'est une limite très restrictive, qu'en se privant de ressources privées, on se prive du même coup du meilleur du savoir, mais c'est l'exact contraire qui est vrai. Nos intelligences sont les plus puissantes justement quand elles se limitent aux ressources communes. C'est en nous entraidant que nous découvrons le mieux le pouvoir de nos intelligences, que nous développons les meilleurs savoirs et que nous faisons vivre la raison.
Quand on sait que c'est, on ne veut pas seulement savoir que c'est, on veut aussi savoir pourquoi c'est. Mais y a-t-il un pourquoi ? Pourquoi y aurait-il un pourquoi ? Et pourquoi vouloir le connaître ?
Un ensemble de vérités atomiques détermine complètement un univers, un monde, une totalité, mais il ne dit pas pour autant toute la vérité sur ce monde. Même si on connaissait toutes les vérités atomiques de l'Univers on ne le connaîtrait pas très bien, parce qu'un ensemble de vérités atomiques est comme un savoir désintégré, qu'on a réduit à ses plus simples éléments. On veut plus et mieux que ce savoir en miettes, sans rime ni raison.
Dire pourquoi, c'est dire les causes.
Comment connaît-on les causes ? Y a-t-il vraiment des causes à connaître ?
Si X est une cause de Y, l'affirmation que X est toujours une cause de Y est toujours une loi. Pour connaître les causes, il faut connaître les lois. Une explication est toujours un raisonnement fondé sur des lois. On a donc besoin de connaître les lois pour donner les explications qui font le véritable savoir.
Les causes ont des causes. Faut-il craindre une régression à l'infini quand on cherche les causes ?
L'explication de la nécessité ou de la possibilité ne conduit pas à une régression à l'infini, parce qu'on s'arrête à des lois fondamentales, à partir desquelles on explique toutes les autres. Avec les lois fondamentales, on peut expliquer toutes les possibilités et toutes les nécessités, parce qu'elles déterminent tout ce qui est possible et tout ce qui est nécessaire.
Les lois fondamentales sont les raisons d'être de tout ce qui est, même des lois fondamentales. On explique les lois fondamentales à partir d'autres lois fondamentales, et à partir d'elles-mêmes.
Pour expliquer le monde actuel, il faut d'abord expliquer pourquoi il est possible, en montrant qu'il est permis par les lois de la Nature. Mais ce n'est pas suffisant, parce que le monde actuel est contingent. Les lois de la Nature ne suffisent pas pour le déterminer. Elles n'interdisent pas qu'il puisse être autre que ce qu'il est.
On explique une contingence de la même façon qu'on explique une nécessité, en cherchant des conditions dont elle est une conséquence nécessaire, mais les conditions ne peuvent pas être toutes nécessaires, parce qu'une conséquence nécessaire de conditions nécessaires est elle aussi nécessaire. Une au moins des conditions doit être contingente. On explique toujours les contingences à partir d'autres contingences. Quand on explique les contingences, il y a donc nécessairement une régression à l'infini dans la recherche des causes. Les lois expliquent la fatalité, l'enchaînement nécessaire des contingences, depuis la nuit jusqu'à la fin des temps.
« il disait que l'opinion vraie accompagnée d'une raison (logoï) est science, tandis que celle qui est dépourvue de raison est en dehors de la science; et ce dont il n'y a pas de raison n'est pas sachable - tel est le mot qu'il forgeait - tandis que ce qui en a une est sachable.» (Platon, Théétète 201d)
La raison est le logos. Dans la définition de la science donnée par Platon (Théétète 201d , Ménon 98a) logoï peut être traduit par raison, explication, justification ou preuve. Une bonne preuve peut être aussi une bonne explication, parce qu'elle donne des raisons de ce qui est. Une bonne explication peut être aussi une bonne preuve, parce qu'elle donne des raisons suffisantes de ce qui est. Mais preuve et explication sont orientées différemment. Une preuve cherche la certitude, autant qu'il est possible, alors qu'une explication cherche la clarté, en nous donnant les raisons de l'être. Une bonne explication doit nous éclairer, et parfois elle nous illumine.
