Cliquez / Haïssez : la chambre d'écho médiatique de Breitbart menace l'Europe. Voici pourquoi.

Joe Mulhall

Cet article est paru sur le site de The Guardian

le 7 mars 2017

Traduction : Sleeping Giants France, nous tenons à remercier l’auteur et l’éditeur d’avoir autorisé cette traduction.

Notre analyse de 500 articles de Breitbart Londres prouve ses tentatives de déstabilisation du consensus libéral d'après-guerre, et avec lui des protections offertes aux minorités.



Joe Mulhall est analyste en chef au sein de l'organisation anti-raciste Hope not Hate

Contactez l'auteur : @JoeMulhall_



Steve Bannon a clairement annoncé sa volonté d'expansion sur les deux rives de l'Atlantique lors de l’inauguration des deux nouvelles branches, Breitbart Londres et Breitbart Texas : "Nous voyons Londres et le Texas comme deux fronts dans notre guerre politique et culturelle actuelle."

"Lire Breitbart pendant 2 jours va vous convaincre que le monde est atroce"

Adam Gabbatt

Correspondant de The Guardian aux États-Unis

Breitbart n'est pas un site d'information. Ce n'est pas non plus un organe de presse, et son équipe n'est pas constituée de journalistes ordinaires. Breitbart est un projet politique, avec des visées politiques spécifiques, et une équipe de propagandistes motivés.

Comme le montre le dernier rapport de Hope not Hate, Breitbart: A rightwing plot to shape Europe’s future (Breitbart : un complot de la droite pour façonner le futur de l'Europe), alors qu'il se présente comme un organe de presse de droite comme les autres, Breitbart fait en réalité partie d'un mouvement politique transatlantique, partageant une vision du monde et des objectifs coordonnés. Il ne se contente pas de relater les événements : il s'acharne à les fabriquer et à les déformer.

En effet, Breitbart colporte des mensonges et des demi-vérités. Ses conclusions infondées sont tirées de ses préjugés, et publiées dans le but de développer son programme; Breitbart constitue une chambre d'écho médiatique destinée à démultiplier les sentiments de haine en ligne.

Il s'emboîte parfaitement dans le mouvement actuel d'individus, de partis politiques et de courants philosophiques dont le but apparent est de déstabiliser le consensus progressif, libéral et démocratique contemporain et les normes sociétales qui en découlent.

Alors que Breitbart publie régulièrement des contenus anti-féministes, homophobes et transphobes, le point central de sa politique est le rejet du multiculturalisme, qui se manifeste par l'opposition à l'immigration et aux politiques libérales d'accueil des réfugiés.

Les flux migratoires, et plus spécialement l'immigration musulmane en Europe, constituent l'un des thèmes de prédilection.

Comme l'a démontré, dans notre nouveau rapport, l'analyse des 500 derniers articles publiés dans Breitbart Londres, les flux migratoires, et plus spécialement l'immigration musulmane en Europe, constituent l'un des thèmes de prédilection. La lourde insistance sur ce sujet est probablement calquée sur le point de vue de Steve Bannon, l'ancien Président Exécutif, qui est persuadé que nous sommes victimes d'un conflit civilisationnel entre l'occident et le monde musulman.

Quel qu'en soit le moteur sous-jacent, les "reportages" de Breitbart consacrés à l'Islam et aux musulmans sont souvent impossibles à distinguer de la rhétorique du mouvement anti-Jihad (un mouvement dont nous avons récemment dressé le portrait), ou même de celle de l'extrême droite la plus dure.

Prenons pour exemple l'article de Breitbart "La culture musulmane du viol est protégée par le Politiquement Correct". Basé sur une allégation infondée qu'il y aurait une "épidémie de viols", l'article prétend que "l'épidémie est un sous-produit de l'entrée en Europe d'un million de migrants, pour la plupart musulmans", affirmant : "Il n'est pas politiquement correct de parler ouvertement de la culture Islamique du viol" et que "comme les crimes d'honneur, avec l'immigration musulmane massive qui se profile, tout cela pourrait bientôt arriver dans une ville près de chez vous".

En contraste flagrant avec l'habituelle minimisation par le site de la "panique des féministes radicales face à la 'culture du viol' " – et malgré les études qui estiment que 23% des étudiantes de premier cycle aux États-Unis ont signalé avoir subi des agressions sexuelles depuis leur entrée au lycée – la représentation du musulman comme culturellement différent, mais également comme constituant un danger physique et sexuel (une tactique habituelle de l'extrême-droite xénophobe) est monnaie courante sur Breitbart.

"Nous sommes devenus les bureaux de com' de Ukip"

Bien qu'il s'agisse d'une plateforme Internet, il serait erroné de considérer que la menace de Breitbart est purement numérique. En février 2014, la première section internationale, Breitbart Londres, a été lancée. Au moment de ce lancement simultané avec la branche texane, Bannon a clairement exprimé ses intentions d'expansion sur le vieux continent : "Nous voyons Londres et le Texas comme deux fronts dans notre guerre politique et culturelle actuelle". La mise en place d'une branche britannique a été accélérée pour soutenir "Un Tea Party Européen naissant" avant les élections de mai 2015.

Les soldats non connectés de cette "guerre politique" ici, au Royaume-Uni, ont été Ukip. "Nous sommes effectivement devenus les bureaux de com' de Ukip", a déclaré un employé de Breitbart au Spectator, à la suite les élections générales britanniques de 2015. "Toute critique du sacro-saint Farage était complètement bannie", a dit un autre.

(N.D.T. : Ukip, fondé par Nigel Farage, est le principal parti d'extrême-droite britannique)

Des plans d'expansion de la franchise Breitbart sur le continent ont été annoncés (bien qu'ils aient pour l'instant échoué à se matérialiser), avec l'annonce d'une édition française et allemande, les deux pays étant en période électorale. Ont également été évoqués des plans d'expansion en Italie, le pays faisant face à des difficultés économiques, et la perspective de nouvelles élections cette année étant de plus en plus probable.

En dépit de ces annonces, les chances pour qu'un Breitbart français voie le jour à temps pour les élections présidentielles sont minces, bien que cela n'ait pas empêché les plateformes déjà existantes de fournir une couverture médiatique généreuse au Front National. Durant l'année écoulée, Breitbart a publié plus de 200 articles citant le nom de Le Pen en titre, et beaucoup plus dans lequel elle et son parti étaient mentionnés. En novembre dernier, un tweet par Marion Maréchal-Le Pen – une élue Front National de premier plan, nièce de Marine Le Pen – a alimenté les spéculations quant à un lien entre Breitbart et ce parti. Maréchal-Le Pen a déclaré qu'elle avait accepté une invitation pour travailler avec Bannon, qui l'a décrite comme une "étoile montante" (Bannon a ensuite nié, par l'intermédiaire d'un de ses lieutenants, l'avoir contactée).

Une exposition médiatique similaire a été accordée au chef de l'extrême-droite néerlandaise Geert Wilders – qui est également éditorialiste à Breitbart – lui prédisant des sondages favorables pour les élections néerlandaises de la semaine prochaine; et à l'islamophobe Alternative für Deutschland en Allemagne, alors qu'un fort soutien était accordé à Norbert Hofer, le candidat d'extrême-droite du Parti de la Liberté, lors de sa tentative infructueuse de devenir Président de l'Autriche l'année dernière.

De concert avec l'extrême-droite et les partis populistes, Breitbart met en péril le consensus progressiste et libéral établi au lendemain de la seconde guerre mondiale, et avec lui les protections offertes aux minorités vulnérables, en particulier les musulmans.