Une bonne preuve peut ne pas être une bonne explication, si elle prouve la vérité de ce qui est, avec certitude ou presque, sans donner les raisons fondamentales qui font qu'il est ce qu'il est. Une bonne explication peut ne pas être une bonne preuve, si elle donne les principales raisons de ce qui est, sans donner des raisons suffisantes pour prouver qu'il est.
"Ce qui est incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible." (Albert Einstein, Physique et réalité, 1936)
Comprendre est toujours comprendre des explications. Inversement, une explication doit nous éclairer, donc nous aider à comprendre.
S'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas de vérité des attributions, il n'y aurait donc pas de concept. S'il n'y avait pas de concept, il n'y aurait pas d'être, parce que pour être, il faut avoir des propriétés et des relations. Donc s'il n'y avait pas de loi, il n'y aurait pas d'être.
Il y a toujours des explications pour tout, parce qu'il n'y a pas d'être sans loi. Qu'il n'y a pas d'être sans loi est une loi qui explique l'existence de toute les explications de tous les êtres. On peut donc expliquer et comprendre pourquoi l'être peut toujours être expliqué et compris.
"Je comprends un être si je sais le fabriquer" (Fred Dretske, conférence à la bibliothèque de Lyon)
L'auteur d'une fiction est comme un démiurge, un créateur de monde. Il donne l'être par la parole. Il donne la vie à ses personnages en disant qu'ils sont et ce qu'ils sont.
Pour comprendre un être matériel, il faut savoir de quoi il est fait. On peut le fabriquer en imagination si on connaît la nature des constituants et leurs positions relatives, comme un ingénieur ou un architecte qui dessine les plans d'une construction. On peut déduire les lois du mouvement du système à partir des lois du mouvement des constituants. Si on connaît les lois du mouvement d'un être, on peut imaginer tous ses mouvements possibles, comme si on était un créateur de tous les mondes possibles dans lesquels il peut être .
On explique tous les êtres de l'Univers et l'Univers lui-même si on est capable de les fabriquer en imagination, donc de faire des modèles.
Imaginer est toujours imaginer qu'on est un autre, en un autre lieu, à un autre temps ou dans un autre monde. On comprend un autre esprit en se mettant à sa place, en imaginant qu'on est lui. On fait comme si on pensait ce qu'il pense, on voulait ce qu'il veut, on ressentait ce qu'il ressent, on percevait ce qu'il perçoit, on faisait ce qu'il fait, on imaginait ce qu'il imagine. « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger. » (Térence, Heautontimoroumenos, v. 77)
On comprend un concept quand on sait comment l'attribuer à tous les êtres possibles pour lesquels il est vrai. La connaissance des lois donne les moyens d'observer ainsi la présence du concept dans le monde actuel et dans tous les mondes possibles. C'est comme avoir fabriqué en imagination un détecteur du concept.
La connaissance des lois donne à l'imagination sa puissance. Quand on connait les lois, on peut imaginer tous les mondes possibles comme si on était leur créateur.
On explique une loi en montrant qu'elle est une conséquence de lois plus fondamentales. C'est comme imaginer qu'on est un législateur qui justifie toutes les lois à partir des plus fondamentales. Pour imaginer qu'on est un législateur, il faut connaître les lois de la législation, les lois des lois. Quand on connait les lois des lois, on est comme un législateur et un créateur de tous les mondes possibles.
S'il est guidé par les Idées
Le rêve élève. Il est la sève
Grâce au délire de mes désirs
Je vais sur les chemins du vrai
Je pense l'abstrait et le concret
Je trouve la substance et le sens
J'imagine et je m'illumine
Le songe me rend ivre de vivre
L'être d'un individu est d'avoir des propriétés et des relations qui déterminent son être dans le monde. Tout son être est d'être dans le monde dont il fait partie.
L'être d'un concept est d'être attribué à des êtres dans tous les mondes possibles où il est défini. Tout son être est son être dans cet espace de mondes possibles.
L'être d'un être matériel est d'apparaître dans le monde matériel en faisant de l'effet sur les autres êtres matériels et en subissant leurs effets. Tout son être est son être dans le monde matériel.
Tout l'être d'un être est son être dans un tout ou d'être un tout ou les deux.
Un monde en miettes n'est pas vraiment un monde. Pour être vraiment un monde, pour être tout court, un monde doit avoir une unité, il doit être un. Tout est un. Hen kai pan. L'un et le tout. Mais qu'est-ce qui fait l'unité d'un monde ?
Une main séparée du corps n'est pas une main, mais seulement un morceau de cadavre (Aristote, Pascal).
Dans un monde unifié, chacun de ses constituants est vivifié par la présence de tous les autres, un être ne peut pas être ce qu'il est sans les autres.
L'unité d'un corps vivant est beaucoup plus que sa résistance mécanique. Toutes les parties d'un corps vivant rendent des services aux autres parties et en reçoivent. C'est l'essence de la vie. Un corps vivant est essentiellement un réseau autocatalytique (Kauffman).
Un système de molécules est un réseau autocatalytique si et seulement si la synthèse de chaque molécule est catalysée par d'autres molécules.
Catalyser veut dire accélérer sans être consommé. Si une réaction est vraiment très lente, on peut considérer qu'elle est impossible, et catalyser veut dire faire exister.
L'ADN est un catalyseur de la synthèse de l'ADN et de l'ARN. L'ARN est un catalyseur de la synthèse de l'ARN, de l'ADN et des protéines. Les protéines sont des catalyseurs de la synthèse de l'ADN, de l'ARN, des protéines et de toutes les autres molécules produites dans un corps vivant.
L'être d'un esprit est son être dans l'Univers, et tout particulièrement ses relations avec les autres esprits. Tout son être est d'apparaître, à lui-même et aux autres, en faisant de l'effet sur la matière et les esprits, et en laissant la matière et les esprits faire de l'effet sur lui. Tout l'être d'un esprit est son être dans le monde des êtres matériels et des esprits.
Pour vouloir, il faut vouloir se tenir à sa volonté, il faut respecter sa propre volonté, il faut vouloir vouloir.
Vouloir vouloir est le principe de l'unité d'un esprit, parce que toutes les composantes de l'esprit doivent respecter les décisions qu'elles ont prises en commun, comme une administration centralisée sans administrateur central.
Vivre pour le bien est le principe de l'unité de tous les esprits, parce que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits. Le bien d'un esprit est toujours une fin pour tous les esprits. Chaque esprit reçoit des services des autres esprits et doit leur rendre service, ainsi qu'à lui-même.
Toutes les vérités forment une totalité cohérente. Quand on cherche la vérité, toutes les vérités s'assemblent comme les pièces d'un puzzle. On les trouve chacune une par une et elles s'assemblent comme par magie.
Les mensonges et les fictions peuvent aussi être cohérents, mais ils n'ont pas la grandeur de la vérité. La vérité est la plus grande totalité cohérente.
La cohérence de toutes les vérités est le meilleur critère pour les reconnaître, parce qu'une vérité montre qu'elle est une vérité par son être dans la totalité cohérente des vérités. C'est le principe du cohérentisme : la cohérence de toutes les vérités révèle qu'elles sont des vérités.
L'exigence de cohérence est le principe de l'unité de toutes les vérités. Un ensemble de vérités doit toujours être cohérent. Si un ensemble d'énoncés n'est pas cohérent alors au moins un d'entre eux n'est pas une vérité.
Un ensemble d'énoncés est cohérent si et seulement il existe un monde logiquement possible tel qu'ils sont tous vrais.
Une contradiction est la conjonction d'un énoncé et de sa négation. Un énoncé et sa négation ne peuvent jamais être vrais tous les deux en même temps. Si un ensemble d'énoncés contient un énoncé et sa négation alors il n'est pas cohérent.
L'exigence de cohérence est le principe de toutes les règles logiques. Elles interdisent toutes les incohérences mais autorisent tout le reste. Un énoncé est une conséquence logique des énoncés qui le précèdent si et seulement si sa négation n'est pas cohérente avec eux.
Les règles logiques conduisent toujours du vrai au vrai. Elles nous montrent les chemins de la vérité, comment avancer et vivre dans la vérité.
Grâce aux règles logiques, chaque vérité peut servir à justifier et expliquer d'autres vérités, et elle peut être justifiée et expliquée par d'autres vérités. Les règles logiques montrent donc l'unité de toutes les vérités.
Les principes fondamentaux sont ceux qui expliquent et justifient tous les principes. Ensemble ils forment une unité, parce que chacun peut être expliqué et justifié à partir des autres.
Le principe que l'être d'un être est son être dans une totalité unifiée vaut aussi pour la poésie :
Une Idée m'invite à penser
Des syllabes se mettent à danser
Et s'amusent en faisant des rimes
Ces œillades amoureuses expriment
Plus tendrement que des préceptes
Les doux rendez-vous des concepts
Toutes les parties dans un poème
Par toutes les autres sont vivifiées
Si c'est un bel écosystème
Alors le vrai est signifié
Une cause finale est une fin à atteindre, un but, un objectif.
Lorsqu'un être existe pour atteindre une fin, on appelle souvent cette fin sa fonction, ou une de ses fonctions s'il en a plusieurs.
Une cause finale est une cause motrice parce qu'elle nous met en mouvement si nous avons choisi de l'atteindre. Le désir est le principal moteur du mouvement pour tous les êtres qui désirent.
La vérité de n'importe quel énoncé peut être choisie comme une fin. Elle est atteinte si et seulement si l'énoncé est vrai. Une conjonction de fins est une fin. Elle est est atteinte si et seulement si toutes les fins dont elle est la conjonction sont atteintes.
Choisir le mal est toujours un mauvais usage de la volonté. Les fins doivent toujours être des biens. La vraie cause finale est toujours le bien (Aristote).
Le désir et la volonté ne sont pas les seules causes de l'existence des causes finales, parce que les êtres vivants atteignent de nombreuses fins qu'ils le veuillent ou non. La plupart des fonctions vitales ne sont pas contrôlées par la volonté.
Les machines que nous construisons atteignent les fins que nous voulons qu'elles atteignent. Puisque les corps vivants atteignent des fins sans qu'ils les aient voulues, on a supposé qu'ils ont été conçus par une intelligence divine. On appelle cet argument la preuve téléologique de l'existence de Dieu. Telos veut dire fin. Cet argument n'est pas concluant, parce que l 'évolution par sélection naturelle explique pourquoi les êtres vivants atteignent leurs fins (Dawkins, L'horloger aveugle). Mais on peut quand même se demander si l'apparition de la vie et de l'esprit dans l'Univers sont des fins voulues par Dieu.
Y a-t-il une cause finale de l'être ? Une cause finale de tous les êtres ? Une cause finale de notre Univers ?
Pour trouver la vérité, il faut chercher le bien et la beauté (Platon, Aristote, Leibniz, Spinoza, Einstein, Dirac ...). C'est étonnant. Pourquoi la réalité devrait-elle être belle ? Ne faut-il pas croire à la vie en rose pour affirmer qu'une théorie doit être belle pour être vraie ? Pourquoi le bien et la beauté devraient-ils être la vérité ?
Il se trouve que ça marche. Platon ne s'est pas trompé. La recherche du bien et de la beauté conduit vraiment à la vérité. La physique théorique et toutes les autres sciences fondamentales confirment qu'une théorie doit être belle pour être vraie.
Si une vérité n'est pas belle, elle est une vérité à propos d'un cas particulier. Les lois les plus fondamentales sont aussi les plus générales. Ensemble elles forment toujours une belle totalité.
Le bien et la beauté ne sont pas séparables. Ce qui est vraiment beau est bien. Ce qui est vraiment bien est beau. La beauté est toujours aussi ce qu'il y a de plus utile, mais ce n'est pas parce que c'est utile que c'est beau, c'est parce que c'est beau que c'est utile (Hegel).
Si le bien est la cause finale de l'Univers, pourquoi y a-t-il autant de mal ? Le mal n'est pas là pour demeurer. Le bien est de le faire disparaître, ou au moins de le réduire.
D'abord je veux puis cela est
La voix du désir mène au vrai
La fleur est née de son parfum
Au commencement était la fin
Peut-être aussi tout l'Univers
Pour un dessein est découvert
L'éternel vivant, le meilleur
Sème ce qu'il aime, le grand bonheur
La métaphysique, la science de l'être, et la théologie, la science de Dieu, sont une seule et même science, parce que Dieu révèle la vérité de tous les êtres et parce que tous les êtres révèlent la vérité de Dieu.
« Il n'est pas possible que la divinité soit envieuse. » (Aristote, Métaphysique, livre A, 983a)
Tout se passe comme si la raison était une divinité généreuse, qui donne sa sagesse à tous ceux qui veulent vraiment la connaître. La première vérité sur la raison est qu'elle est généreuse. Elle n'est pas envieuse, elle ne nous prive pas du meilleur. Elle ne serait pas la meilleure si elle privait un seul d'entre nous du meilleur.
Ce court traité a présenté de nombreux exemples de la générosité de la raison :
Tous les êtres révèlent par leur existence des vérités universelles et éternelles.
Nous disons la vérité sur la vérité en disant qu'elle est de dire des êtres qu'ils sont ce qu'ils sont.
Nous connaissons des vérités absolues, nécessaires, sans condition.
La loi, donc la parole, est le fondement de l'être.
Nous pouvons apprendre par le raisonnement tout ce que les lois enseignent.
Tout se passe comme si la matière et l'esprit avaient été faits l'un pour l'autre, parce que la nature de la matière est d'obéir à des lois et que la nature de l'esprit est de connaître les lois.
Nous connaissons assez bien, parfois avec une très grande précision, les lois de la Nature, et nous pouvons toujours en découvrir davantage.
La beauté de la Nature élève l'esprit. Comment une telle beauté est-elle apparue ?
Les esprit sont capables de connaître le bien, de le vouloir et de le faire.
La vérité sur le bien révèle l'unité de tous les esprits, parce que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits.
Un idéal du savoir donne à un esprit la vertu intellectuelle, la puissance d'atteindre la vérité.
L'épistémologie est le savoir de tous les savoirs. Elle donne à tous les moyens de bien observer tous les savoirs. Elle est le Soleil qui éclaire tous les esprits.
Les bons principes sont comme des moteurs ou des fusées qui nous transportent jusqu'aux sommets les plus élevés du savoir.
Les fruits de la raison sont universels. Les bonnes observations, les bons principes et les bons raisonnements sont toujours bons pour tous les esprits. Si un esprit peut récolter les fruits de bons principes, alors tous les esprits peuvent récolter les mêmes fruits.
Quand on connait les lois des lois, on est comme un législateur et un créateur de tous les mondes possibles.
Toutes les vérités forment une totalité cohérente. Elles s'assemblent comme les pièces d'un puzzle et comme par magie.
Nous voulons la puissance de connaître le bien et de le faire, et nous voulons donner cette puissance, puisque la donner est un bien. Mais est-ce vraiment possible ? Ne faut-il pas être Dieu pour avoir la puissance de de connaître le bien, de le faire et de donner cette puissance ?
Il semble que le bien et la beauté sont la cause finale de l'être, parce qu'on trouve la vérité quand on les cherche.
Garder le meilleur pour soi, ne pas le donner, n'est pas le meilleur mais le pire : priver les autres du meilleur. Le meilleur n'est pas de garder pour soi le meilleur mais de le donner. La puissance de donner le meilleur est le meilleur. Donc la puissance de donner la puissance de donner le meilleur est aussi le meilleur.
Une preuve de l'existence de Dieu : il faut une puissance divine pour que la vérité sur la vérité soit connue. Or la vérité sur la vérité peut être connue, et elle est connue. Donc il y a une puissance divine.
Cette preuve suppose que seul Dieu a vraiment la puissance de donner la vérité sur la vérité. Nous avons cette puissance seulement par délégation, parce qu'il nous l'a donnée.
La raison enseigne des vérités éternelles. Elle est comme une parole divine, comme si elle était la sagesse divine que Dieu nous révèle. C'est pourquoi on peut la considérer comme une manifestation de la générosité divine. L'existence des preuves est une preuve de l'existence de Dieu, parce que c'est Dieu qui révèle les preuves.
Dieu est le plus généreux. C'est ainsi qu'il est le plus grand, le meilleur et le plus puissant.
La plus grande bonté de Dieu est de nous enseigner comment être bon. Et en enseignant la bonté, il nous enseigne en même temps comment enseigner la bonté, parce que la puissance d'enseigner la bonté fait partie de la bonté.
Nous avons la puissance de donner la puissance par délégation. La première source de la puissance est toujours Dieu. Il n'y a que Dieu qui a vraiment la puissance de donner la puissance. Nous avons la puissance de donner la puissance seulement si Dieu le veut.
Le principe que le bien d'un esprit est de vivre pour le bien de tous les esprits est lui-même un bien pour tous les esprits, donc une manifestation de la générosité divine.
Pourquoi dire de la raison qu'elle nous est donnée par Dieu ? Pourquoi ne pas dire que nous nous la donnons à nous-mêmes ?
Nous faisons la science, nous faisons exister tous les savoirs quand nous les développons, les enseignons et les discutons. Sans nos travaux de producteurs de vérité, la raison n'existerait pas. Elle est notre invention et notre œuvre.
"Dieu a fait les êtres humains à son image et ils le lui ont bien rendu." La sagesse et la générosité que nous attribuons à Dieu sont-elles des projections d'une sagesse et d'une générosité seulement humaines ?
La raison est nécessaire. Elle ne peut pas ne pas être ce qu'elle est. Nous ne décidons pas de ce qu'elle est. Elle ne dépend pas de nos décisions arbitraires ou de notre bon plaisir.
Nous n'inventons pas la raison, nous la découvrons. Elle est ce qu'elle est de toute éternité. Quand nous faisons la science, nous découvrons une possibilité éternelle.
Quand nous découvrons la raison, nous découvrons en même temps que nous sommes capables de la découvrir, mais nous ne décidons pas comment la découvrir. C'est la raison qui nous montre comment découvrir la raison. Il est faux de dire que nous faisons la raison, la vérité est que c'est elle qui nous fait.
Si on croit que la puissance de faire le bien est la seule véritable force, et que seule la raison donne cette puissance, alors la raison est la première source de toute force. Sans la raison, nous sommes sans force. Avec la raison, nous trouvons la force et la force de nous donner la force, mais nous ne choisissons pas ce qu'est cette force.
Puisque la première source de toute force, la raison, nous destine au bien, il est naturel de l'identifier à la parole divine.
Notre force est seulement de recevoir toute la force que Dieu nous donne, de laisser cette puissance agir en nous. Dieu donne la force mais nous ne pouvons pas l'exiger, seulement l'espérer, la laisser venir, et parfois l'exercer. Nous n'avons pas la force de nous donner la force, sauf si Dieu nous donne cette force, et nous n'avons pas non plus la force de choisir ce qu'elle est.
Dieu existe veut dire qu'il actuel. Il faut distinguer l'être seulement possible, qui existe seulement comme objet de pensée, et l'être actuel, qui existe vraiment, qui est une réalité. Saint-Anselme (Anselme d'Aoste, archevêque de Canterbury, 1078) a prouvé que Dieu est actuel en montrant qu'un être ne peut pas être le meilleur sans être actuel.
Le meilleur est.
Preuve : Il n'y a pas de contradiction à supposer l'existence d'un être le meilleur, donc le meilleur est logiquement possible. Or être possible est déjà être. Donc le meilleur est.
Le meilleur est actuel.
Preuve : si un être est bon, être actuel est meilleur qu'être seulement possible. Donc le meilleur est actuel. S'il ne l'était pas, il ne serait pas le meilleur.
Nous ne savons pas très bien ce qu'est Dieu mais nous savons que nous ne pouvons lui attribuer aucun défaut. S'il avait une imperfection il ne serait pas Dieu. Il réunit en lui toutes les perfections. Sa sagesse est parfaite. Il choisit toujours le meilleur des possibles. Sa puissance n'est limitée par aucun adversaire. Il en va de même pour toutes les qualités qu'on peut songer à lui attribuer. Il est toujours le meilleur, ou la somme de toutes les perfections.
Pour un libre penseur rationaliste, l'affirmation que Dieu est le meilleur est simplement une hypothèse avec laquelle on peut raisonner, comme avec n'importe quelle hypothèse. Rien ne nous interdit de faire des hypothèses et de voir, par le raisonnement, si elles peuvent nous enseigner quelque chose.
L'argument d'Anselme prouve avec une logique impeccable, parfaitement rigoureuse, que penser à un Dieu fictif est comme penser à un cercle carré. On raisonne mal sur Dieu, sur l'être sans défaut si on le conçoit seulement comme un produit de notre imagination. Ne pas être bon est un défaut et être seulement imaginaire est un défaut pour un être bon. Donc l'être sans défaut ne peut pas être seulement imaginaire. Notre faculté naturelle de raisonner suffit pour le prouver.
La preuve d'Anselme ne suffit pas pour convaincre un sceptique. Elle montre seulement qu'on peut raisonner correctement sur l'être le meilleur, et qu'il doit être plus qu'une fiction pour être vraiment sans défaut. Mais cela ne suffit pas pour prouver que cet être le meilleur n'est pas une fiction, puisqu'on peut raisonner correctement sur des fictions.
Que nous puissions raisonner correctement sur l'être le meilleur est le point important. La lumière naturelle suffit pour connaître le meilleur. Tout se passe comme si Dieu nous avait donné la faculté de raisonner et l'idée d'un être le meilleur pour que nous puissions le connaître. Un sceptique peut toujours répondre qu'un tel savoir est hypothétique, ce qu'il est, mais cela n'empêche pas de le développer. Si c'est vraiment un bon savoir, il suffit de découvrir par le raisonnement tout ce qu'il peut nous enseigner pour s'en rendre compte. Un bon savoir porte des fruits.
Anselme prouve l'existence de Dieu à partir de l'idée d'un être le meilleur, mais dire que Dieu existe, ce n'est que savoir très peu de Lui. La prémisse, que Dieu est le meilleur est beaucoup plus importante que la conclusion, qu'il existe, parce qu'elle est beaucoup plus riche de conséquences, parce qu'elle nous apprend tout ce que nous avons besoin de savoir sur Dieu.
Il y a de nombreuses façons d'exister. Quand on affirme l'existence de Dieu, on ne parle pas de n'importe quelle façon d'exister, on veut surtout dire qu'il existe en tant que créateur, qu'il nous a prouvé son existence en créant l'Univers, que la création est la révélation de sa vérité. La matière et la lumière dans lesquelles nous vivons font partie de l'existence de Dieu.
Paece que Dieu est le meilleur, il a la meilleure des existences. Être le meilleur et ne pas nous en faire profiter est de la faiblesse ou de l'égoïsme et ne peut donc pas être le meilleur. Dieu a créé le monde parce qu'il est généreux. Il ne serait pas le meilleur sans cette générosité.
L'affirmation que Dieu est le meilleur, la somme de toutes les perfections, est une hypothèse ouverte. À elle seule elle reste très indéterminée. Elle nous invite à raisonner. Il faut la compléter en affirmant quelles sont ces perfections que nous pouvons attribuer à Dieu. Quand on affirme qu'il est le meilleur on ne sait pas d'avance ce que c'est qu'être le meilleur, on doit l'apprendre.
La théologie rationnelle est la connaissance rationnelle de Dieu. Mais comment Dieu peut-il être connu rationnellement ? À partir de son œuvre, y compris la raison. Toute la création, sans exception, peut être interprétée comme la parole de Dieu. Tout parle, tout dit la parole de Dieu. En donnant la création, Dieu a donné sa parole et les êtres capables de l'entendre. La raison est le savoir et la sagesse qu'il nous fait partager.
Anselme est le saint des penseurs rationalistes (Descartes, Spinoza, Leibniz, Hegel ...) et de tous les croyants, chrétiens ou non, qui croient que la science est un don de Dieu.
Les épidémies, la famine, la misère, la torture, les massacres et toutes les horreurs, font partie de la création. Si Dieu est le meilleur, pourquoi laisse-t-il exister toutes les horreurs ? L'existence du mal n'est-elle pas une preuve que tous les discours sur les perfections divines sont vains et insensés ? (Voltaire 1759)
On ne peut pas toujours raisonner sur les perfections divines comme sur les perfections humaines (Spinoza 1677). Pour un être humain, laisser le mal exister dans sa demeure n'est sûrement pas une perfection. Mais transposer ce raisonnement à l'Univers et à son créateur ne semble pas légitime. Nous ne savons pas ce que pourrait être un univers qui ne laisserait pas exister le mal, parce qu'il nous priverait de notre liberté, et parce que la privation de liberté est un mal. Mais surtout nous ne sommes pas en position de juger ce que Dieu aurait dû faire et qu'il n'a pas fait. Croire que nous pouvons savoir mieux que Dieu ce qu'il aurait dû faire est vain et insensé. Évidemment nous ne pouvons pas lui apprendre ce que c'est qu'être le meilleur, c'est lui qui nous l'apprend.
Du point de vue de certains athées (pas tous) l'expression théologie rationnelle est contradictoire, comme un cercle carré. Ils ne font pas la différence entre la religion et la superstition et considèrent que les croyances religieuses ne sont que des fantasmes. Le développement des sciences et de la raison est supposé nous ouvrir les yeux et nous débarrasser de ces vaines illusions. Mais cette prétendue opposition entre la raison et les religions est contredite par l'histoire du développement des savoirs. De très nombreux savants ont fait progresser les sciences en cherchant à connaître Dieu à partir de son œuvre. Et l'existence même de la raison, de notre capacité à la développer, peut être interprétée comme une preuve de la générosité divine. Athées ou croyants, nous ne savons pas par avance ce qu'est la raison, nous le découvrons tous les jours, et nous devons l'apprendre. Les athées ne sont pas les seuls à s'opposer à la déraison, les croyants aussi. Et il n'est pas nécessaire d'être athée pour être scientifique. Si l'athéisme conduit à ignorer tout ce que les religions enseignent sur la raison, il devient la déraison.
- Ah bon, tu ne sais pas que Dieu existe ?
- Je ne l'ai jamais vu. Pourquoi je croirais qu'il existe ?
- On ne peut pas le voir. Pour le reconnaître dans sa création, il faut le connaître par la pensée. Si tu le cherches dans ta pensée, et si tu veux le trouver, tu le trouveras. Il n'abandonne jamais personne, surtout pas ceux qui le cherchent.
« Dieu, personne ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons, Dieu habite en nous et son amour se réalise en nous. Nous savons que nous somme en lui et qu'il est en nous grâce au Souffle qu'il nous a donné. » (1 Jean 4, 12-13, traduit par Florence Delay et Alain Marchadour)
Pour vraiment aimer, il faut connaître, parce que si on aime sans connaître, on ne connaît pas ce qu'on aime, et cette ignorance nous empêche d'aimer vraiment.
Pour vraiment connaître, il faut aimer, parce que si on connaît sans aimer, on ne connaît pas vraiment, on ne sait pas que le connu mérité d'être aimé. Sans la connaissance de l'universalité de l'amour, on ne peut pas connaître vraiment. Si on ne sait pas que Dieu n'abandonne jamais personne, qu'il donne son amour à tout ce qui est, on ne comprend rien à rien.
Pas d'amour sans connaissance. Pas de connaissance sans amour. Or Dieu est en même temps l'amour et la vérité. Pas de vérité sans amour. Pas d'amour sans vérité. Pas de vérité sur la vérité, et sur l'amour, sans amour de l'amour. Pas d'amour de l'amour, et de la vérité, sans vérité sur la vérité. Pas de vérité sur l'amour, sans l'amour de la vérité. Pas d'amour de la vérité, sans la vérité sur l'amour.
La théologie est en même temps la vérité sur la vérité, la vérité sur l'amour, l'amour de la vérité et l'amour de l'amour.
Christ veut dire le oint, le béni, le plus aimé de Dieu.
On oint son front, avec de l'huile, pour qu'il brille sous le Soleil.
Dieu n'abandonne jamais personne, sinon il ne serait pas Dieu. Donc nous sommes tous aimés et bénis par Dieu.
L'intolérance est une faute. Or Dieu est sans faute. Donc nous sommes tous également aimés par Dieu. Donc nous sommes tous potentiellement le Christ.
Quand nous nions que nous sommes potentiellement le Christ, nous renions l'amour de Dieu pour nous, comme si nous voulions que Dieu ne nous aime pas. Le problème n'est pas que Dieu ne nous aime pas, mais seulement que nous ne l'aimons pas.
L'humanité est à l'âge des ténèbres quand la plupart des êtres humains connaissent mal le bien et le mal.
L'humanité est à l'âge des lumières quand la plupart des êtres humains connaissent bien le bien et le mal.
Jusqu'à présent (2025) l'humanité est à l'âge des ténèbres.
Fin de la leçon.
Les êtres humains connaissent mal le bien et le mal, parce qu'on les leur enseigne mal. Si on enseigne bien ce que sont vraiment la vérité, le savoir, le bien et le mal, on peut espérer passer à l'âge des lumières, et accomplir ainsi la volonté de Dieu.